19 April 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.092

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00489

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION - Salaire - Primes et gratifications - Prime exceptionnelle de pouvoir d'achat - Montant - Calcul - Critères - Détermination

D'abord, selon l'article 1, II, 2°, de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018, le montant de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat qui bénéficie aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 ou à la date de versement, si celle-ci est antérieure, peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classification ou la durée de présence effective pendant l'année 2018 ou la durée de travail prévue au contrat de travail. Les congés maternité, paternité, adoption et éducation des enfants sont assimilés à des périodes de présence effective. Aux termes de la décision unilatérale du 28 janvier 2019 instaurant cette prime au sein de la société Catalent France Beinheim, la prime allouée aux salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail en vigueur au 31 décembre 2018, d'un montant de référence de 800 euros pour les salaires inférieurs à 40 000 euros brut, est versée en conjuguant les deux prorata suivants : - prorata du temps de travail contractuel pour les salariés à temps partiel, - prorata au temps de présence pour les personnes entrées au courant de l'année 2018 ou absentes, selon la règle qui suit : 100% du montant pour 12 mois de présence, 80% pour 11 mois, 0 % pour 10 mois et moins. Ensuite, il résulte de la combinaison des articles L. 1233-72 et L. 1234-5 du code du travail que, d'une part, si le salarié en congé de reclassement demeure salarié de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé, la période de congé de reclassement n'est pas légalement assimilée à du temps de travail effectif et, d'autre part, le salarié en congé de reclassement a droit au paiement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat pour la période correspondant à celle du préavis, même si la décision unilatérale de l'employeur proratise le bénéfice de cette prime au temps de présence effective dans l'entreprise. Doit en conséquence être censuré le jugement qui condamne l'employeur à payer au salarié une somme correspondant à l'intégralité de la prime litigieuse pour l'année 2018, alors que le conseil de prud'hommes constatait que la période du congé de reclassement correspondant à celle du préavis expirait le 10 décembre 2018, de sorte que la prime devait être proratisée pour un montant correspondant à 80 % du montant de référence

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Usages et engagements unilatéraux - Engagement unilatéral - Mise en oeuvre - Conditions - Détermination - Applications diverses

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION - Salaire - Primes et gratifications - Prime exceptionnelle de pouvoir d'achat - Attribution - Conditions - Détermination - Portée

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement économique - Mesures d'accompagnement - Congé de reclassement - Salarié - Prime exceptionnelle de pouvoir d'achat - Attribution - Décision unilatérale de l'employeur - Proratisation en fonction du temps de présence effective dans l'entreprise - Portée

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement économique - Mesures d'accompagnement - Congé de reclassement - Salarié - Prime exceptionnelle de pouvoir d'achat - Calcul - Période de référence - Préavis - Portée

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 avril 2023




Cassation sans renvoi


M. SOMMER, président



Arrêt n° 489 FS-B

Pourvoi n° J 21-23.092




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

La société Catalent France Beinheim, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-23.092 contre le jugement rendu le 17 août 2021 par le conseil de prud'hommes d'Haguenau (section industrie), dans le litige l'opposant à M. [U] [W], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Catalent France Beinheim, de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de M. [W], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, MM. Le Corre, Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (Haguenau, 17 août 2021) rendu en dernier ressort, M. [W] a été engagé en qualité d'opérateur encapsulation, le 11 mai 2006, par la société Catalent France Beinheim.

2. Licencié pour motif économique par lettre du 1er octobre 2018, le salarié a adhéré au congé de reclassement qui lui a été proposé d'une durée de 12 mois, préavis inclus, à l'issue duquel son contrat de travail a été rompu.

3. Estimant avoir droit à la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat pour l'année 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief au jugement de le condamner à payer au salarié la somme de 800 euros brut au titre de la prime litigieuse, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 1er mars 2019, alors « que selon l'article 1er II 2° de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales, le montant de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de la durée de présence effective pendant l'année 2018 ; que la décision unilatérale du 28 janvier 2019 instaurant la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat au sein de la société Catalent France Beinheim prévoit, en son article 4, relatif au mode de calcul de ladite prime, que "La prime est versée en conjuguant les 2 deux prorata suivants : * Prorata du temps de travail contractuel pour les salariés à temps partiel ; * Prorata au temps de présence pour les personnes entrées au courant de l'année 2018 ou absentes, selon la règle qui suit : 100 % du montant pour 12 mois de présence, 80 % pour 11 mois et 0 % pour 10 mois et moins" ; que pour condamner l'employeur à verser au salarié la somme de 800 euros bruts au titre de la prime dite Macron, soit 100 % du montant pour 12 mois, le conseil de prud'hommes, après avoir relevé que "M. [W] était présent et travaillait dans l'entreprise jusqu'au 10 octobre 2018, date à laquelle il a été placé en préavis dispensé par l'employeur puis en congé de reclassement à compter du 10 décembre 2018" a considéré que "M. [W] était présent dans l'entreprise durant 12 mois" ; qu'en statuant comme il l'a fait, alors pourtant qu'à supposer même que la période de préavis coïncidant avec le congé de reclassement puisse être assimilé à du temps de présence effective, le préavis du salarié s'était achevé le 10 décembre 2018, de sorte que M. [W], présent dans l'entreprise durant 11 mois seulement, ne pouvait bénéficier de l'intégralité de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat mais seulement un prorata de 80 % du montant de référence de la prime, le conseil de prud'hommes, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 4 de la décision unilatérale du 28 janvier 2019, ensemble l'article 1er II 2° de la loi du 24 décembre 2018 et les articles L. 1233-71, L. 1233-72 et L. 1234-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1er, II, 2°, de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 et 4 de la décision unilatérale du 28 janvier 2019 instaurant la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat au sein de la société Catalent France Beinheim, l'article L. 1233-72 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, et l'article L. 1234-5 du même code :

5. D'abord, selon le premier texte, le montant de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat qui bénéficie aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 ou à la date de versement, si celle-ci est antérieure, peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classification ou la durée de présence effective pendant l'année 2018 ou la durée de travail prévue au contrat de travail. Les congés maternité, paternité, adoption et éducation des enfants sont assimilés à des périodes de présence effective.

6. Aux termes du deuxième texte, la prime allouée aux salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail en vigueur au 31 décembre 2018, d'un montant de référence de 800 euros pour les salaires inférieurs à 40 000 euros brut, est versée en conjuguant les deux prorata suivants :
- prorata du temps de travail contractuel pour les salariés à temps partiel,
- prorata au temps de présence pour les personnes entrées au courant de l'année 2018 ou absentes, selon la règle qui suit : 100 % du montant pour 12 mois de présence, 80 % pour 11 mois, 0 % pour 10 mois et moins.

7. Ensuite, selon le troisième texte, le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter. Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement.

8. Il en résulte que, si le salarié en congé de reclassement demeure salarié de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé, la période de congé de reclassement n'est pas légalement assimilée à du temps de travail effectif.

9. Enfin, selon l'article L. 1234-5 du code du travail, la dispense par l'employeur de l'exécution du travail pendant le préavis ne doit entraîner jusqu'à l'expiration de ce délai aucune diminution des salaires et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail.

10. Il en résulte que le salarié en congé de reclassement a droit au paiement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat pour la période correspondant à celle du préavis, même si la décision unilatérale de l'employeur proratise le bénéfice de cette prime au temps de présence effective dans l'entreprise.

11. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une somme correspondant à l'intégralité de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, le jugement retient que le salarié était présent et travaillait dans l'entreprise jusqu'au 10 octobre 2018, date à laquelle il a été placé en préavis dispensé par l'employeur puis en congé de reclassement à compter du 10 décembre 2018. Il ajoute que le salarié était présent dans l'entreprise durant 12 mois, même s'il était dispensé de son préavis, son contrat n'était pas suspendu, en tout cas pas avant le 31 décembre 2018.

12. En statuant ainsi, alors qu'il constatait que la période du congé de reclassement correspondant à celle du préavis expirait le 10 décembre 2018, le conseil de prud'hommes, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

13. L'employeur fait grief au jugement de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice, alors « que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ; qu'en l'espèce, pour condamner la société Catalent France Beinheim à payer à M. [W] la somme de 800 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice, le conseil de prud'hommes a retenu que ''Compte tenu du procédé et de l'attitude fautive de la société Catalent qui visait à écarter du bénéfice de la prime dite Macron des salariés en congé de reclassement alors qu'ils avaient travaillé jusqu'en octobre 2018 et ce d'autant que la société défenderesse a fait preuve d'une résistance abusive. Le conseil en apprécie souverainement l'étendue. En l'espèce, M. [W] a été privé de la prime au moment du versement. Au vu de ce qui précède, la société Catalent est condamnée au titre de la prime dite Macron. En conséquence, le conseil condamne la société Catalent au paiement de la somme de 800 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice.'' ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence, pour le salarié, d'un préjudice distinct du retard de paiement par l'employeur de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat et causé par la mauvaise foi de celui-ci, le conseil de prud'hommes a violé l'article 1231-6 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

14. Aux termes de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

15. Pour condamner l'employeur à payer au salarié des dommages-intérêts, le jugement retient que compte tenu du procédé et de l'attitude fautive de la société qui visait à écarter du bénéfice de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat des salariés en congé de reclassement alors qu'ils avaient travaillé jusqu'en octobre 2018 et ce d'autant que la société a fait preuve d'une résistance abusive, il sera alloué au salarié la somme de 800 euros en réparation du préjudice.

16. En statuant ainsi, alors que le salarié n'invoquait aucun préjudice distinct de celui résultant du retard apporté par l'employeur au paiement de la prime litigieuse, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

19. Son préavis s'étant achevé le 10 décembre 2018, le salarié en congé de reclassement pouvait bénéficier, en application de l'article L. 1234-5 du code du travail, de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat pour un montant correspondant à 80 % du montant de référence de la prime, soit la somme de 640 euros.

20. La société sera en conséquence condamnée au paiement de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2019.

21. Le salarié n'invoquant aucun préjudice distinct de celui résultant du retard apporté par l'employeur au paiement de la prime litigieuse, il sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 17 août 2021, entre les parties, par le conseil de prud'hommes d'Haguenau ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Catalent France Beinheim à payer à M. [W] la somme de 640 euros au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2019 ;

Déboute M. [W] de sa demande de dommages-intérêts ;

Condamne la société Catalent France Beinheim aux dépens, en ce compris les dépens de première instance ;

En application de l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande de la société Catalent France Beinheim et la condamne à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.

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