22 March 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.455

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00279

Texte de la décision

SOC.

HA



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mars 2023




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 279 F-D

Pourvoi n° D 21-23.455





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MARS 2023

La Mutuelle Unéo (société mutualiste), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 21-23.455 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre) dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [B] [T], domicilié [Adresse 3],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.


Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Mutuelle Unéo, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 1er février 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 septembre 2021), M. [T] a été engagé le 3 janvier 2005 en qualité de responsable contrôle qualité, statut cadre, par la caisse nationale du gendarme, par contrat à durée indéterminée et, suivant avenant du 11 février 2009, le contrat de travail a été transféré à la Mutuelle Unéo.

2. Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 29 novembre 2016 avant d'être licencié, le 7 juillet 2017, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

3. Soutenant avoir été victime de harcèlement moral et d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le salarié a saisi, le 28 août 2017, la juridiction prud'homale en contestation du licenciement et en paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La Mutuelle Unéo fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul et de la condamner à payer au salarié certaines sommes au titre du harcèlement moral, du manquement à l'obligation de sécurité, de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et du licenciement nul, alors :

« 1°/ que la cour d'appel a constaté qu'aucune pièce probante ne permet d'établir que la supérieure hiérarchique du salarié demandeur, Mme [P], aurait critiqué la qualité de son travail en son absence, qu'à la suite d'un ''document Powerpoint dressant un constat très négatif en des termes particulièrement brutaux'' du service dont M. [T] était responsable, Mme [P] a amendé son projet, tout en maintenant néanmoins l'essentiel de ses critiques, mais que le compte rendu de son entretien d'évaluation pour l'année 2015 était positif, que M. [T] a bénéficié d'une augmentation individuelle de 3 % en raison du résultat de son évaluation, qu'il n'apparaît pas illégitime que Mme [P] ait seule participé aux réunions concernant le secteur dont elle était responsable, que l'employeur communique des courriels de convocation du salarié à diverses réunions postérieures au 14 novembre 2016, date du mail par lequel M. [T] a contesté l'état des lieux dressé par sa supérieure hiérarchique, que M. [T] évoque l'attribution à Mme [P] de la responsabilité du service ''voix du client'' alors qu'il avait travaillé à sa création mais que, cependant, cette décision relève du pouvoir de direction de l'employeur, alors que le salarié ne justifie d'aucun engagement de la Mutuelle Unéo de lui attribuer le poste litigieux et que Mme [P] bénéficiait d'une expérience en tant que responsable de secteur coordination et directeur adjoint du département réseaux de distribution, alors que celle de M. [T] se limitait au poste de responsable de domaine des opérations spécifiques ; que la cour d'appel a constaté encore que M. [T] invoque des brimades et des actes de dénigrement de la part de sa supérieure hiérarchique, sans toutefois étayer ses dires d'éléments probants et que ces faits ne sont pas établis, et que, s'agissant de son état de santé, l'ensemble des certificats et attestations ont été établis à partir des dires du salarié, que les pièces médicales ne sont pas de nature, à elles seules, à démontrer l'existence d'un lien entre l'état de santé constaté et l'activité professionnelle de l'appelant, qu'enfin, s'il apparaît incontestable que M. [T] a été déstabilisé par la décision de l'employeur de ne pas lui confier le poste de responsable du secteur voix du client lorsqu'il a été attribué à Mme [P], il ressort toutefois du témoignage de M. [V], délégué syndical, qu'il avait réussi à dépasser cette déception en obtenant le poste de responsable de domaine ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel ne pouvait pas considérer que l'employeur échouait à démontrer que les faits matériellement établis par M. [T] étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que le harcèlement moral était établi ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

2°/ que si aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, il n'en va pas ainsi lorsque ne peuvent être retenus que des reproches adressés au salarié à une occasion particulière, susceptibles d'être justifiés par l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur et contredits ou tempérés par de nombreuses manifestations de respect et de reconnaissance des qualités professionnelles du salarié émanant de l'employeur et de la supérieure hiérarchique de M. [T] ; qu'en motivant sa décision par un événement unique, sans caractériser l'existence d'un exercice abusif du pouvoir de direction par la Mutuelle Unéo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

3°/ qu'en tout état de cause, si aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la cour d'appel ne pouvait déduire l'existence d'un harcèlement moral du seul motif qu'un bilan négatif relatif au fonctionnement de son service avait été établi en interne, sans constater pour autant des agissements répétés ayant eu pour effet de porter atteinte à sa dignité, l'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en statuant de la sorte, sans procéder aux constatations susvisées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit tant l'existence de faits précis qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral que l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La Mutuelle Unéo fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt attaqué sur le fondement du premier moyen, en ce qu'il a retenu l'existence d'un harcèlement moral, entraînera par voie de conséquence sa censure en ce qu'il a retenu le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité résultant de son absence de réaction aux faits de harcèlement dénoncés par le salarié et dont la réalité n'était pas établie ;

2°/ qu'en tout état de cause, la cour d'appel ne pouvait sans contradiction constater d'une part que l'activité personnelle de M. [T] n'avait pas été précisément remise en cause mais seulement le fonctionnement général de son service, que, s'agissant de l'état de santé, ''l'ensemble des certificats et attestations ont été établis à partir des dires du salarié'' et que M. [T] soutient avoir été victime d'un épuisement professionnel, mais qu'aucune pièce probante ne permet de corroborer les dires du salarié concernant une surcharge de travail, qu'il ne justifie pas l'avoir signalée à l'employeur, ses comptes rendus d'entretien annuel d'évaluation pour les années 2014 et 2015 n'y faisant aucune référence, et considérer d'autre part qu'il ressort du courriel que M. [T] a adressé à Mme [P] et M. [S] le 21 novembre 2016 qu'il a alerté ses supérieurs hiérarchiques à propos de sa situation de souffrance dans laquelle il se trouvait à la suite de la diffusion par Mme [P] d'un état des lieux humiliant et de l'absence de suite donnée à son courriel de contestation du 14 novembre 2016, que l'employeur ne justifie d'aucune réaction à la réception du message du 21 novembre ; que, par des motifs aussi peu cohérents, la cour d'appel n'a pas caractérisé une violation de son obligation de sécurité commise par l'employeur, en violation des articles L. 4121-1 et L. 1152-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, le rejet du premier moyen du pourvoi prive de portée la première branche qui invoque une cassation par voie de conséquence.

9. En second lieu, l'arrêt constate que, le 21 novembre 2016, le salarié a alerté ses supérieurs hiérarchiques à propos de la situation de souffrance dans laquelle il se trouvait à la suite de la diffusion par sa supérieure hiérarchique directe d'un état des lieux humiliant et de l'absence de suite donnée à son courriel de contestation du 14 novembre 2016, que l'employeur ne justifie d'aucune réaction à réception du message du 21 novembre 2016 et n'établit même pas y avoir répondu.

10. La cour d'appel a pu en déduire l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Mutuelle Unéo aux dépens ;


En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Mutuelle Unéo et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.

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