5 December 2023
Cour d'appel d'Angers
RG n° 19/02201

Chambre A - Commerciale

Texte de la décision

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - COMMERCIALE







CC/ILAF

ARRET N°:



AFFAIRE N° RG 19/02201 - N° Portalis DBVP-V-B7D-ES4D



jugement du 15 Octobre 2019

Tribunal de Grande Instance d'ANGERS

n° d'inscription au RG de première instance 17/00240



ARRET DU 05 DECEMBRE 2023



APPELANTE :



CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 10]

[Adresse 6]

[Localité 10]



Représentée par Me Guillaume QUILICHINI de la SCP PROXIM AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 2017038





INTIMES :



Madame [C] [D],

née le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 11] (72)

[Adresse 5]

[Localité 9]

agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de ses trois enfants, [X] [H], [P] [H] et [O] [H]



Monsieur [X] [H]

né le [Date naissance 4] 1999 à [Localité 8] (49)

[Adresse 5]

[Localité 9]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/009946 du 03/12/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)



Monsieur [P] [H]

né le [Date naissance 1] 2001 à [Localité 8] (49)

[Adresse 5]

[Localité 9]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/009953 du 03/12/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)







Monsieur [O] [H]

né le [Date naissance 2] 2006 à [Localité 8] (49)

[Adresse 5]

[Localité 9]



Représentés par Me Catherine RAIMBAULT de la SELARL RAIMBAULT CATHERINE, avocat au barreau D'ANGERS



L'UNION DEPARTEMENTALE DES ASSOCIATIONS FAMILIALES DU MAINE ET LOIRE,

[Adresse 7]

[Localité 8]

ès qualités d'administrateur ad'hoc à la représentation de l'enfant mineur [O] [H]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/009950 du 03/12/2019

accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS



Représentée par Me Cyrille GUILLOU de la SELARL BOIZARD - GUILLOU SELARL, avocat au barreau d'ANGERS





COMPOSITION DE LA COUR



L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 09 Octobre 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendu en son rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :



Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère



Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS





ARRET : contradictoire



Prononcé publiquement le 05 décembre 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;



Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




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FAITS ET PROCÉDURE



Par une ordonnance rendue par le juge des tutelles des mineurs du tribunal de grande instance d'Angers, le 4 Mai 2012, M. [H] et Mme [D], représentants légaux de leurs enfants alors mineurs [X] [H], né le [Date naissance 4] 1999, [P] [H], né le [Date naissance 1] 2001 et [O] [H], né le [Date naissance 2] 2006, ont été autorisés à accepter une indemnité de 7 000 euros offerte à titre de transaction par la société Gan Eurocourtage pour chacun des mineurs en réparation de leur préjudice d'affection causé par le décès de leur oncle paternel et a dit que les fonds seront versés sur un compte productif d'intérêts ouvert au nom de chacun des mineurs.



Ces fonds ont été placés, le 13 juin 2012, sur des livrets d'épargne ouverts au nom de chacun des enfants par M. [H] dans les livres de la caisse de Crédit mutuel de [Localité 10].



Ainsi, les relevés de comptes des livrets des enfants font apparaître que, le 26''Juin 2012, le crédit mutuel, sur la demande de M. [H], a viré de chacun des comptes des enfants une somme de 5 000 euros vers le compte d'une entreprise SG auto-import gérée par M. [H], puis ce dernier a opéré plusieurs virements de chacun des comptes des enfants vers un compte dont l'identification n'apparaît pas clairement sur les relevés produits et a fait des retraits d'argent et ce, jusqu'à presque épuisement des soldes des trois comptes entre le mois de juin 2013 et septembre 2014.



Par ordonnance du 25 novembre 2015, le juge des tutelles des mineurs du tribunal de grande instance d'Angers, alerté par Mme [D] et après audition de M. [H] qui a reconnu avoir effectué des prélèvements de sa seule initiative sur les comptes des mineurs à hauteur de 17 000 euros pour financer l'acquisition d'un véhicule pour son entreprise commerciale depuis lors en liquidation judiciaire, a, compte tenu de l'opposition d'intérêts existant entre les trois enfants mineurs et M. [H] devenu leur débiteur, désigné l'UDAF du Maine-et-Loire en qualité d'administrateur ad'hoc 'chargé de représenter les mineurs [X], [P] et [O] [H] aux fins de clarifier la situation des avoirs bancaires (en lien avec l'indemnisation perçue en 2012 par chacun des trois mineurs) et de recouvrer auprès du père, les sommes indûment prélevées' et a autorisé l'UDAF, pour ce faire, à se faire communiquer par le service FICOBA la liste des comptes bancaires ouverts au nom des mineurs.



Par une ordonnance du 21 Mars 2017, le juge des tutelles a étendu le mandat confié à l'UDAF du Maine-et-Loire à l'engagement d'une action judiciaire à l'encontre du Crédit mutuel en recouvrement des sommes perdues.











Entre-temps, le 18 janvier 2017, Mme [H] agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de ses trois enfants, avait fait assigner devant le tribunal de grande instance d'Angers la Caisse régionale de crédit mutuel d'Anjou en réparation des préjudices financiers et moraux en lui reprochant des manquements à son obligation de vigilance, après l'avoir vainement mise en demeure de rembourser la somme de 20 999,04 euros correspondant aux sommes indûment prélevées par M. [H] sur les trois livrets.



Le 17 octobre 2017, Mme [D], en son nom personnel et ès qualités, a assigné la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] en intervention forcée aux mêmes fins.



Le juge de la mise en état a prononcé la jonction des procédures par ordonnance du 9 novembre 2017.



L'UDAF du Maine-et-Loire est intervenue volontairement à cette instance en qualité de mandataire ad'hoc des enfants mineurs.



Par jugement rendu le 15 octobre 2019, le tribunal de grande instance d'Angers a :



- déclaré irrecevables les demandes à l'encontre de la société Crédit mutuel d'Anjou

- condamné la société Crédit mutuel de [Localité 10] à payer à Mme [D] représentante légale de ses trois enfants ayant pour mandataire ad'hoc l'UDAF de Maine et Loire la somme globale de 20 999,04 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du prélèvement des fonds.

- fait droit à la demande de capitalisation des intérêts échus pour une année entière en application de l'article 1154 du code civil.

- débouté la société Crédit mutuel de ses autres demandes.

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

- condamné la société Crédit mutuel de [Localité 10] à verser à Mme [D] la somme de 2 500 euros et à l'UDAF de Maine et Loire la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamné la société Crédit mutuel aux dépens en application des dispositions des articles 699 du code de procédure civile.



Par déclaration reçue au greffe le 8 novembre 2019, la Caisse de Crédit mutuel de [Localité 10] a interjeté appel de ce jugement en attaquant chacune de ses dispositions.



Mme [D] et l'UDAF, ès qualités, ont été intimées.



Au cours de la procédure MM [X] et [P] [H] sont devenus majeurs, mettant fin au mandat d'administrateur ad'hoc de l'UDAF à leur profit.



M. [X] [H] et M. [P] [H] ont constitué avocat.



Les parties ont conclu.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2023.





PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



La Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] demande à la cour de :



- débouter les intimés de leurs demandes ;



A titre principal,



Infirmer le jugement entrepris,



Statuant à nouveau,



- à titre principal, déclarer irrecevables les consorts [H] en leurs demandes, pour défaut de qualité à agir ;

- à titre subsidiaire, débouter les consorts [H] et l'UDAF de l'intégralité de leurs demandes ;

- condamner in solidum les consorts [H] et l'UDAF ès qualités à verser à la société Crédit mutuel d'Anjou d'une part et à la société Crédit mutuel de [Localité 10] d'autre part la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les consorts [H] et l'UDAF ès qualités aux entiers dépens d'instance.



En tout état de cause,

- condamner in solidum des consorts [H] et l'UDAF à régler à la société Crédit mutuel de [Localité 10] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

- condamner in solidum des consorts [H] et l'UDAF aux entiers dépens d'appel.



La Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] conteste toute faute.



S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, elle fait valoir, à la fois, que l'administrateur légal des biens d'un mineur peut recevoir les capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés, et que la banque, dépositaire de fonds appartenant à un mineur, n'est pas garante de leur emploi.



Elle précise que le retrait de capitaux d'un compte de dépôt est une opération qui, en elle-même est neutre au plan patrimonial et qu'il est impossible de savoir s'il est effectué dans l'intérêt du mineur ou non ; que s'agissant d'un acte d'administration, elle n'avait pas l'obligation d'exiger l'accord des deux représentants légaux pour effectuer ces retraits.



A l'UDAF qui se prévaut du fait que des retraits ont été faits par virements au profit d'une société et que l'apport en société constituerait un acte de disposition, comme l'a retenu le premier juge, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] répond qu'une telle qualification n'est pas certaine et, en toute hypothèse, ne changerait rien puisque la banque n'est pas garante de l'emploi des capitaux et, qu'en outre, l'apport ne pourrait constituer un acte de disposition que pour l'auteur de l'apport, soit M. [H], mais non pour ses enfants mineurs, non associés.



Elle ajoute que les intimés ne justifient pas des modalités des retraits effectués en prétendant qu'il n'est pas démontré que les opérations ont été réalisées en agence sous le contrôle du banquier ; qu'il résulte des relevés des livrets produits que des retraits au distributeur de billets ont été réalisés et que les retraits ont été effectués progressivement et non pas en une fois.



Elle en déduit qu'il n'est démontré aucune anomalie apparente, laquelle doit être strictement appréciée.



En outre, elle rappelle que le devoir de vigilance et donc de surveillance de la banque est limité par son devoir de non-immixtion, lequel lui impose de ne pas intervenir dans les affaires de son client ; qu'il s'ensuit que la banque n'est pas tenue d'effectuer des recherches pour s'assurer que les opérations faites par le client sont régulières ou dangereuses pour lui ou pour un tiers, de sorte qu'elle n'a pas à se préoccuper de l'origine ou de la destination des fonds, de la licéité ou de l'opportunité des opérations réalisées par ce dernier.



Par ailleurs, elle invoque l'absence de preuve d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice, soit la perte de l'argent, en affirmant que l'éventuelle faute de sa part n'est pas la seule faute qui a créé le préjudice des enfants dès lors que Mme [H] n'a entrepris aucune démarche pendant plusieurs années pour le récupérer, alors qu'elle savait que les fonds avaient été appréhendés par son ex-mari et que la liquidation judiciaire de la société de M. [H] constitue également un événement qui interrompt la chaîne de causalité.



Plus subsidiairement, elle soutient que la demande d'indemnisation aurait dû être dirigée contre M. [H], l'auteur des détournements.



L'UDAF, agissant en qualité d'administrateur ad'hoc du mineur [O] [H], demande à la cour de :



- dire et Juger l'UDAF, ès qualités, recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes ;

- dire et Juger que les prélèvements de fonds opérés par M. [H] sur les comptes de ses trois enfants mineurs sont des actes de disposition et que la société Crédit mutuel a manqué à son devoir de vigilance ;







En conséquence,

- condamner la société Crédit mutuel au paiement de la somme 6 999,77 euros moins 755 euros soit 6244,77 euros à [O] [H], en réparation du préjudice matériel subi avec intérêts au taux légal à compter de la date des prélèvements des fonds ;

- faire application des dispositions de l'article 1343-1 du code civil sur les sommes objets de la condamnation ;

- condamner la société Crédit mutuel à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Crédit mutuel aux entiers dépens de l'instance.



L'UDAF, ès qualités, pour soutenir que les retraits litigieux opérés par le père constituent des actes de disposition rappelle la teneur des articles 389-4, 389-5 et 505, alinéa 1er, anciens du code civil et que selon l'article 2 du décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008, « constituent des actes de dispositions les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire », que l'annexe 1 de ce décret établit une liste sous forme de tableau des actes qui sont regardés comme des actes de dispositions dans la colonne 2'de celui-ci, et dans laquelle y figure, au II, §1, la « modification de tout compte ou livrets ouverts au nom de la personne protégée ». Elle ajoute que les annexes 1 et 2 du décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 disposent que tout apport en société constitue un acte de disposition, comme l'a retenu le premier juge.



Elle soutient que la jurisprudence dont se prévaut la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] ne peut s'appliquer au cas présent dans la mesure où le père a viré, sans accord préalable de la mère, au débit des comptes de ses enfants en une seule et même fois la somme totale de 15 000 euros, représentant plus de 70% de leur solde, sur le compte d'une société dont il était gérant, avant de vider les livrets quasi-totalement, à quelques centimes près, en l'espace d'une année dans les mêmes conditions. Elle déduit de ces circonstances que ces retraits d'argent constituent des actes de disposition et, qu'en conséquence, l'administrateur légal n'avait pas le pouvoir d'opérer les virements bancaires litigieux sans obtenir au préalable l'accord de Mme [D], ce qu'a, d'ailleurs, retenu le juge des tutelles des mineurs dans son ordonnance du 25 novembre 2015, de sorte que les opérations bancaires que M. [H] a demandé seul à la banque d'effectuer présentaient, dès l'origine, une anomalie apparente qu'elle aurait dû identifier, d'autant plus que les sommes qui ont été retirées étaient placées sur des livrets dédiés à l'épargne et non sur des comptes de dépôt destinés aux prélèvements et aux virements réguliers, ce qui aurait dû alerter la banque, en rappelant que, même si elle sont soumises à une obligation de non-ingérence, les banques doivent respecter un devoir de vigilance qui leur impose de déceler et de refuser, parmi les opérations qu'on leur demande de traiter, celles qui présentent une anomalie apparente. Elle en déduit que la Caisse de crédit mutuel [Localité 10] aurait dû refuser d'accomplir ces opérations en informant le père de famille que l'accord de son ex-femme était nécessaire à leur réalisation.



Elle fait valoir que la causalité des préjudices subis est évidemment rapportée puisque sans la faute de la Banque les fonds n'auraient jamais pu disparaître.



M. [X] [H], M. [P] [H] et Mme [D] prient à la cour de':



- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- rejetant toutes les prétentions contraires comme non recevables, en tout cas non fondées ;

- condamner en cause d'appel la société Crédit mutuel de [Localité 10] à verser à Mme [D] la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Crédit mutuel de [Localité 10] aux entiers dépens.



Pour engager la responsabilité de la banque, MM [X] et [P] [H] et Mme [D] soutiennent, d'abord, que les retraits effectués s'analysent en des actes de disposition en s'appuyant sur l'ordonnance du juge des tutelles des mineurs du 25 novembre 2015 ayant retenu, dans ses motifs, que les retraits effectués par M. [H] sur les comptes bancaires ouverts au nom de ses enfants mineurs sont des actes de dispositions qui auraient dû être réalisés conjointement avec l'autre parent et, ensuite, que ces retraits opérés sur un laps de temps très réduit commençant par une opération d'un montant de 15 000 euros représentant plus de 70 % du solde des livrets des enfants, sans accord de la mère, et qui engageaient nécessairement le patrimoine des mineurs dont les livrets affichent désormais un solde quasi nul, caractérisaient une anomalie apparente que la banque aurait dû identifier.





Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 16 avril 2021 pour le Crédit mutuel de [Localité 10],

- le 9 mars 2021 les consorts [H] et Mme [D],

- le 24 octobre 2022 pour l'UDAF, ès qualités.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Les articles du code civil qui sont cités ci-après sont ceux en vigueur au moment où ont eu lieu les prélèvements en cause, soit, dans leur rédaction antérieure à celle issue l'ordonnance du 15 octobre 2015.



Sur la qualité à agir de Mme [D]



Les premiers juges ont rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] tirée d'un défaut de qualité à agir de Mme [D] au motif que celle-ci conservait le droit de représenter ses enfants en sa qualité de représentante légale.





Aux termes de l'article 389-3 du code civil :

'L'administrateur légal représentera le mineur dans tous les actes civils, sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes.

Quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du mineur, il doit faire nommer un administrateur ad hoc par le juge des tutelles. A défaut de diligence de l'administrateur légal, le juge peut procéder à cette nomination à la demande du ministère public, du mineur lui-même ou d'office.'



En application de ce texte, le juge des tutelles a désigné l'UDAF comme administrateur ad'hoc pour agir en justice contre le Crédit mutuel et donc représenter les enfants mineurs dans la présente procédure, ce qui retirait à Mme [D] le pouvoir de représenter ses enfants dans l'instance engagée contre le Crédit mutuel, même si elle n'était pas visée comme étant le parent dont les intérêts étaient en contradiction avec ceux des enfants.



Le 17 octobre 2017, lorsque Mme [D], ès qualités, a assigné la société la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] en intervention forcée, elle n'avait donc plus qualité à agir au nom de ses enfants contre cette Caisse.



C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu que Mme [D] avait qualité à agir pour représenter ses enfants mineurs dans la présent instance. Le jugement est réformé de ce chef et l'action de Mme [D], en ce qu'elle tend à l'indemnisation du préjudice subi par ses enfants, est déclarée irrecevable.



Sur la responsabilité de la banque



L'action en responsabilité de la banque pour faute ayant contribué à la quasi-disparition des fonds appartenant aux enfants alors mineurs n'est pas subordonnée à la mise en cause de l'administrateur légal auteur des détournements en cause. Les développements de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] sur le fait que M. [H] n'a pas été attrait à l'instance par l'UDAF aux fins notamment de recouvrer les sommes prélevées alors même que cette mission lui a été confiée expressément par le juge des tutelles, sont inopérants.



Au moment des faits, M. [H] et Mme [D], qui exerçaient en commun l'autorité parentale, étaient administrateurs légaux des biens de leurs enfants mineurs en vertu de l'article 383 du code civil.



L'article 389-4 dispose que dans l'administration légale pure et simple, chacun des parents est réputé, l'égard des tiers, avoir reçu de l'autre le pouvoir de faire seul les actes pour lesquels un tuteur n'aurait besoin d'aucune autorisation.



Aux termes de l'article 389-5, 'dans l'administration légale pure et simple, les parents accomplissent ensemble les actes qu'un tuteur ne pourrait faire qu'avec l'autorisation du conseil de famille.



A défaut d'accord entre les parents, l'acte doit être autorisé par le juge des tutelles.









Même d'un commun accord, les parents ne peuvent ni vendre de gré à gré, ni apporter en société un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur, ni contracter d'emprunt en son nom, ni renoncer pour lui à un droit, sans l'autorisation du juge des tutelles. La même autorisation est requise pour le partage amiable, et l'état liquidatif doit être approuvé par le juge des tutelles.

Si l'acte cause un préjudice au mineur, les parents en sont responsables solidairement.'



Il s'ensuit que le parent qui exerce l'administration légale peut accomplir seul au nom du mineur les actes de la vie civile à l'exception de ceux qui sont visés à l'article 389-5 précité qui, outre ceux qui doivent être autorisés par le juge des tutelles, dont ne font pas partie les actes litigieux accomplis par M. [H], sont définis par référence à ceux qu'un tuteur ne pourrait faire qu'avec l'autorisation du conseil de famille.



Selon l'article 504, le tuteur accomplit seul les actes conservatoires et, sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article 473, les actes d'administration nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne protégée. A l'inverse, l'article 505 interdit au tuteur, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, de faire des actes de disposition au nom de la personne protégée.



L'article 496, alinéa 3, du code civil dispose que la liste des actes qui sont regardés, pour l'application du titre relatif aux majeurs protégés, comme des actes d'administration relatifs à la gestion courante du patrimoine et comme des actes de disposition qui engagent celui-ci de manière durable et substantielle est fixée par décret en Conseil d'État



Le décret du 22 décembre 2008, relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil, précise en son article 2 que 'constituent des actes de disposition les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire', puis donne une liste d'actes :

- en annexe 1 qui sont regardés comme des actes de d'administration ' (colonne 1) ou regardés comme des actes de disposition ' (colonne 2) ;

- en annexe 2 'qui sont regardés comme des actes d'administration ou de disposition, à moins que les circonstances d'espèce ne permettent pas au tuteur de considérer qu'ils répondent aux critères de l'alinéa 1er en raison de leurs faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie'.



Au vu de l'annexe 1, constitue un acte de disposition l'acte relatif à des sommes d'argent et emportant 'emploi ou de remploi des capitaux et des excédents de revenus'. En revanche, l'emploi ou le remploi de sommes d'argent 'qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus' est un acte d'administration.







Au vu de l'annexe 2, constituent des actes de disposition (I,1 ) : 'sommes d'argent : prélèvement sur le capital à l'exclusion du paiement des dettes'.



Enfin, l'article 501 prévoit que le conseil de famille ou, à défaut, le juge prescrit toutes les mesures qu'il juge utiles quant à l'emploi ou au remploi des fonds soit par avance, soit à l'occasion de chaque opération.



Il résulte de l'ensemble de ces textes que l'administrateur légal a le pouvoir de faire seul le retrait des fonds d'un livret d'épargne sur lequel il les avait versés, acte qui, d'une part, ne s'analyse pas en une opération d'emploi, laquelle consiste à affecter directement les valeurs disponibles à la réalisation d'un acte tel que l'acquisition d'un bien ou la souscription d'un droit, d'autre part, est distinct de l'acte consistant en une modification des comptes ou livrets ouverts au nom de la personne protégée visé au II, §1, colonne 2 de l'annexe 1 du décret du 22'décembre 2008 et, enfin, ne s'analyse pas davantage en un apport en société du seul fait que des fonds ont été virés sur le compte bancaire de l'entreprise de M. [H], dont, au demeurant, la forme sociale n'est pas établie.



L'article 499 du code civil dans sa version issue de la loi du 5 mars 2007, applicable à la gestion en cas de tutelle, précise que 'les tiers ne sont pas garants de l'emploi des capitaux. Toutefois, si à l'occasion de cet emploi ils ont connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement l'intérêt de la personne protégée, ils en avisent le juge'. Ce texte a donc introduit un devoir d'alerte qui s'applique en vertu des dispositions de l'article 389-7, à l'administration légale.



Il en découle qu'une banque, dépositaire des fonds, n'est pas garante de l'emploi des fonds par l'administrateur légal, de sorte qu'elle ne peut être retenue responsable des retraits des fonds mêmes conséquences et rapides et allant jusqu'à épuisement. Elle est néanmoins tenue à un devoir d'alerte si elle a connaissance d'actes ou d'omissions qui compromettent manifestement l'intérêt du mineur.



De façon générale, en vertu de son devoir de non-immixtion, une banque n'a pas l'obligation de se renseigner sur la destination des fonds retirés par un administrateur légal sur le compte d'un mineur sauf en présence d'une anomalie apparente, c'est-à-dire qui ne peut échapper à un professionnel normalement prudent ou diligent étant rappelé, ainsi qu'il a été dit plus haut, que la fréquence et l'importance des mouvements jusqu'à l'épuisement des fonds ne constituent pas à eux-seuls une anomalie apparente.



Le devoir de vigilance d'une banque, qui concerne la régularité des opérations effectuées par son intermédiaire, lui impose de veiller à ce que les opérations effectuées soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu'elle a de son client. L'anomalie manifeste affectant le fonctionnement d'un compte bancaire peut donc conduire à ce que sa responsabilité soit engagée pour violation de son devoir de vigilance.





Il en est ainsi lorsque l'opération qui est demandée à la banque d'effectuer sur le livrets d'épargne ouverts au nom de mineurs par un administrateur légal ne peut que faire suspecter un détournement des fonds de la part de celui-ci, comme en l'espèce, dès lors qu'il lui était demandé par l'administrateur légal de virer l'argent des livrets des mineurs sur le compte d'une entreprise commerciale gérée par lui.



En effet, les relevés des livrets d'épargne des trois enfants mineurs montrent que sur chacun d'eux, le 26 juin 2012, apparaît un 'vir SG Auto-impor' de 5 000 euros, qui sont les premières opérations de retrait et qui ont étaient suivies de nombreux retraits moins importants, par différents moyens soit par virements Web sur le compte de M. [H] ou sur 'C/C eurocompte con', soit de retraits DAB, jusqu'à ce qu'au 31 décembre 2014, les soldes ne soient plus créditeurs que de 8,59 euros sur le livret de [X], de 10,08 euros sur celui de [P] et de 10,20 euros sur celui de [O].



La Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] a donc eu connaissance, le 26 juin 2012, de la destination des fonds vers un compte de l'entreprise commerciale du père des mineurs à l'origine des virements, ce qui pouvait laisser suspecter un détournement des fonds des mineurs par cet administrateur légal. Elle se devait, alors, de tout mettre en 'uvre pour que le préjudice inéluctable ne se réalise pas, en demandant, à tout le moins, l'autorisation de l'autre parent administrateur légal, ce qui aurait permis de faire obstacle aux premiers virements du 26 juin 2012 et éviter les opérations qui ont suivi dès lors que la suspicion sur les agissements du père aurait conduit à prendre des mesures évitant de le laisser dilapider les livrets d'épargne des enfants.



La responsabilité de la banque est engagée dès lors que sa faute a contribué à la disparition quasi-totale des sommes d'argent appartenant aux enfants mineurs.



Sur la base de leurs demandes, il sera retenu que le montant des détournements s'élève à 6999,38 euros pour M. [X] [H], à 6 999,89 euros pour M.'[P] [H] et à 6 999,77 euros pour [O] [H].



L'UDAF de Maine et Loire indique, sans être contredite, avoir pu récupérer de M.'[H] pour [X] une somme totale de 335 euros.



Pour [P], elle indique avoir pu récupérer au total 705 euros.



Enfin, pour [O], elle indique avoir pu recevoir des versements d'un total 775 euros.



Il s'ensuit que le préjudice des enfants tenant aux détournements des fonds dont ils ont été victimes du fait du défaut de vigilance de la banque s'établit comme suit':



- pour M. [X] [H] : 6 664,38 euros ;

- pour M. [P] [H] : 6 294,89 euros ;

- pour M. [O] [H], encore mineur : 6 224,77 euros



Le jugement sera réformé en ce sens pour tenir compte des sommes remboursées par M. [H] et pour individualiser les créances.



Sur les demandes accessoires



Les dispositions du jugement sur les dépens de première instance et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.



M. [X] [H],M. [P] [H] et l'UDAF du Maine et Loire, ès qualités, étant bénéficiaires de l'aide juridictionnelle totale, leurs demandes au titre de 700 du code de procédure civile en appel sont rejetées.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,



Infirme le jugement mais seulement sur la recevabilité de l'action de Mme [D] tendant à l'indemnisation du préjudice subi par ses enfants et sur le montant de l'indemnisation allouée.



Statuant à nouveau de ces chefs,



Déclare irrecevable l'action de Mme [D] tendant à l'indemnisation du préjudice subi par ses enfants.



Condamne la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] à payer à :



- M. [X] [H], la somme de 6 664,38 euros ;

- M. [P] [H], la somme de 6 294,89 euros ;

- à l'UDAF du Maine et Loire en qualité d'administrateur ad'hoc de [O] [H], la somme de 6 224,77 euros ;



le tout avec intérêts au taux légal à compter de la date des prélèvements des fonds et capitalisation des intérêts échus pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1154, ancien, du code civil.



Y ajoutant,



Condamne la Caisse de crédit mutuel de [Localité 10] aux dépens d'appel.



Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





LA GREFFIERE LA PRESIDENTE







S. TAILLEBOIS C. CORBEL

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