Arrêt n°735 du 02 décembre 2020 (18-20.231) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - ECLI:FR:CCASS:2020:CO00735
Agent commercialSommaire :
Par un arrêt du 4 juin 2020 (C-828/18, Trendsetteuse), la CJUE a dit pour droit que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial au sens de cette disposition.
Viole en conséquence l’article 134-1 du code de commerce, tel qu’interprété à la lumière de l’article 1er précité, la cour d’appel qui, pour dire que le mandataire n’avait pas le statut d’agent commercial et rejeter ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat conclu avec le mandant, se fonde sur l’impossibilité pour le mandataire de négocier les prix.
Demandeur(s) : M. H... O...
Défendeur(s) : société Editions Atlas, société par actions simplifiée
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2018), la société Editions Atlas, spécialisée dans l’édition et la commercialisation de produits de loisirs, a conclu avec M. O... ,
le 20 décembre 2006, une convention pour lui confier, pour une durée
indéterminée, la prospection de ses clients sur un secteur géographique
au sein de l’arrondissement de Sens.
2.
Après avoir cessé d’exécuter son contrat le 1er juillet 2011 et conclu
le 4 juillet suivant un contrat de travail à durée indéterminée
d’attaché commercial exclusif avec une société tierce, M. O... , revendiquant le statut d’agent commercial, a assigné la société Editions Atlas en résiliation du contrat aux torts de celle-ci et en paiement de diverses indemnités.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. O...
fait grief à l’arrêt de dire qu’il n’a pas le statut d’agent commercial
et rejeter ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat
conclu avec la société Editions Atlas
le 20 décembre 2006, alors « qu’au sens de l’article L. 134-1 du code
de commerce, qui procède de la transposition en droit français de
l’article 1er, paragraphe 2 de la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre
1986, un mandataire indépendant est chargé de négocier dès lors qu’il a
pour mission permanente de procurer des affaires pour une autre
personne et de promouvoir ses produits auprès des prospects et de la
clientèle, quoiqu’il n’ait pas le pouvoir d’en modifier les tarifs ni
les conditions contractuelles ; qu’ainsi, en se déterminant par la seule
circonstance que, faute de disposer d’un minimum de marge de manoeuvre
sur une partie au moins de l’opération économique conclue, s’agissant
notamment des prix, des barèmes de remises et des conditions générales
de distribution et de vente, tous éléments définis par le mandant, M. O...
ne démontrait pas avoir eu le pouvoir de négocier ni, partant, être en
mesure de se prévaloir du statut d’agent commercial, sans rechercher,
comme elle y était invitée, ainsi qu’en attestait le "plan de vente"
remis à chaque agent, il n’avait pas pour mission de rechercher, parmi
l’ensemble des produits des Editions Atlas
disponibles, celui qui serait le plus susceptible de séduire le
prospect, puis de présenter le produit pour lequel le client a une
préférence et le convaincre de l’acheter, enfin de rechercher, dans les
différentes formes de commercialisation du produit en question, les
modalités financières les mieux adaptées à la situation économique du
client et l’acceptation du prix le plus élevé possible, ce qui
caractérise un pouvoir de négociation au sens de la directive susvisée,
la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard du
texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 134-1 du code de commerce :
4.
Aux termes de ce texte, l’agent commercial est un mandataire qui, à
titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage
de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et,
éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location
ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs,
d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut
être une personne physique ou une personne morale.
5.
Ces dispositions résultent de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 relative
aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants ayant
transposé en droit français la directive 86/653/CEE du Conseil du 18
décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres
concernant les agents commerciaux indépendants.
6.
L’article premier de cette directive dispose que « l’agent commercial
est celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon
permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour
une autre personne, ci-après dénommée "commettant", soit de négocier et
de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant. »
7.
Si la directive ne donne pas de définition du terme « négocier », la
Cour de cassation a retenu une acception stricte de la notion de
négociation, consacrant par là-même une approche restrictive de la
qualification d’agent commercial. Afin de pouvoir distinguer l’agent
commercial d’autres intermédiaires commerciaux, lesquels ne bénéficient
pas du statut protecteur du premier, elle retenait jusqu’à présent que
la négociation supposait que l’intermédiaire dispose d’une marge de
manoeuvre certaine pour influer sur les éléments constitutifs de la
convention avant la conclusion du contrat avec le client, de nature à en
permettre la réalisation (Com., 14 juin 2005, pourvoi n° 03-14.401 ;
Com, 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.290). Elle en déduisait que le
terme de négociation ne pouvait se résumer à une simple promotion du
produit, ni davantage à la seule prospection de la clientèle ou encore à
un rôle d’intermédiaire passif, mais s’entendait de la possibilité
offerte à l’intermédiaire de modifier les clauses contractuelles
initialement envisagées par le mandant, s’agissant notamment des prix et
des conditions de vente des produits.
8.
Cependant, par un arrêt du 4 juin 2020 (Trendsetteuse, C-828/18), la
CJUE a dit pour droit que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive
86/653 doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas
nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des
marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour
être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition.
9.
Il en résulte que doit désormais être qualifié d’agent commercial le
mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession
indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est
chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure
des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de
services au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de
commerçants ou d’autres agents commerciaux, quoiqu’il ne dispose pas du
pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services.
10. Pour dire que M. O...
n’avait pas le statut d’agent commercial et rejeter ses demandes
indemnitaires au titre de la rupture du contrat conclu avec la société Editions Atlas, l’arrêt relève qu’il ressort des catalogues des produits et prix de vente de juin à décembre 2011 que M. O... n’était en mesure de modifier aucun des éléments de l’offre contractuelle des Editions Atlas, s’agissant des quantités, des prix et des modalités de paiement. Il retient que M. O...
ne justifiant pas, dans ces conditions, avoir disposé effectivement
d’une quelconque marge de manoeuvre sur une partie au moins de
l’opération économique, les prix de cession, les barèmes de remises du
mandant et les conditions générales de distribution et de vente étant
définis par le mandant, il ne démontre pas qu’il avait le pouvoir de
négocier les contrats au nom et pour le compte de son mandant, ce qui
exclut toute application du statut d’agent commercial.
11. En statuant ainsi, en se fondant sur l’impossibilité pour M. O... de négocier les prix, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que M. O...
n’a pas le statut d’agent commercial, le déboute de ses demandes
indemnitaires au titre de la rupture du contrat conclu avec la société Editions Atlas
et statue sur les dépens et sur l’application de l’article 700 du code
de procédure civile, l’arrêt rendu le 3 mai 2018, entre les parties, par
la cour d’appel de Paris ;
Remet, sur
ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient
avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris,
autrement composée ;
Président : Mme Mouillard
Rapporteur : Mme Le Bras, conseiller référendaire
Avocat général : M. Debacq
Avocat(s) : SCP Le Griel - SCP Yves et Blaise Capron
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