25 May 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.843

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100299

Titres et sommaires

SANTE PUBLIQUE - Dispositifs médicaux - Importation, mise en service ou utilisation - Certification de conformité - Organisme notifié - Sous-traitant - Obligation de vigilance - Applications diverses

En présence d'indices laissant supposer qu'un dispositif médical ne serait pas conforme aux exigences qui découlent de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993, un organisme notifié est tenu de procéder au contrôle des dispositifs médicaux ou des documents du fabricant qui recensent les achats de matières premières ou à des visites inopinées. L'incohérence entre la quantité de gel commandé, dans la comptabilité du service achat que les auditeurs reconnaissent avoir contrôlée, et le nombre de prothèses fabriquées constitue une anomalie évidente dans le procédé de fabrication, suggérant que le dispositif médical en cause est susceptible d'être non conforme aux prescriptions de la directive et justifiant une visite des locaux du fabricant sans avertissement. Se contredit la cour d'appel qui juge que les manquements de l'organisme notifié et de son sous-traitant ont eu pour conséquence de permettre au fabricant d'apposer la certification CE sur ses prothèses d'avril 2001 à mars 2010, alors qu'elle a retenu que l'utilisation frauduleuse d'un gel non autorisé avait débuté à la fin de l'année 2002 et que les incohérences dans la comptabilité matière auraient dû être décelées lors de l'audit des 24 au 26 novembre 2004

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2023




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 299 FS-B

Pourvoi n° T 21-14.843





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2023

1°/ la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH, société de droit allemand, venant aux droits de la société TÜV Rheinland Products Safety GmbH, dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne),

2°/ la société TÜV Rheinland France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° T 21-14.843 contre l'arrêt RG n° 17/02231 rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [W] [R], domiciliée [Adresse 2], et 8515 parties.

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, six moyens de cassation.

Mme [N] et deux mille cent deux autres parties, Mme [I] et huit autres parties, représentées par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat, ont formé, respectivement, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt et invoquent, respectivement, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Mme [R] et six mille cinquante-cinq autres parties, représentées par la SCP Spinosi, avocat, ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt et invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer et les plaidoiries de Me Périer, avocat des sociétés TÜV Rheinland LGA Products GmbH et TÜV Rheinland France, de la SAS Buk Lament-Robillot et les plaidoiries de Me Robillot, avocat de Mme [N] et de deux mille cent deux autres parties, et de Mme [I] et huit autres parties, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, et plaidoiries de Me Pinatel, avocat de Mme [D] et de deux-cent-trente-trois autres parties, de la SCP Spinosi, avocat de Mme [R] et de six mille cinquante-cinq autres parties, et plaidoires de Me Spinosi, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de Mme [Y] et de cinquante-quatre autres parties, et plaidoiries de Me Gaschignard, et l'avis écrit et oral de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2021, RG n° 17/02231), la société Poly implant prothèse (la société PIP), qui fabriquait et commercialisait des implants mammaires, a demandé à la société TÜV Rheinland Product Safety GmbH, devenue la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH (la société TRLP), de procéder à l'évaluation du système de qualité mis en place pour la conception, la fabrication et le contrôle final, ainsi qu'à l'examen du dossier de conception de ces dispositifs médicaux, en sa qualité d'organisme notifié par les Etats membres à la Commission européenne et aux autres Etats membres, au sens de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux.

2. Une première inspection de certification a été réalisée auprès de la société PIP, suivie d'audits visant à renouveler la première certification. Ainsi, le 22 octobre 1997, la société TRLP a rendu une décision d'approbation du système de qualité de la société PIP, qu'elle a renouvelée les 17 octobre 2002, 15 mars 2004 et 13 décembre 2007. Le 25 février 2004, à la suite de la nouvelle classification des implants mammaires en classe III de la directive 93/42, la société PIP a soumis la conception du dispositif médical dénommé « implants mammaires pré-remplis de gel de silicone à haute cohésivité (IMGHC) » à la société TRLP, qui a délivré, le 15 mars 2004, un certificat d'examen CE, valable jusqu'au 14 mars 2009, et, le 27 mai 2009, saisie d'une nouvelle demande de la société PIP, un second certificat.

3. Ces audits ont été réalisés par ou avec des auditeurs de la société TÜV Rheinland France (la société TRF), également membre du groupe TÜV.

4. A la suite d'une inspection, les 16 et 17 mars 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a constaté que de nombreux implants avaient été fabriqués à partir d'un gel de silicone différent du gel de marque Nusil qui figurait dans le dossier de marquage CE de conformité aux dispositions de la directive. En raison du risque de rupture précoce des implants fabriqués par la société PIP et du caractère inflammatoire du gel utilisé, le ministère de la santé français et différentes autorités sanitaires étrangères ont recommandé aux femmes concernées de faire procéder, à titre préventif, à leur explantation.

5. Le 30 mars 2010, la société PIP a été placée en liquidation judiciaire et, par arrêt du 2 mai 2016, ses dirigeants ont été déclarés coupables des délits de tromperie aggravée et d'escroquerie et condamnés, l'enquête pénale ayant établi que la société PIP avait utilisé ce gel à compter du mois d'octobre 2002.

6. Le 14 avril 2014, la société B & S Centro de Excelencia en Cirurgia Plastica, clinique ayant utilisé des implants mammaires PIP, a assigné les sociétés TRLP et TRF en responsabilité, indemnisation et expertise quant à son préjudice.

7. Sont intervenues volontairement à l'instance aux mêmes fins les sociétés Peter Olandier Medica Forsalinings AB, Chang Sing Trading, Vaj Technology, Big One, E-Ximed Co Ltd et Vidal Medical, distributrices d'implants PIP, ainsi que de nombreuses personnes physiques porteuses d'implants, de nationalité française ou étrangère.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, du pourvoi principal des sociétés TRLP et TRF et les premiers moyens des pourvois incidents de Mme [I] et autres, Mme [N] et autres et Mme [R] et autres, réunis


8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses autres branches, des sociétés TRLP et TRF

Enoncé du moyen

9. Les sociétés TRLP et TRF font grief à l'arrêt de juger que la société TRLP, en sa qualité d'organisme notifié, a manqué à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance dans l'exercice de sa mission, que leurs responsabilités professionnelles sont « avérées » et qu'elles doivent réparer solidairement les préjudices matériels et immatériels causés aux distributeurs des produits de la société PIP et les préjudices corporels et/ou psychologiques causés aux porteuses d'implants mammaires de marque PIP, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'annexe II de la directive du 93/42/CEE du 14 juin 1993, telle qu'interprétée par la Cour de Justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017 (C-219/15), que l'obligation de vigilance à laquelle est tenu l'organisme notifié ne lui impose pas, en l'absence d'indices suggérant que les dispositifs concernés sont susceptibles d'être non conformes aux exigences découlant de cette directive, de vérifier les éléments comptables ou commerciaux relatifs à l'approvisionnement du fabricant en toutes matières entrant dans la composition des dispositifs fabriqués ; que, s'agissant de vérifier l'application par le fabricant des processus d'achat faisant partie du système de qualité certifié, l'organisme notifié est uniquement tenu de vérifier, au moyen d'audits périodiques et d'investigations réalisées par sondages, c'est-à-dire par la revue de documents, le questionnement de salariés, ou le suivi de lot(s) d'implants sélectionné(s) de façon aléatoire, que les matières premières sont commandées, réceptionnées, contrôlées, et stockées conformément au système de qualité certifié ; qu'en jugeant que les sociétés TRLP et TRF étaient tenues par principe de contrôler, par une analyse de la comptabilité matières du fabricant PIP, que celui-ci se fournissait de façon régulière et suffisante en gel de remplissage NuSil MED3-6300, lequel avait fait l'objet d'une fraude, quand une telle obligation ne relevait pas de l'exercice normal des obligations de l'organisme notifié et ne se serait imposée à celui-ci qu'en présence d'indices de non-conformité des dispositifs qu'elle n'a pas relevés, la cour d'appel a violé l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et les articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

2°/ que, devant les juges du fond, les sociétés TRLP et TRF avaient fait valoir qu'il résultait des normes professionnelles NF EN ISO 17021:2006, NF EN ISO 13485.2000 et ISO 9001:1994, auxquelles les organismes notifiés se réfèrent pour l'exécution de leurs missions, qu'hors le cas où ils auraient eu connaissance d'indices de non conformité des dispositifs médicaux, la mission de ces organismes était de procéder à des audits périodiques et à un contrôle par échantillonnage visant à vérifier l'application du système de qualité approuvé ; qu'en reprochant aux sociétés TRLP et TRF de ne pas avoir procédé à une inspection de la comptabilité matières pour contrôler spécifiquement que le fabricant PIP commandait de manière régulière et suffisante du gel de remplissage NuSil MED3-6300 pour alimenter sa production, quand de telles diligences ne pouvaient être attendues d'un organisme notifié qu'en présence d'indices de non-conformité qu'elle n'a pas relevés, la cour d'appel a violé l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et les articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

3°/ au surplus qu'en imposant à l'organisme notifié TRLP de contrôler que le fabricant PIP se fournissait de façon régulière et suffisante en gel de remplissage NuSil MED3-6300, la cour d'appel a mis à la charge de l'organisme notifié l'obligation de procéder à un contrôle complexe de cohérence comptable ; que, comme l'avaient fait valoir les sociétés TRLP et TRF devant les juges du fond, l'insuffisance des achats du gel NuSil MED3-6300 ne pouvait résulter du simple constat de la faiblesse ou de l'absence de commandes sur une période déterminée, mais imposait, à chaque audit, de recenser les commandes correspondant spécifiquement au gel NuSil MED3-6300 parmi les très nombreuses matières premières commandées par PIP pour l'ensemble de sa production d'implants, y compris implants mammaires et implants remplis d'autres matières de remplissage que de silicone, y compris d'autres références de matières premières en silicone de NuSil, d'isoler les quantités d'implants IMGHC produits (parmi tous les produits) pour en déduire la quantité de matière première correspondante nécessaire, et de procéder à un rapprochement entre ces données, en tenant compte notamment des stocks précédemment constitués ou d'éventuelles annulations de commandes, ce qui n'aurait eu de sens qu'en présence d'indices de non-conformité ; qu'en reprochant aux sociétés TRLP et TRF de ne pas avoir vérifié si la société PIP se fournissait de façon régulière et suffisante en gel de remplissage NuSil MED3-6300, quand une telle vérification ne se serait imposée qu'en présence d'indices de non-conformité des implants qu'elle n'a pas relevés, la cour d'appel a violé l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et les articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

4°/ subsidiairement, que ne peuvent constituer des indices imposant le recours à des mesures d'investigation additionnelles que des faits connus de l'organisme notifié et donnant à penser que les dispositifs concernés sont susceptibles de pas être conformes aux exigences essentielles découlant de
la directive 93/42/CEE ; qu'en relevant, pour juger que les sociétés TRF et TRLP auraient dû vérifier les éléments comptables ou commerciaux relatifs à l'approvisionnement en gel NuSil MED3-6300, que les implants mammaires en gel de silicone en général avaient fait l'objet depuis 1995 de plusieurs mesures de suspension en raison de suspicions sur des risques de rupture des enveloppes, ce qui avait entrainé leur intégration dans les dispositifs de classe III au sens de la directive 93/42/CEE, que le 20 décembre 2000, les implants mammaires en silicone IMGHC produits par la société PIP avaient fait l'objet d'une suspension levée le 18 avril 2001 après examen de pièces justificatives fournies par le fabricant, qu'en mai 2000 l'administration américaine avait refusé, par une décision non communiquée à l'organisme notifié, une autorisation de mise sur le marché de ces implants en silicone, que la société TRLP avait eu connaissance « d'incidents » de matériovigilance sur le territoire français, et que les autorités britanniques avaient informé les autorités sanitaires allemandes de ruptures, faits qui au regard de leur nature, de leur date, de leur lieu, et/ou de l'absence de connaissance par les sociétés TRF et TRLP, ne pouvaient être regardés comme des indices mettant à la charge de ces sociétés une obligation de vigilance renforcée pouvant impliquer un contrôle de cohérence de la comptabilité matières, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser l'existence d'indices de non-conformité des implants IMGHC imposant aux sociétés TRLP et TRF de vérifier que la société PIP commandait de façon régulière et suffisante des quantités de gel NuSil MED3-6300, et a violé l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et les articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

5°/ qu'il ne saurait plus encore être reproché à l'organisme notifié de ne pas avoir procédé à un examen de la comptabilité matières pour contrôler spécifiquement que le fabricant commandait de façon régulière et suffisante une des matières entrant dans la composition, la fabrication ou la stérilisation du dispositif qu'en présence d'indices laissant soupçonner une fraude portant sur l'achat ou l'utilisation de cette matière ; qu'en déduisant des prétendus « indices » susvisés, l'obligation pour les sociétés TRLP et TRF d'analyser la comptabilité matières de l'entreprise PIP afin de contrôler que ce dernier se fournissait de façon régulière et suffisante en gel NuSil MED3-6300 pour alimenter sa production d'implants IMGHC, quand aucun de ces indices allégués ne portait, en outre, sur une défaillance du gel de remplissage des implants, la cour d'appel a violé l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et les articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

7°/ qu'en jugeant, par motifs adoptés des premiers juges, que « des affaires judiciaires ont opposé en Grande Bretagne la SA P.I.P. a de nombreuses porteuses britanniques d'implants victimes » et que ce fait « n'a pu en aucun cas échapper à la veille professionnelle des organismes inscrits sur la liste
des « Notifiés » de la Commission de Bruxelles », sans préciser sur quels éléments elle se fondait pour affirmer que la société TRLP aurait eu connaissance de ces plaintes, ni répondre aux conclusions par lesquelles les sociétés TRLP et TRF avaient fait valoir à hauteur d'appel que le tribunal n'avait fait que reprendre une affirmation non étayée de certaines demanderesses selon laquelle des « centaines de plaintes » auraient été déposées au Royaume-Uni, alors qu'il résultait au contraire du rapport établi par l'AFSSAPS et la Direction générale de la santé à la suite de la révélation de la fraude que seule une vingtaine de plaintes isolées avaient au total été déposées au Royaume-Uni, sans que les autorités sanitaires britanniques ou européennes n'en soient informées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°/ de même, qu'en jugeant, par motifs adoptés des premiers juges, que « les multiples déclarations de matériovigilance concernant les produits de la SA P.I.P » n'avaient également pu échapper à « la veille professionnelle des organismes inscrits sur la liste des « Notifiés » de la Commission de Bruxelles », sans répondre aux conclusions par lesquelles les sociétés TRLP et TRF avaient fait valoir à hauteur d'appel que, contrairement aux affirmations du jugement, il résultait du rapport établi par l'AFSSAPS et la Direction générale de la santé que sur la période allant de 2002 à 2007, le taux cumulé de rupture des implants en gel de silicone de PIP, qui oscillait autour de 0,04 %, était demeuré dans la moyenne des taux cumulés de rupture des implants en gel de silicone d'autres fabricants, une augmentation n'étant constatée qu'à la fin de l'année 2009, ni préciser en quoi les données connues des sociétés TRLP et TRF, qui n'étaient pas destinataires des déclarations de matériovigilance aux termes de la réglementation, imposaient ainsi le recours à des mesures additionnelles, alors que tout dispositif médical génère nécessairement des déclarations de matériovigilance et que seul le constat d'une hausse subite des déclarations ou le dépassement du taux moyen aurait été de nature à laisser présumer une non-conformité d'un dispositif médical, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

9°/ enfin, qu'il résulte de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017 (C-219/15, § 40), que l'organisme notifié ne supporte aucune obligation de procéder à un contrôle des dispositifs eux-mêmes, à des visites inopinées ou à une visite dans les locaux des fournisseurs, sauf en présence d'indices laissant suggérer une non-conformité des dispositifs aux exigences essentielles de la directive ; qu'à supposer adoptés les motifs par lesquels le tribunal de commerce a relevé que « la société TUV n'a pas effectué durant son mandat Menu [venu ?] de Bruxelles, le moindre prélèvement sur la chaîne, pendant et en fin de fabrication, d'un quelconque implant pour en analyser ses composants comme le lui prescrivait la Directive », qu'elle s'était contentée « d'aviser par avance la direction de la SA P.I.P. de sa prochaine venue pour ('inspection quasi-annuelle », et qu'elle n'avait procédé à aucune visite dans les locaux du fabricant américain NuSil, la cour d'appel a violé l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et les articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil. »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'annexe II des articles R. 665-1 à R. 665-47 du code de la santé publique et de l'article R. 5211-40 du même code, transposant en droit interne l'annexe II de la directive 93/42, modifiée par le règlement n° 1882/2003 du 29 septembre 2003, successivement applicables, le fabricant fournit à l'organisme habilité les informations utiles pour s'assurer du respect des obligations attachées à son système de qualité et il l'autorise à effectuer toutes les inspections nécessaires, et cet organisme procède périodiquement aux inspections et évaluations appropriées et il peut, lors de visites inopinées, réaliser ou faire réaliser des essais pour vérifier le fonctionnement du système de qualité.

11. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, les dispositions de l'annexe II de la directive 93/42, telle que modifiée par le règlement n° 1882/2003, doivent être interprétées en ce sens que, si l'organisme notifié n'est pas tenu, de manière générale, de faire des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d'examiner les documents commerciaux du fabricant, cet organisme, en présence d'indices suggérant qu'un dispositif médical est susceptible d'être non conforme aux exigences découlant de cette directive telle que modifiée, doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de s'acquitter de ses obligations au titre de l'article 16, paragraphe 6, de ladite directive et des points 3.2, 3.3, 4.1 à 4.3 et 5.1 de l'annexe II de celle-ci (CJUE, 16 février 2017, Schmitt, C-219/15).

12. Il résulte de cette décision que, en présence d'indices laissant supposer qu'un dispositif médical ne serait pas conforme aux exigences qui découlent de la directive 93/42, un organisme notifié est tenu de procéder au contrôle des dispositifs médicaux ou des documents du fabricant qui recensent les achats de matières premières ou à des visites inopinées (1re Civ., 10 octobre 2018, pourvoi n° 15-26.093).

13. Après avoir relevé que, lors des audits de surveillance et de certification effectués entre novembre 2004 et février 2009, le service achat de la société PIP avait été contrôlé et qu'il ressortait des auditions de certificateurs des sociétés TRLP et TRF recueillies au cours de l'enquête pénale que la vérification de l'approvisionnement des matières premières constituait l'une des premières étapes d'un audit de surveillance, la cour d'appel a constaté que l'enquête pénale avait établi l'existence d'une chute brutale d'achat de gel Nusil à compter de 2002 par la société PIP et l'absence de tout achat de ce gel au cours de l'année 2004, alors que celle-ci avait produit pendant cette même année environ vingt mille prothèses IMGCH, soit l'équivalent des trois années antérieures, et que, si la société PIP faisait disparaître les achats de gel non autorisé de la base achat informatique, aucune falsification n'était opérée dans cette base achat et dans la comptabilité concernant la fourniture de gel Nusil.

14. Elle a retenu que l'absence de tout achat de gel en 2004, ainsi que l'incohérence entre la quantité de gel commandé et le nombre de prothèses fabriquées constituaient une anomalie évidente dans le procédé de fabrication, suggérant que le dispositif médical en cause était susceptible d'être non conforme aux prescriptions de la directive et justifiant une visite des locaux sans avertissement, laquelle aurait nécessairement conduit les auditeurs des sociétés TRLP et TRF à découvrir la substitution de gel, les manoeuvres pour dissimuler les gels non homologués n'ayant été mises en place par les employés de la société PIP que lorsque ceux ci avaient été informés de la survenance d'un audit, et que, de même, une simple interrogation du fournisseur du seul gel autorisé sur les quantités livrées aurait permis de confirmer que les prothèses produites étaient nécessairement remplies à l'aide d'une autre substance.

15. Elle n'a pu qu'en déduire que la société TRLP avait manqué à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance dans l'exercice de sa mission et engagé ainsi sa responsabilité.

16. Inopérant en ses quatrième, septième et huitième branches critiquant des motifs surabondants, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le sixième moyen du pourvoi principal des sociétés TRLP et TRF

Enoncé du moyen

17. La société TRF fait grief à l'arrêt de juger que sa responsabilité professionnelle est « avérée » et qu'elle doit réparer, solidairement avec la société TRLP, les préjudices matériels et immatériels causés aux distributeurs des produits de la société PIP et les préjudices corporels et/ou psychologiques causés aux porteuses d'implants mammaires de marque PIP, alors :

« 1°/ que la responsabilité d'une société ne peut être mise en jeu sans qu'il ne soit relevé l'existence, à son égard, d'un fait générateur de responsabilité ; qu'en jugeant que la responsabilité professionnelle de la société TRF était avérée et qu'elle était tenue de réparer, solidairement avec la société TRLP, les préjudices matériels et immatériels causés aux distributeurs de produits de la SA PIP ainsi que les préjudices corporels et/ou psychologiques causés aux porteuses d'implants mammaires de marque PIP, sans relever l'existence d'une quelconque faute commise par TRF, la xour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

2°/ en toute hypothèse que le contrôle des opérations d'audit et la délivrance et le maintien des certificats au fabricant relèvent de la seule responsabilité de l'organisme notifié et non des sous-traitants ou personnels auxquels celui-ci est autorisé à recourir dans les conditions prévues par la directive 93/42/CEE ; qu'en jugeant que la société TRF avait engagé sa responsabilité à l'égard des demanderesses personnes physiques, cliniques et distributeurs, au motif inopérant qu'elle aurait « participé » aux opérations et qu'elle se serait contractuellement « engagée à effectuer une mission de contrôle, d'inspection et de service dans le cadre des opérations de certification », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles l'article R. 5211-40 du code de la santé publique et des articles 3.3 et 5 de l'annexe II de la directive 93/42/CEE, ensemble l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

3°/ en outre qu'en relevant que la société TRF s'était « engagée contractuellement à effectuer une mission de contrôle, d'inspection et de service dans le cadre des opérations de certification », quand il ne résultait d'aucune des mentions des contrats conclus entre les sociétés PIP, TRLP et TRF que cette dernière se serait contractuellement engagée à effectuer de telles missions ou qu'elle se serait engagée à assumer la mission d'organisme notifié, la Cour d'appel a dénaturé l' « agreement » et l' « Acknowledgement » conclus entre TÜV Rheinland et PIP les 15 et 21 octobre 1997 ainsi que le « General agreement » conclu entre TÜV Rheinland et PIP les 13 et 20 juin 2001, en violation de l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

18. Conformément au point 2 de l'annexe XI des articles R. 665-1 à R. 665-47 du code de la santé publique et à l'article R. 5211-56, du même code, successivement applicables, d'une part, un organisme habilité peut confier à un sous-traitant des travaux spécifiques portant sur la constatation et la vérification de faits, à condition de s'assurer préalablement que les dispositions du livre V bis du code précité, dans sa rédaction applicable en la cause, et, en particulier, de l'annexe XI des articles R. 665-1 à R. 665-47, laquelle fixe les critères minimaux pour la désignation des organismes habilités, soient respectées par le sous-traitant, d'autre part, le personnel chargé du contrôle doit exécuter les opérations d'évaluation et de vérification avec la plus grande compétence requise dans le secteur des dispositifs médicaux.

19. La cour d'appel a retenu qu'en application d'un contrat conclu le 21 octobre 1997 entre les sociétés PIP, TRLP et TRF, la société TRF avait, en qualité de sous-traitante, participé conjointement avec la société TRLP aux opérations de vérification ayant permis à la société PIP d'obtenir le certificat CE le 15 mars 2004 et aux nombreux audits de surveillance entre novembre 2004 et février 2009 et qu'elle avait, comme la société TRLP, manqué à ses obligations de vigilance lors des contrôles effectués au service achats.

20. Elle a pu en déduire que la société TRF avait manqué aux engagements inhérents à l'exercice de sa mission et engagé ainsi sa responsabilité.

21. Inopérant en sa troisième branche qui critique des motifs surabondants, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le second moyen du pourvoi incident de Mme [R] et autres

Enoncé du moyen

22. Mme [R] et autres font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulon du 20 janvier 2017 en ce qu'il a dit que l'intervention de TRF dans le dossier de certification avait été réalisée en fraude des dispositions de la directive 93/42 CEE, alors :

« 1°/ d'une part, qu'en vertu de l'Annexe XI, point 2, de la directive 93/42/CEE, l'organisme notifié ne peut confier à un sous-traitant que « des travaux spécifiques […] portant sur la constatation et la vérification des faits » ; qu'en se bornant à constater que la société TRF, qui avait effectué au profit de la société PIP des opérations complètes d'audit et de vérifications, avait exercé « cette activité en qualité de sous-traitant de la société TRLP » au sens de l'article R. 4211-56 du code de la santé publique, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la société TRF n'était pas intervenue dans le processus de certification au-delà des travaux spécifiques portant sur la constatation et la vérification de faits, de sorte qu'elle ne pouvait pas être qualifiée de sous-traitant au sens de l'Annexe XI de la directive et l'article R. 4256-11 du code de la santé publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ces textes ;

2°/ d'autre part, que l'Annexe XI de la directive 93/42/CEE impose à l'organisme notifié qui confie des tâches à un sous-traitant dans l'exercice de sa mission de certification de s'assurer que ce sous-traitant satisfait lui-même aux exigences de compétence et d'indépendance du personnel en charge des contrôles fixées par la directive ; qu'en se bornant à constater que la société TRF, qui avait effectué au profit de la société PIP des opérations complexes d'audit et de vérifications, avait exercé « cette activité en qualité de sous-traitant de la société TRLP » au sens de l'article R. 4211-56 du code de la santé publique (page 320 de l'arrêt), sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée si la société TRF, qui n'était pas un organisme notifié au sens de la directive 93/42/CEE, disposait des compétences, de la documentation et de l'indépendance requises pour s'acquitter des tâches qui lui étaient confiées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'Annexe XI de la directive 93/42/CEE et de l'article R. 5211-56 du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

23. En retenant que la société TRF avait exercé l'activité de sous-traitant prévue à l'article R. 5211-56 code de la santé publique, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendument omise alléguée par la première branche et n'était dès lors pas tenue de procéder à celle invoquée par la seconde branche que ses constatations rendaient inopérante.

24. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal des sociétés TRLP et TRF

Enoncé du moyen

25. Les sociétés TRLP et TRF font le même grief à l'arrêt, alors « que, en jugeant que le défaut de vigilance allégué des sociétés TRLP et TRF avait eu pour conséquence de permettre à la société PIP d'apposer la certification CE sur les implants IMGHC dès avril 2001, quand il résultait de ses constatations que les incohérences que les sociétés TRLP et TRF auraient prétendument dû déceler dataient de 2004 voire de 2002 et que l'utilisation frauduleuse d'un gel de remplissage non homologué avait débuté à la fin de l'année 2002, la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

26. La recevabilité du moyen est contestée en défense. Il est soutenu que le moyen est nouveau et mélangé de fait.

27. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée.

28. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

29. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à une absence de motifs.

30. Pour condamner les sociétés TRLP et TRF à réparer l'ensemble des préjudices matériels et immatériels causés aux distributeurs des produits de la société PIP et les préjudices corporels et/ou psychologiques causés aux porteuses d'implants mammaires PIP, l'arrêt retient que les manquements des sociétés TRLP et TRF ont eu pour conséquence de permettre à la société PIP d'apposer la certification CE sur les prothèses IMGHC d'avril 2001 à mars 2010.

31. En statuant ainsi, après avoir retenu que l'utilisation frauduleuse d'un gel non autorisé avait débuté à la fin de l'année 2002 et que les incohérences dans la comptabilité matière qui auraient dû être décelées lors de l'audit des 24 au 26 novembre 2004, tenant notamment à l'absence d'achat de gel Nusil cette année-là alors que la société PIP avait produit environ 20 000 prothèses IMGHC, étaient postérieures, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et les pourvois incidents de Mme [I] et autres et de Mme [N] et autres qui ne sont qu'éventuels, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la société TÜV Rheinland Product Safety GmbH, devenue la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH, en sa qualité d'organisme notifié, a manqué à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance dans l'exercice de sa mission, que la responsabilité professionnelle de la société TÜV Rheinland France est avérée et que l'intervention de cette société en qualité de sous-traitante de la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH est licite, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Laisse à chacune des parties les dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.