Arrêt n°835 du 16 décembre 2020 (18-16.801) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - ECLI:FR:CCASS:2020:CO00835
Rejet
Demandeur(s) : Mme S... O...
Défendeur(s) : directeur général des finances publiques et autre(s) ;
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 mars 2018), Mme O...
a été définitivement condamnée le 11 juin 2014, par un tribunal
correctionnel, pour des faits de fraude fiscale découverts à la suite de
la transmission à l’administration fiscale par un procureur de la
République, sur le fondement de l’article L. 101 du livre des procédures
fiscales, d’informations laissant supposer qu’elle était titulaire de
comptes bancaires ouverts, au nom de sociétés de droit panaméen, dans
les livres d’une banque établie en Suisse.
2. Parallèlement, le 16 octobre 2013, l’administration fiscale a notifié deux propositions de rectification à Mme O... ,
portant sur des rappels de droits d’enregistrement selon la procédure
de taxation d’office prévue à l’article 755 du code général des impôts
au titre de ses avoirs figurant sur deux comptes étrangers, sur l’impôt
de solidarité sur la fortune et sur la contribution exceptionnelle sur
les hauts revenus.
3. Le 24 avril 2014, l’administration fiscale a émis un avis de mise en recouvrement et, après rejet de sa contestation, Mme O... l’a assignée afin d’obtenir l’annulation de la décision de rejet et la décharge des sommes mises en recouvrement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Mme O... fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors :
«
1°/ que la transmission par le procureur de la République, au titre de
l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, de documents volés ou
détournés ou présumés volés ou détournés, ne peut rendre licite leur
détention et leur production par les agents de l’administration pour
fonder des propositions de rectification ; qu’il n’est pas contesté que
les données informatiques versées au soutien de la plainte de
l’administration fiscale contre Mme O...
le 10 décembre 2010, dont des extraits ont été transmis à l’appui des
propositions de rectification, avaient été dérobées par M. N... , ancien informaticien salarié de la filiale suisse de la banque HSBC
; qu’en retenant que les pièces sur la base desquelles les propositions
de rectification ont été fondées, avaient une origine apparemment
licite dès lors qu’elles avaient été versées dans le cadre régulier
d’une communication régulière à l’administration fiscale les 9 juillet
2009, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions
des articles L. 101 et L. 135 du livre des procédures fiscales, bien
que la transmission desdites pièces n’ait pas suffi à leur conférer une
origine apparemment licite, la cour d’appel a violé les dispositions de
l’article L. 101 du livre des procédures fiscales et l’article 6 §1 de
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
2°/ que pour établir des
propositions de rectification, l’administration fiscale ne peut fonder
les rectifications sur des documents illicites ; qu’au cas présent, pour
fonder les rectifications opérées, l’administration fiscale a fait état
des éléments qu’elle aurait obtenus dans le cadre de l’exercice de son
droit de communication, notamment des extraits issus de fichiers
informatiques de la banque HSBC
à Genève et qui concerneraient des comptes ouverts dans cet
établissement ; que la transmission par le procureur de la République,
au titre de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, de
documents volés ou détournés ou présumés volés ou détournés, ne peut
rendre licite leur détention et leur production par les agents de
l’administration pour fonder des propositions de rectification ; que la
détention de ces données informatiques par l’administration fiscale ne
pouvant donc être considérée comme licite, ces données ne pouvaient
valablement être opposées à Mme O...
comme fondement à des rectifications ; qu’il suffit qu’une seule pièce
illicite ait été retenue parmi d’autres pour entraîner la nullité de la
procédure d’imposition ; qu’en retenant, pour considérer que les
propositions de rectification établissaient que Mme O...
détenait des avoirs à l’étranger, que lesdites propositions étaient
fondées non seulement sur les documents illicites qui lui ont été
transmis par l’autorité judiciaire mais sur des éléments tirés de
l’enquête pénale pour fraude fiscale diligentée à l’encontre de Mme O... ,
la cour d’appel a violé l’article L. 101 du livre des procédures
fiscales et l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5.
En dépit des effets patrimoniaux qu’il a nécessairement quant à la
situation des contribuables, le contentieux de l’impôt échappe au champ
des obligations de caractère civil de l’article 6 §1 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
6.
Selon l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, dans sa
version alors applicable, l’autorité judiciaire doit communiquer à
l’administration des finances toute indication qu’elle peut recueillir,
de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une
manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de
frauder ou de compromettre un impôt, qu’il s’agisse d’une instance
civile ou commerciale ou d’une information criminelle ou
correctionnelle, même terminée par un non-lieu.
7.
En matière de procédures de contrôle de l’impôt, à l’exception de
celles relatives aux visites en tous lieux, même privés, les pièces
issues de la commission d’un délit ne peuvent être écartées au seul
motif de leur origine dès lors qu’elles ont été régulièrement portées à
la connaissance de l’administration fiscale par application de l’article
L. 101 du livre des procédures fiscales et que les conditions dans
lesquelles elles lui ont été communiquées n’ont pas été ultérieurement
déclarées illégales par un juge.
8. Après
avoir relevé qu’il n’était pas contesté que les données informatiques
versées au soutien de la plainte de l’administration fiscale contre Mme O...
avaient été dérobées à la banque par un de ses salariés et avaient été
obtenues au cours d’une perquisition légalement effectuée au domicile de
ce salarié sur une commission rogatoire internationale délivrée par les
autorités judiciaires helvétiques puis régulièrement communiquées à
l’administration fiscale par le procureur de la République en
application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales,
l’arrêt retient qu’il n’est pas établi que l’administration fiscale ait
confectionné les pièces litigieuses ni participé directement ou
indirectement à leur production, le rapprochement et le décryptage des
données informatiques ne pouvant s’analyser comme une confection
d’éléments de preuve par une autorité publique.
9.
L’arrêt relève encore, par motifs propres et adoptés, que le tribunal
correctionnel a, par un jugement définitif, rejeté l’exception de
nullité de la plainte tirée de l’obtention illicite des documents qui la
fondaient.
10. De ces énonciations,
constatations et appréciations, la cour d’appel a déduit, à bon droit,
que ces données constituaient des preuves admissibles, de sorte que les
propositions de rectifications notifiées à Mme O... par l’administration fiscale étaient régulières.
11.
En conséquence, le moyen, inopérant en sa seconde branche qui critique
des motifs surabondants, n’est pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. Mme O...
fait le même grief à l’arrêt, alors « que la procédure de l’article L.
23 C du livre des procédures fiscales concernant les demandes de
justification de l’origine des avoirs placés sur un compte bancaire à
l’étranger non déclaré, qui est applicable aux demandes de
l’administration fiscale à compter du 1er janvier 2013, ne peut rouvrir
une prescription acquise à cette date, dès lors que l’article 755 du
code général des impôts qui prévoit les conséquences de la mise en
oeuvre des demandes de justifications, ne s’appliquent qu’aux délais de
reprise venant à expiration à compter du 1er janvier 2013 ; que, par
ailleurs, les dispositions de l’article L. 181-0 A du livre des
procédures fiscales, qui prévoient un délai de reprise de dix ans en
matière de droits de succession ou d’impôt de solidarité sur la fortune,
en cas de non-déclaration d’un compte bancaire ou d’un contrat
d’assurance-vie ouvert ou souscrit auprès d’un établissement ou
organisme sis à l’étranger, s’appliquent aux délais de reprise venant à
expiration à compter du 1er janvier 2013 ; qu’en l’espèce, la mère de
Mme O... , T... M... , étant décédée le [...]
et la déclaration de succession définitive ayant été déposée le 27
septembre 2006, la prescription en matière de droits d’enregistrement
était acquise au 31 décembre 2012 conformément aux dispositions de
l’article L. 186 du livre des procédures fiscales ; que la proposition
de rectification, seul acte interruptif de prescription, a été adressée à
Mme O...
le 16 octobre 2013 ; qu’il en résulte que les dispositions de l’article
L. 23 C du livre des procédures fiscales, entrées en vigueur le 1er
janvier 2013, ne pouvaient donc être appliquées au cas présent, dès lors
que la prescription était acquise à cette date ; qu’en jugeant le
contraire, en retenant que Mme O...
ne pouvait invoquer la prescription du droit de reprise de
l’administration s’agissant des avoirs dont elle a hérité de sa mère, la
cour d’appel a violé les dispositions des articles L. 23 C, L. 186 et
L. 181-0 A du livre des procédures fiscales ainsi que l’article 755 du
code général des impôts. »
Réponse de la Cour
13.
Selon les dispositions combinées des articles 1649 A du code général
des impôts et L. 23 C du livre des procédures fiscales, les personnes
physiques domiciliées en France sont tenues de déclarer, en même temps
que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des
comptes ouverts utilisés ou clos à l’étranger. Lorsque cette obligation
n’a pas été respectée au moins une fois au titre des dix années
précédentes, l’administration peut demander à la personne physique
soumise à cette obligation de fournir, dans un délai de soixante jours,
les informations ou justifications sur l’origine et les modalités
d’acquisition des avoirs figurant sur le compte et, lorsque la personne a
répondu de façon insuffisante aux demandes de l’administration, elle
lui adresse une mise en demeure d’avoir à compléter sa réponse dans un
délai de trente jours. Il en résulte le fait générateur de l’imposition
correspond à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C
du livre des procédures fiscales et constitue le point de départ de la
prescription décennale fixée par l’article L. 181-0 A du livre des
procédures fiscales.
14. Après avoir
énoncé que la procédure de l’article L. 23 C du livre des procédures
fiscales, dont les conséquences de la mise en oeuvre sont codifiées aux
articles 755 du code général des impôts et L. 71 du livre des procédures
fiscales, est applicable aux demandes de l’administration fiscale à
compter du 1er janvier 2013 et relevé que celle-ci avait adressé à Mme O...
une première demande d’information le 17 mai 2013, à laquelle elle
avait répondu le 15 juillet 2013, puis, jugeant la réponse insuffisante,
l’avait mise en demeure, le 29 août 2013, de compléter sa réponse, de
sorte que les dispositions de l’article L. 23 C du livre des procédures
fiscales étaient applicables, l’arrêt retient, par motifs propres et
adoptés, que Mme O...
ne peut invoquer la prescription du droit de reprise de
l’administration, s’agissant des avoirs qu’elle prétend avoir hérités de
sa mère, à défaut d’avoir rapporté la preuve de cette succession, et
qu’en application des dispositions précitées, le fait générateur de
l’imposition doit être fixé au 30 septembre 2013, trente jours après
l’envoi de la mise en demeure, ajoutant que la prorogation du délai de
reprise prévue à l’article L. 188 B du livre des procédures fiscales en
cas de plainte de l’administration pour fraude fiscale est également
applicable en matière d’impôt de solidarité sur la fortune. De ces
constatations et appréciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que
la prescription de l’action de l’administration fiscale n’était pas
acquise au moment de l’envoi des propositions de rectification, le 16
octobre 2013.
15. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Mme O... fait encore le même grief à l’arrêt, alors :
«
1°/ qu’en application de l’article L. 23 C du livre des procédures
fiscales, lorsque l’obligation prévue au deuxième alinéa de l’article
1649 A ou à l’article 1649 AA du code général des impôts n’a pas été
respectée au moins une fois au titre des dix années précédentes,
l’administration peut demander à la personne physique soumise à cette
obligation de fournir dans un délai de soixante jours toutes
informations ou justifications sur l’origine et les modalités
d’acquisition des avoirs figurant sur le compte ou le contrat
d’assurance-vie ; qu’il résulte de la demande adressée le 17 mai 2003 à
Mme O... ,
qu’elle excédait largement les dispositions précitées puisqu’aux termes
de cette dernière "les explications et justifications que vous
produirez concernant l’origine et l’acquisition des avoirs acquis à
l’étranger devront comporter, notamment, toutes les précisions suivantes
: l’identité et l’adresse de la partie versante pour chaque versement
sur les comptes, le motif des versements, le montant et la date des
versements, la nature des sommes versées, les pièces bancaires ou tous
documents permettant au service de vérifier le bien-fondé de vos
affirmations" ; qu’au regard du texte précité, l’administration fiscale
ne pouvait demander des justifications que sur l’origine et les
modalités d’acquisition des avoirs figurant sur le compte, en dehors de
tout autre élément ; qu’en retenant, au contraire, que tous les éléments
demandés entraient bien dans le cadre de l’article L. 23 C du livre des
procédures fiscales, la cour d’appel a violé le texte précité ;
2°/
qu’en application de l’article 755 du code général des impôts, les
avoirs figurant sur un compte ou un contrat d’assurance-vie étranger et
dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées
dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 23 du livre des
procédures fiscales sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire,
un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration
des délais prévus au même article L. 23 C, aux droits de mutation à
titre gratuit au taux le plus élevé ; que ces dispositions ne trouvent à
s’appliquer que dans l’hypothèse d’une origine inconnue des avoirs,
laquelle reste inconnue du fait du défaut de réponse à la suite d’une
demande visée à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales ; que
tel n’est pas le cas lorsque l’administration fiscale a entendu
elle-même amener cette preuve de l’origine des avoirs dès la mise en
oeuvre ; qu’au cas présent, l’administration fiscale a eu connaissance,
par l’exercice du droit de communication auprès de l’autorité
judiciaire, de l’origine et des modalités d’acquisition des avoirs à
l’étranger que Mme O... détenait via les sociétés Newproad Investments SA et Ferncroft Holding SA
; que tout au long de la procédure, l’administration fiscale a entendu
elle-même apporter la preuve de l’origine des avoirs et des modalités
d’acquisition par les héritiers ; que, par conséquent, l’administration
fiscale ne pouvait se fonder sur un défaut de réponse suffisante à ses
courriers modèles n° 3907 et 3907 bis des 17 mai et 29 mai 2013 pour
procéder à un rappel de droits de mutation à titre gratuit calculé sur
la base des avoirs à l’étranger dont l’intéressée avait la disposition
suite au décès de sa tante, U... Q... , et de sa mère, T... M...
; qu’en retenant que c’est à juste titre que l’administration avait à
bon droit mis en oeuvre la procédure de taxation d’office en calculant
les droits de mutation à titre gratuit sur les avoirs figurant sur les
comptes étrangers au taux le plus élevé, la cour d’appel a violé
l’article 755 du code général des impôts. »
17.
Selon l’article 755 du code général des impôts, les avoirs figurant sur
un compte ou un contrat d’assurance-vie étranger et dont l’origine et
les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la
procédure prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales
sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à
titre gratuit, assujetti aux droits de mutation à titre gratuit au taux
le plus élevé.
18. Après avoir constaté
que les demandes de l’administration fiscale ne visaient qu’à lui
permettre de connaître l’origine et les modalités d’acquisition des
avoirs litigieux au regard des conditions d’application de l’article L.
23 C du livre des procédures fiscales, l’arrêt relève, par motifs
propres et adoptés, que les informations qu’elle détenait ne lui
permettaient pas de déterminer par quels moyens Mme O...
avait obtenu le contrôle exclusif des comptes bancaires détenus par sa
tante et sa mère par l’intermédiaire de sociétés de droit panaméen ni
s’ils avaient été transmis par voie de succession et partagés entre les
héritiers, Mme O...
n’ayant ni expliqué et justifié de l’origine et des modalités
d’acquisition des avoirs en cause, cependant qu’elle y avait été invitée
à deux reprises, ni transmis les relevés de comptes litigieux et alors
même que la déclaration de succession de sa tante ne mentionnait pas ces
avoirs.
19. L’arrêt relève encore, s’agissant des avoirs que Mme O...
a soutenu avoir hérités de sa mère, que le fait que les comptes aient
pu être auparavant rattachés à sa tante et sa mère ne suffit pas à
établir la transmission de ces avoirs par succession. Il relève enfin
qu’après avoir nié devant l’administration avoir connaissance de
l’existence de ces comptes, ce n’est que devant le juge pénal que Mme O...
a déclaré en avoir eu connaissance en 2005 ou 2006 et reconnu « sa
pleine conscience d’être devenue copropriétaire par le jeu de la
dévolution successorale, des fonds litigieux. »
20.
De ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que
l’administration fiscale avait régulièrement mis en oeuvre la procédure
de taxation d’office prévue par l’article 755 du code général des
impôts.
21. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Mouillard
Rapporteur : Mme Daubigney
Avocat général : M. Debacq
Avocat(s) : Cabinet Briard - SCP Foussard et Froger
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