3 April 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/07292

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 03 AVRIL 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07292 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGST



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/04272



APPELANTE



Madame [E] [M]

[Adresse 4]

[Localité 3]

née le 14 Mai 1964 à [Localité 5]



Représentée par Me Charlotte BERNIER, avocat au barreau de PARIS



INTIME



S.A.R.L. LES EDITIONS JALOU

[Adresse 1]

[Localité 2]

N° SIRET : 331 532 176



Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 17 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Stéphane MEYER,

M. Fabrice MORILLO, Conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.



Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE



ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES



Mme [E] [M] collabore avec la société Les Editions Jalou depuis le 19 mars 2003, l'intéressée exerçant en dernier lieu les fonctions de secrétaire générale de la rédaction et étant rémunérée sous forme de piges. La société Les Editions Jalou emploie habituellement au moins 11 salariés et applique la convention collective nationale des journalistes.



S'estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [M] a saisi la juridiction prud'homale le 26 juin 2020, l'intéressée sollicitant, dans le dernier état de la procédure, de se voir reconnaître le statut de journaliste permanent et formant diverses demandes afférentes à l'exécution du contrat de travail.



Par jugement du 30 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- déclaré la demande de Mme [M] irrecevable en raison de la prescription,

- débouté Mme [M] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Les Editions Jalou de sa demande reconventionnelle,

- condamné Mme [M] aux dépens.



Par déclaration du 18 août 2021, Mme [M] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 21 juillet 2021.



Suivant ordonnance sur incident du 21 juin 2022, le conseiller de la mise en état a dit que les demandes de Mme [M] portant sur la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société et sur la condamnation de celle-ci à lui verser les indemnités de rupture suivantes (indemnité de préavis et congés payés sur préavis, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) sont irrecevables en cause d'appel.



Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 janvier 2024, Mme [M] demande à la cour de :



- infirmer le jugement et, statuant à nouveau,



- juger recevable comme non prescrite son action relative à la reconnaissance du statut de journaliste permanent et dire qu'elle a le statut de journaliste permanent,



- condamner la société Les Editions Jalou, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à lui payer les sommes suivantes :



- 31 054,86 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 83 805,16 euros à titre de rappel de salaires impayés outre 8 380,51 euros au titre des congés payés y afférents,

- 6 992,32 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 699 euros au titre des congés payés y afférents,

- 15 527 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des durées minimales de repos et maximales de travail,

- 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de prise en charge des frais liés au télétravail,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- enjoindre à la société Les Editions Jalou, sous astreinte de 100 euros par jour, de lui remettre les bulletins de paie correspondant aux condamnations à intervenir,



- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la cour d'appel et prononcer la capitalisation des intérêts,



- débouter la société Les Editions Jalou de l'intégralité de ses demandes.



Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 janvier 2024, la société Les Editions Jalou demande à la cour de :



- juger les demandes de Mme [M] irrecevables,



- confirmer la décision en toutes ses dispositions et débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,



à titre subsidiaire,



- fixer le montant des rappels au titre des salaires impayés à un montant maximum de 51 127,14 euros,



- fixer le montant des rappels de salaire pour heures supplémentaires à un montant maximum de 5 089,78 euros,



- débouter Mme [M] du surplus de ses demandes, fins et prétentions,



- condamner Mme [M] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



L'instruction a été clôturée le 9 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 17 janvier 2024.




MOTIFS



Sur le statut de journaliste permanent



L'appelante fait valoir que son action n'est pas prescrite en ce qu'elle est toujours salariée de la société intimée et que le délai de prescription ne pourrait en l'espèce commencer à courir qu'à compter de la date de cessation de la relation contractuelle.

Sur le fond, elle indique que sa demande de reconnaissance du statut de journaliste permanent est bien fondée compte tenu de la réunion de tous les indices permettant de retenir le caractère permanent du travail fourni à son employeur (nature des missions lui étant confiées ne justifiant pas qu'elle soit rémunérée à la pige, fourniture permanente de travail sur une longue période, délivrance de bulletins de paie ainsi que caractère permanent et régulier des salaires versés, absence d'autonomie et caractère résiduel de ses autres activités).



La société intimée réplique que la demande de reconnaissance du statut de journaliste permanent est irrecevable comme prescrite en ce que l'appelante n'a jamais contesté son statut de journaliste pigiste depuis le démarrage de sa collaboration en mars 2003.

Sur le fond, elle précise que l'appelante est libre d'organiser son activité comme elle l'entend, qu'elle n'est pas soumise à un horaire de travail déterminé ni astreinte à effectuer un nombre d'heures minimal pour la société, qu'elle n'a jamais eu à justifier du temps de travail consacré à l'entreprise et qu'elle fixe librement les dates et la durée de ses congés. Elle souligne également que l'appelante exerce son activité depuis son domicile en toute autonomie, avec son propre matériel informatique, sans être placée sous le contrôle et la direction permanente d'un responsable hiérarchique, cette autonomie lui permettant de proposer ses prestations pour d'autres publications, l'intéressée n'étant pas liée par une convention d'exclusivité à la différence des journalistes non pigistes.



Sur la prescription



Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Il résulte par ailleurs de l'article L. 3245-1 du code du travail que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la demande pouvant porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.



Il résulte de ces dispositions que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation du statut (ou de la classification professionnelle) applicable est soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail.



S'agissant par ailleurs du point de départ du délai de prescription, il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible et que, pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.



En l'espèce, compte tenu d'une saisine de la juridiction prud'homale intervenue le 26 juin 2020, l'appelante ne sollicitant un rappel de salaire au titre de l'application du statut de journaliste permanent que pour la période courant à compter de janvier 2020 ainsi que cela résulte du tableau actualisé de sa demande produit en pièce 46, il apparaît qu'aucune prescription ne peut être retenue dans ce cadre, de sorte que les demandes de l'appelante afférentes à l'application du statut de journaliste permanent seront déclarées recevables, et ce par infirmation du jugement.



Sur le bien-fondé de la demande



Aux termes de l'article L. 7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Il résulte par ailleurs de l'article L. 7112-1 du code du travail que toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.



Il sera en outre rappelé qu'en l'absence de contrat écrit conclu dans l'un des cas énumérés par l'article L. 1242-2 du code du travail où il peut être recouru à un contrat à durée déterminée, le contrat conclu avec un pigiste est, en principe, un contrat à durée indéterminée, forme normale du contrat de travail et que, sauf la faculté pour l'intéressé de solliciter la requalification de la relation de travail en collaboration permanente dès lors qu'il est tenu de consacrer une partie déterminée de son temps à l'entreprise de presse à laquelle il collabore, les dispositions de l'article L. 3123-6 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, ne trouvent pas à s'appliquer au contrat de travail du journaliste rémunéré à la pige.



En l'espèce, la cour relève à titre liminaire qu'il n'est pas contesté que l'appelante a le statut de journaliste professionnelle au sens des dispositions précitées et qu'en l'absence de tout contrat écrit conclu dans l'un des cas énumérés par l'article L. 1242-2 du code du travail où il peut être recouru à un contrat à durée déterminée, le contrat liant les parties est un contrat à durée indéterminée, forme normale du contrat de travail.



L'appelante, qui sollicite la requalification de la relation de travail en collaboration permanente, devant justifier qu'elle était tenue de consacrer une partie déterminée de son temps à l'entreprise de presse à laquelle elle collabore, il sera constaté à la lecture des pièces versées aux débats par l'intéressée, et notamment des bulletins de paie ainsi que des mails échangés dans le cadre de l'exécution de la relation de travail, qu'elle collaborait de manière régulière et permanente avec la société intimée et qu'elle percevait une rémunération forfaitaire d'un montant relativement stable au titre de chaque mois et ne correspondant pas nécessairement au nombre de piges effectuées, l'appelante bénéficiant également de primes de treizième mois ainsi que de primes d'ancienneté. Il sera par ailleurs observé que le fait de devoir établir des relevés de piges, condition lui étant unilatéralement imposée par l'intimée pour se voir rémunérer, et ce sous peine de ne pas percevoir de rémunération en cas de non-respect d'une « date butoir » d'envoi de son relevé, ne permet pas, en lui-même, de déterminer que le statut de journaliste pigiste était effectivement souhaité par cette dernière.



S'agissant des fonctions exercées, il apparaît que l'appelante occupe les fonctions de secrétaire générale de la rédaction, initialement pour le magazine L'officiel de la mode et de la couture de 2003 à 2011, puis pour le magazine La Revue des Montres depuis 2012, les éléments produits permettant de retenir qu'elle n'avait pas le choix des magazines dans lesquels elle intervenait et qu'elle a toujours fait preuve d'une disponibilité constante pour réaliser ses missions selon les plannings précis lui étant transmis et s'imposant à elle, l'intéressée n'ayant jamais refusé une tâche lui ayant été confiée par son employeur. Il résulte également des éléments versés aux débats que l'appelante exerce ses fonctions sous l'autorité et le contrôle de son rédacteur en chef, en se conformant aux directives et consignes lui étant données par ce dernier, et ce au titre de chacun des numéros publiés des magazines précités. Il s'en déduit que les fonctions de l'appelante ne correspondent manifestement pas à des missions ponctuelles ou occasionnelles pouvant effectivement donner lieu à une rémunération à la pige mais à des missions permanentes participant à l'activité normale de l'entreprise de presse.



L'appelante justifie également avoir travaillé quasi exclusivement pour la société intimée, la comparaison de ses bulletins de paie avec ses avis d'imposition et déclarations de revenus sur la période litigieuse permettant de retenir que ses revenus sont tirés essentiellement de son activité au sein de la société intimée (selon des taux variant entre 80 % et 100 % au titre des années 2020, 2021, 2022 et 2023), ce dont il se déduit que l'intéressée a travaillé de manière permanente pour la société intimée, étant observé que les seuls éléments produits par l'employeur relatifs à des collaborations plus que ponctuelles et résiduelles pour le compte d'autres publications (un article pour le magazine 5 façades en avril/mai 2015 ainsi qu'un autre en juin/juillet 2018 outre la rédaction d'un numéro spécial de la revue La Lettre Bois en 2020) ne permettent pas d'établir, contrairement à ce qu'affirme l'intimée, que la salariée collaborait régulièrement pour des parutions extérieures au groupe Jalou.



Au surplus, la cour retient que l'employeur ne peut opposer à sa salariée le fait qu'elle n'est pas liée par une convention d'exclusivité et qu'elle n'a dès lors pas à solliciter l'autorisation de collaborer à d'autres parutions à la différence des journalistes permanents, la société intimée ne pouvant ainsi se prévaloir de sa propre décision de ne pas avoir imposé une telle clause d'exclusivité pour conclure à l'existence du seul statut de pigiste, son éventuelle carence à cet égard ne pouvant porter préjudice à l'appelante, alors que ses conditions effectives de travail sont par ailleurs similaires à celles d'un journaliste permanent.



Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'appelante exerce son activité de secrétaire générale de la rédaction dans le cadre d'une collaboration permanente lui imposant de consacrer une partie déterminée de son temps à l'entreprise de presse et la plaçant dans une situation identique à celle d'un journaliste permanent, la société intimée ne démontrant pour sa part aucunement l'existence de raisons pertinentes et objectives de nature à justifier de l'application du statut conventionnel de journaliste pigiste.



Dès lors, la cour retient que l'appelante a le statut de journaliste permanent.



Sur les conséquences de l'application du statut de journaliste permanent



Sur la demande de rappel de salaires et de congés payés



Compte tenu de l'application du statut de journaliste permanent imposant à l'employeur de verser à sa salariée une rémunération régulière et fixe au titre de l'ensemble de la période litigieuse, au vu des bulletins de paie produits, du tableau de calcul établi par l'appelante, des multiples mails de réclamation adressés par cette dernière à son employeur au titre du paiement de ses salaires ainsi que des justificatifs de paiement versés aux débats par l'employeur, il apparaît que l'appelante est en droit d'obtenir un rappel de salaire au titre des mois de janvier 2020, décembre 2021 (reliquat compte tenu du versement de la somme brute de 4 600,15 euros), janvier, avril, mai, juin, juillet, août, octobre et décembre 2022 ainsi que janvier, mars, avril, juin, juillet, août et octobre 2023.



Dès lors, la cour lui accorde un rappel de rémunération à ce titre d'un montant total de 83 805,16 euros, sans qu'il y ait lieu, contrairement aux affirmations de l'employeur, de déduire le montant des congés payés inclus dans la rémunération de base en ce qu'il est possible d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire lorsque des conditions particulières le justifient, cette inclusion devant résulter d'une clause contractuelle transparente et compréhensible, ce qui suppose que soit clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, et que soit précisée l'imputation de ces sommes sur un congé déterminé, ce qui est manifestement le cas en l'espèce au regard des pièces versées aux débats.



Cependant, compte tenu de l'inclusion de l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire de base, l'appelante n'étant dès lors pas en droit de solliciter le paiement de congés payés afférents au rappel de salaires précité, il convient de la débouter de cette dernière demande.



Sur l'exécution de bonne foi du contrat de travail



Selon l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.



Si l'appelante indique que la société intimée a fait preuve de mauvaise foi en lui appliquant le statut erroné de journaliste pigiste, l'employeur ayant également commis de nombreux et graves manquements dans l'exécution de la relation contractuelle s'agissant du paiement des salaires, la cour ne peut cependant que relever, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part ses seules affirmations de principe, que l'intéressée ne justifie ni du principe ni du quantum d'un préjudice, effectivement causé par la mauvaise foi de l'employeur, et indépendant du seul retard dans le paiement des salaires déjà réparé par les condamnations précitées et l'application des intérêts moratoires.



Dès lors, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts formée de ce chef.



Sur les heures supplémentaires



Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.



Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.



En l'espèce, au vu des pièces communiquées par la salariée et notamment du décompte précis et détaillé de ses jours et de son temps de travail, des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires réclamées au titre de la période litigieuse, des courriels échangés dans le cadre de son activité professionnelle ainsi que de l'attestation établie par un collègue de travail exerçant les fonctions de directeur éditorial des éditions Jalou (M. [P]) ayant personnellement eu connaissance des conditions et des horaires de travail de la salariée, il apparaît que l'intéressée présente à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle indique avoir accomplies pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.



L'employeur se limitant en réponse à contester les demandes formées par la salariée et à critiquer les pièces produites par cette dernière en affirmant notamment, de manière inopérante, que l'intéressée est parfaitement autonome et libre de son organisation, que sa rémunération est forfaitaire, qu'elle ne rapporte pas la preuve d'heures supplémentaires qui lui auraient été demandées et que l'entreprise n'a pas à subir les conséquences de son organisation personnelle, la cour relève que la société intimée ne fournit donc pas d'éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par sa salariée, étant rappelé que la salariée peut en toute hypothèse prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.



Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées, après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, la cour retient la réalisation d'heures supplémentaires rendues nécessaires par les différentes tâches confiées à la salariée, dans une moindre mesure toutefois qu'allégué, étant rappelé que le salaire horaire auquel s'appliquent les majorations pour heures supplémentaires est le salaire versé en contrepartie directe du travail fourni en sorte que seuls les éléments de rémunération dont les modalités de fixation permettent leur rattachement direct à l'activité personnelle de la salariée doivent être intégrés dans la base de calcul desdites majorations (ce qui exclut en l'espèce le 13ème mois, la prime d'ancienneté ainsi que l'indemnité de congés payés).



Par conséquent, la cour accorde à l'appelante la somme totale de 2 587,16 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 258,71 euros au titre des congés payés y afférents.



Sur le non-respect des durées maximales de travail et minimales de repos



Étant rappelé que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par les articles L. 3121-18 et L. 3121-20 du code du travail relatifs aux durées quotidienne et hebdomadaire maximales de travail incombe à l'employeur et que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation, et étant relevé en l'espèce que la salariée a travaillé, à plusieurs reprises, plus de 10 heures quotidiennes au cours de la période litigieuse, l'intéressée n'ayant de surcroît pas pu toujours bénéficier d'un repos minimum quotidien de 11 heures consécutives, la cour lui accorde la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.



Sur le télétravail



En application des dispositions des articles L. 1222-9 et suivants du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, celles-ci ne prévoyant plus l'obligation pour l'employeur de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci, aucun accord n'apparaissant de surcroît avoir été formalisé entre les parties à cet égard, il sera tout d'abord observé qu'il ne résulte pas des pièces versées aux débats que le recours au télétravail aurait été imposé à l'appelante par l'employeur à titre de mesure de rétorsion suite à l'établissement d'une attestation au profit de deux collègues de travail, le télétravail litigieux ressortant en réalité d'une pratique informelle entre les parties. Il sera par ailleurs constaté que, mises à part les seules affirmations de principe de la salariée, il n'est pas établi que l'intéressée ne bénéficiait pas de la possibilité d''exercer ses fonctions au sein des locaux de l'entreprise et/ou qu'aucun local n'était effectivement mis à sa disposition.



Dès lors, étant de surcroît relevé que l'appelante ne justifie ni du principe ni du quantum du préjudice allégué, il convient de débouter cette dernière de sa demande de dommages-intérêts pour absence de prise en charge des frais liés au télétravail.



Sur les autres demandes



Il convient d'ordonner à l'employeur de remettre à la salariée un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision.



Les circonstances de l'espèce ne commandent pas d'assortir les différentes condamnations précitées d'une mesure d'astreinte.



En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et dans les limites de la demande de l'appelante, il convient de dire que les condamnations porteront en l'espèce intérêts au taux légal à compter de la saisine de la cour d'appel pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.



La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.



En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera condamné à payer à la salariée la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ainsi qu'en cause d'appel, et ce par infirmation du jugement.



L'employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance, et ce par infirmation du jugement, ainsi que ceux d'appel.



PAR CES MOTIFS



La Cour,



Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Les Editions Jalou de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,



Déclare recevables les demandes de Mme [M] afférentes à l'application du statut de journaliste permanent ;



Dit que Mme [M] a le statut de journaliste permanent ;



Condamne la société Les Editions Jalou à payer à Mme [M] les sommes suivantes :



- 83 805,16 euros à titre de rappel de rémunération,

- 2 587,16 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 258,71 euros au titre des congés payés y afférents,

- 300 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail et minimales de repos ;



Dit que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la cour d'appel pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires;



Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil ;



Ordonne à la société Les Editions Jalou de remettre à Mme [M] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision ;



Condamne la société Les Editions Jalou à payer à Mme [M] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ainsi qu'en cause d'appel ;



Déboute Mme [M] du surplus de ses demandes ;



Déboute la société Les Editions Jalou du surplus de ses demandes reconventionnelles ;



Condamne la société Les Editions Jalou aux dépens de première instance et d'appel.





LE GREFFIER LE PRESIDENT

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