23 March 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-18.252

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C200291

Titres et sommaires

JUGEMENTS ET ARRETS - Voies de recours - Recevabilité - Conditions - Article 528-1 du code de procédure civile - Recours en révision - Application (non)

Les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile, selon lesquelles, si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai, doivent être interprétées à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte qu'elles ne s'appliquent pas au recours en révision qui, selon l'article 595 du code de procédure civile, n'est ouvert que pour l'une des causes prévues à ce texte, et dont le délai de deux mois ne court qu'à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque

RECOURS EN REVISION - Recevabilité - Conditions - Notification dans le délai visé par l'article 528-1 du code de procédure civile - Défaut - Portée

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 mars 2023




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 291 FS-B

Pourvoi n° Y 21-18.252






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 MARS 2023

M. [X] [W], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° Y 21-18.252 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2021 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [R] [P] [S], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Bolmont Frères, dont le siège est [Adresse 4], représentée par la société Le Carrer-Najean, dont le siège est [Adresse 6], en qualité de liquidateur,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [W], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [P] [S] et de la société Mutuelle des architectes français, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Durin-Karsenty, Vendryes, M. Waguette, Mme Caillard, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 mai 2021), M. [W] a fait construire une maison d'habitation par la société Bolmont Frères, assurée auprès de la Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics (CAMBTP), sous la maîtrise d'oeuvre de M. [P] [S], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF).

2. Après expertise judiciaire, ordonnée en l'état de fissures apparues sur les murs extérieurs de la maison et au cours de laquelle a été avéré que la construction ne respectait pas les normes parasismiques, M. [W] a assigné les constructeurs et leurs assureurs, respectivement en indemnisation et garantie.

3. Par arrêt du 22 octobre 2012, une cour d'appel a déclaré M. [P] [S] et la société Bolmont Frères responsables in solidum de la non-conformité de la maison aux normes de construction parasismiques, a ordonné une expertise concernant la reprise des désordres, a débouté M. [P] [S] et la MAF de leur action en garantie contre la CAMBTP et a déclaré irrecevable la demande en garantie de M. [W] contre la CAMBTP.

4. Sur l'opposition de la société Bolmont Frères, un arrêt d'une cour d'appel du 7 janvier 2014 a fixé à 50 % la part des responsabilité incombant respectivement à M. [P] [S] et à la société Bolmont Frères dans la réalisation du dommage.

5. Par arrêt du 9 octobre 2017, une cour d'appel, statuant sur le préjudice de M. [W], a condamné in solidum M. [P] [S], garanti par la MAF, et la société Bolmont Frères à lui payer diverses sommes en réparation de son préjudice matériel et de jouissance et a rejeté la demande de M. [W] en démolition-reconstruction.

6. Le pourvoi de M. [W] formé contre cet arrêt a été rejeté (3e Civ., 14 février 2019, pourvoi n° 18-11.836).

7. Les 26 et 30 décembre 2020, M. [W] a assigné M. [P] [S] et la MAF en révision de l'arrêt du 9 octobre 2017 aux fins de rétractation et de condamnation de M. [P] [S], sous la garantie de la MAF, à lui payer différentes sommes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. M. [W] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable le recours en révision, alors :

« 1°/ que l'article 528-1 du code de procédure civile, aux termes duquel, si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal, ayant pour objet d'éviter que les voies de recours ouvertes à l'encontre d'un jugement au cours de ce délai puissent l'être indéfiniment au motif que la décision n'a pas été notifiée, est donc inapplicable au recours en révision, dont le délai d'exercice, qui ne court qu'à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision, ne dépend pas d'une telle notification ; qu'en retenant que le recours en révision exercé par M. [W] en décembre 2019 était irrecevable dès lors qu'il était dirigé contre un arrêt du 9 octobre 2017, qui n'avait pas été notifié dans le délai de deux ans suivant son prononcé, la cour d'appel a violé l'article 528-1 du code de procédure civile, par fausse application, et l'article 596 du code de procédure civile, par refus d'application ;

2°/ qu'en toute hypothèse, si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, ces limitations ne peuvent porter atteinte à sa substance même, et ne se concilient avec l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elles tendent à un but légitime, et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; que si les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile poursuivent le but légitime d'éviter que les voies de recours à l'encontre d'un jugement soient indéfiniment ouvertes au motif que la décision n'a pas été notifiée, leur application au recours en révision, dont le délai ne court pas à compter de la notification de la décision, mais de la cause justifiant son exercice, ne présente pas un rapport raisonnable de proportionnalité avec ce but ; qu'en faisant néanmoins application de ce texte, pour déclarer irrecevable le recours en révision exercé par M. [W], la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 528-1 et 595 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 528, 528-1, 593, 595 et 596 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

9. Selon le premier de ces textes, le délai à l'expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n'ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement. Selon le deuxième, si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai.

10. Aux termes du troisième, le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. Aux termes du quatrième, le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes : 1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; 2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ; 3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ; 4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement. Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.

11. Selon le cinquième de ces textes, le délai du recours en révision court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.

12. La Cour de cassation a jugé (2e Civ., 7 juillet 2005, pourvoi n° 03-15.662, publié ; 2e Civ., 17 mai 2018, pourvoi n° 16-28.742, publié) que l'article 528-1 du code de procédure civile s'appliquant aux voies de recours ordinaires et extraordinaires, une partie qui a comparu n'est pas recevable, en application de ces dispositions, à former un recours en révision contre un jugement qui n'a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé.

13. Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette interprétation.

14. D'une part, l'article 528-1 du code de procédure civile a été créé, par le décret n° 89-511 du 20 juillet 1989, afin d'éviter, pour des préoccupations tenant à la sécurité juridique, qu'un jugement qui n'a pas été notifié demeure susceptible d'un recours, sans limite dans le temps, dans les cas où, en application de l'article 528 du même code, le délai de recours court à compter de la notification du jugement.

15. Le recours en révision tend à faire rétracter, ainsi qu'il est dit à l'article 593 du code de procédure civile, un jugement passé en force de chose jugée, lequel se définit comme celui qui n'est susceptible, conformément à l'article 500 du même code, d'aucun recours suspensif d'exécution.

16. Le délai de recours en révision, qui n'est ouvert que pour l'une des causes limitativement énumérées à l'article 595 du code de procédure civile, court à compter, non de la date de notification du jugement, mais du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.

17. L'objectif du recours en révision, destiné à faire obstacle au maintien d'une décision de justice, serait-elle irrévocable, qui aurait été obtenue par fraude ou selon un déroulement déloyal de la procédure, est étranger à celui poursuivi par l'article 528-1 du code de procédure civile.

18. D'autre part, interdire à la partie à l'encontre de laquelle le jugement a été rendu la faculté d'agir en révision, faute pour celui-ci d'avoir été notifié dans les deux ans de son prononcé, méconnaîtrait, eu égard à la finalité du recours en révision, tant le droit d'accès au juge que le droit à un procès équitable, garantis par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

19. Il en résulte que l'exercice du recours en révision ne saurait être entravé par les dispositions de l'article 528-1 précité.

20. Il apparaît, dès lors, nécessaire d'interpréter désormais les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile à la lumière des dispositions conventionnelles rappelées plus haut, en ce sens qu'elles ne s'appliquent pas au recours en révision.

21. Pour déclarer irrecevable le recours en révision de M. [W], l'arrêt retient qu'il est admis que les dispositions de l'article 528-1 du code de procédure civile s'appliquent tant aux voies de recours ordinaires que extra-ordinaires et qu'ainsi, un recours en révision contre un jugement qui n'a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé est irrecevable.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

Condamne M. [P] [S], la Mutuelle des architectes français, la Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics et la société Bolmont Frères, représentée par la société Le Carrer-Najean, en qualité de liquidateur, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [P] [S] et la Mutuelle des architectes français et par la Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics et les condamne, ainsi que la société Bolmont Frères, représentée par la société Le Carrer-Najean, en qualité de liquidateur, à payer à M. [W] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé en l'audience publique du vingt-trois mars deux mille vingt-trois par Mme Martinel, conseiller doyen, et signé par elle, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

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