21 March 2023
Cour d'appel de Lyon
RG n° 22/02394

1ère chambre civile B

Texte de la décision

N° RG 22/02394 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OGX2





Décisions :



TJ de GAP

Au fond

du 25 septembre 2018

RG : 15/00817



Cour d'Appel de Grenoble

Au fond du 16 Juin 2020

RG 18/04747



Cour de Cassation

Civ1 du 02 Mars 2022

Arrêt 182 FS-B







[V]

S.E.L.A.R.L. OFFICE NOTARIAL DU GAPENCAIS



C/



[K]

[L] NÉE [E]

[J] NEE [E]

[T] NEE [E]





Arrêt



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 21 Mars 2023



statuant sur renvoi après cassation



APPELANTS :



M. [C] [V], notaire associé

[Adresse 6]

[Localité 1]





par Me Denis WERQUIN de la SAS TUDELA WERQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813

ayant pour avocat plaidant Me Olivier DORNE de la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA-DORNE- GOARANT, avocat au barreau de GRENOBLE

Représenté





S.E.L.A.R.L. OFFICE NOTARIAL DU GAPENCAIS venant aux droits de la Société [C] [V], [C] [A] et [R] [B]

[Adresse 6]

[Localité 1]



Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TUDELA WERQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813

ayant pour avocat plaidant Me Olivier DORNE de la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA-DORNE- GOARANT, avocat au barreau de GRENOBLE







INTIMES :



M. [M] [K]

né le 20 Octobre 1982 à [Localité 1] (05)

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 7]



Défaillant





Mme [N] [E] épouse [L]

née le 10 Mai 1948 à [Localité 9] (ITALIE)

[Adresse 10]

[Localité 3]



Représentée par Me Coralie SOTO, avocat au barreau de LYON, toque : 1867

ayant pour avocat plaidant Me Nicolas WIERZBINSKI de la SCP ALPAZUR AVOCATS, avocat au barreau de HAUTES-ALPES



Mme [W] [E] épouse [J]

née le 17 Novembre 1953 à [Localité 9] (ITALIE)

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représentée par Me Coralie SOTO, avocat au barreau de LYON, toque : 1867

ayant pour avocat plaidant Me Nicolas WIERZBINSKI de la SCP ALPAZUR AVOCATS, avocat au barreau de HAUTES-ALPES







Mme [Z] [E] épouse [T]

née le 25 Septembre 1960 à [Localité 9] (ITALIE)

[Adresse 11]

[Localité 4]



Représentée par Me Coralie SOTO, avocat au barreau de LYON, toque : 1867

ayant pour avocat plaidant Me Nicolas WIERZBINSKI de la SCP ALPAZUR AVOCATS, avocat au barreau de HAUTES-ALPES







* * * * * *





Date de clôture de l'instruction : 03 Janvier 2023



Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Janvier 2023



Date de mise à disposition : 07 Mars 2023, prorogée au 21 Mars 2023, les avocats dûment avisés conformément au code de procédure civile



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller



assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier



A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.



Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,



Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




* * * *













FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:



[S] [U], de nationalité italienne, est décédée le 28 février 2015, en laissant pour lui succéder ses quatre enfants, [N], [W], [Z] et [X], ainsi que son petit-fils, Mr [M] [K], venant par représentation de sa mère, pré-décédée, et en l'état d'un testament reçu, en français, le 17 avril 2002, par Maître [V], notaire, en présence de deux témoins et avec le concours d'une interprète de langue italienne, et instituant ses trois filles, [N], [W] et [Z], ci-après les consorts [E], légataires de la quotité disponible.



Par exploits d'huissier signifiés entre le 3 juillet et le 26 août 2015, Mr [K] a fait assigner les consorts [E] en nullité du testament.



Celles-ci ont appelé en intervention forcée Maître [V], et la société civile professionnelle [V]-[A]-[B], aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Office Notarial du Gapençais devenue Geonot.



Par jugement du 25 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Gap a :

- annulé le testament reçu le 17 avril 2002 par Maître [C] [V],

- condamné in solidum Maître [C] [V] et la SCP [V]-[A]-[B] à payer à Mmes [N], [W] et [Z] [E] une somme de 1.500 € chacune à titre de dommages et intérêts,

- condamné in solidum Maître [C] [V] et la SCP [V]-[A]-[B] aux entiers dépens de l'instance distraits au profit des avocats de la cause sur leurs affirmations de droit, ainsi qu'à payer à Mr [M] [K] une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à Mmes [N], [W] et [Z] [E] , prises solidairement, une autre somme de 2.000 € sur le même fondement,

- débouté les parties de toutes prétentions plus amples ou contraires,

- rejeté la demande aux fins d'exécution provisoire du présent jugement.



Par arrêt du 16 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur appel de Maître [V] et de la société civile professionnelle [V]-[A]-[B], a :

- infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et validé le testament reçu le 17 avril 2002 par Maître [V] en son étude de la part de [S] [U] comme testament international au visa des dispositions de la convention de Washington en date du 28 octobre 1973 portant loi uniforme,

- débouté Mr [K] de toutes ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mmes [N], [W] et [Z] [E] aux entiers dépens.



Par un arrêt du 2 mars 2022, la première chambre civile de la cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d'appel de Grenoble et renvoyé l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt devant la cour d'appel de Lyon.





La Cour de cassation a relevé que " s'il résulte des articles 3, §3 et 4 §1 de la loi uniforme sur la forme d'un testament international annexée à la convention de Washington du 26 octobre 1973 qu'un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l'expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l'être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l'aide d'un interprète et qu'en validant le testament international de [S] [U] après avoir constaté que celle-ci ne s'exprimait pas en langue française, l'arrêt qui avait retenu que, si l'acte ne portait pas mention exacte que le document était le testament de [S] [U] et qu'elle en connaissait son contenu, il précisait qu'il avait été écrit en entier de la main du notaire, tel qu'il lui avait été dicté par la testatrice et l'interprète, puis que le notaire l'avait lu à ceux-ci, lesquels avaient déclaré le bien comprendre et reconnaître qu'il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s'assurer que [S] [U] en connaissait le contenu et qu'il portait mention de ses dernières volontés, la cour avait violé les textes susvisés ".



La cour d'appel de Lyon a été saisie par déclaration du 29 mars 2022.



Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 27 octobre 2022, Maître [C] [V] et la Selarl Office Notarial du Gapençais prise en la personne de ses représentants légaux venant aux droits de la société [V]-[A]-[B] demandent à la cour de :





- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Gap le 25 septembre 2018 en ce qu'il a :

- annulé le testament reçu le 17 avril 2002 par Maître [V],

- condamné in solidum Maître [V] et la SCP [V]-[A]-[B] à payer à Mmes [E] une somme de 1.500 € chacune à titre de dommages-intérêts,

- condamné in solidum Maître [V] et la SCP [V]-[A] [B] aux entiers dépens de l'instance distraits au profit des avocats de la cause sur leurs affirmations de droit ainsi qu'à payer à Mr [K] une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à Mmes [E], prises solidairement, une autre somme de 2.000 € sur le même fondement,

- débouté Maître [V] et l'étude notariale de leur demande de condamnation in solidum des consorts [E], ou qui mieux le devra au paiement de la somme de 2.000 € à leur profit au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance,

statuant de nouveau,

- juger que le testament établi par Maître [V] le 17 avril 2002 respecte les dispositions de la loi uniforme annexée à la convention de Washington du 28 octobre 1973,

- juger valide le testament litigieux,

- juger qu'il n'a commis aucun manquement fautif dans l'accomplissement de sa mission et qu'il n'est aucunement justifié de l'existence d'un préjudice indemnisable par lui,

en conséquence,

- débouter Mr [K] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du testament du 17 avril 2002,

- débouter les consorts [E] de l'intégralité de leurs demandes formées à leur encontre,

- débouter Mr [K] de l'intégralité de ses demandes formées à leur encontre,

- condamner in solidum les consorts [E] et/ou Mr [K] à leur verser à la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 2 septembre 2022, Mmes [N] [L] née [E] , [W] [J] née [E] et [Z] [T] née [E] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du 25 septembre 2018 en ce qu'il a annulé le testament du 17 avril 2022,

- juger que testament établi par Maître [V] le 17 avril 2002 respecte les dispositions de la loi uniforme annexée à la convention de Washington du 28 octobre 1973 et juger valide le testament du 17 avril 2022,

à défaut, si la cour d'appel devait annuler le testament de [S] [U],

- réformer le jugement du 25 septembre 2018 en ce qu'il a limité à 1.500 € les dommages et intérêts qui leur ont été alloués,

- juger que Maître [V], notaire, a commis une faute et a engagé sa responsabilité à leur égard,

- condamner Maître [V], notaire, et la SELARL office notarial du Gapençais devenue Geonot, venant aux droits de la SCP [C] [V], [C] [A], [I] [B], à les relever et les garantir de toutes sommes qui pourraient être mises à leur charge au profit de Mr [K],

- condamner Maître [V], notaire, et la SELARL office notarial du Gapençais devenue Geonot, venant aux droits de la SCP [C] [V] [C] [A] [I] [B], à les indemniser des préjudices subis, et les condamner in solidum à verser à chacune :

- 2.833 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier lié à la perte de leurs droits sur le montant de la quotité disponible et la perte de chance d'appréhender la quotité disponible,

- 1.500 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- condamner Mr [K], et à défaut Maître [V], notaire, et la SELARL office notarial du Gapençais devenue Geonot, venant aux droits de la SCP [C] [V], [C] [A], [I] [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à leur payer une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Mr [M] [K], à qui la déclaration d'appel a été signifiée selon les formalités prévues par l'article 684 aliéna 1er du code de procédure civile et par la convention de La Haye du 15 novembre 1965 par acte du 29 avril 2022, n'a pas constitué avocat.



Au terme de ses dernières conclusions déposées devant la cour d'appel de Grenoble, Mr [K] demandait à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Gap en date du 25 septembre 2016 sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts,

par conséquent,

- déclarer nul et de nul effet le testament établi par acte notarié le 17 avril 2002 en l'étude de Maître [V] pour vice de fond,

- dire et juger que la traductrice n'était pas assermentée et que les dispositions de l'article 4 1 de la loi uniforme figurant en annexe de la convention de Washington en date du 26 octobre 1973 n'ont pas été respectées,

- déclarer nul et de nul effet le testament comme testament international,

sur le préjudice indemnisable par Maître [V],

- dire et juger que Maître [V] engage sa responsabilité,

- dire et juger qu'il a subi un préjudice correspondant au quart du surplus de la quotité disponible,

en toutes hypothèses,

- condamner in solidum Mmes [N], [W] et [S] nées [E] avec Maître [V] et la société civile professionnelle d'exercice notarial [V]-[A]-[B] à lui payer la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner in solidum Mmes [N], [W] et [S] nées [E] avec Maître [V] et la société civile professionnelle d'exercice notarial [V]-[A]-[B] à lui payer la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.




MOTIFS DE LA DÉCISION:



A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir 'constater' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour, de même que les demandes tendant à voir 'dire et juger' lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.



1. sur la validité du testament et les demandes de Mr [K] :



Maître [V] et la société Office Notarial du Gapençais soutiennent qu'aucune faute ne peut être reprochée au notaire ayant instrumenté le testament litigieux dés lors qu'il a assuré la validité de ce testament à la date à laquelle il est intervenu.



A l'appui de leur demande de validité du testament, ils font valoir que :

- il n'est pas requis par la loi que les témoins aient la capacité de veiller à la régularité du testament authentique,

- les règles relatives à la présence des témoins étant des règles de formes, le testament litigieux ne peut encourir qu'une nullité pour vice de forme et non pas pour vice de fond,

- par ailleurs, à l'époque du testament, aucune disposition législative n'encadrait le recours à un interprète, et si la loi française ne prévoyait pas l'intervention d'un interprète pour les testaments en général, elle ne l'interdisait pas non plus,

- l'irrégularité formelle d'un testament authentique n'est pas de nature à remettre en cause sa validité dès lors qu'il est valable au regard des dispositions relatives au testament international, et ainsi, même avant la réforme de 2015, l'intervention d'un interprète était possible dans les conditions fixées par la convention de Washington,

- en l'espèce, les formalités prescrites par la loi uniforme figurant en annexe de la convention de Washington du 26 octobre 1973 ont été accomplies et la position de la cour de cassation qui a retenu que le testament international ne pouvait être rédigé que dans une langue comprise par le testateur, même avec l'aide d'un interprète, est contestable dès lors que la convention de Washington prévoit expressément le recours à un interprète,

- les conditions fixées par la loi du 16 février 2015 autorisant le recours à un interprète lorsque le testateur ne peut s'exprimer en langue française ne sont pas applicables en l'espèce dès lors d'une part que la loi n'est pas temporellement applicable au testament litigieux et d'autre part que cette exigence ne concerne que les testaments authentiques,

- selon la loi uniforme applicable au cas d'espèce et à défaut de dispositions sur ce point en droit interne à l'époque, le recours à un interprète a pour objectif de s'assurer que le document est bien son testament et qu'il en connaît le contenu et non pas, comme l'ont relevé les premiers juges de garantir la sincérité du testament,

- dans la mesure où selon la loi uniforme le testateur n'est pas tenu de donner connaissance du contenu du testament aux témoins ni à la personne habilitée, il ne peut être reproché à Maître [V] que les témoins choisis par Mme [U] ne comprenaient pas l'italien, ce qui n'est en tout état de cause pas démontré,

- la loi uniforme n'impose pas que le testament porte la mention expresse " le document est mon testament et que j'en connais le contenu " et puisque Mme [E] a apposé sa signature sur le document, il ne peut être que considéré qu'il s'agissait de son testament et qu'elle en connaissait le contenu.



Les consorts [E] s'associent aux moyens développés par Maître [V] et la SCP notariale visant à reconnaître la validité du testament au regard de la convention de Washington et de la loi uniforme annexée.



En application de l'article 634, Mr [K] qui avait conclu devant la cour d'appel de Grenoble est réputé s'en tenir aux moyens et prétentions qu'il avait soumis à la juridiction dont la décision a été cassée.



Dans ses conclusions déposées devant la cour d'appel de Grenoble, Mr [K] faisait valoir que :

- le testament était nul pour vice de fond car les témoins ne comprenaient pas la langue italienne et parce que le notaire ne pouvait recevoir un testament authentique en une langue étrangère que s'il comprenait la langue utilisée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- en tout état de cause, la traductrice n'était pas assermentée et rien ne permettait de s'assurer de sa traduction,

- les conditions d'application d'un testament international ne sont pas remplies en l'espèce,

- en effet, ni le notaire ni les deux témoins ne maîtrisent la langue italienne et par ailleurs l'interprète ne maîtrise pas parfaitement la langue française,

- au demeurant, la convention de Washington précise que les conditions pour être interprète sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilité a été désignée et dans le régime applicable à la date du testament, le notaire ne pouvait recevoir un testament authentique en langue étrangère que s'il comprenait la langue utilisée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- par ailleurs, en application de l'article 4 1° de la convention de Washington, le testateur doit déclarer que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu et le testament litigieux ne fait pas mention d'une telle déclaration de la testatrice,

- au delà du formalisme imposé pour chaque type de testament, il est essentiel de pouvoir s'assurer qu'il reflète l'exacte volonté de son auteur ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- l'interprète, Mme [Y], entretenait des liens étroits avec les bénéficiaires du testament ce qui permet de mettre en doute qu'il reflète l'exacte volonté de son auteur.



sur ce :



L'article 972 du code civil dans sa version applicable à la date d'établissement du testament litigieux dispose que si le testament est reçu par deux notaires, il leur est dicté par le testateur, l'un de ces notaires l'écrivant lui-même ou le faisant écrire à la main ou mécaniquement et que s'il n'y a qu'un notaire, il doit également être dicté par le testateur, le notaire l'écrivant lui-même ou le faisant écrire à la main ou mécaniquement.



Il ressort d'une jurisprudence constante sur ce point que si le testateur a la possibilité de dicter son testament dans une langue étrangère c'est à la condition que le notaire et les témoins comprennent cette langue.



En l'espèce, il ressort des mentions portées dans l'acte que le testament a été dicté au notaire par Mme [S] [U] en présence de l'interprète en langue italienne et il n'est pas discuté que ni Maître [V], notaire instrumentaire, ni les deux témoins présents, ne comprenaient cette langue.



Par ailleurs, aucune disposition légale en droit interne n'autorisait à l'époque le recours à un interprète pour dicter un testament.



Il en résulte que le testament n'est pas valide en tant que testament authentique, ainsi que l'a justement rappelé le premier juge.



Toutefois, il est constant en droit que l'annulation d'un testament authentique pour non respect des dispositions des articles 971 et suivants du code civil ne fait pas obstacle à la validité de l'acte en tant que testament international dés lors que les formalités prévues par la convention de Washington du 26 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d'un testament international ont été accomplies.





Contrairement à ce qu'a relevé le premier juge, la convention de Washington a prévu le recours à un interprète puisqu'il est stipulé en son article 5 que les conditions requises pour être témoin d'un testament international sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée et qu'il en est de même à l'égard des interprètes éventuellement appelés à intervenir.





Aux termes de l'article 1er de la loi uniforme , un testament est valable, en ce qui concerne la forme, quels que soient notamment le lieu où il a été fait, la situation des biens, la nationalité, le domicile ou la résidence du testateur, s'il est fait dans la forme du testament international, conformément aux dispositions des articles 2 à 5 ci-après.



Selon l'article 3 de la loi uniforme :

1. le testament doit être fait par écrit.

2. il n'est pas nécessairement écrit par le testateur lui-même.

3. il peut être écrit en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé.



Ainsi, il est admis au sens de la convention de Washington et de la loi uniforme qu'un testament peut être écrit en une langue quelconque et aucune autre disposition de la dite convention ou de la loi uniforme ne prévoit que le testament doit nécessairement être écrit dans une langue que le testateur comprend, la présence d'un interprète permettant précisément de remédier aux difficultés de compréhension du testateur.



Par ailleurs, si en application de l'article 5 de la convention, les conditions requises pour être interprète d'un testament 'international' sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée, il convient de relever qu'à la date d'établissement du testament litigieux, aucune disposition de droit interne ne prévoyait l'intervention d'un interprète, celle-ci ayant été instituée par la loi du 16 février 2015.



Ainsi, le fait que l'interprète ayant assistée Mme [S] [U] n'était pas assermentée n'est pas de nature à affecter la validité du testament.



L'article 4 de la loi uniforme précise que :

1. le testateur déclare en présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu.

2. Le testateur n'est pas tenu de donner connaissance du contenu du testament aux témoins, ni à la personne habilitée.



En l'espèce, il est exact que le testament ne porte pas la mention formelle d'une déclaration de Mme [S] [U] selon laquelle ' le document est son testament et qu'elle en connaît le contenu'.



Toutefois, il est expressément mentionné dans l'acte, après que le testament ait été écrit par le notaire à la machine à traitement de texte tel qu'il lui a été dicté par la testatrice et l'interprète, que '...le notaire soussigné l'a lu à la testatrice et à l'interprète, lesquels ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu'il exprime exactement les volontés de la testatrice le tout en la présence simultanée et non interrompue des témoins sus-nommés', ce qui permet de s'assurer que la testatrice a bien confirmé que le document était son testament et qu'elle en connaissait le contenu.



Aucun élément au dossier ne permet par ailleurs de constater que Mme [O] [Y] qui a servi d'interprète ne maîtrisait pas la langue française, ainsi que le soutient Mr [K].



Enfin les allégations de Mr [K] selon lesquelles Mme [Y] aurait entretenu des liens étroits avec la testatrice, outre le fait qu'elles ne sont pas suffisamment établies par les deux photographies produites aux débats, ne sont pas de nature en tout état de cause à mettre en doute la sincérité de la traduction de ces propos et l'expression de la volonté de Mme [S] [U].



Pour le surplus, il n'est pas discuté que les conditions de forme édictées par les articles 2 à 5 de la loi uniforme ont été respectées à savoir qu'il s'agit d'un testament établi par une seule personne (art 2), que le testament est écrit (art 3) et qu'en la présence de témoins et de la personne habilitée, il a été signé par le testateur, les témoins et la personne habilitée (art 5)



L'ensemble des formalités prévues par la convention de Washington et la loi uniforme ont ainsi été accomplies et permettent de garantir que l'établissement du testament reflète l'exacte volonté de son auteur.



Il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le testament et par voie de conséquence condamné le notaire à indemniser les consorts [E] de leurs demandes subsidiaire en dommages et intérêts.





Dés lors en effet que le testament est valide, les demandes en garantie et en paiement de dommages et intérêts formées par les consorts [E] à l'encontre du notaire deviennent sans objet.



2. sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :



Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.



La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de s consorts [E] d'une part, de Maître [V] et de la société Office Notarial du Gapençais d'autre part, et leur alloue à chacun la somme de 2.000 €.



Les dépens de première instance et d'appel qui comprennent ceux afférents à la décision cassée, sont à la charge de Mr [K] qui succombe en ses prétentions.



PAR CES MOTIFS

LA COUR



Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,



statuant de nouveau et y ajoutant,



Dit que le testament litigieux est valide ;



Déboute Mr [M] [K] de l'intégralité de ses prétentions;



Constate que les demandes en garantie et en paiement de dommages et intérêts formées par les consorts [E] à l'encontre du notaire sont sans objet ;



Condamne Mr [M] [K] à payer aux consorts [E], unis d'intérêts, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne Mr [M] [K] à payer à Maître [V] et à la société Office Notarial du Gapençais, unis d'intérêts, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne Mr [M] [K] aux dépens de première instance et d'appel, qui comprennent ceux afférents à la décision cassée, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.



Le greffier, Le Président,

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