27 June 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/02752

Pôle 5 - Chambre 16

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 - CHAMBRE 16



ARRET DU 27 JUIN 2023



sur renvoi après cassation



(n°59/2023 , 23 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02752 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFF6N



Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale partielle sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 dans l'affaire CPA n° 2013-3 à la suite de l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 1er Décembre 2023 (n° F20-16.714), cassant et annulant l'arrêt rendu le 03 Juin 2020 par la Cour d'appel de PARIS





DEMANDERESSE A LA SAISINE :



REPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA

agissant par le Procurador General de la República, Procuraduría General de la República,



Ayant son siège social : [Adresse 2] (VENEZUELA)



Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018



Ayant pour avocat plaidant : Me Alfredo DE JESUS O. de la SELEURL ALFREDO DE JESUS O.TRANSNATIONAL ARBITRATION & LITIGATION, avocat au barreau de PARIS, toque : D0790







DÉFENDEURS A LA SAISINE :



Monsieur [Y] [C] [E]

demeurant : [Adresse 1] (ETATS-UNIS)



Madame [D] [C] [U]

demeurant : [Adresse 1] (ETATS-UNIS)



Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477



Ayant pour avocats plaidants : Me Shaparak SALEH et Ilan BRUN-VARGAS,du PARTNERSHIPS THREE CROWNS LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : L1881

et Me Christophe SERAGLINI du LLP FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J007















COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 28 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :



M. Daniel BARLOW, Président de chambre

M. Marc BAILLY, Président de chambre

M. Jacques LE VAILLANT, Conseiller



qui en ont délibéré.



Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur [X] [F] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI





ARRET :



- contradictoire



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.








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*





I /FAITS ET PROCEDURE



1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence partielle sur la compétence rendue à Paris, le 15 décembre 2014, sous l'égide de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, selon le règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international du 15 décembre 1976 (ci-après « CNUDCI »), dans un litige opposant M. [Y] [C] [E] et sa fille, Mme [D] [C] [U] (« les consorts [C] »), à la République Bolivarienne du Venezuela.



2. Né en Espagne en 1944, M. [C] [E] a acquis la nationalité vénézuélienne en 1972. Il a retrouvé la nationalité espagnole en 2004 lorsqu'a pris fin l'interdiction de la double nationalité entre ces deux États. Sa fille est née au Venezuela en 1980. Elle a pris la nationalité espagnole en 2003, à la faveur d'un changement de la loi espagnole sur la nationalité.



3. Les consorts [C] indiquent avoir acquis, en 2001 et 2006, de Mmes [R] et [K] [C] des parts sociales dans les sociétés vénézuéliennes Alimentos Frisa C.A. et Transporte Dole C.A., qui exercent leurs activités dans le secteur de la distribution alimentaire.









4. En 2010, ces sociétés ont fait l'objet de mesures administratives de rétention et de confiscation prises par les autorités vénézuéliennes à la suite d'inspections et de contrôles.



5. Invoquant des violations du traité bilatéral conclu le 2 novembre 1995 entre l'Espagne et le Venezuela pour la promotion et la protection réciproque des investissements (ci-après : « le traité » ou « le TBI »), les consorts [C] ont, le 9 octobre 2012, engagé une procédure d'arbitrage à l'encontre du Venezuela, en application des dispositions de ce traité sur le règlement des différends, afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de ces mesures.



6. Le Venezuela a soulevé l'incompétence du tribunal arbitral en faisant valoir que les consorts [C] ne pouvaient bénéficier de la protection du TBI, qu'il regarde comme inapplicable à leur endroit, tant à raison de leur binationalité que de l'acquisition tardive de leur nationalité espagnole.



7. Par une sentence partielle sur la compétence rendue à Paris le 15 décembre 2014, le tribunal arbitral a statué en ces termes :



Pour les raisons exposées, le Tribunal, à l'unanimité, décide :



i. Que les Demandeurs sont des « investisseurs » et les investissements réalisés par ces derniers sont des « investissements » selon les termes de l'article I du Traité.



ii. De rejeter les objections sur la compétence présentées par la République bolivarienne du Venezuela ;



iii. De déclarer que ce Tribunal est compétent pour traiter cette procédure et régler le différend qui existe entre les Parties, conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit commercial international (CNUDCI) du 15 décembre 1976 et à l'Accord entre le Royaume d'Espagne et la République du Venezuela pour la Promotion et la protection réciproque des investissements (APPRI).



iv. Que le Tribunal décidera, dans la sentence dans laquelle ce différend sera réglé, des frais - incluant ceux incombant aux Parties pour leur défense-, honoraires et frais correspondant à l'étape de compétence.



8. Le Venezuela a formé un recours en annulation contre cette sentence, le 14 janvier 2015.



9. Par arrêt du 25 avril 2017, la cour d'appel de Paris a annulé partiellement la sentence « en tant qu'elle décide que les actifs litigieux sont des investissements au sens du traité, sans considération de la nationalité des investisseurs à la date où ils ont procédé à leurs investissements ». Elle l'a revêtue de l'exequatur pour le surplus.



10. Par arrêt du 13 février 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt en toutes ses dispositions, en retenant que « l'applicabilité de la clause d'arbitrage déduite du traité bilatéral dépend de la réalisation de l'ensemble des conditions requises par ce texte sur la nationalité de l'investisseur et l'existence d'un investissement, de sorte que la cour d'appel, qui ne pouvait procéder à une annulation partielle de la sentence, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations » et a violé l'article 1520, 1°, du code de procédure civile.



11. Par arrêt du 3 juin 2020, la cour d'appel de Paris autrement composée a annulé la sentence dans son intégralité, considérant que « les critères de compétence fixés par le TBI étant cumulatifs et indivisibles, le tribunal arbitral qui ne s'est pas livré à l'examen de sa compétence ratione materiae conformément aux termes du Traité et de l'offre d'arbitrage, en ne vérifiant pas que la condition de nationalité des investisseurs était remplie au jour où les investissements étaient réalisés, s'est déclaré à tort compétent pour connaître de toutes les demandes des consorts [C] ».



12. Par arrêt du 1er décembre 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, mais seulement « en ce qu'il annule dans son intégralité la sentence rendue à Paris le 15 décembre 20[14] », au motif que :



« 9. Pour annuler la sentence, l'arrêt relève, d'abord, que l'article XI du TBI prévoit que peut être soumis à l'arbitrage « tout différend survenant entre un investisseur d'une Partie contractante et l'autre Partie contractante concernant l'exécution par celles-ci des obligations établies dans le présent Accord » et que, selon l'article I du même traité, le terme investisseur désigne « les personnes physiques qui ont la nationalité d'une des Parties contractantes en vertu de leur loi nationale et qui réalisent l'investissement sur le territoire de l'autre Partie contractante » et le terme investissements, « tout type d'actifs, investis par des investisseurs d'une Partie contractante sur le territoire de l'autre Partie contractante ». Il retient, ensuite, qu'en ne vérifiant pas que la condition de nationalité des investisseurs était remplie au jour où les investissements étaient réalisés en 2001, le tribunal s'est déclaré à tort compétent pour connaître de toutes les demandes des consorts [C].



10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté au traité une condition qu'il ne prévoit pas, a violé [l'article 1520, 1°, du code de procédure civile]. »



13. Le Venezuela a saisi la cour d'appel de Paris, désignée cour de renvoi, par déclaration du 29 janvier 2022.



14. L'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai, en application de l'article 905 du code de procédure civile.



15. La clôture a été prononcée le 14 mars 2023, l'affaire étant appelée à l'audience de plaidoiries le 28 mars 2023.



16. Le tribunal arbitral a rendu sa sentence finale et une décision sur des demandes de révision le 26 avril 2019. Le Venezuela a formé des recours en annulation contre ces décisions, qui font l'objet de procédures pendantes devant la cour de céans sous les numéros de RG 19/13396 et 19/13397.





II/ PRETENTIONS DES PARTIES



A. Conclusions de procédure



17. Dans leurs conclusions de procédure aux fins de rejet des débats notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, les consorts [C] demandent à la cour, au visa des articles 15, 16 et 132 du code de procédure civile de bien vouloir :



- REJETER les écritures signifiées par la République bolivarienne du Venezuela le 13 mars 2023.



18. Par conclusions de procédure aux fins de débouté de la demande de rejet des débats notifiées par voie électronique le 22 mars 2023, la République du Venezuela demande à la cour, au visa des articles 15, 16 et 799 du code de procédure civile, de bien vouloir :



- REJETER l'ensemble des demandes des Consorts [C] ;



- DIRE n'y avoir lieu à rejet des conclusions notifiées au nom du Venezuela le 13 mars 2023 à 13h32.



B. Conclusions au fond



19. Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 28 décembre 2022 et le 13 mars 2023, la République Bolivarienne du Venezuela demande à la cour, au visa de l'article 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :



- DÉBOUTER Monsieur [Y] [C] [E] et Madame [D] [C] [U] de l'ensemble de leurs fins de non-recevoir visant tant le recours que les moyens invoqués à son appui par la République Bolivarienne du Venezuela ;



- DÉCLARER fausse et REJETER la pièce versée par les Consorts [C] sous le N° 18 et intitulée « Lettre du Ministère public du Venezuela du 16 septembre 2019 ».



En conséquence,



- ANNULER dans son intégralité la Sentence arbitrale rendue à Paris le 15 décembre 2014 enregistrée auprès de la Cour Permanente d'arbitrage (Affaire CPA n°2013-3) par le Tribunal arbitral composé de Messieurs Guido Tawil, Rodrigo Oreamuno Blanco, co-arbitres, et Eduardo Grebler, président ;



- CONDAMNER Monsieur [Y] [C] [E] et Madame [D] [C] [U] conjointement et solidairement à verser à la République Bolivarienne du Venezuela la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



- CONDAMNER Monsieur [Y] [C] [E] et Madame [D] [C] [U] aux entiers dépens.



En tout état de cause,



- DÉBOUTER Monsieur [Y] [C] [E] et Madame [D] [C] [U] de l'ensemble de leur demandes, fins et conclusions.



20. Dans leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 28 février 2023 notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, les consorts [C] demandent à la cour, au visa des articles 1466, 1504 et suivants, 32-1, 699 et 700 du code de procédure civile et des articles 1240 et 2274 du code civil, de la sentence sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 et de la sentence finale rendu le 26 avril 2019, de bien vouloir :



- JUGER que les moyens soulevés par la République bolivarienne du Venezuela au soutien de son recours en annulation contre la sentence arbitrale sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 dans l'affaire CPA n° 2013-3 sont irrecevables et, en toute hypothèse, infondés ;



En conséquence :



- DÉBOUTER la République bolivarienne du Venezuela de son recours en annulation contre la sentence arbitrale sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 dans l'affaire CPA n° 2013-3 ;



- JUGER qu'en application de l'article 1527 alinéa 2 du Code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 dans l'affaire CPA n° 2013-3 ;



- CONDAMNER le Venezuela à payer aux Consorts [C] la somme de 50 000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile et 1240 du Code civil ;



- CONDAMNER le Venezuela à payer aux Consorts [C] la somme de 250 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; et



- CONDAMNER le Venezuela aux entiers dépens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.







En tout état de cause :



- DÉCLARER recevables et authentiques toutes les pièces produites par les Consorts [C] dans le cadre du présent recours en annulation ; et



- DÉBOUTER le Venezuela de toute demande autre, plus ample, ou contraire au présent dispositif.





III/ MOTIFS DE LA DECISION



A. Sur la demande de rejet de conclusions



21. Les consorts [C] concluent au rejet des écritures signifiées par le Venezuela le 13 mars 2023. Ils font valoir que :



- un report de la clôture n'était pas envisageable au regard de la date prévue pour l'audience des plaidoiries ;



- un renvoi de l'entier dossier ne l'était pas davantage, une bonne administration de la justice nécessitant que le différend opposant les parties soit enfin tranché après de longues années de procédure ;



- le calendrier de procédure a été établi après concertation et ne prévoyait pas la possibilité pour le Venezuela de conclure après la réplique des consorts [C] ;



- en concluant pour la troisième fois, quelques heures avant la date de clôture, le Venezuela a placé les consorts [C] dans l'impossibilité matérielle de prendre connaissance des nouveaux éléments et d'y répondre utilement en vue de l'audience de clôture et des plaidoiries ;



- la tardiveté de cette transmission heurte le principe de la contradiction.



22. La République Bolivarienne du Venezuela réplique que :



- la demande des consorts [C] doit être rejetée dans son intégralité, aucune atteinte au principe de la contradiction ne pouvant être caractérisée en l'espèce ;



- contrairement aux principes énoncés à l'article 954 du code de procédure civile, les consorts [C] ont notifié le dernier jour du délai qui leur était imparti des écritures comportant 25 pages supplémentaires, sans signaler les ajouts, le marquage n'étant communiqué que six jours avant la clôture ;



- le Venezuela a, après lecture et analyse de l'ensemble de ces écritures, dont il a dû identifier les nouveautés, répondu dans le court laps de temps séparant le terme de l'injonction de la date de la clôture de manière concise et limitée sur des points précis ;



- contrairement à ce que soutiennent les consorts [C], le calendrier de procédure ne prévoit aucune interdiction ni même limitation pour le Venezuela de conclure ;



- en tout état de cause, conformément aux articles 15 et 16 du code de procédure civile, aucune limitation en nombre d'écritures ne peut être édictée à l'encontre d'une partie, seule la nécessité de répondre aux écritures de l'autre partie déterminant le droit de répondre d'une partie.








SUR CE :



23. En vertu de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.



24. Il appartient au juge, conformément à l'article 16 du même code, de faire observer et d'observer lui-même, en toutes circonstances, le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.



25. En l'espèce, l'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délais, conformément à l'article 905 du code de procédure civile.



26. À l'issue d'une conférence tenue le 24 mai 2022, un calendrier de procédure a été arrêté en concertation avec les parties, prévoyant le dépôt de conclusions par les consorts [C] le 30 septembre 2022, une réplique du Venezuela le 15 décembre 2022 et une duplique des consorts [C] le 28 février 2023, en vue d'une clôture le 14 mars 2023 pour fixation le 28 mars 2023.



27. Si ce calendrier a été respecté par les intéressés, le Venezuela a déposé des conclusions récapitulatives n° 3 accompagnées de sept nouvelles pièces le 13 mars 2023, veille de la date arrêtée pour la clôture.



28. La tardiveté de cette transmission heurte le principe de la contradiction, faute de permettre à la partie adverse, défenderesse au recours, d'examiner en temps utile les nouveaux éléments et, le cas échéant, d'y répondre.



29. Le Venezuela ne saurait, à cet égard, faire valablement grief aux défendeurs d'avoir conclu le dernier jour du délai qui leur était imparti par le calendrier de procédure précité.



30. S'il n'est par ailleurs pas contesté que les dernières conclusions déposées par les consorts [C] ne comportaient pas de marques faisant apparaître les modifications introduites dans ces écritures, ce marquage n'en a pas moins été communiqué le 8 mars 2023, le Venezuela ne pouvant ici utilement invoquer les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, dès lors que les modifications dont s'agit n'introduisaient pas un moyen nouveau mais tendaient à préciser l'argumentation relative à des moyens déjà soulevés.



31. Il y a lieu, dans ces conditions, d'écarter des débats les conclusions n° 3 communiquées par le Venezuela le 13 mars 2023, la cour relevant que ce rejet ne remet nullement en cause les prétentions de cette partie, formulées en termes identiques dans ses écritures du 28 décembre 2022.



B. Sur les demandes relatives à la pièce n° 18 produite par les consorts [C]



32. La République Bolivarienne du Venezuela sollicite de la cour qu'elle déclare fausse et rejette la pièce n° 18 produite par les consorts [C], intitulée « Lettre du Ministère public du Venezuela du 16 septembre 2019 », considérant que :



- un acte officiel adressé par le Fiscal General del Ministerio Público au Procurador General de la República, plus haute autorité vénézuélienne en charge du parquet et de l'action publique, démontre que cette pièce ne peut émaner des services concernés et constitue un faux, sa prétendue signataire n'étant plus en poste à la date de signature de la lettre et n'occupant pas les fonctions qui y sont mentionnées, ses coordonnées étant également fausses ;





- ce document est contredit par un acte réellement émis par les services du ministère public en charge des poursuites pénales à l'encontre des consorts [C].



33. Les consorts [C] ne répliquent pas sur ce point.





SUR CE :



34. Conformément à l'article 299 du code de procédure civile, si un écrit sous seing privé produit en cours d'instance est argué faux, il est procédé à l'examen de l'écrit litigieux comme il est dit aux articles 287 à 295.



35. L'article 287 auquel il est renvoyé dispose que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte.



36. Il apparaît, en l'espèce, que la pièce arguée de faux par la République du Venezuela n'est plus invoquée par les consorts [C], qui ont retiré de leurs dernières écritures l'ensemble des arguments fondés sur ce document.



37. Il n'y a donc pas lieu de procéder à la vérification demandée, la cour pouvant statuer sans tenir compte de la pièce querellée, la demande de rejet de la pièce étant dès lors sans objet.





C. Sur le fond





1) Sur le premier moyen d'annulation tiré de l'incompétence rationae materiae du tribunal arbitral



38. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré compétent ratione materiae. Elle fait valoir en substance que :



- nonobstant la renonciation des consorts [C] à l'indemnisation d'une partie de leurs demandes dans l'instance au fond, le moyen d'annulation invoqué par le Venezuela conserve son objet et reste bienfondé, son intérêt à invoquer l'incompétence du tribunal arbitral ne pouvant pas être remis en cause par des circonstances postérieures à la date d'introduction du recours et alors que la solution adoptée par la sentence sur la compétence n'est ni abolie, ni modifiée par les renonciations des consorts [C] ;



- les deux arrêts de cassation intervenus dans cette affaire présentent un caractère contradictoire, la cour de renvoi restant libre de résister au second arrêt et maintenir son interprétation dégagée en 2017 et 2019 sur l'absence de compétence rationae materiae ;



- pour l'application de cette compétence, le TBI prévoit une condition tenant à la possession par le prétendu investisseur de la nationalité d'un État partie au TBI, au moment de réalisation de l'investissement sur le territoire de l'autre État contractant ;



- cette condition n'est pas satisfaite en l'espèce car, lors de la prétendue réalisation de leurs investissements sur le territoire vénézuélien, [Y] [C] et [D] [C] étaient exclusivement vénézuéliens ;



- les prétendus investissements des consorts [C] ne satisfont pas la définition du terme investissement énoncée par le TBI, la nécessaire action d'investir inhérente à l'article I.2 faisant défaut.







39. Les consorts [C] répliquent que :



- le second arrêt de cassation confirme que le rejet total et définitif des demandes du Venezuela est la seule issue possible s'agissant de la compétence ratione materiae du tribunal arbitral ;



- le grief invoqué par le Venezuela est mal fondé à l'aune des renonciations par les consorts [C] à leurs demandes relatives aux investissements réalisés lorsqu'ils n'avaient pas la nationalité espagnole et de la sentence finale aux termes de laquelle le tribunal arbitral a limité sa compétence aux investissements réalisés après que les consorts [C] ont acquis la nationalité espagnole ;



- le tribunal arbitral s'est valablement déclaré compétent ratione materiae à l'égard de tous les investissements réalisés par les consorts [C], dès lors qu'ils avaient la nationalité espagnole au moment des mesures prises par le Venezuela en mai 2010 et au moment de l'introduction de l'arbitrage en octobre 2012 ;



- l'argument du Venezuela tendant à remettre en cause la réalité des investissements des consorts [C] doit être écarté comme irrecevable, faute d'avoir été soulevé dans son mémoire sur la compétence ;



- il est infondé, la condition tenant à l'exigence d'une action d'investir ne faisant pas défaut dès lors que les investissements réalisés par les consorts [C] sont bien réels, que la question de leur licéité relève de l'examen au fond, et que la simple détention d'actions ou de titres suffit pour bénéficier de la protection du TBI.





SUR CE :





(i) Sur la recevabilité du moyen



40. La cour relève à titre liminaire que, s'agissant de la compétence du tribunal arbitral, les consorts [C] n'invoquent qu'un unique moyen d'irrecevabilité, circonscrit au grief tiré de l'absence de réalité des investissements qu'ils revendiquent, sans reprendre sous la forme d'une fin de non-recevoir l'argumentation tenant à la renonciation à leurs demandes relatives aux investissements réalisés à des dates où leur nationalité espagnole est contestée. L'intérêt à agir de la République du Venezuela n'est dès lors pas contesté à ce titre, de sorte que les moyens en réponse qu'elle développe à ce sujet sont sans objet. Cette fin de non-recevoir a, au demeurant, été définitivement tranchée par l'arrêt rendu par la cour de céans le 3 juin 2020, non cassé sur ce point.



41. Selon l'article 1466 du code de procédure civile, rendu applicable à l'arbitrage international par l'article 1506 du même code, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.



42. Il résulte de ces dispositions que, lorsque la compétence a été débattue devant le tribunal arbitral, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question de nouveaux moyens et arguments devant le juge de l'annulation et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuves, le fait qu'un argument n'ait pas été précédemment évoqué devant le tribunal arbitral ne permettant pas de déduire l'acceptation de sa compétence par la partie concernée.



43. Il est en l'espèce acquis que la République Bolivarienne du Venezuela a contesté la compétence du tribunal arbitral pour connaître des demandes qui lui étaient soumises.









44. La demanderesse est dès lors recevable à invoquer au soutien de son recours en annulation un argument nouveau tiré de l'absence de matérialité des investissements réalisés par les défendeurs.



45. Le moyen d'irrecevabilité opposé de ce chef par les consorts [C] doit en conséquence être écarté.





(ii) Sur le bienfondé du moyen



46. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.



47. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.



48. Lorsque celle-ci résulte d'un traité bilatéral d'investissements, la compétence du tribunal arbitral et l'étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l'État à l'arbitrage procédant de l'offre permanente d'arbitrage adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.



49. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation n'ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.



50. La sentence objet du présent recours en annulation a été rendue dans le cadre institué par le traité bilatéral conclu le 2 novembre 1995 entre l'Espagne et le Venezuela pour la promotion et la protection réciproque des investissements dont l'article XI énonce, sous le titre « Différends entre une Partie contractante et des investisseurs de l'autre Patrie contractante » :



1. Tout différend survenant entre un investisseur d'une Partie contractante et l'autre Partie contractante concernant l'exécution par celle-ci des obligations établies dans le présent Accord sera notifié par une notification écrite contenant une information détaillée, par l'investisseur à la Partie contractante d'accueil de l'investissement. Dans la mesure du possible, les parties au différend essaieront de régler ces différends au moyen d'un accord amiable.



2. Si le différend ne peut être résolu de cette manière dans un délai de six mois à partir de la date de notification écrite mentionnée au paragraphe 1, il sera soumis au choix de l'investisseur :



a) Aux tribunaux compétents de la Partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l'investissement, ou



b) Au [Adresse 3] (CIRDI) créé par la Convention pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements entre États et ressortissants d'autres États, signée à Washington le 18 mars 1965, une fois que chaque État partie au présent Accord aura adhéré à celle-ci. Dans l'hypothèse où l'une des Parties contractantes n'a pas adhéré à la Convention citée, on recourra au Mécanisme supplémentaire pour l'Administration des procédures de conciliation, d'arbitrage et de constatation des faits par le secrétariat du CIRDI ;









3. Si pour quelque raison que ce soit, les instances arbitrales envisagées au point 2 b) de cet article n'étaient pas disponibles, ou si les deux parties en avaient convenu ainsi, le différend serait soumis à un tribunal d'arbitrage « ad hoc » établi conformément au règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international.



4. L'arbitrage sera fondé sur :



a) Les dispositions du présent Accord et celles des autres accords conclus entre les Parties contractantes ;



b) Les règles et principes de Droit international ;



c) Le droit national de la Partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l'investissement, y compris les règles relatives aux conflits de Loi.





51. L'article I du traité fournit, pour les besoins de son application, les définitions suivantes :



1. Le terme « investisseurs » désigne :



a) Les personnes physiques qui ont la nationalité d'une des Parties contractantes en vertu de leur loi nationale et qui réalisent des investissements sur le territoire de l'autre Partie contractante. [']



2. Le terme « investissements » désigne tout type d'actifs, investis par des investisseurs d'une Partie contractante sur le territoire de l'autre Partie contractante et, en particulier, bien que non exclusivement, les suivants :



a) Actions, titres, obligations et toute autre forme de participation en sociétés ;



b) Droits provenant de tout type d'apports réalisés dans le but de créer une valeur économique ; sont inclus expressément tous les prêts accordes a cet effet ;



c) Biens meubles et immeubles, ainsi qu'autres droits réels tels que les hypothèques, droits de gage, usufruits et droits similaires ;



d) Tout type de droits dans le domaine de la propriété intellectuelle, incluant expressément brevets d'invention et marques commerciales, ainsi que licences de fabrication, connaissances techniques et fonds de commerce ;



e) Droits de réaliser des activités économiques et commerciales octroyés par la Loi ou en vertu d'un contrat, y compris ceux liés à la prospection, la culture, l'extraction ou l'exploitation de ressources naturelles.





52. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral d'avoir méconnu les exigences issues de ces dispositions en retenant sa compétence alors que les consorts [C] ne disposaient pas de la nationalité espagnole au moment où les investissements allégués ont été réalisés.



53. Il n'est, de fait, pas contesté que les défendeurs au recours n'ont obtenu cette nationalité qu'après l'acquisition des parts sociales qu'ils invoquent comme constitutives de l'investissement dont ils revendiquent la protection au titre du TBI et qu'ils ne disposaient, à la date de cette acquisition, que de la nationalité vénézuélienne.



54. Cette circonstance ne saurait toutefois faire conclure à l'incompétence du tribunal arbitral, le traité ne subordonnant pas le bénéfice de sa protection à une condition de nationalité à la date de réalisation des investissements, qui n'y figure pas.





55. La première branche du moyen invoqué par la République Bolivarienne du Venezuela, qui manque en droit, doit dès lors être rejetée.



56. La demanderesse au recours soutient, en deuxième lieu, que l'action d'investir requise par le TBI fait en l'espèce défaut, la simple détention d'un actif étant insuffisante, en l'absence de « contribution » au sens de l'article I du traité. Elle expose que les consorts [C] ont reconnu en cours d'arbitrage n'avoir engagé aucune ressource financière leur appartenant pour obtenir les actions dont ils revendiquent la détention à titre d'investissement, les opérations à l'origine de cette détention caractérisant selon elle des abus de bien sociaux, pour mettre en jeu des apports appartenant en réalité aux sociétés concernées, ce que contestent les intéressés.



57. Il résulte à cet égard de la notification d'arbitrage à l'origine de la procédure que les investissements revendiqués par les consorts [C] résultent, d'une part, de l'acquisition des participations de Mmes [K] [C] [U] et [R] [C] [U] dans la société Alimentos Frisa en 2001 et, d'autre part, de la vente à Mme [D] [C] [U], en 2001 et 2006, des participations de Mmes [K] [C] [U] et [R] [C] [U] dans la société Transporte Dole.



58. Les acquisitions d'actions ainsi revendiquées réalisent la définition de l'investissement énoncée à l'article I.1 précité du TBI.



59. L'argumentation développée par la demanderesse au recours tenant à l'illicéité des opérations ayant permis la réalisation desdits investissement et à l'absence de contrepartie financière effectivement versée par les consorts [C] est inopérante au stade de l'examen de la compétence, pour porter, non sur l'étendue de la protection procédurale offerte par le TBI, mais sur le fond de l'affaire.



60. La deuxième branche du moyen relatif à l'incompétence du tribunal arbitral est dès lors infondée. Elle sera écartée.





2) Sur le deuxième moyen d'annulation tiré de ce que la décision du tribunal a été surprise par la fraude



61. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que :



- le moyen d'annulation pris de la fraude procédurale est recevable en ce que :



'' il n'a pas été soulevé de manière tardive, la nature même de la fraude impliquant qu'elle ne soit enfermée dans aucun délai, la limitation portée dans l'acte de mission n'étant pas opposable, le Venezuela ne pouvant renoncer à un moyen dont les faits constitutifs n'étaient pas nés ;



'' la fraude échappe par nature aux prescriptions de l'article 1466 du code de procédure civile invoquées par les défendeurs, les conditions de mise en 'uvre de cette disposition n'étant en toute hypothèse pas réunies, le Venezuela ayant agi avec célérité pour faire valoir la fraude qu'il dénonce ;



- les consorts [C] ont produit, pendant la procédure arbitrale, une série de documents falsifiés à l'appui de leurs prétendues opérations d'acquisition d'actions dans Transporte Dole et Alimentos Frisa, dont notamment des procès-verbaux d'assemblées générales et des registres d'actionnaires reconstitués ;



- ils ont en outre effectué des déclarations mensongères avec l'objectif de tromper le tribunal arbitral en ce qui concerne les titulaires des parts majoritaires dans Transporte Dole ;



- cette fraude a été décisive dans le raisonnement du tribunal arbitral, amenant celui-ci à se déclarer compétent pour connaître des demandes des consorts [C] ;



- la sentence doit dès lors être annulée dans son ensemble, conformément à l'article 1520, 5°, du code de procédure civile.



62. Les consorts [C] répliquent que :



- les allégations de fraude sont irrecevables comme tardives, au regard de l'article 1466 du code de procédure civile applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506, 3°, du même code, faute d'avoir été soulevées en temps utile devant le tribunal arbitral, le Venezuela ayant renoncé à se prévaloir des éléments de fait dont il avait connaissance avant que la sentence sur la compétence soit rendue ;



- ces allégations ne sont pas fondées :



'' d'un point de vue factuel dès lors que la validité des documents sociaux n'a jamais été contestée par le Venezuela, qu'aucune action judiciaire n'a été intentée au Venezuela, la plainte déposée en France ayant été classée sans suite, qu'aucune réglementation vénézuélienne ne permet de soutenir l'existence des irrégularités alléguées, que le rapport graphologique produit est dénué de force probante, que les prétendues fraudes sont antérieures aux mesures d'expropriation et qu'il n'y a pas eu d'opérations fictives ;



'' d'un point de vue juridique, les conditions procédurales de la fraude n'étant pas réunies, en l'absence de volonté de tromper des consorts [C], alors même que les éléments allégués comme frauduleux n'ont pas été décisifs pour le tribunal arbitral.





SUR CE :



(i) Sur la recevabilité du moyen



63. S'il est acquis que la République Bolivarienne du Venezuela n'a pas invoqué devant le tribunal arbitral la fraude procédurale dont elle se prévaut pour les besoins du présent recours en annulation, cette circonstance n'est pas de nature à emporter l'irrecevabilité du moyen qu'elle soulève à ce titre, au sens de l'article 1466 du code de procédure civile.



64. La fraude procédurale invoquée reposant sur une dissimulation, la demanderesse au recours ne peut en effet y avoir renoncé en connaissance de cause, pareille connaissance impliquant le mal fondé du moyen, qui suppose son examen au fond, de sorte que les dispositions de l'article 1466 ne peuvent ici trouver à s'appliquer.



65. L'irrecevabilité alléguée par les consorts [C] doit en conséquence être écartée.





(ii) Sur le bienfondé du moyen



66. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.



67. La fraude procédurale commise dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision prise par ceux-ci a été surprise.







68. La fraude procédurale ne justifie l'annulation de la sentence que si elle a un effet sur celle-ci, c'est à dire si elle a été décisive pour le tribunal arbitral.



69. Pour conclure à l'existence d'une telle fraude, la République Bolivarienne du Venezuela soutient que les consorts [C] ont dissimulé au tribunal arbitral leur double nationalité hispano-vénézuélienne dans la notification de controverse comme dans la notification d'arbitrage, qu'ils ont produit des documents falsifiés et ont formulé des déclarations mensongères pour justifier de l'acquisition des actions représentant leur investissement dans les sociétés Alimentos Frisa et Transporte Dole.



70. La cour relève, en premier lieu, qu'il ne saurait être fait grief aux consorts [C] d'avoir dissimulé au tribunal arbitral leur double nationalité, celle-ci ayant été au c'ur des débats qui ont précédé le prononcé de la sentence sur la compétence, qui consacre de longs développements à cette problématique.



71. Il apparaît, en deuxième lieu, que les éléments produits par la demanderesse pour justifier de la fraude qu'elle allègue n'ont pas servi à fonder la décision du tribunal sur sa compétence, de sorte que, même à supposer admises les irrégularités invoquées, les conditions de la fraude procédurale font ici défaut.



72. La sentence querellée ne porte en effet que sur la compétence, le tribunal arbitral ayant jugé que le TBI n'impose aucune restriction aux doubles nationaux vénézuéliens-espagnols pour invoquer sa protection et qu'il n'est pas pertinent de s'enquérir de la nationalité des intéressés aux dates auxquelles ils ont effectué leurs investissements au Venezuela, ces dates ne constituant pas un facteur déterminant pour décider de l'application du traité.



73. Il n'a ainsi abordé que la question de sa compétence objective, sans que la régularité ou le caractère effectif des investissements invoqués fût en débat, ces questions touchant le fond de l'affaire, la cour relevant que la date des procès-verbaux et registres argués de faux est antérieure à celle de la prétendue violation des obligations du TBI, prise en considération par le tribunal arbitral pour fonder sa compétence, et que les paragraphes 210 et 211 de la sentence, cités par la demanderesse au recours comme prétendument topiques des effets de la fraude invoquée sur le raisonnement du tribunal ne portent pas sur la question des conditions d'acquisition des actions mais sur les conséquences de la double nationalité des consorts [C] quant à leur qualité d'investisseurs, de sorte qu'il ne saurait en être tiré les conséquences qu'elle leur donne.



74. D'où il suit que le moyen n'est pas fondé.





3) Sur le troisième moyen d'annulation tiré de ce que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent rationae personae et n'a pas respecté sa mission



75. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que :



- le tribunal arbitral s'est affranchi des termes qui définissent l'étendue de l'offre d'arbitrage contenue dans le TBI et a méprisé les règles et principes de droit international ainsi que le droit vénézuélien, que l'article XI.4 du traité et le droit international public lui imposaient d'appliquer pour répondre à la question de sa compétence ;



- l'interprétation des termes du traité conformément à la règle générale d'interprétation de l'article 31 de la Convention de Vienne exclut les doubles nationaux hispano-vénézuéliens de son champ d'application ratione personae, au regard du sens ordinaire à attribuer au terme « investisseur », pris littéralement comme dans son contexte, à la lumière de l'objet et du but du traité ;







- l'analyse contraire soutenue par les consorts [C] et retenue par le tribunal arbitral, selon laquelle tout ce qui n'est pas exclu expressis verbis est inclus, est contraire aux principes d'interprétation de la Convention de Vienne et conduit à élargir le champ de protection du TBI au bénéfice de personnes que les parties contractantes n'ont pas estimé devoir protéger par les dispositions du TBI ;



- la demande d'arbitrage des consorts [C] ne satisfait pas les conditions ratione personae requises par d'autres normes, que l'article XI.4 du TBI et le droit international public rendent applicables à la détermination de la compétence du tribunal arbitral ;



- ainsi, le Traité d'Amitié entre l'Espagne et le Venezuela conclu le 7 juin 1990, qui, d'une part, a pour objectif d'inciter la réalisation d'investissements par les nationaux de chacun des États contractants sur le territoire de l'autre, et, d'autre part, renvoie au principe d'égalité en droit international interdisant aux nationaux d'un État de l'attaquer devant un for international, confirme l'exclusion des doubles nationaux de la protection des dispositions du TBI ;



- de même, les règles et principes du droit international, tels que le principe de non-responsabilité, interdisant aux nationaux d'un État d'attraire cet État devant une juridiction internationale, et le principe de la nationalité effective et dominante, interdisant à un double national d'attraire son État lorsque la nationalité dominante et effective est celle de l'État attaquée, militent à leur tour pour l'exclusion des doubles nationaux de la protection offerte par le TBI et au rejet de la compétence du tribunal arbitral en l'absence de toute réalité concrète matérialisant la nationalité espagnole des consorts [C] ;



- le droit vénézuélien, applicable par le biais des articles I et XI du TBI, aurait dû être appliqué par le tribunal arbitral, qui aurait dû constater une violation de ce droit par M. [Y] [C], qui a franchi les contrôles douaniers au Venezuela en présentant son passeport espagnol entre 1983 et 2004, et ce, malgré son acte de naturalisation de 1972, par lequel il jouit de la seule nationalité vénézuélienne ;



- il résulte de ce qui précède que la requête d'arbitrage des consorts [C], qui ont toujours été de nationalité vénézuélienne et continuent de l'être, n'entraîne pas, malgré leur acquisition de la nationalité espagnole depuis respectivement 2003 et 2004, la formation d'une convention d'arbitrage par acceptation de l'offre unilatérale d'arbitrage contenue à l'article XI du TBI ;



- dès lors, la sentence partielle sur la compétence doit être annulée dans son ensemble conformément aux article 1520 1° et 3° du code de procédure civile.



76. Les consorts [C] répliquent que le tribunal arbitral s'est valablement déclaré compétent ratione personae dès lors que :



- conformément aux termes du TBI, tels qu'interprétés à l'aune des principes énoncés par la Convention de Vienne, à laquelle le Venezuela n'est pas partie, les nationaux ressortissants d'un des deux États parties au TBI bénéficient de sa protection, qu'ils aient ou non également la nationalité de l'autre État partie au TBI ;



- les travaux préparatoires du Traité confirment que l'Espagne et le Venezuela ont envisagé la question des binationaux lorsqu'ils ont évoqué le champ de protection du Traité, et que leur intention était de ne pas les exclure ;



- en l'espèce, les consorts [C] ont la nationalité espagnole conformément à la législation espagnole et ont effectué des investissements sur le territoire vénézuélien et dès lors, indépendamment de leur nationalité vénézuélienne, ils sont des investisseurs au sens de l'article I.1.a du TBI et bénéficient de la protection du TBI ;



- aucune autre condition ne peut leur être imposée pour le bénéfice de la protection du TBI ;



- les arguments soulevés par le Venezuela pour tenter de faire échec à l'application des termes du TBI sont dénués de tout fondement ;



- en toute hypothèse, les principes évoqués par le Venezuela au soutien de l'incompétence du tribunal arbitral sont erronés ;



- dès lors, le tribunal arbitral était bien compétent ratione personae.





SUR CE :



77. En vertu des 1° et 3° de l'article 1520 du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent, ou s'il a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.



78. Conformément aux principes ci-avant rappelés, en matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'État à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.



79. Au cas présent, l'offre d'arbitrage résulte de la combinaison des articles XI et I du TBI, cités aux points 50 et 51 de la présente décision.



80. Dans le cadre ainsi défini, le tribunal arbitral a retenu sa compétence rationae personae en considérant que ce traité n'impose aucune restriction aux doubles nationaux vénézuéliens-espagnols pour le bénéfice de sa protection, les termes employés à l'article I ne permettant pas de priver d'effets la nationalité accordée librement par un État et acceptée par l'autre comme valable, de sorte qu'il ne peut être ajouté au texte une condition qui n'y figure pas.



81. Il a, pour ce faire, estimé que le Traité d'Amitié entre le Royaume d'Espagne et la République Bolivarienne du Venezuela du 7 juin 1990 n'était pas pertinent pour décider de sa compétence et jugé que celle-ci ne pouvait davantage être écartée par le jeu de l'article XI.2, b) du TBI, sans suivre l'argumentation soutenue par la République Bolivarienne du Venezuela concernant l'application du principe de nationalité dominante et des règles relatives à la protection diplomatique.



82. La cour relève, à titre liminaire, que les dispositions de l'article XI.4, selon lesquelles l'arbitrage est fondé a) sur les dispositions de l'accord et celles des autres accords conclus entre les parties contractantes, b) les règles et principes de droit international et c) le droit national de la partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l'investissement, concernent les modalités de traitement au fond du litige soumis à l'arbitrage. Elles ne sont pas de nature à remettre en cause les termes de l'article I qui définissent les investissements et catégories d'investisseurs au regard desquels doit être apprécié le consentement de l'État à l'arbitrage. Il ne saurait dès lors être fait grief au tribunal arbitral d'avoir méconnu les termes de sa mission en ne faisant pas application à ce titre des dispositions du Traité d'Amitié entre le Royaume d'Espagne et la République Bolivarienne du Venezuela du 7 juin 1990, des principes du droits international et de la loi nationale vénézuélienne.



83. Quant à l'appréciation par le tribunal de la compétence rationae personae, il apparaît que le TBI ne comporte aucune disposition concernant les doubles nationaux, l'article I.1 précité retenant pour seule exigence le fait pour l'investisseur d'avoir « la nationalité d'une des Parties contractantes en vertu de leur loi nationale ».















84. Les règles générales d'interprétation de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, invoquées par la demanderesse et qui s'imposent au juge français au titre de la coutume du droit international, ne permettent pas de conclure que ces dispositions priveraient l'investisseur binational de la protection instituée par le traité, ces règles ne conduisant pas à distinguer là où le texte ne distingue pas.



85. L'article 31 de cette Convention prévoit que :



1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.



2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :



a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité ;



b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité.



3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :



a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions ;



b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité ;



c) De tout règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les parties.



4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des parties.





86. Son article 32 énonce :



Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 :



a) Laisse le sens ambigu ou obscur ; ou



b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.





87. À l'aune de ces principes, il ne peut être considéré, suivant le sens ordinaire attribué aux termes employés à l'article I.1, a) du traité, que le double national n'entrerait pas dans le champ de la définition de l'investisseur, le fait qu'un investisseur ayant « la nationalité d'une des Parties contractantes » réalise des « investissements sur le territoire de l'autre » n'étant pas exclusif de la possibilité pour l'intéressé d'avoir également la nationalité de l'État sur le territoire duquel l'investissement est réalisé.



88. La référence faite par certains articles du TBI aux « investisseurs de l'autre partie contractante » n'est pas de nature à remettre en cause cette lecture, que n'infirment pas les travaux préparatoires ayant présidé à la signature de cette convention.









89. Cette solution ne peut davantage être regardée comme contraire à l'objet et au but du traité, qui vise à « créer des conditions favorables pour les investissements réalisés par les investisseurs de chacune des Parties contractantes dans le territoire de l'autre » afin « de renforcer la coopération économique au bénéfice réciproque des deux pays », d'où il ne saurait être déduit aucune exclusion à l'endroit des binationaux.



90. La République Bolivarienne du Venezuela ne saurait par ailleurs se prévaloir de la possibilité offerte par le TBI de soumettre un différend au CIRDI. L'exclusion des doubles nationaux résultant de l'article 25.2 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 créant le CIRDI n'est en effet pas applicable à la présente affaire dans laquelle les parties ont opté, conformément à l'article XI du traité, pour une procédure arbitrale conduite sous l'égide de la CNUDCI, qui ne reprend pas une telle restriction. L'application cumulative de toutes les conditions postulées par les mécanismes de règlement visés par le traité, en plus de celles posées par le traité lui-même, à laquelle invite la demanderesse au nom d'un principe d'inaltérabilité des traités, conduirait à méconnaître et dénaturer les termes du TBI, qui ne prévoit pas un tel cumul.



91. Il résulte de l'ensemble de ces constatations que les termes comme l'économie générale du TBI sont dénués d'ambiguïté sur le fait que les parties contractantes n'ont pas entendu réserver un sort particulier aux binationaux en les écartant du bénéfice de sa protection.



92. Il n'y a dès lors pas lieu de recourir aux procédés supplétifs d'interprétation issus de la Convention de Vienne, tirés du contexte d'adoption du traité ou des règles et principes du droit international.



93. Il s'ensuit, sans qu'il soit nécessaire de se référer au principe de non-responsabilité et aux règles propres à la protection diplomatique, ou de se livrer à une appréciation sur la nationalité dominante et effective de l'investisseur, que le TBI, qui constitue la lex specialis entre les parties, ne peut conduire à exclure les binationaux de son champ d'application, sauf à ajouter au texte une condition qui n'a pas été stipulée.



94. C'est dès lors à juste titre et sans méconnaître les termes de sa mission que le tribunal arbitral s'est déclaré compétent pour connaître du différend opposant les parties.



95. Le troisième moyen d'annulation doit en conséquence être rejeté.





4) Sur le quatrième moyen d'annulation tiré de ce que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent rationae materiae et a méconnu sa mission pour n'avoir pas fondé sa décision sur le droit applicable



96. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ratione materiae et a méconnu sa mission en ne fondant pas sa décision sur le droit applicable. Elle avance à ce titre que :



- le tribunal arbitral n'a pas fondé sa décision sur le traité d'amitié entre l'Espagne et le Venezuela, ni n'a pris en considération les règles et principes de droit international et le droit vénézuélien, auxquels renvoie le TBI ;



- les termes de ces règles ne permettent pas de considérer que les consorts [C], étant des doubles nationaux hispano-vénézuéliens, ont réalisé des investissements étrangers justifiant la compétence du tribunal arbitral.



97. Les consorts [C] répondent que :



- le tribunal arbitral s'est conformé à sa mission en estimant que seul le TBI est pertinent aux fins de déterminer les investissements et les investisseurs protégés, à l'exclusion des autres normes invoquées par le Venezuela ;



- la compétence du tribunal arbitral est régie par l'article XI.1 du TBI et par la définition des termes « investisseurs » et « investissements », tels que définis par les articles I.1 et I.2 du TBI ;



- l'article XI.4 du TBI porte quant à lui sur le droit applicable au fond du différend et, par conséquent, il ne peut être reproché au tribunal arbitral d'avoir manqué à sa mission en ne se fondant pas sur les sources de droit contenues à l'article XI.4.



SUR CE :



98. Le moyen ici développé par la République Bolivarienne du Venezuela est identique en substance au troisième moyen précédemment examiné relatif à la compétence rationae personae, la demanderesse au recours faisant grief au tribunal arbitral d'avoir écarté de son raisonnement le Traité d'Amitié entre le Royaume d'Espagne et la République Bolivarienne du Venezuela du 7 juin 1990 et de ne s'être pas fondé sur les principes du droit international et sur la loi nationale vénézuélienne pour retenir sa compétence rationae materiae.



99. Pour les motifs précédemment exposés, ce moyen est infondé. Les dispositions de l'article XI.4 du traité, invoquées par la demanderesse pour justifier du renvoi aux normes et principes qu'elle reproche au tribunal arbitral de n'avoir pas appliqué, ne se rapportent pas à l'examen de la compétence, le consentement de l'État vénézuélien à l'arbitrage devant être apprécié à l'aune des définitions données à l'article I des catégories d'investisseurs et des investissements entrant dans le champ de l'offre d'arbitrage formulée par le TBI.



100. Le tribunal arbitral a par ailleurs procédé à l'analyse des dispositions pertinentes du traité relatives à la compétence, à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne, pour conclure que celles-ci ne postulaient pas l'exigence d'une condition de nationalité espagnole à la date de réalisation des investissements litigieux, en quoi il ne saurait lui être fait grief de n'avoir pas respecté sa mission ou d'avoir méconnu sa compétence matérielle, la cour renvoyant sur ce dernier points aux développement des paragraphes 50 à 55 de la présente décision.



101. D'où il suit que le quatrième moyen d'annulation sera écarté.





5) Sur le cinquième moyen d'annulation tiré de la contrariété à l'ordre public international substantiel



102. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que la reconnaissance de la solution fixée dans la sentence partielle est contraire à l'ordre public international substantiel en ce que :



- la sentence partielle sur la compétence a reconnu la possibilité pour les consorts [C], de nationalité vénézuélienne, d'attraire le Venezuela devant une juridiction internationale ;



- cette position est contraire à toutes les règles d'ordre public international dont celles reconnues par la France et ses juridictions selon laquelle un double national ne peut pas attraire un État dont il est un national devant une juridiction internationale.



103. Les consorts [C] répliquent que :



- au sein de l'ordre juridique français, il n'existe aucune règle d'ordre public international interdisant à un binational d'attraire l'un des deux États dont il est le ressortissant devant une juridiction internationale ;



- ils ont saisi le tribunal arbitral en qualité de ressortissants espagnols.









SUR CE :



104. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.



105. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.



106. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.



107. Ce dernier ne postulant pas un principe d'interdiction pour les nationaux d'attraire leur propre État devant une juridiction internationale ou un tribunal arbitral, le moyen soutenu de ce chef par la République Bolivarienne du Venezuela manque en droit. Il sera rejeté.





6) Sur le sixième moyen d'annulation tiré du non-respect du principe de la contradiction



108. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral de n'avoir pas respecté le principe de la contradiction, pour avoir cité dans la sentence plusieurs éléments de droit qui n'ont jamais été soumis ni invoqués par les parties et sur lesquels il s'est pourtant fondé pour motiver sa décision.



109. Les consorts [C] soutiennent en réponse que ces éléments n'ont pas déterminé la solution retenue par le tribunal arbitral.





SUR CE :



110. Selon l'article 1520, 4°, du code de procédure civile, la sentence encourt l'annulation lorsque le principe de la contradiction n'a pas été respecté.



111. Il appartient au tribunal arbitral, conformément à l'article 1510 du même code, de garantir l'égalité des parties et de respecter le principe de la contradiction, en vertu duquel celles-ci doivent avoir été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et doivent avoir eu la possibilité de faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et de discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire. Le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre aux parties l'argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.



112. La République Bolivarienne du Venezuela fait en l'espèce grief au tribunal arbitral d'avoir fondé sa décision relative à la compétence rationae personae sur des traités bilatéraux signés par le Venezuela et l'Espagne avec des pays tiers, sans avoir préalablement soumis ces éléments de droit à la discussion des parties.



113. Elle dénonce à ce titre les paragraphes 180 et 181 de la sentence dans lesquels le tribunal arbitral considère que :











« 180. Le fait que le Venezuela ait signé les TBIs avec certains États dans lesquels il a exclu de son application les ressortissants des deux pays signataires et d'autres dans lesquels il ne l'a pas fait, met en évidence que l'exception à son application a toujours été effectuée de manière expresse et pour autant, n'a pas fait partie des engagements réciproques des signataires des TBIs respectifs. »



« 181. Pour la même raison, le fait que dans la grande majorité des TBIs signés par l'Espagne (y compris l'APPRI) au cours de la période 1990-2000, il n'avait pas été fait exception à la protection des doubles nationaux (sauf dans un traité dans lequel cette solution n'avait pas été adoptée), met en évidence que le rejet du bénéfice du Traité doit être expressément consigné dans le texte de celui-ci pour que son application prévale comme partie des engagements réciproques assumés par les États signataires de l'APPRI. »



114. Il résulte toutefois de la sentence que la décision du tribunal arbitral sur la compétence rationae personae repose sur l'examen des seules dispositions du TBI dont l'analyse des termes le conduit à conclure que ce traité n'impose pas de restriction aux doubles nationaux vénézuéliens-espagnols pour faire valoir sa protection (§§197 et sq.). Les traités mentionnés aux paragraphes 176 et 177, auxquels se réfèrent les paragraphes 180 et 181, ne sont cités qu'au titre du « contexte factuel au moment de la conclusion du [TBI] », de sorte que ces références n'ont pas fondé la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, la cour relevant au surplus que la comparaison du TBI avec les autres traités signés par le Venezuela et l'Espagne avec des pays tiers avait été mise dans le débat par les consorts [C], ainsi que le rappelle la sentence (§§ 94 et sq.).



115. L'atteinte alléguée au principe de la contradiction n'est dès lors pas établie, le moyen développé de ce chef par la demanderesse, sous le double fondement de l'article 1520 4° et 5°, manquant en fait.



116. L'ensemble des moyens soutenus par la République Bolivarienne du Venezuela pour conclure à l'annulation de la sentence étant ainsi écartés, il y a lieu de rejeter le recours.





D. Sur la demande reconventionnelle fondée sur le caractère abusif de la procédure



117. Les consorts [C] sollicitent de la cour sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil qu'elle condamne le Venezuela au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 50 000 euros au titre du dommage qu'ils ont subi du fait du prétendu recours abusif engagé par le Venezuela. Ils soutiennent que :



- l'exercice d'un droit, y compris le droit d'ester en justice peut être sanctionné au titre de l'abus ;



- il n'est pas nécessaire de démontrer que cet abus de droit a été commis avec une intention de nuire, il suffit que le comportement de la partie qui agit soit fautif de telle sorte qu'il fasse l'exercice du droit en abus ;



- tel est le cas de la partie qui a conscience du caractère infondé de sa demande ;



- le Venezuela s'obstine à solliciter à titre principal l'annulation de la sentence sur la compétence au motif de l'incompétence ratione materiae, alors que la confirmation de la sentence sur ce point ne fait plus de doute à la suite du second arrêt de cassation ;



- l'acharnement du Venezuela s'inscrit dans le prolongement d'une logique d'obstruction systématique, mise en 'uvre dès l'arbitrage ;













- il ne fait aucun doute que son objectif est de retarder la procédure, en s'octroyant ainsi indûment un délai de grâce : rien qu'en France, le Venezuela est à l'origine de dix procédures et recours devant les juridictions civiles et pénales, s'ajoute à cela la tendance du Venezuela à procéder à une prolifération d'arguments tardifs ;



- les agissements du Venezuela dans cette procédure obligent les consorts [C] à continuer à agir et à se défendre en justice, occasionnant un préjudice financier et moral, qu'il serait injuste de leur faire supporter.



118. La République Bolivarienne du Venezuela réplique que :



- selon une jurisprudence constante, pour qu'un appelant soit condamné pour recours abusif, encore faut-il que son comportement soit fautif, faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice ;



- la durée de la procédure engagée n'est pas excessivement longue et, au vu du sérieux des arguments du Venezuela et des pièces apportées à leur soutien, ses prétentions ne sont pas manifestement infondées ;



- dès lors, les consorts [C] ne démontrent pas de comportement fautif de la part du Venezuela, correspondant à un abus justifiant l'allocation de dommages et intérêts, ce qui a pour conséquence que leur demande doit être déclarée infondée ;



- par ailleurs, les consorts [C] ne démontrent pas qu'ils auraient subi un préjudice, causé par la faute du Venezuela ;



- en tout état de cause, et si la demande des consorts [C] devait être jugée fondée dans son principe, elle ne le serait pas dans son quantum, dès lors qu'en sus d'une somme exorbitante au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les consorts [C] prétendent solliciter le paiement d'une somme excessive sans justifier le montant avancé.





SUR CE :



119. Selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.



120. Une telle condamnation suppose la démonstration d'une faute commise dans l'exercice du droit d'agir, susceptible de faire dégénérer l'action en abus, l'octroi de dommages et intérêts restant subordonné à l'existence d'un préjudice en lien de causalité avec cette faute, conformément aux dispositions de l'article 1240 du code civil.



121. L'exercice de ses droits par la République Bolivarienne du Venezuela ne saurait en l'espèce être considéré comme abusif, la cour relevant que les demandes formées dans le cadre de son recours en annulation ont été couronnées de succès devant la Cour de cassation à deux reprises, en quoi les conditions des dispositions précitées ne sont nullement réunies.



122. La demande de condamnation formée par les consorts [C] de ce chef doit dès lors être rejetée.



















E. Sur les frais et dépens



123. La République Bolivarienne du Venezuela, qui succombe, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.



124. Elle sera en outre condamnée à payer aux consorts [C] la somme de 150 000 euros sur le fondement du même article.





IV/ DISPOSITIF



Par ces motifs, la Cour :



1) Rejette les écritures signifiées par la République bolivarienne du Venezuela le 13 mars 2023 ;



2) Dit n'y avoir lieu à vérification d'écriture et au rejet de la pièce n° 18 produite par M. [Y] [C] [E] et Mme [D] [C] [U] ;



3) Déclare recevables les moyens d'annulation soutenus par la République Bolivarienne du Venezuela ;



4) Rejette le recours en annulation formé par la République Bolivarienne du Venezuela contre la sentence arbitrale sur la compétence rendue le 15 décembre 2014 dans l'affaire CPA n° 2013-3 ;



5) Rappelle qu'en application de l'article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;



6) Rejette la demande de condamnation formée par les consorts [C] pour procédure abusive ;



7) Condamne la République Bolivarienne du Venezuela à payer à M. [Y] [C] [E] et Mme [D] [C] [U] la somme totale de cent cinquante mille euros (150 000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



8) Condamne la République Bolivarienne du Venezuela aux dépens.





LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

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