29 November 2023
Cour d'appel de Bordeaux
RG n° 21/00500

CHAMBRE SOCIALE SECTION A

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 29 NOVEMBRE 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 21/00500 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L5BJ















Association [Localité 5] [4]



c/



Monsieur [T] [U]

















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 janvier 2021 (R.G. n°F 19/00505) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 28 janvier 2021,





APPELANTE :

Association [Localité 5] [4], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

représentée par Me Jérôme DIROU, avocat au barreau de BORDEAUX





INTIMÉ :

Monsieur [T] [U], né le 28 avril 1993, ayant demeuré en dernier lieu [Adresse 1]

non constitué





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 octobre 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d'instruire l'affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère



Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,





ARRÊT :



- par défaut



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
















***









EXPOSÉ DU LITIGE



Monsieur [T] [U], né en 1993, a été engagé en qualité de joueur de rugby professionnel par l'Association [Localité 5] [4], par contrat de travail à durée déterminée à compter du 1er juillet 2018 jusqu'au 30 juin 2019.



Par courrier adressé par son conseil le 19 janvier 2019, M. [U] a rappelé à son employeur que contrairement à la convention annexée à son contrat de travail, il n'avait bénéficié ni des primes de match ni de l'aide mensuelle au logement de 300 euros.



Par lettre datée du 14 février 2019, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 26 février suivant, en vue de son éventuel licenciement.



Il a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 12 mars 2019, motifs pris du manque de résultats sportifs, d'un problème de communication et d'intégration à la vie du club ayant des répercussions sur la cohésion du groupe, du non-respect des consignes, des combinaisons en touche non comprises et non respectées au cours d'un match contre [Localité 3] le 6 janvier 2019 et du non-respect de ses engagements auprès des dirigeants concernant un prêt d'argent.



A la date du licenciement, M. [U] avait une ancienneté de 8 mois et l'association occupait à titre habituel plus de dix salariés.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [U] s'élevait à la somme de 1.550 euros.



Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant des dommages et intérêts pour rupture abusive et anticipée de son contrat de travail à durée déterminée ainsi que des dommages et intérêts pour préjudice moral, M. [U] a saisi le 29 mars 2019 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 15 janvier 2021, a :

- condamné l'Association [Localité 5] [4] à lui verser les sommes suivantes :

* 11.942 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive de son contrat à durée déterminée,

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice supplémentaire subi au titre d'une atteinte à sa réputation,

* 950 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [U] du surplus de ses demandes,

- débouté l'Association [Localité 5] [4] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'Association [Localité 5] [4] aux dépens.



Par déclaration du 28 janvier 2021, l'Association [Localité 5] [4] a relevé appel de cette décision.



Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 mars 2021, l'Association [Localité 5] [4] demande à la cour de réformer le jugement dont appel, de débouter M. [U] de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par acte d'huissier de justice délivré le 2 avril 2021 dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile, l'association a fait signifier la déclaration d'appel ainsi que ses conclusions et un procès-verbal de recherches infructueuses a été dressé.





L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 17 octobre 2023.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la rupture du contrat



M. [U] a été licencié pour faute grave par lettre datée du 12 mars 2019 ainsi rédigée :

« (') Par lettre recommandée datée du 14 février 2019, nous vous avons convoqué le 25 février 2019 à 18h30 à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.



Au cours de cet entretien, nous vous avons informé des faits qui vous sont reprochés, à savoir :

- Manquement de résultats sportifs (aucune victoire depuis le début de la saison),

Soit 19 matchs perdus pour la saison 2018-2019,

- Problème de communication et manque d'intégration à la vie du club qui ont eu des répercussions sur la cohésion d'équipe,

- Non-respect des consignes et de leurs applications lors des matchs,

- Combinaisons en touche non comprises et non respectées contre [Localité 3] le 06/01/19,

- Ne respecte pas les engagements auprès des dirigeants qui lui ont prêté de l'argent gratuitement.

Par ailleurs, au cours de cet entretien, nous vous avons informé également des faits suivants :

Lors de l'entretien du 26 février 2019 nous vous avons proposé une alternative au licenciement à savoir : des postes à pourvoir au sein de plusieurs entreprises partenaires. Vous nous avez fait savoir que cela ne vous intéressait pas.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour fautes graves. Votre licenciement débutera à la date de première présentation de ce courrier.

(...) ».



Sollicitant l'infirmation de la décision déférée ayant considéré le licenciement de M. [U] infondé, l'association fait valoir que le licenciement du salarié est intervenu en raison des problèmes de communication rencontrés avec ce dernier, qui n'a jamais voulu apprendre le français et n'a pas participé à la vie du club engendrant une érosion de la cohésion du groupe, du non-respect des consignes de l'entraîneur, notamment lors du match disputé contre [Localité 3] le 6 janvier 2019, de son retour tardif en France après « la trève », de ses manques de résultats et du non-respect de ses engagements pris auprès des dirigeants relatifs à un prêt d'argent.



M. [U] n'a pas constitué avocat.



***

Aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par

lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.



Le jugement déféré a fait droit aux prétentions de M. [U] aux motifs suivants

« Il ne saurait être contesté que la rémunération du demandeur était constituée du salaire fixé à hauteur de 1.550 euros bruts mensuel tel que mentionné dans son contrat de travail assorti de primes de match et d'un forfait logement comme stipulé dans la "convention" annexée au contrat de travail et soumis à la signature des parties dès avant l'exécution du contrat.

Il n'est pas non plus contesté que dès janvier 2019, l'Association défenderesse ne respectait pas les termes de la dite convention, malgré diverses relances du demandeur.

En conséquence, il est démontré que le licenciement fait suite à la demande légitime de Monsieur [U] et trouve là tout ou partie de sa réelle motivation.

Par ailleurs les mauvais ou médiocres résultats sportifs enregistrés par le club ne sauraient constituer une faute grave de Monsieur [U] ce dernier soulignant à juste titre que les matchs de rugby se jouent à 15 et que son employeur ne saurait valablement lui imputer à titre personnel le résultat d'une équipe.

S'agissant des autres griefs force est de constater qu'ils sont énoncés en termes très généraux ou relèvent pour ce qui concerne les prêts d'argent de la sphère personnelle.

Il en résulte que la faute grave n'est aucunement démontrée et que la rupture anticipée du contrat à durée déterminée ayant lié les parties est abusive, Monsieur [U] justifiant d'obtenir en application des dispositions de l'article L. 1243-4 du Code du travail, des dommages et intérêts à hauteur des salaires et compléments de salaire restant à courir jusqu'au terme du contrat, soit la somme de 11.9442 euros à titre de dommages et intérêts. »



*

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.



Au soutien de son appel, l'association verse notamment, outre le contrat de travail à durée déterminée du salarié et la convention qui y est annexée, une fiche concernant les statistiques du joueur faisant état de 17 matchs disputés lors de la saison 2018/2019, ce qui est insuffisant à démontrer les griefs retenus à l'encontre de M. [U], étant précisé ainsi que les premiers juges l'ont retenu, que les engagements pris par le salarié tendant au remboursement de prêts consentis par les dirigeants du club ne relèvent pas de la relation contractuelle existant entre les parties.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que la rupture ne reposait pas sur une faute grave.



En application des dispositions de l'article L. 1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.



Le contrat de travail de M. [U], dont le terme était fixé au 30 juin 2019, a été rompu le 12 mars 2019.



La convention établie le 30 juin 2018 entre les parties prévoyait expressément l'attribution d'une aide au logement de 300 euros par mois.

L'appelante, qui prétend avoir réglé elle-même le loyer du logement de fonction attribué au joueur, ne produit aucun justificatif à l'appui de ses allégations, contraires aux dispositions contractuelles.



L'employeur est ainsi redevable du salaire contractuel, soit 1.550 euros mensuels et de l'aide au logement, courus entre le 13 mars et le 30 juin 2019 représentant une somme totale de 6.660 euros, les primes de matchs éventuellement dues pour la période antérieure n'ayant pas à être intégrées aux dommages et intérêts consécutifs au caractère abusif de la rupture.



Sur la demande au titre du préjudice supplémentaire d'atteinte à la réputation



Le jugement déféré a fait droit aux prétentions de M. [U] aux motifs suivants

« Monsieur [U] expose avoir mis fin à sa carrière de joueur professionnel en conséquence de sa déconvenue et avoir également perdu ainsi toute chance de se voir sélectionner avec l'équipe nationale géorgienne.

En conséquence de quoi, le Conseil fixe à hauteur de 2 000 euros, eu égard au préjudice supplémentaire invoqué, le montant des dommages et intérêts attribués à ce titre ».



Au soutien de son appel, l'employeur réfute une quelconque atteinte à la réputation du salarié et justifie que ce dernier a été recruté par un autre club de Fédérale 3 pour la saison 2019/2020 de sorte que le salarié n'a subi aucun préjudice.



Par voie de conséquence, il convient d'infirmer la décision de première instance de ce chef.



Sur les autres demandes



L'association, perdant partiellement à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.





PAR CES MOTIFS,



La cour,



Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a retenu que la rupture du contrat de travail de M. [U] ne repose pas sur une faute grave,



L'infirme pour le surplus,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Condamne l'Association [Localité 5] [4] à payer à M. [U] la somme de 6.660 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail,



Déboute M. [U] de sa demande au titre du préjudice d'atteinte à sa réputation,



Rejette le surplus des demandes des parties,



Condamne l'Association [Localité 5] [4] aux dépens.





Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

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