7 April 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/05015

Pôle 5 - Chambre 11

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 07 AVRIL 2023



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05015 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDJRA



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 - RG n° 2020034718





APPELANTE



S.A.S. VOODOO

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 4]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 792 483 307



représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Edouard FORTUNET, avocat au barreau de PARIS



INTIMEES



Société [Localité 5] [Localité 5] COMPANY LIMITED

[Adresse 1]

[I] [Z] CHINE



représentée par Me Benjamin SCETBON, avocat au barreau de PARIS, toque : D0268

Assistée de Me Matthieu BERGUIG, de la SELARL MATTHIEU BERGUIG AVOCAT, avocat au barreau de PARIS



Société JP GROUP LIMITED

société de droit étranger pris en la personne de ses représentants légaux

1701-02 17/F FWD Financial Conter [Adresse 3]

[Localité 6]



représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Loïc LEMERCIER, de DENTONS EUROPE AARPI, avocat au barreau de PARIS





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Denis ARDISSON, Président de chambre, chargé du rapport.









Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre

Mme Marion PRIMEVERT,

Mme Marie-Sophie L'ELEU DE LA SIMONE,



Qui en ont délibéré.





Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY





ARRÊT :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par M.Denis ARDISSON, Président de chambre, et par M.Maxime MARTINEZ, greffier, présent lors de la mise à disposition.






Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 février 2021 qui a :



- débouté la société Voodoo de sa demande au titre de la concurrence déloyale par confusion du jeu 'Pocket Sniper' de la société de droit chinois [Localité 5] Compagny Limited (Horn Worm au nom commercial 'Megatouch' et ci-après 'société [Localité 5]') avec le jeu 'Super Sniper!',

- débouté la société Voodoo de sa demande au titre du parasitisme,

- débouté Ia société Voodoo de ses demandes d'interdiction et de retrait du jeu 'Pocket Sniper', ainsi que de ses demandes de publication et de dommages et intérêts pour préjudice économique et moral,

- débouté la société [Localité 5] de ses demandes d'amende civile et de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- débouté la société de droit hongkongais JP Group Limited ('société JP Group') de sa demande de mise hors de la cause,

- dit n'y avoir lieu a statuer dans la présente instance sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice allégué par la société JP Group du fait de l'exécution de l'ordonnance du 6 août 2020,

- débouté la société JP Group de sa demande de dommages et intérêts pour procedure abusive et dénigrement,

- condamné la société Voodoo aux dépens,

- condamné la société Voodoo à payer à la société [Localité 5] et à la société JP Group chacune la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie,

- rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;



Vu l'appel interjeté le 15 mars 2021 par la société Voodoo ;





* *





Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 janvier 2023 pour la société Voodoo afin d'entendre, en application des articles 1240 du code civil, L. 121-1, L. 121-2, L. 121-3, L. 441-1 et L. 454-1 du code de la consommation :



- déclarer la société Voodoo recevable en son appel,

- annuler ou, à tous le moins, réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

- dire que les sociétés [Localité 5] et JP Group se rendent coupables de concurrence déloyale par risque de confusion et parasitisme, au préjudice de la société Voodoo,

- rejeter l'ensemble des demandes des sociétés [Localité 5] et JP Group,

- interdire aux sociétés [Localité 5] et JP Group de poursuivre ou de reprendre l'exploitation du jeu Pocket Sniper, ou de tout autre jeu similaire qui reprendrait les caractéristiques essentielles du jeu Super Sniper!, sur le territoire français, à compter d'un délai de deux jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, étant précisé que l'offre de téléchargement du jeu Pocket Sniper ou de tout autre jeu similaire qui reprendrait les caractéristiques essentielles du jeu Super Sniper! de la société Voodoo sur toute plateforme de téléchargement constitue une infraction distincte,

- ordonner que cette interdiction se matérialisera par le retrait du jeu Pocket Sniper de toutes les plateformes de téléchargements existantes à destination des consommateurs français et par la publication d'une mise à jour du jeu Pocket Sniper, qui supprimera la version actuelle du jeu et empêchera aux utilisateurs actuels de ce jeu d'y jouer,

- condamner in solidum les sociétés [Localité 5] et JP Group à payer à la société Voodoo la somme de 20.000 euros à titre de dommage-intérêts,

- condamner in solidum les sociétés [Localité 5] et JP Group à payer à la société Voodoo la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice moral de la société Voodoo,

- ordonner une mesure de publication, par extraits, de l'arrêt à intervenir dans au moins cinq journaux ou revues, françaises ou étrangères, au choix de la société Voodoo, aux frais in solidum des sociétés [Localité 5] et JP Group, sans que le coût n'excède la somme de 5.000 euros hors taxes par insertion,

- ordonner une mesure de publication sur les pages d'accueil des sites Internet des sociétés [Localité 5] et JP Group, dans un délai de 24 heures à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, pendant une durée d'un mois et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, en accès direct et en partie haute de la page d'accueil, sur chaque version de cette page d'accueil selon la langue choisie, d'un texte en anglais reprenant les condamnations judiciaires qui seront prononcées,

- ordonner la publication sur les plateformes de téléchargement concernant la France, d'une mise à jour du jeu Pocket Sniper, qui empêchera à l'avenir aux utilisateurs de jouer à ce jeu, et dont la seule page de présentation sera un résumé du dispositif de l'arrêt à intervenir, dans une taille de caractère times new roman n°14, de sorte que les utilisateurs actuels du jeu Pocket Sniper soient informés de l'arrêt intervenu,

- se réserver la liquidation des astreintes,

- condamner les sociétés [Localité 5] et JP Group aux entiers dépens d'instance et à payer à la société Voodoo la somme de 55.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;







* *





Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 janvier 2023 pour la société [Localité 5] Co. Ltd afin d'entendre, en application de l'article 32-1 du code de procédure civile :



- débouter la société Voodoo de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Voodoo à une amende civile pour procédure abusive,

- condamner la société Voodoo à payer une indemnité de 100.000 euros pour appel abusif,

- condamner la société Voodoo aux entiers dépens,

- condamner la société Voodoo à payer une somme de 55.000 euros au titre des frais irrépétibles ;



* *



Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 24 janvier 2023 pour la société JP Group Limited, afin d'entendre, en application des articles 122, 123, 202, 497, 559, 699 et 700 du code de procédure civile et 1240 du code civil :



- déclarer la société Voodoo mal fondée en son appel, l'en débouter, ainsi que de toutes ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a : débouté la société Voodoo de sa demande au titre de la concurrence déloyale par confusion du jeu « Pocket Sniper » de Megatouch avec le jeu Super Sniper!, débouté la société Voodoo de sa demande au titre du parasitisme, débouté la société Voodoo de ses demandes d'interdiction et de retrait du jeu Pocket Sniper, ainsi que de ses demandes de publication et de dommages et intérêts pour préjudice économique et moraln condamné la société Voodoo aux dépens, condamné la société Voodoo à payer à la société Sichuan Chaojianchong et à la société JP Group chacune la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sans constitution de garantie, rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu'il rejette les demandes de la société Voodoo,



ajouter au jugement,



- juger que la société Voodoo n'a pas rapporté la preuve du prétendu préjudice subi,

- débouter la société Voodoo,

- juger que la société Voodoo a engagé sa responsabilité en engageant la procédure de manière abusive et dénigrante,

sur appel incident,



- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société JP Group de sa demande de mise hors de la cause, dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de dommage et intérêts en réparation du préjudice allégué par la société JP Group du fait de l'exécution de l'ordonnance du 6 août 2020, débouté la société JP Group de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et dénigrement et rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu'il rejette les demandes de la société JP Group,

- condamner la société Voodoo à réparer l'intégralité du préjudice subi par la société JP Group du fait de l'exécution de l'ordonnance du 6 août 2020, soit une somme de 54.093,00 euros,

- condamner la société Voodoo à payer à la société JP Group une somme de 100.000 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de la procédure d'appel abusive et des actes de dénigrement,







à titre subsidiaire,



- limiter la mesure d'interdiction sollicitée par la société Voodoo aux seules plateformes françaises des magasins d'applications mobiles,



en tout état de cause,



- condamner la société Voodoo à verser la somme de 60.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Voodoo aux entiers dépens,

- condamner la société Voodoo à une amende civile de 10.000 euros en application de l'article 559 du code de la procédure civile.




SUR CE, LA COUR,



Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties.



Il sera succinctement rapporté que la société Voodoo, qui édite et commercialise des jeux vidéos pour les smartphones et les tablettes numériques, a développé un jeu 'Super Sniper!' téléchargeable gratuitement depuis les plateformes AppStore et GooglePlay, le jeu étant aussi bien promu par des messages publicitaires qu'il alimente des messages publiciataires diffusés sur les appareils de télécommunication.



Après avoir mis en ligne son jeu en avril 2020, la société Woodoo a estimé que trois nouveaux jeux entretenant une confusion avec le sien ont été mis en ligne, les jeux 'Master Sniper 3D', 'Perfect Sniper' et 'Pocket Sniper'.



Ayant obtenu à sa demande le retrait des deux premiers jeux par leurs éditeurs, la société Voodoo a vainement réclamé des sociétés [Localité 5] et JP Group le retrait de leur jeu Pocket Sniper et a ainsi mandaté un huissier pour la capture d'images, le 17 juillet 2020, du jeu pocket sniper avant d'obtenir, le 6 août 2020, une ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris ordonnant, sous astreinte, la suspension de la distribution du jeu Pocket Sniper sur le territoire national pendant trois mois ainsi que l'autorisation d'assigner à bref délai les sociétés [Localité 5] et JP Group en condamnation des chefs de concurrence déloyale et de parasitisime ainsi qu'en dommages et intérêts et en mesure d'interdiction et de publicité des condamnations.



1. Sur la mise hors de cause de la société JP Group



La société JP Group entend voir infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de la mettre hors de cause alors, d'une part, qu'elle n'était pas impliquée dans la création du jeu 'Pocket Sniper' par la société [Localité 5] et au titre de laquelle la société Voodoo se prévaut d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme pour prétendre à des mesures réparatrices, et d'autre part, que les sociétés JP Group et [Localité 5] sont deux entités juridiques distinctes.



Au demeurant, il est constant que la société JP Group était chargée par la société [Localité 5] de la mise en ligne du jeu en France, en sorte que la société Woodoo avait un intérêt légitime à agir à l'encontre de la société JP Group, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté cette fin de non recevoir.



2. Sur la preuve des faits de concurrence déloyale ou de parasitisme



Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Woodoo de ses demandes de dommages et intérêts et de mesures réparatrices tirées de la mise en ligne du jeu Pocket Sniper, les sociétés [Localité 5] et JP Group concluent, ensemble, ou séparément, qu'aucun fait de concurrence déloyale ou de parasitisme ne peut leur être reproché, alors que le jeu Super Sniper! de la société Woodoo est dépourvu d'originalité appropriable ainsi que cela résulte des décisions de refus d'enregistrement de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle du 16 décembre 2021, et alors, en premier lieu, qu'il emprunte des scenarii de très nombreux jeu de tir de 'sniper' depuis un fusil reposant sur un concept développé depuis plus de trente ans.



Elles soutiennent ainsi que le graphisme et les fonctionnalités du jeu Super Sniper! de la société Woodoo, comme le jeu Pocket Sniper, sont issus du l'univers de jeu simples, développés notamment à partir de la plateforme d'édition de jeux 'Unity', dont les coûts de développement sont dérisoires, et auxquels de très nombreux jeux empruntent l'usage d'un fusil et la vue à la première personne, communs à l'essentiel des jeux de 'sniper', comme la représentation graphique des ennemis par des personnages rouges, le système de notation et de décompte des points, les décors du jeu, les objets présents dans le jeu Super Sniper!, le "mouvement vers l'avant", les fonctionnalités permettant d'atteindre plusieurs cibles à la fois, les effets d'explosion par des 'barres de vie', l'indication du niveau atteint par le joueur.



Les sociétés [Localité 5] et JP Group contestent encore l'originalité de la 'jouabilité' du jeu Super Sniper! en relevant qu'elle n'est en rien distinctive et résulte de la seule d'adaptation du jeu aux supports contraints des 'smartphones', les intimées se prévalant par ailleurs des commentaires de joueurs déposés sur les plateformes AppStore et GooglePlay critiquant le jeu Super Sniper! 'à éviter', 'à oublier', une 'arnaque', 'sans intérêt et sans difficulté'.



En deuxième lieu, les sociétés [Localité 5] et JP Group relèvent que les visuels intégrés à chacun des jeu comportent de fortes dissemblances excluant tout risque de confusion, l'environnement du jeu Pocket sniper étant urbain, alors que les captures d'écran montraient un décor plutôt campagnard s'agissant de Super Sniper!, comme en témoigne le fond vert et les arbres ou encore des dispositions différentes des cibles à abattre dans l'un et l'autre jeu.



En troisième lieu, les sociétés [Localité 5] et JP Group contestent avoir pu tromper les joueurs sur l'origine de leur jeu Pocket Sniper avec celle du Super Sniper! alors que le nom de 'MEGATOUCH' est indiqué de manière claire dès le lancement du jeu dont les présentations sont différentes et dont les logos n'ont rien de commun.



En quatrième lieu, et en réplique à l'évolution des téléchargements des jeux dont la société Woodoo se prévaut pour déduire la preuve des faits de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle leur reproche, les sociétés [Localité 5] et JP Group soutiennent que ce déclin est strictement lié à la mauvaise qualité de ce jeu ainsi qu'à l'arrêt de la société de Woodoo de financer la promotion de son jeu auprès des opérateurs de publicité qui en garantissent l'offre.



Au demeurant, en premier lieu, ces différences doivent être rapportées à l'ampleur des caractéristiques que le jeu 'Pocket Sniper' emprunte à celles de 'Super Sniper!' que la société Woodoo a relevées dans ses conclusions, et qui, connaissance prise par la cour des visuels des jeux en litige ainsi que des jeux servant de comparaison que chacune des parties a mis aux débats, établissent une identité dans 'le système de tir en trois phases, à savoir le 'Touch-hold' (l'utilisateur appuie sur l'écran pour zoomer), le 'Touch-drag' (l'utilisateur déplace son doigt sur l'écran pour viser) et le 'Touch-release' (l'utilisateur retire son doigt de l'écran pour tirer), sans aucun bouton ni interface utilisateur ; le placement du jeu dans un univers urbain dans les premiers niveaux du jeu ; un autre univers aurait pu être choisi ; le placement du fusil au premier plan, posé sur un bord d'immeuble sans que l'on voit le tireur ; les mains du tireur aurait pu être montrées ; le placement des personnages cibles au sommet d'un podium (ici un immeuble) ; le choix d'indiquer le montant de la cagnotte amassée par le joueur en haut à droite de l'écran à côté d'une pièce ; ce montant aurait pu être indiqué à un autre endroit de l'écran avec un autre symbole qu'une pièce jaune ; le zoom à travers la lunette du fusil ; le choix de suivre la dernière balle avec un effet ralenti et une balle laissant une traînée ; le choix de colorier les personnages en rouge lorsqu'ils sont vivants puis en noir une fois morts ; le choix de faire apparaître le gain obtenu à chaque décès sous forme de pièces qui rejoignent ensuite la cagnotte ; le choix de célébrer la fin d'un niveau par des confettis ; aucune célébration ou une autre forme de célébration aurait pu être retenue ; le choix de passer d'une plateforme à une autre en se déplaçant vers l'avant ; le choix d'afficher la progression du joueur en pourcentage dans un fusil ; le choix de mettre une barre de vie juste au-dessus de la tête du personnage ; le choix de souligner le tir dans la tête d'un personnage cible par le message 'headshot' ; le choix de symboliser les cagnottes bonus pouvant être détruites par le joueur par des cochons ; le fait de reproduire les mêmes scènes avec les mêmes éléments comme le même nombre de caisses, la même couleur, le même nombre de personnages et positionnés aux mêmes endroits ; le choix de décomposer chaque niveau ('level') en trois sous-niveaux, c'est-à-dire trois scènes dans lesquelles tous les personnages doivent être abattus ; le choix de valoriser le fait de tuer non pas les personnages les uns après les autres en tirant une balle sur chacun d'eux mais le plus de personnages possibles avec le moins de balles possibles, avec l'aide du décor, par exemple, en faisant, avec un tir, s'écrouler une partie d'une structure sur les personnages ou en faisant exploser une bombe placée dans le décor'.



Outre ces éléments de reprise du jeu Pocket Sniper sur celui de Super Sniper!, il se déduit des convergences du graphisme du premier avec celui du second sur la stylisation et les formats des décors et des animations, les éléments de jeu, les contrastes et les couleurs, les perspectives ainsi que les cadrages des interactions de jeu, y compris dans la progression des niveaux de jeu, convergences suffisamment identifiables dans leur unité pour stimuler, chez le client moyennement attentif, une impression de familiarité entre les deux jeux.



En deuxième lieu, en raison de l'attractivité éphémère de quelques semaines, voire de quelques mois de l'attractivité de ce type de jeux consommés en quelques minutes, non évolutifs et attachés à l'émission de supports publicitaires sur les applications des téléphones mobiles, le risque de confusion est objectivement entretenu par la mise en ligne du jeu Pocket Sniper en juillet 2020 dans le mois qui a suivi le déclin des téléchargements du jeu Super Sniper! disponible depuis le mois d'avril 2020.



Et tandis enfin que, de l'aveu même des sociétés [Localité 5] et JP Group, la reproduction d'un tel jeu ne représente pas de coût particulier, il se déduit des données sur la chronologie des téléchargements des deux jeux la preuve que le succès du jeu Pocket Sniper a capté, par ses légères différences, que la notoriété de la mise en ligne du jeu Super Sniper! a éveillée, en sorte que, nonobstant le fait que la société Woodoo n'établit pas la preuve des investissements de près de deux millions d'euros consacrés au développement de son jeu, les faits de concurrence déloyale reprochés aux sociétés [Localité 5] et JP Group sont dûment établis, de sorte que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a écarté leur responsabilité de ce chef.



3. Sur la demande de dommages et intérêts et les mesures réparatrices



Pour revendiquer la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice économique que les faits de parasitisme ont entraîné sur la distribution de son jeu, la société Woodoo met aux débats l'attestation de son directeur administratif et financier établissant les valeurs de performance de la commercialisation de son jeu au 4 mai 2021 établissant, pour la France, 552508 téléchargements, 146.222 dollars US de recettes, 119.826 dollars US de dépenses et 26.396 dollars US de marge bute établie à 18,05%.



Toutefois, de l'aveu même de la société Woodoo, deux autres jeux 'Master Sniper 3D' et 'Perfect Sniper' entretenant aussi une confusion avec le sien ont été simultanément mis en ligne avec celui des sociétés [Localité 5] et JP Group, de sorte qu'en absence de données sur les parts relatives de téléchargement de chacun des jeux déloyaux, l'indemnisation du préjudice économique ne peut être établie sur la seule valeur de la perte de marge telle qu'elle est invoquée par la société Woodoo, laquelle sera par conséquent déboutée de ce chef de demande.



En revanche, il est incontestable que les comportements des sociétés [Localité 5] et JP Group ont atteint l'identification de l'image de la société Woodoo sur la promotion de son produit de sorte que sur la base des valeurs financières précitées, la cour fixera à 40.000 euros, le montant des dommages et intérêts propres à réparer ce préjudice.



Afin de garantir un effet à la décision, il convient de faire droit aux demandes de retrait du jeu suivant les modalités décidées ci-dessous, lesquelles excluront cependant la demande de la société Woodoo portant sur 'tout autre jeu similaire qui reprendrait les caractéristiques essentielles du jeu Super Sniper!', alors qu'une telle prohibition générale pour l'avenir n'entre pas dans l'office du juge.



En revanche, l'ancienneté du litige et la nature des valeurs détournées ne justifient pas la mesure de publication de l'arrêt dont la portée excéderait par ailleurs la réparation du préjudice d'image reconnue ci-dessus, en sorte que la demande de ce chef sera rejetée.



4. Sur les dommages et intérêts fondés sur le dénigrement et l'abus de procédure, l'amende civile, les dépens et les frais irrépétibles



Les sociétés [Localité 5] et JP Group succombant à l'action, et les allégations de dénigrement que la seconde d'entre elle reproche à la société Woodoo n'étant pas démontrées, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les dommages et intérêts et l'amende civile tirés des ces demandes.



Enfin, le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé des frais irrépétibles ainsi que des dépens, et statuant à nouveau de ces chefs y compris en cause d'appel, les sociétés [Localité 5] et JP Group seront condamnées solidairement aux dépens et à payer à la société Woodoo la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :



REJETTE l'exception de nullité du jugement ;



INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles qui ont déclaré recevable l'action engagée à l'encontre de la société JP Group Limited et débouté les sociétés [Localité 5] Compagny Limited et JP Group Limited de leurs demandes de dommages et intérêts fondées sur l'abus de procédure ;



Statuant à nouveau, et y ajoutant,



DIT que les sociétés [Localité 5] Compagny Limited et JP Group Limited ont commis des actes de concurrence déloyale par la commercialisation du jeu 'Pocket Sniper' à l'encontre de la société Woodoo commercialisant son jeu 'SuperSniper!' ;



CONDAMNE solidairement les sociétés [Localité 5] Compagny Limited et JP Group Limited à payer à la société Woodoo la somme de 40.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;













FAIT interdiction aux sociétés [Localité 5] Compagny Limited et JP Group Limited de poursuivre ou de reprendre l'exploitation du jeu Pocket Sniper sur le territoire français, à compter d'un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard et par infraction constatée ;



RÉSERVE à la chambre 11 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris le pouvoir de liquider l'astreinte ;



DIT n'y avoir lieu à publication de l'arrêt ;



CONDAMNE les sociétés [Localité 5] Compagny Limited et JP Group Limited M. [T] [U] aux dépens de première instance et d'appel ;



CONDAMNE solidairement les sociétés [Localité 5] Compagny Limited et JP Group Limited à payer à la société Woodoo la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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