11 May 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.472

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00525

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE - Succession de contrats à durée déterminée - Demande de requalification - Requalification en contrat à durée indéterminée - Action en justice - Limites - Période non prescrite - Détermination - Point de départ - Saisine de la juridiction - Effets - Requalification du premier contrat irrégulier non atteint par la prescription - Portée

Il résulte des articles L. 1471-1 et L.1245-1 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail et, lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat. En ces cas, le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d'une ancienneté à compter du premier contrat irrégulier non atteint par la prescription

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE - Formalités légales - Contrat écrit - Défaut - Effets - Requalification en contrat à durée indéterminée - Action en justice - Prescription - Délai - Point de départ - Détermination - Portée

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE - Formalités légales - Mentions obligatoires - Défaut - Effets - Requalification en contrat à durée indéterminée - Action en justice - Prescription - Délai - Point de départ - Détermination - Portée

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 525 FS-B

Pourvoi n° Q 20-22.472

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [J].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 novembre 2020.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2023

M. [W] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-22.472 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant à la société Liardet et fils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [J], de la SCP Lesourd, avocat de la société Liardet et fils, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Sornay, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Rouchayrole, Flores, Mmes Lecaplain-Morel, Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 mai 2019), M. [J] a travaillé en qualité d'ouvrier agricole pour la société Liardet et fils suivant quatre contrats à durée déterminée saisonniers du 16 juin 2014 au 25 avril 2016.

2. Etranger résidant en France, il n'a plus été, à compter du 15 juin 2015, en possession d'un titre de séjour l'autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. La relation de travail a été rompue par l'employeur le 23 mars 2016.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 31 mai 2017 afin d'obtenir la requalification, à compter du 16 juin 2014, de ses contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de ce contrat.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de requalifier les seuls contrats de travail à durée déterminée des 1er juillet 2015 au 5 octobre 2015 et 9 novembre 2015 au 25 avril 2016 en un contrat de travail à durée indéterminée, avec effet seulement au 1er juillet 2015, alors « que les effets de la requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée remontent à la date de la conclusion du premier contrat à durée déterminée irrégulier ; que partant, en retenant ''que le point de départ du délai de prescription sera fixé au 31 mai 2017, date de la saisine du conseil de prud'hommes, de sorte que l'action ne peut porter que sur les contrats conclus postérieurement au 31 mai 2015'', pour procéder ''à la requalification des contrats de travail à durée déterminée des 1er juillet 2015 au 5 octobre 2015 et 9 novembre 2015 au 25 avril 2016 en contrat de travail à durée indéterminée, avec effet au 1er juillet 2015'', quand elle avait constaté que le salarié avait été embauché sur les périodes du 16 juin 2014 au 8 août 2014, du 13 novembre 2014 au 23 juin 2015, du 1er juillet 2015 au 5 octobre 2015, et du 9 novembre 2015 au 25 avril 2016, ce dont il résultait que les effets de la requalification remontaient au 16 juin 2014, date de conclusion du premier contrat de travail irrégulier, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1245-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

7. En application de l'article L. 1245-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier.

8. Il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail et, lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat. En ces cas, le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d'une ancienneté à compter du premier contrat irrégulier non atteint par la prescription.

9. L'arrêt constate, d'abord, que le salarié a été embauché sur les périodes du 16 juin 2014 au 8 août 2014, du 13 novembre 2014 au 23 juin 2015, du 1er juillet 2015 au 5 octobre 2015 et du 9 novembre 2015 au 25 avril 2016 et qu'il fait valoir, à l'appui de sa demande en requalification, d'une part, que le formalisme n'a pas été respecté, en l'absence d'écrit ou de signature de sa part, d'autre part, que le motif du recours ne peut avoir pour objet de pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

10. Après avoir jugé que la nature et la périodicité des missions confiées au salarié ne permettent pas de douter du caractère saisonnier de l'activité exercée, rejetant ainsi la demande de requalification des contrats à durée déterminée fondée sur le motif du recours, l'arrêt relève encore que la date de la saisine du conseil de prud'hommes est celle du 31 mai 2017 et retient que l'action en requalification fondée sur une irrégularité de forme du contrat ne peut porter que sur les contrats conclus postérieurement au 31 mai 2015.

11. Ayant retenu que, sur les quatre contrats conclus entre le 16 juin 2014 et le 25 avril 2016, d'une part, ceux datés des 13 novembre 2014 et 12 (en réalité 9) novembre 2015, seuls produits aux débats, comportaient des signatures dont la comparaison avec les pièces du dossier ne permettait pas d'affirmer avec certitude que le salarié en était bien l'auteur, d'autre part, que l'employeur soutenait, sans le démontrer, que le salarié avait délibérément refusé de signer les autres, la cour d'appel a, par une juste application des règles relatives à la prescription, requalifié en contrat à durée indéterminée les seuls contrats à durée déterminée des 1er juillet 2015 au 5 octobre 2015 et 9 novembre 2015 au 25 avril 2016 et elle a précisé, à bon droit, que la requalification prononcée prenait effet le 1er juillet 2015, jour de l'engagement du salarié par le premier de ces deux contrats irréguliers.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

13. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture, outre congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ qu'il résulte des articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail qu'en l'absence de mise en oeuvre d'une procédure de licenciement, la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le salarié exposait que la relation de travail avait été rompue à l'initiative de l'employeur de manière anticipée, avant la survenance du terme du contrat de travail, sans qu'aucune procédure de licenciement n'ait été mise en place, et en déduisait qu'en l'absence de lettre de licenciement, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que partant, en retenant, pour débouter le salarié de ses demandes indemnitaires, que ''l'employeur n'aurait pas été tenu, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, de suivre la procédure spécifique de licenciement'', la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail ;

2°/ qu'il résulte des articles L. 1232-6, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail que si l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail, elle n'est pas constitutive en soi d'une faute privative des indemnités de rupture; que dès lors, en retenant que ''compte tenu de ce qui précède, il ne peut être fait grief à la société Liardet et fils d'avoir mis un terme à la relation de travail, le maintien du salarié dans l'emploi n'étant plus possible faute d'être titulaire d'un titre de séjour irrégulier'' et que ''l'employeur n'aurait pas été tenu, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, de suivre la procédure spécifique de licenciement'', pour débouter le salarié de ses demandes tendant au paiement des indemnités de licenciement et de congés payés afférents, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-6, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. »

Réponse de la Cour

14. L'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l'application des dispositions relatives au licenciement et de l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais elle n'est pas constitutive en soi d'une faute privative des indemnités de rupture.

15. L'arrêt relève que, lors de sa première embauche, le salarié était muni d'un titre de séjour valide et que celui-ci a expiré le 15 juin 2015.

16. La cour d'appel en exactement déduit que l'employeur n'était pas tenu de suivre la procédure spécifique de licenciement et que n'étaient pas fondées les demandes du salarié tendant à la reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et au paiement d'indemnités subséquentes.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une somme au titre de l'indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire pour la période d'emploi illicite, alors « qu'aux termes de l'article L. 8252-2 du code du travail, le salarié étranger ayant été employé de manière illicite à droit au paiement d'une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'addition du préavis et de l'indemnité de licenciement ne soient plus favorables ; que pour débouter le salarié de sa demande sur ce fondement, la cour d'appel a retenu qu'il n'était ''pas établi que l'employeur avait connaissance du non renouvellement de son titre de séjour lors de la troisième embauche, alors que déjà embauché en juin et novembre 2014, alors qu'il était titulaire d'un titre régulier, l'employeur pouvait légitimement s'abstenir de se livrer à un contrôle administratif'' ; qu'en se prononçant en ce sens, par des motifs inopérants, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le salarié n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité lors de la troisième embauche, de sorte que le caractère illicite de l'emploi du salarié était établi, la cour d'appel a violé l'article L. 8252-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 8252-2, 2° du code du travail :

19. Selon ce texte, l'étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France a droit, au titre de la période d'emploi illicite, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ne conduise à une solution plus favorable.

20. Pour rejeter la demande du salarié en paiement de l'indemnité forfaitaire de trois mois de salaire, l'arrêt retient que le titre de séjour de l'intéressé a expiré le 15 juin 2015 et qu'il n'est pas établi que l'employeur avait connaissance du non-renouvellement de ce titre le 1er juillet 2015 lors de la troisième embauche du salarié, lequel par ailleurs ne conteste pas avoir quitté son poste de travail le 18 mars 2016 à la suite d'un contrôle des services de police.

21. L'arrêt conclut, qu'il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir mis un terme à la relation de travail, le maintien du salarié dans l'emploi n'étant plus possible faute pour celui-ci d'être titulaire d'un titre de séjour régulier.

22. En statuant ainsi alors que l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger n'est pas constitutive en soi d'une faute grave, de sorte que la rupture de son contrat de travail pour perte de l'autorisation de travailler en France ouvrait au salarié droit à l'indemnité forfaitaire de trois mois de salaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [J] de ses demandes en paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8252-2, 2°, du code du travail, et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 2 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Liardet et fils aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Liardet et fils et la condamne à payer à la SCP Lyon-Caen et Thiriez la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois.

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