15 November 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.695

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00732

Titres et sommaires

REFERE - Applications diverses - Contrats de la commande publique - Référé précontractuel - Procédure - Egalité de traitement - Avantage indu - Exclusion - Cas - Détention d'une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur - Condition - Absence de solution spécifique imposée par le pouvoir adjudicateur

Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur. Dès lors, prive sa décision de base légale le premier président d'une cour d'appel qui prononce la nullité de la décision d'attribution d'un marché à un candidat, sans rechercher en quoi le seul fait pour ce candidat d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché

Texte de la décision

COMM.

SH



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 novembre 2023




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 732 F-B

Pourvoi n° R 22-13.695









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 NOVEMBRE 2023

La société publique locale de développement touristique du Cotentin, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 22-13.695 contre le jugement rendu le 4 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Rennes, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Cartel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], dénomination commerciale Cartelmatic,

2°/ à la société Kalkin, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La société Cartel a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société publique locale de développement touristique du Cotentin, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Cartel, et l'avis de Mme Texier, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Rennes, 4 mars 2022), rendu selon la procédure accélérée au fond, le 26 juillet 2021, la société publique locale de développement touristique du Cotentin (la SPL de développement touristique du Cotentin) a engagé, selon la procédure adaptée prévue à l'article R. 2123-1,1° du code de la commande publique, une consultation portant sur la fourniture, l'installation, la mise en service et la maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office du tourisme du Cotentin.

2. Par lettre du 14 octobre 2021, elle a informé la société Cartel du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Kalkin.

3. Soutenant que la société Kalkin, qui avait précédemment fourni à la SPL de développement touristique du Cotentin des tables tactiles intérieures intégrant une solution cartographique 3D développée par elle, avait, de ce fait, bénéficié d'un avantage financier dans la présentation de son offre, la société Cartel l'a assignée, ainsi que la SPL de développement touristique du Cotentin, devant le président du tribunal judiciaire en demandant, sur le fondement des articles 2 à 4 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, l'annulation de la procédure de mise en concurrence.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La SPL de développement touristique du Cotentin fait grief au jugement d'annuler sa décision du 14 octobre 2021 portant attribution à la société Kalkin de son marché de services relatif à la fourniture, l'installation, la mise en service et la maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office de tourisme du Cotentin, de lui enjoindre, si elle entend conclure ce marché, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres en se conformant à ses obligations de mise en concurrence et de la condamner à payer à la société Cartel une indemnité de 3 000 euros, alors « que le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur, si bien qu'en annulant la procédure de mise en concurrence du marché de fourniture, d'installation, de mise en service et de maintenance de bornes tactiles mis en concurrence par la SPL de développement touristique du Cotentin au seul motif que la société Kalkin était titulaire des droits sur une solution logicielle cartographique pouvant répondre aux besoins de l'acheteur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3, L. 2141-8 et R. 2111-2 du code de la commande publique. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Cartel conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la SPL de développement touristique du Cotentin n'a pas invoqué devant le délégué du président le principe en vertu duquel le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.

6. Cependant, la SPL de développement touristique du Cotentin a précisé, dans ses conclusions devant le délégué du président, que les documents de l'appel à concurrence n'imposaient aucune solution spécifique pour y répondre, ce dont il se déduit qu'elle a, de façon corollaire, invoqué le moyen selon lequel la détention d'une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas, dans ces circonstances, un avantage indu.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 3 du code de la commande publique :

8. Selon ce texte, les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics.

9. Le fait pour un candidat à un marché de détenir une technologie adaptée aux besoins définis par l'acheteur ne constitue pas un avantage indu, dès lors qu'aucune solution spécifique n'est imposée par le pouvoir adjudicateur.

10. Pour annuler la décision de la SPL de développement touristique du Cotentin du 14 octobre 2021 portant attribution à la société Kalkin de son marché de services relatif à la fourniture, l'installation, la mise en service et la maintenance de bornes tactiles extérieures sur les sites et équipements de l'office du tourisme du Cotentin, et lui enjoindre, si elle entend conclure ce marché, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres en se conformant à ses obligations de mise en concurrence, le jugement, après avoir relevé que la SPL de développement touristique du Cotentin ne débat pas de la réalité des prestations intellectuelles, et donc de leur importance et de leur coût, auxquelles il appartiendrait au candidat retenu, quel qu'il soit, d'adapter une solution logicielle cartographique aux besoins de l'acheteur public, en déduit qu'elle ne conteste pas la nécessité de ces prestations intellectuelles.

11. Le jugement relève ensuite que le devis réalisé pour le premier marché relatif aux bornes tactiles intérieures comporte pour l'outil logiciel inclus dans ces bornes, une présentation en deux parties, la première, relative au coût de la mise à disposition de la licence « Kalkin tourisme » et de son adaptation aux besoins exprimés par l'acheteur public et la seconde, relative au coût unitaire de la « déclinaison de la licence initialement acquise par poste supplémentaire du territoire ».

12. Après avoir encore constaté que le montant de ces coûts, de même que ceux relatifs à l'offre présentée pour le marché contesté, n'était communiqué ni par la société Kalkin ni par la SPL de développement touristique du Cotentin, le jugement retient que, dans la mesure où celle ci ne contestait pas la nécessité de prestations intellectuelles d'adaptation d'une solution logicielle cartographique au besoin de son utilisateur, il doit être jugé que l'attributaire a bénéficié d'un avantage concurrentiel en raison de son expérience passée.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi le seul fait pour la société déclarée attributaire d'avoir précédemment, à l'occasion d'un autre marché ayant pour objet d'autres prestations que celles recherchées, mis à disposition de l'acheteur une solution comportant un logiciel cartographique, dont l'élaboration relevait de ses seuls mérites, constituait un avantage indu faussant l'égalité entre les candidats de ce nouveau marché, le président du tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 mars 2022, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant la juridiction du président du tribunal judiciaire de Rennes autrement composée ;

Condamne la société Cartel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cartel et la condamne à payer à la société publique locale de développement touristique du Cotentin la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-trois.

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