19 April 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/07869

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 19 AVRIL 2023

(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07869 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWAF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - Section Encadrement chambre 4 - RG n° F18/05906





APPELANT



Monsieur [V] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Xavier SAUVIGNET, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉE



SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Arnaud CHAULET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461















COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, chargé du rapport et Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère





Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats















ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Monsieur [V] [B] a été engagé par la Société Générale, pour une durée indéterminée à compter du 1er janvier 1994, en qualité de chef de service adjoint.



En 2001, Monsieur [B] a été élu délégué du personnel, membre du CHSCT et du CE.



Il exerçait en dernier lieu les fonctions de chargé de financements structurés, avec le statut de cadre.



La relation de travail est régie par la convention collective de la Banque.



Le 30 juillet 2018, Monsieur [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à une discrimination syndicale.



Il a fait valoir ses droits à la retraite à effet au 1er juillet 2019.



Par jugement du 10 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris, après avoir retenu l'existence d'une discrimination syndicale, a condamné la Société Générale à payer à Monsieur [B] 5 000 € de dommages et intérêts pour préjudice économique au titre de la rémunération de base, une indemnité pour frais de procédure de 1 000 €, les dépens et l'a débouté de ses autres demandes.



Monsieur [B] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 novembre 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.



Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 décembre 2022, Monsieur [B] demande la confirmation du jugement en ce qui concerne le principe de la condamnation à des dommages et intérêts pour le préjudice économique au titre de la rémunération de base, ainsi qu'au paiement de l'indemnité pour frais de procédure, son infirmation pour le surplus et forme les demandes suivantes :



A titre principal, par arrêt avant dire droit, qu'il soit ordonné à la Société Générale la communication des éléments suivants, sous astreinte de 150 € par jour de retard dans le délai d'un mois, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte ordonnée :



- l'ensemble de ses entretiens de carrière et de ses entretiens individuels d'évaluation sur l'intégralité de sa carrière au sein du groupe Société Générale ;



- la liste nominative de tous les salariés titulaires d'un diplôme de niveau bac+5 embauchés dans les services centraux de la Société Générale entre 1990 et 1998, et encore présents au 31 décembre 2017, ainsi que pour chacun d'entre eux les informations suivantes : leurs dates de passage de coefficient, niveau et classification, leur âge, leur rémunération brute annuelle en distinguant tous les éléments de rémunération (salaire de base, primes et indemnités de chaque nature), pour les années 2001 à 2017, ainsi que les bulletins de salaires correspondants ;



A titre subsidiaire, Monsieur [B] demande la condamnation de la Société Générale à lui payer les sommes suivantes :



- dommages et intérêts pour préjudice économique au titre de la rémunération de base : 482 714 € ;



- dommages et intérêts pour préjudice économique au titre de la rémunération variable : 390.386,10 € ;



- dommages et intérêts pour préjudice tiré des pertes de rémunération induites : 70 000 € ;



En tout état de cause, il demande la condamnation de la Société Générale à lui payer les sommes suivantes :



- dommages et intérêts pour préjudice moral : 50 000 € ;

- dommages et intérêts pour harcèlement moral discriminatoire : 50 000 € ;

- dommages et intérêts pour violation des accords collectifs : 15 000 € ;

- indemnité pour frais de procédure : 9 000 € ;

- les intérêts au taux légal avec capitalisation ;

- il demande également que soit ordonnée la publication de la décision à intervenir à l'entrée de tous les établissements des services centraux parisiens de la société, ainsi que dans le rapport annuel de son conseil d'administration, sous astreinte de 150 € par publication et par jour de retard dans un délai de 15 jours suite à la décision de la cour,

- ainsi que le rejet des demandes de la Société Générale.



Au soutien de ses demandes et en réplique à l'argumentation adverse, Monsieur [B] expose que :



- sa carrière a totalement cessé d'évoluer depuis son engagement syndical, alors que ses compétences étaient reconnues et son salaire a stagné ; en 2006, il a reçu une proposition d'évolution subordonnée à l'abandon de tout ou partie de ses mandats syndicaux ; la discrimination est également mise en lumière par la comparaison avec les statistiques de l'employeur ; l'employeur a refusé de valoriser ses compétences ; il a également été victime de harcèlement discriminatoire, éléments qui laissent présumer l'existence d'une discrimination syndicale ;



- de son côté, l'employeur ne démontre pas que le traitement qu'il lui a réservé est sans rapport avec ses activités syndicales ;



- ses demandes ne sont pas prescrites ;



- il rapporte la preuve de ses différents préjudices ;



Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 janvier 2023, soulève, à titre principal, l'irrecevabilité des demandes de Monsieur [B] en raison de la prescription et à titre subsidiaire, demande qu'il soit débouté de ses demandes. Elle demande en conséquence l'infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, sa confirmation en ce qu'il a rejeté ses autres demandes, ainsi que la condamnation de Monsieur [B] à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 5 000 €. A titre subsidiaire, elle demande que le montant dommages et intérêts qui seraient accordés soit réduit "à de plus justes proportions". Elle fait valoir que :



- les demandes de Monsieur [B] sont prescrites ;



- aucun des griefs de Monsieur [B] n'est fondé ;





- sa demande de communication de documents est en réalité destinée à contourner les règles applicables en matière de charge de la preuve, alors qu'il dispose de suffisamment d'éléments ;



- Monsieur [B] ne justifie pas des préjudices allégués.



L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2023.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.




* * *



MOTIFS





Sur la prescription



Aux termes de l'article L.1134-5 du code du travail, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.



Il résulte des dispositions de l'article 2224 du code civil, que la révélation susvisée correspond au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.



Par ailleurs, le salarié est recevable à se prévaloir de faits se situant pendant une période prescrite, dès lors qu'ils n'ont pas cessé de produire leurs effets à une date qui n'est pas atteinte par la prescription .



En l'espèce, Monsieur [B] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 30 juillet 2018, de demandes relatives à une discrimination syndicale qui se serait poursuivie jusqu'à la fin de sa carrière, soit jusqu'à son départ en retraite le 1er juillet 2019, est donc recevable en ses demandes.





Sur la demande de production de pièces



Il résulte de l'examen des pièces produites par les deux parties que celle-ci sont suffisantes à la solution du litige, sans qu'une condamnation à produire celles réclamées par Monsieur [B] apparaisse nécessaire.



C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a rejeté cette demande.





Sur l'allégation de discrimination



Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, notamment en raison de ses activités syndicales.





L'article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



En l'espèce, embauché en 1994, Monsieur [B] a été élu délégué du personnel, membre du CHSCT et du CE en 2001.



- Il soutient tout d'abord qu'il n'a bénéficié d'aucune évolution de carrière, jusqu'à son départ de l'entreprise, puisqu'il est toujours resté au niveau 06A de la convention collective de la banque, correspondant au niveau I résultant de la grille de correspondance mise en place en 2000, alors qu'il faisait l'objet d'évaluations élogieuses.



Il estime à juste titre que, même si l'évolution de carrière n'est pas automatiquement liée à l'ancienneté du salarié, cette stagnation pendant une période aussi longue, et non justifiée par des performances médiocres, laisse supposer l'existence d'une discrimination.



- Monsieur [B] expose ensuite que son salaire stagnait depuis 2001 et il résulte de la fiche signalétique qu'il produit, ainsi que des explications concordantes des parties sur ce point, que, de janvier 1994, date de son embauche à 2001, date de sa première candidature aux élections des représentants du personnel, sa rémunération brute annuelle est passée de 48 021,44 € (après conversion des francs en euros) à 52 130 €, ce qui représente une augmentation d'environ 8,55 % en 7 ans, soit 1,22 % par an et que, de 2001 à 2019, année de son départ à la retraite, cette rémunération est passée de 52 130 € à 61 400 €, ce qui représente une augmentation d'environ 17,78 % en 18 ans, soit 0,98 % par an.



Cette diminution de l'augmentation salariale coïncidant avec l'engagement syndical de Monsieur [B] laisse supposer l'existence d'une discrimination.



- Monsieur [B] expose également que la discrimination est mise en lumière par la comparaison de sa situation avec les éléments statistiques de l'employeur.



Il produit les bilans sociaux de l'entreprise, qui font apparaître que, de 2009 à 2016 l'ancienneté moyenne dans l'entreprise des salariés positionnés au même niveau que lui, soit le niveau I, était d'environ 11 à 12 ans, alors que lui-même avait 22 ans d'ancienneté en 2016, soit 2 fois plus que la moyenne.



Il fait également valoir que ces bilans sociaux font apparaître qu'en, 2016, alors qu'il était âgé de 62 ans, l'âge moyen des salariés positionnés dans sa catégorie était de 39-40 ans et qu'il était alors âgé de plus de 10 ans par rapport à l'âge moyen des salariés positionnés en catégories J et K, plus élevées que la sienne.



Monsieur [B] produit également le rapport sur l'égalité professionnelle des femmes et des hommes pour 2014, qui fait apparaître qu'alors que son ancienneté était beaucoup plus importante que la moyenne, toutes catégories confondues, sa rémunération était inférieure à la médiane des cadres de sexe masculin (58 k € pour une médiane de 59k €).



En ce qui concerne les rémunérations variables, Monsieur [B] produit un tableau comparatif mentionnant qu'entre 2009 et 2017, les bonus des cadres des services centraux relevant de sa catégorie, s'établissait à plus de 5 000 € par an, tandis que, pendant la même période, lui-même ne bénéficiait que de bonus annuels moyens de 1 250 €, portés à 3 000 € en 2019, à la suite de sa saisine du conseil de prud'hommes. Il ajoute à juste titre que ce tableau fait également apparaître que sa rémunération variable était systématiquement inférieure à la moyenne du premier décile de sa catégorie, alors qu'il était pourtant le plus ancien.



Monsieur [B] produit également des documents émanant de l'entreprise, dont il résulte qu'il était le seul, parmi les salariés de sa génération, à être maintenu au niveau I, alors que la plupart de ses collègues avaient atteint le niveau hors classe (L) et que sa classification était équivalente à celle des salariés embauchés en 2014-2015, c'est-à-dire plus de 20 ans plus tard.



- Monsieur [B] se plaint également d'un refus de valoriser ses compétences; Il expose à cet égard et établit, qu'il avait effectué en 2016 un bilan de compétences, auprès d'un consultant extérieur, afin de préparer son évolution de carrière sur un poste à plus forte responsabilité, dont il produit le compte-rendu, qui concluait qu'il était maintenu à un poste ne correspondant pas à son profil et recommandait son orientation vers un poste de responsable des affaires spéciales ou de contrôleur de gestion, ce qui nécessitait un Master en gestion financière et contrôle de gestion, et que cela avait été confirmé par son responsable hiérarchique en 2008, mais que l'employeur lui a refusé cette formation, alors que, dans le même temps, il l'a financée pour l'un de ses collègues en 2010, ainsi que cela apparaît sur le bilan social.



Cet élément doit être retenu.



- Monsieur [B] expose également qu'à la suite de ce bilan de compétences, Madame [F], membre du service des ressources humaines de l'entreprise, lui a adressé un courriel le 19 novembre 2007 établissant une synthèse des discussions, qu'il produit et qui mentionne notamment : "Vous êtes prêt à réduire le champ de vos activités syndicales si le poste proposé l'exige" et qu'à la suite du refus de formation susvisé, Madame [F] lui a adressé le 6 octobre 2008 un courriel qu'il produit et qui est ainsi rédigé :

"Parmi les dernières actions lancées, Monsieur [N] (gestionnaire RH que vous avez déjà rencontré en exploratoire) m'a indiqué vendredi dernier que votre régime de 80% était incompatible avec les postes de contrôleur de gestion qu'il avait à pourvoir. Ma compréhension était que vous étiez prêt à renoncer à vos activités syndicales pour un poste intéressant. Qu'en est-il exactement ' [....]

Je reste à votre disposition pour en discuter et vous remercie par avance pour la clarification que vous voudrez bien m'apporter sur votre disponibilité future (80 ou 100%) afin de relancer éventuellement la piste CTRI de gestion chez BDDF". Elle précisait ensuite, aux termes d'un courriel du 21 novembre 2008 : "Ma question visait à clarifier le temps disponible pour vos activités professionnelles et syndicales puisque celle-ci m'est posée par les gens qui étudient votre dossier. Je prends donc bonne note de vos indications et ne manquerai pas de continuer à faire circuler votre dossier".



Ces propos laissent supposer l'existence d'une discrimination.



- Monsieur [B] expose ensuite et établit, que l'employeur a refusé en décembre 2013, puis en novembre 2017 de le laisser accéder à son entier dossier administratif et notamment à ses anciens entretiens annuels d'évaluation. Cet élément doit être retenu.



Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination syndicale.



De son côté, suivi en cela par le conseil de prud'hommes, la Société Générale fait valoir que l'ancienneté ne constitue pas, en soi et de manière automatique, un critère ouvrant droit à un changement de classification.



Cependant, cette pétition de principe ne dispense pas l'employeur de fournir des éléments obectifs de nature à justifier la différence de traitement dont se plaint le salarié.



La Société Générale ajoute que les tâches réalisées par l'intéressé relevaient par définition du Niveau I.



Cependant, cette objection est inopérante, dès lors que Monsieur [B] se plaint précisément d'avoir été maintenu dans cette catégorie.



Le fait que Monsieur [B] ait été en permanence au-dessus des minima prévus par la convention collective de la Banque est également inopérant, dès lors que les éléments laissant supposer une discrimination résultent de la comparaison de sa rémunération avec celles perçues de façon effective par ses collègues.



Pour répondre aux éléments comparatifs statistiques produits par Monsieur [B], la Société Générale expose que les listes en cause, si elles font état d'éléments comme l'ancienneté ou l'âge des collaborateurs, ne mentionnent aucunement leurs fonctions ni les conditions dans lesquelles ces fonctions sont effectuées, alors qu'il s'agit d'éléments déterminants.



Cette réponse ne dispense toutefois pas la Société Générale de fournir des éléments objectifs permettant d'expliquer les différences de traitement apparaissant sur ces documents.



La Société Générale fait également valoir qu'il résulte des éléments dont Monsieur [B] se prévaut lui-même, que sa dernière rémunération annuelle fixe était très supérieure à la moyenne de rémunération fixe des salariés bénéficiant du Niveau I, supérieure à la moyenne de rémunération fixe des cadres sur le même périmètre, tous niveaux confondus et n'était pas éloignée de la moyenne de rémunération fixe des cadres de Niveau J alors même qu'il s'agit d'un niveau supérieur au sien.



Cependant, cette analyse ne tient pas compte de la différence d'âge invoquée par Monsieur [B].



Concernant la rémunération variable, la Société Générale fait valoir qu'elle n'était garantie ni dans son principe ni dans son montant et qu'il résulte des compte-rendus d'évaluation de Monsieur [B] que ses objectifs n'étaient que partiellement atteints et ajoute qu'il résulte des pièces qu'elle produit, qu'il percevait pourtant une part variable supérieure à la moyenne des salariés des catégories H et I ; elle précise qu'entre 1994 et 2000, Monsieur [B] a perçu entre 1500 francs et 5 800 francs (soit 228,67 € et 884,20 €) et que, postérieurement à son engagement syndical, cette rémunération était entre 500 et 3 000 €.



Cependant, il résulte des développements qui précèdent, que Monsieur [B] percevait une rémunération variable très inférieure à la moyenne de celle de ses collègues relevant de la même catégorie et il réplique à juste titre, d'une part, que la Société Générale ne produit pas d'éléments objectifs pour justifier la différence de traitements et d'autre part que l'assimilation entre les catégories H et I n'est pas pertinente.



La Société Générale expose par ailleurs que, si les appréciations formulées à l'occasion des différentes évaluations de Monsieur [B] ont fréquemment été bonnes, il a également été formulé un certain nombre de réserves, que certains objectifs n'étaient pas complètement atteints, que Monsieur [B] faisait preuve de lacunes et d'une insuffisance d'autonomie ; elle produit un échange de courriels de fin 2015 et janvier 2016, aux termes desquels des interlocuteurs se plaignaient de ne pas recevoir de réponses de sa part relatives à l'avancement d'un dossier.



Cependant, à lui seul, cet échange, qui n'a pas donné lieu à sanction ou même rappel à l'ordre, ne constitue pas un élément pertinent et de façon plus générale, Monsieur [B] réplique à juste titre que les aspects négatifs de ses évaluations sont très minoritaires, et très rares par rapport aux aspects positifs et de faible importance. De plus, la Société Générale ne produit aucun élément permettant d'établir que les salariés se trouvant dans une situation comparable à celle de Monsieur [B] et qui ont connu une évolution de carrière beaucoup plus rapide, faisaient l'objet d'évaluations plus favorables que la sienne.



En vue de réfuter le grief relatif à la proposition d'évolution subordonnée à l'abandon des mandats syndicaux, la Société Générale fait valoir qu'aux termes des courriels précités, Madame [F] n'a fait que rappeler les propos de Monsieur [B] lui-même.



Cependant, il résulte clairement des termes de ces courriels, tels que rappelés plus haut que ce sont des membres de la Direction de l'entreprise qui ont tenu les propos en cause.



Pour répondre aux griefs de Monsieur [B] relatifs à la valorisation des compétences professionnelles, la Société Générale expose que, suite au bilan de compétence de 2006, de nombreuses actions ont été menées pour identifier un poste correspondant à ses projets d'évolution professionnelle et que des échanges réguliers ont eu lieu à ce sujet et qu'elle n'avait aucune obligation d'accepter la demande de Monsieur [B], qui concernait une action de développement des compétences et non d'adaptation au poste, que son dossier a néanmoins été étudié avec soin mais qu'il s'est avéré que le plan de formation était trop éloigné des missions qui lui étaient confiées et dépassait le budget alloué à chaque collaborateur au sein du service ; elle ajoute à cet égard, que "on ne sait rien" du collaborateur ayant bénéficié de cette formation, tel que cela apparaît dans le bilan social produit par Monsieur [B].



Il lui appartient toutefois de fournir des explications à ce sujet.



La Société Générale fait également valoir que Monsieur [B] a bénéficié, entre 2011 et 2016, de nombreuses autres formations, dont elle dresse la liste et qu'il n'a formulé aucune demande de formation alors que cela lui était proposé pour 2016 et 2017.



Monsieur [B] réplique à juste titre qu'il ne s'agissait que de formations obligatoires et non des formations qualifiantes qui lui auraient permis d'acquérir des compétences complémentaires.



Enfin, concernant le grief de refus d'accès au dossier administratif, la Société Générale expose que les formulaires d'évaluation, qui comportent des données à caractère personnel et notamment des éléments relatifs à la gestion de la carrière des salariés, relèvent de la réglementation issue de la loi Informatique et Libertés et q'elle a donc mis en place, en 2009, un outil informatique d'évaluation dédié, qu'elle a déclaré à la CNIL, en précisant que la durée de conservation envisagée des formulaires d'évaluation serait de 6 années et que les formulaires dépassant cette durée n'ont donc pas été conservés.



Cette allégation est cependant contredite par une copie d'écran du site de l'entreprise, datée du 11 décembre 2018, produite par Monsieur [B], mentionnant que la durée de conservation des données relatives à "la gestion des carrières, de la performance et de la mobilité" étaient conservées "jusquau départ du collaborateur".



Il résulte de ces considérations que la Société Générale échoue à réfuter utilement les éléments objectifs et concordants produits par Monsieur [B] ; c'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a estimé qu'il a été victime de discrimination syndicale.





Sur l'indemnisation de la discrimination



En ce qui concerne le préjudice économique subi par Monsieur [B], il convient de prendre en compte le niveau de rémunération qu'il aurait pu atteindre en l'absence de discrimination, en prenant pour base de calcul la rémunération moyenne des salariés embauchés à la même date et au même niveau de diplôme que lui.



Par comparaison avec la situation des salariés apparaissant sur les listes fournies par Monsieur [B] et en l'absence d'élément contraire produit par la Société Générale, il convient de considérer qu'en l'absence de discrimination et compte tenu de son ancienneté, il aurait dû accéder, non pas comme il le prétend au niveau L mais au niveau au niveau K de la convention collective applicable lors de son départ de l'entreprise en juillet 2019, ce qui aurait correspond à une rémunération annuelle de 82 000 €.



Son préjudice doit donc se calculer en multipliant le nombre d'années de discrimination

à compter de ses mandats sociaux (soit 18 ans et demi) par l'écart entre son salaire effectif et cette somme de 82 000 € et en divisant le total par 2, afin d'établir une moyenne, ce qui aboutit à 185 777 € ([18,5 ans] x [82 000 €] - [61 916 €] / 2), somme à laquelle il convient de rajouter 20 % correspondant au préjudice complémentaire au titre de la retraite, soit une indemnisation devant être retenue de 222 932 €.



En ce qui concerne le préjudice relatif à la rémunération variable, Monsieur [B], qui soutient à juste titre avoir atteint la majorité de ses objectifs, compare les montants qu'il a perçus aux bonus moyens perçus par les hommes de niveaux I, J et K de 2001 à juillet 2019.



Au vu des tableaux produits, il justifie ainsi d'une différence de 300 297 €, correspondant à un préjudice de 360 356,40 € pour tenir compte du préjudice afférent à la retraite.



Au soutien de sa demande relative aux pertes induites de rémunérations, Monsieur [B] fait valoir qu'il n'a jamais bénéficié de stock-options ou d'actions gratuites depuis le début de sa carrière.



Cependant, il ne produit aucune pièce et ne fournit aucun calcul au soutien de cette allégation, étant de surcroît observé que la perte alléguée n'a pas pour origine les faits de discrimination puisqu'il fait remonter cette situation à la date de son embauche.



Cette demande doit donc être rejetée.



Par ailleurs, les faits de discrimination ont causé à Monsieur [B] un préjudice moral, distinct du préjudice économique ainsi indemnisé, qu'il convient d'évaluer à 3 000 euros.





Sur l'allégation de harcèlement moral discriminatoire



Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précitée, la discrimination inclut, notamment, tout agissement notamment lié à des activités syndicales, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.



En l'espèce, Monsieur [B] soutient qu'outre les faits mentionnés ci-dessus, il n'a été convoqué à quasiment aucune réunion de service depuis 2001.



La Société Générale réplique qu'au sein de l'équipe à laquelle il appartenait, Monsieur [B] était chargé de fonctions totalement différentes de celles d'autres collaborateurs et que les réunions auxquelles il n'a pas été convié ne le concernaient pas, mais que des réunions régulières étaient organisées avec son responsable compte tenu du caractère spécifique de sa fonction.



Cependant, nonobstant la spécificité des fonctions de Monsieur [B], l'absence quasi-totale d'invitation de Monsieur [B] à la moindre réunion de service relève d'une mise à l'écart, constitutive de harcèlement discriminatoire.





Monsieur [B] s'était d'ailleurs plaint de harcèlement moral et de discrimination auprès de la Direction, laquelle, par lettre du 12 juillet 2019, l'a informé qu'après enquête, de tels faits n'avaient pas été retenus.



Cependant, bien que cette lettre fasse état de transcriptions des entretiens, la Société Générale ne produit aucun élément à cet égard.



La réalité d'un harcèlement discriminatoire est donc établie et a causé à Monsieur [B], un préjudice distinct de celui traité plus haut et qu'il convient d'évaluer à 3 000 euros.





Sur la demande de dommages et intérêts pour violation des accords collectifs



Au soutien de cette demande, Monsieur [B] expose que la Société Générale n'a pas respecté l'accord d'entreprise signé le 19 avril 2017 "relatif aux moyens et à l'expression du droit syndical et social à la Société Générale", qui prévoit notamment que "le parcours professionnel dans l'entreprise des représentants du personnel repose sur la nécessité de concilier [...] la reconnaissance des compétences acquises du fait de l'exercice de mandats".



Cependant, il ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de ceux réparés au titre de la discrimination syndicale.



Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il la rejeté cette demande.





Sur les autres demandes



L'octroi de dommages et intérêts apparaît suffisant à l'indemnisation des préjudices de Monsieur [B], sans que les mesures de publication demandées soient nécessaires.



Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.



Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la Société Générale à payer à Monsieur [B] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts en première instance et en cause d'appel et qu'il y a lieu de fixer à 3 500 euros.



Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 code civil, que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et de faire application de celles de l'article 1343-2 du même code.





PAR CES MOTIFS





La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Déclare Monsieur [V] [B] recevable en ses demandes ;



Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [B] de ses demandes de production de pièces et de dommages et intérêts pour préjudice tiré des pertes de rémunération induites et pour violation des accords collectifs ;



Statuant à nouveau sur les points infirmés ;



Condamne la Société Générale à payer à Monsieur [V] [B] les sommes suivantes :



- dommages et intérêts pour préjudice économique au titre de la rémunération de base : 222 932 € ;

- dommages et intérêts pour préjudice économique au titre de la rémunération variable : 360 356,40 € ;

- dommages et intérêts pour préjudice moral : 3 000 € ;

- dommages et intérêts pour harcèlement moral discriminatoire : 3 000 € ;

- indemnité pour frais de procédure : 3 500 € ;



Dit que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;



Déboute Monsieur [V] [B] du surplus de ses demandes ;



Déboute la Société Générale de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel ;



Condamne la Société Générale aux dépens d'appel.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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