1 June 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.269

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00626

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juin 2023




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 626 F-D

Pourvoi n° P 21-24.269

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M.[T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 septembre 2021.






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2023

M. [D] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-24.269 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société [Localité 3] Distribution, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [T], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [Localité 3] Distribution, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 octobre 2020) et les productions, M. [T] a été engagé le 9 juin 2011 par contrat à durée indéterminée en qualité d'employé commercial hôte de caisse par la société [Localité 3] distribution.

2. Après avoir été victime, le 29 mai d'un accident du travail, il a été en arrêt de travail jusqu'au 31 octobre 2013.

3. Licencié le 13 janvier 2014, pour faute grave pour absences injustifiées depuis le 1er novembre 2013, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de rappel d'heures supplémentaires et des congés payés afférents, alors :

« 1°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que pour rejeter la demande du salarié en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a affirmé, par motifs propres, que ‘' le salarié ne produit aucun décompte précis, se bornant à soutenir qu'il a été fait sommation à l'employeur de produire le cahier de pointage pour la période du 9 juin 2011 au 29 mai 2012'' et, par motifs adoptés des premiers juges, que ‘'les tableaux versés aux débats par Monsieur [T] ne sont pas suffisants pour étayer sa demande'‘ ; qu'en statuant ainsi, quand le salarié pouvait présenter tout type d'‘'éléments suffisamment précis'‘ autres qu'un décompte de son temps de travail, tels des plannings et bulletins de paie, pour justifier sa demande en paiement d'heures supplémentaires, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et fait peser sur la salariée la charge de la preuve de l'accomplissement d'heures supplémentaires, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en se bornant à affirmer, par motifs propres et adoptés, que ‘' le salarié ne produit aucun décompte précis (…) ni aucun autre élément de nature à étayer son calcul forfaitaire de 150 heures'‘ et que ‘' les tableaux versés aux débats par Monsieur [T] ne sont pas suffisants pour étayer sa demande'‘, sans cependant rechercher si les plannings de travail hebdomadaires et les bulletins de paie présentés aux débats par le salarié aux fins de démontrer l'existence d'heures supplémentaires et d'heures de nuit non payées n'étaient pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

5. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

6. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

7. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

8. Pour débouter le salarié de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié ne produit aucun décompte précis, se bornant à soutenir qu'il a été fait sommation à l'employeur de produire le cahier de pointage pour la période du 9 juin 2011 au 29 mai 2012, ni aucun autre élément de nature à étayer son calcul forfaitaire de 150 heures.

9. En statuant ainsi, sans rechercher si les plannings de travail hebdomadaires de janvier et avril 2012 ainsi que les bulletins de paie, invoqués par le salarié dans ses conclusions d'appel et produits aux débats, n'étaient pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter les autres demandes, notamment celle en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la durée du travail, alors « que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur ; que pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages et intérêts pour dépassement des durées journalières et hebdomadaires maximales de travail, la Cour d'appel a affirmé que ‘'les dommages et intérêts pour non-respect de la durée du travail ne sont pas dus, faute pour le salarié de démontrer une surcharge de travail ou encore un temps de travail excédant 48 heures par semaine ou 10 heures par jour'‘ ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles L. 3121-34, L. 3121-35 et L. 3121-36 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, ensemble l'article 1315 du Code civil, devenu 1353 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code :

11. Selon ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

12. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

13. Pour débouter le salarié de sa demande, l'arrêt retient que les dommages-intérêts pour non-respect de la durée du travail ne sont pas dus faute pour le salarié de démontrer une surcharge de travail ou encore un temps de travail excédant 48 heures par semaine ou 10 heures par jour.

14. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir respecté les durées maximales de travail prévues par le droit interne, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen relevé d'office

15. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 1226-7, L. 1226-9, L.1226-13, R. 4624-22 et R. 4624-23 du code du travail, ces deux derniers dans leur version applicable du 1er juillet 2012 au 1er janvier 2017 :

16. Il résulte des deux premiers de ces textes, qu'au cours des périodes de suspension du contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, l'employeur ne peut rompre le contrat de ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie. Dans le cas d'une rupture pour faute grave, l'employeur peut seulement reprocher au salarié des manquements à l'obligation de loyauté.
.
17. Selon les deux derniers, seul l'examen pratiqué par le médecin du travail dont doit bénéficier le salarié à l'issue des périodes de suspension lors de la reprise du travail met fin à la période de suspension du contrat de travail provoquée par un accident du travail.

18. Selon le troisième, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1226-9 est nulle.

19. Pour décider que le licenciement était fondé sur une faute grave et débouter le salarié de ses demandes au titre de la nullité de la rupture, l'arrêt, après avoir constaté que le salarié avait été absent du 29 mai 2012 au 31 octobre 2013 à la suite d'un accident du travail du 29 mai 2012 et que la lettre de licenciement lui reprochait une absence injustifiée depuis le 1er novembre 2013 malgré deux mises en demeure des 28 novembre et 9 décembre 2013, retient d'abord que, le salarié ne justifiant pas qu'il ait manifesté son intention de reprendre le travail ou qu'il ait sollicité l'employeur dans ce sens, ne peut reprocher à ce dernier l'absence de cette visite de reprise, que par ailleurs, le licenciement intervenu sans cette visite de reprise n'implique pas ipso facto la nullité de cette rupture, celle-ci n'étant encourue que si la faute grave alléguée n'est pas établie. Il ajoute que tant que le salarié n'a pas manifesté sa volonté de reprendre le travail ou demandé l'organisation de la visite de reprise, aucun manquement ne peut être reproché à l'employeur.

20. Il relève ensuite que le salarié ne démontre pas avoir adressé à l'employeur d'autres arrêts de travail après le 31 octobre 2013, si ce n'est un arrêt de travail du 1er décembre 2013 au 31 mars 2014 tandis que l'employeur établit avoir adressé deux mises en demeure des 28 novembre et 9 décembre 2013, de sorte qu'il en résulte une absence injustifiée entre le 1er novembre et le 30 novembre inclus, malgré au moins une mise en demeure dans ce laps de temps. Il en conclut que ce fait suffit à caractériser une faute grave et à fonder le licenciement intervenu.

21. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'en l'absence de visite de reprise organisée par l'employeur, le contrat de travail était demeuré suspendu, de sorte que l'employeur ne pouvait reprocher au salarié son absence, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé un manquement du salarié à son obligation de loyauté, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt rejetant les demandes du salarié au titre de la nullité de son licenciement entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant ses demandes de dommages-intérêts pour absence de visite médicale qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [T] de sa demande de rappel de salaire au titre d'un temps plein, l'arrêt rendu le 14 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société [Localité 3] distribution aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne société [Localité 3] distribution à payer à la société civile professionnelle Lyon-Caen et Thiriez la somme de 3 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à la l'aide judiciaire et de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.

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