16 February 2024
Cour d'appel de Colmar
RG n° 22/00944

Chambre 2 A

Texte de la décision

MINUTE N° 63/2024













































Copie exécutoire

aux avocats



Le 16 février 2024



La greffière

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 16 FÉVRIER 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/00944 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-HZD3



Décision déférée à la cour : 07 Février 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg





APPELANT :



Monsieur le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile-de- France et de [Localité 8]

domicilié Pôle de la gestion fiscale - Pôle juridictionnel judiciaire

[Adresse 1] à [Localité 4]



représenté par Me Thierry CAHN, Avocat à la cour





INTIMÉE :



La S.A.R.L. [Adresse 6]

prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 3] à [Localité 7]



représentée par Me Christine BOUDET, Avocat à la cour





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, Conseillère

Madame Nathalie HERY, Conseillère

qui en ont délibéré.



Greffière, lors des débats : Madame Martine THOMAS





ARRÊT Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.










FAITS ET PROCÉDURE



Selon acte authentique du 16 janvier 2008, la SARL [Adresse 6] a acquis un ensemble immobilier situé à [Localité 9] cadastré section 25, n°[Cadastre 5] d'une superficie de 3 ha 97 a 82 ca, pour un prix de 2 000 000 euros, en prenant un engagement de revente dans un délai de quatre ans afin de bénéficier de droits d'enregistrement à taux réduit.



Selon acte rectificatif reçu par Me [T], notaire à [Localité 7], le 9 janvier 2012, la société [Adresse 6] a substitué à cet engagement de revente un engagement de construire un ou plusieurs immeubles à usage d'habitation, conformément à l'article 1594-0 G du code général des impôts, avec effet rétroactif à la date du 16 janvier 2008, et ce à hauteur d'une superficie de 25 268 m², correspondant à la superficie non bâtie de l'ensemble immobilier acquis, et à concurrence de 1 525 500 euros. Le délai de construction a été prorogé jusqu'au 16 janvier 2017.



Ayant constaté que la société [Adresse 6] n'avait pas respecté son engagement de construire sur la totalité des parcelles dont certaines avaient été revendues à des particuliers, l'administration fiscale lui a adressé une proposition de rectification, le 27 novembre 2018, afin de procéder au recouvrement des droits d'enregistrement au taux de droit commun à due proportion des surfaces concernées.



La société [Adresse 6] a contesté ces rappels, estimant que l'existence de constructions au 16 janvier 2017 lui permettait de bénéficier de droits d'enregistrement au taux réduit.



L'administration a toutefois maintenu sa position par une lettre du 4 avril 2019 et les droits supplémentaires ont été mis en recouvrement le 28 juin 2019 pour un montant total de 54 411 euros.



La société [Adresse 6] a adressé des réclamations contentieuses les 22 juillet 2029 et 12 février 2020 qui ont fait l'objet d'une décision de rejet du 15 mai 2020.



Par exploit d'huissier du 29 juin 2020, la société [Adresse 6] a contesté cette décision de rejet et a saisi le tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins d'obtenir la décharge complète des suppléments de droits d'enregistrement, intérêts et pénalités mis à sa charge.



Par jugement en date du 7 février 2022 , le tribunal a :

- prononcé le dégrèvement à hauteur de 52 370 euros de l'avis de mise en recouvrement du 28 juin 2019 ,

- condamné le Directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 8] aux dépens et au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile



Le tribunal a considéré que le texte du code général des impôts ne limitait pas l'exonération des droits d'enregistrement au seul acquéreur, ni aux sous-acquéreurs assujettis à la TVA ayant repris à leur compte l'engagement en question ; que l'objet de cette exonération était, selon le défendeur « d'éviter un cumul d'imposition entre ces droits et la TVA qui sera supportée finalement du fait de l'utilisation de l'immeuble » ; qu'il avait été justifié qu'à la date du 17 janvier 2017, 21 des 22 parcelles avaient été sur-bâties ; que par simple application du principe affirmé par l'administration fiscale, la













proposition de rectification tendait à cumuler droits d'imposition et TVA sur 21 des 22 parcelles, ce qui était non seulement incohérent, mais ultra legem ; et a déduit du tout que la demande de dégrèvement de la société [Adresse 6] était bien fondée, sauf en ce qui concerne les intérêts de retard dus pour la parcelle [Cadastre 2], soit la somme de 2 041 euros, ce que la demanderesse reconnaissait.



Selon déclaration du 4 mars 2022, le Directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 8] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.



La procédure a été clôturée par ordonnance du 3 janvier 2023.



MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 juin 2022, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de reconnaître le rappel fondé en droit et en fait, et en conséquence, de rejeter toutes les demandes du contribuable, et de condamner les contribuables aux entiers dépens d'appel, avec distraction au profit de son conseil.



Le directeur des finances publiques reproche en premier lieu au tribunal d'avoir méconnu les dispositions de l'article 1594-0 G du code général des impôts, dans sa version applicable au litige, qui prévoient que l'exonération des droits de mutation à titre onéreux au profit de l'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée qui justifie, à l'issue d'une période de quatre ans, de l'exécution de travaux de construction peut être réalisée par un nouvel acquéreur si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :

- la cession est réalisée dans un délai de quatre ans,

- l'acquéreur est un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée,

- l'acquéreur reprend à son compte l'engagement de construire.



Il soutient qu'il résulte de ces dispositions que c'est à l'acquéreur qui a repris l'engagement de construire de réaliser les constructions lui-même qu'il incombe de justifier de l'édification de constructions sur le terrain acquis et qu'un particulier non assujetti à la TVA ne peut pas reprendre l'engagement de construire.



Il considère qu'en statuant comme il l'a fait le tribunal a offert une faculté de transfert de l'engagement de construire qui n'était pas prévue par la loi, ce qui est contraire à la doctrine administrative qui souligne que le fait d'écarter, de fait, les particuliers du champ de cette disposition permet d'éviter un cumul d'imposition entre les droits de mutation à titre onéreux et le paiement de la TVA qui devra en définitive être supportée. En l'espèce, en cédant ses terrains à bâtir à des particuliers non-assujettis à la TVA, la société [Adresse 6] a rompu la chaîne de revente et donc de transmission de l'obligation de construire permettant l'exonération des droits de mutation.



L'appelant reproche ensuite au tribunal d'avoir méconnu le formalisme de l'article 1840 G ter du code général des impôts, le bénéfice de l'exonération étant soumis en vertu de ce texte à une condition de forme tenant à la justification du respect de l'engagement souscrit, or aucun justificatif n'a été fourni.



Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 25 août 2022, la société [Adresse 6] conclut à la confirmation du jugement, au débouté du Directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 8] et à sa condamnation au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en sus des entiers dépens.



Elle fait valoir que selon l'article 1594-0 G du code général des impôts l'exonération des droits de mutation est subordonnée à la seule condition que l'acquéreur justifie, à l'expiration du délai de quatre ans, de l'exécution des travaux de construction. En cas de revente du terrain avant l'expiration de ce délai, l'acquéreur initial n'est pas dédit de son engagement, sauf si le nouvel acquéreur est une personne assujettie à la TVA qui reprend explicitement à son compte l'engagement en cours, et que ni l'article 1594-0 précité ni aucun autre texte ne prévoient que la construction doit être faite par l'acquéreur lui-même. Ce texte ne précise pas non plus que l'engagement initial serait rompu dès l'instant où la cession ne serait pas effectuée au profit d'un assujetti qui reprendrait l'engagement initial, mais prévoit simplement la possibilité, pour un acquéreur assujetti, de reprendre l'engagement initial si il le souhaite, l'exonération étant conditionnée à un seul élément objectif : la construction d'un bâtiment dans le délai de l'engagement.



Elle soutient que la position de l'administration est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, la chambre commerciale ayant, dans un arrêt du 29 janvier 2020, confirmé que l'exonération ne pouvait être remise en cause qu'à défaut de justification des constructions à l'expiration du délai imparti, que lesdites constructions proviennent de l'assujetti lui-même ou non, et que la personnalité du constructeur n'avait aucune incidence sur la qualification du terrain intégré dans un processus économique, l'acquisition (et la revente) de terrains étant considérée comme passible de la TVA dès l'instant où ces terrains finissent par être construits.



La société [Adresse 6] souligne que le moyen tiré de l'absence de justificatif n'avait pas été soulevé en première instance et qu'elle produit les attestations d'achèvement établies au profit de ses sous-acquéreurs entre le 6 mai 2015 et le 26 avril 2017. Elle ajoute que l'article 1840 G ter vise le non-respect de l'engagement ou de la production d'un justificatif, et que le bénéfice de l'exonération étant accordé en contrepartie d'un engagement de construire et non de produire un justificatif, une régularisation est possible, l'article 266 bis de l'annexe III au code général des impôts relatif aux modalités de justification de l'exécution des travaux, disposition réglementaire, ne pouvant instituer une déchéance remettant en cause un avantage fiscal prévu par la loi.



Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.




MOTIFS



L'article 1594-0 G ter dans sa version applicable au litige, énonce :



Sous réserve de l'article 691 bis, sont exonérés de taxe de publicité foncière ou de droits d'enregistrement :



A. I.-Les acquisitions d'immeubles réalisées par une personne assujettie au sens de l'article 256 A, lorsque l'acte d'acquisition contient l'engagement, pris par l'acquéreur, d'effectuer dans un délai de quatre ans les travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf au sens du 2° du 2 du I de l'article 257, ou nécessaires pour terminer un immeuble inachevé.



II.-Cette exonération est subordonnée à la condition que l'acquéreur justifie à l'expiration du délai de quatre ans, sauf application du IV, de l'exécution des travaux prévus au I.



En cas d'acquisitions successives par des personnes mentionnées au I, l'engagement pris par le cédant peut être repris par l'acquéreur auquel s'impose alors le délai imparti au







cédant. La personne à laquelle s'impose l'engagement mentionné au I peut, dans la limite de cinq années à compter de la date à laquelle il a été souscrit par le premier acquéreur, y substituer l'engagement de revendre prévu à l'article 1115 qui est réputé avoir pris effet à compter de cette même date. [....]



En l'espèce, la parcelle section 25 n° [Cadastre 5] acquise par la société [Adresse 6] a fait l'objet de différentes divisions et subdivisions ayant abouti à la création de 28 nouvelles parcelles qu'elle a cédées. Deux de ces parcelles ont été acquises par des sociétés assujetties à la TVA qui ont repris l'engagement de construire du vendeur, onze parcelles ont été cédées à une société qui n'a pas repris cet engagement et onze autres parcelles ont été revendues à des particuliers non assujettis à la TVA.



S'il résulte de l'article 1594-0 G ter précité qu'un acquéreur assujetti à la TVA peut bénéficier de l'exonération de droits d'enregistrement à condition d'une part que l'acte d'acquisition prévoit un engagement de construire tel que déterminé par ce texte, d'autre part qu'il justifie, à l'expiration du délai de quatre ans, sauf prorogation, de l'exécution des travaux, peu important la personne qui les réalise, en revanche, comme le soutient l'administration fiscale, en cas de revente des parcelles dans le délai de quatre ans, l'engagement de construire ne peut, en application de l'article 1594-0 G ter II, alinéa 2, être repris que par un sous-acquéreur lui-même assujetti à la TVA.



En effet, en vertu de ce texte, en cas de cession des parcelles le vendeur ne peut continuer à bénéficier de l'exonération qu'en cas de transfert de l'engagement de construire, une telle transmission ne pouvant s'opérer qu'à l'égard d'un sous-acquéreur lui-même assujetti à la TVA



L'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 janvier 2020, n°17-26.018, invoqué par l'intimée, qui n'est pas un arrêt de principe, n'est pas transposable au cas d'espèce dès lors qu'il ne se rapporte pas à des acquisitions successives mais à des travaux réalisés par un locataire.



Par voie de conséquence, la société [Adresse 6] qui n'a pas respecté son engagement de construire pour les 22 parcelles qui ont été revendues, soit sans reprise de l'engagement de construire, soit à des acquéreurs ne pouvant reprendre cet engagement, c'est à bon droit que l'administration a considéré qu'elle ne pouvait bénéficier de l'exonération prévue par 1594-0 G ter I A et a procédé à un rappel de droits. Le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions, et la demande de dégrèvement formée par la société [Adresse 6] rejetée.



La société [Adresse 6] qui succombe supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La distraction des dépens n'étant pas applicable dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, il n'y pas lieu de l'ordonner.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,



INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 7 février 2022, en toutes ses dispositions ;









Statuant à nouveau et ajoutant audit jugement,



DÉBOUTE la SARL [Adresse 6] de sa demande de dégrèvement des suppléments de droits d'enregistrement, intérêts et majorations mis à sa charge selon avis de mise en recouvrement du 28 juin 2019 ;



CONFIRME la décision de rejet de la réclamation contentieuse du 15 mai 2020 ;



DÉBOUTE la SARL [Adresse 6] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



CONDAMNE la SARL société [Adresse 6] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;



DIT n'y avoir lieu à distraction des dépens.



La greffière, La présidente,

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