22 March 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-10.808

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00216

Titres et sommaires

REFERE - Applications diverses - Contrats de la commande publique - Référé précontractuel - Conclusion du contrat - Portée - Pouvoirs du juge

Si la conclusion du contrat entre l'adjudicateur et l'entreprise sélectionnée met fin aux pouvoirs du juge saisi en matière précontractuelle sur le fondement des articles 2 à 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, elle ne prive, néanmoins, pas d'objet le pourvoi contestant la décision prise par ce juge avant que cette conclusion n'intervienne

REFERE - Applications diverses - Contrats de la commande publique - Référé précontractuel - Conclusion du contrat - Portée - Pourvoi en cassation

CASSATION - Pourvoi - Pourvoi devenu sans objet - Exclusion - Cas - Commande publique - Contrat conclu après une procédure de référé précontractuel - Conditions - Décision prise avant la conclusion du contrat

Texte de la décision

COMM.

DB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mars 2023




Cassation partielle sans renvoi


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 216 FS-B

Pourvoi n° H 21-10.808




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 MARS 2023

La société Sopro, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 21-10.808 contre l'ordonnance de référé rendue le 5 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Lille, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SIA Habitat, société anonyme de HLM dont le siège est [Adresse 4], ayant un établissement [Adresse 2],

2°/ à la société Sorehal, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Sopro, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société SIA Habitat, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, M. Calloch, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (Lille, 5 janvier 2021), rendue en référé le 24 juin 2020, la société SIA Habitat, qui est une société de gestion d'habitations à loyer modéré, a publié au Journal Officiel de l'Union européenne un avis d'appel public à la concurrence relatif au renouvellement du marché de « vérification préventive et maintenance corrective des équipements de prévention et de sécurité incendie », pour le renouveler à partir du 1er janvier 2021.

2. Quatre offres ont été déposées, parmi lesquelles celle de la société Sopro, précédente attributaire du marché.

3. Le 4 novembre 2020, la société SIA Habitat a informé la société Sopro, que la commission d'appel d'offres, tenue le même jour, n'avait pas retenu son offre et que le marché avait été attribué à la société Sorehal.

4. Soutenant que la société Sorehal avait mis en œuvre à son égard des actes de concurrence déloyale en se prévalant de personnels qui ne figuraient pas parmi ses employés et par le débauchage de certains de ses salariés, la société Sopro a assigné la société SIA Habitat selon les formes prévues à l'article 1441-1 du code de procédure civile et sur le fondement des articles 2 et 5 de l'ordonnance du 7 mai 2009, afin qu'il lui soit fait défense de poursuivre la signature du contrat avec la société Sorehal et que l'annulation de l'attribution du marché soit prononcée.

Non-lieu à statuer soutenu par la défense :

5. La société SIA soutient que la signature du marché étant intervenue à la suite de l'ordonnance, le pourvoi est sans objet et qu'il convient de prononcer un non-lieu à statuer.

6. Cependant, si cette circonstance met fin aux pouvoirs du juge saisi en matière précontractuelle, elle ne prive pas d'objet le pourvoi contestant la décision prise par celui-ci avant que cette signature n'intervienne.

7. Il y a donc lieu de statuer sur le pourvoi.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Sopro fait grief à l'ordonnance de rejeter ses demandes contre la société SIA Habitat en raison de l'attribution d'un marché à la société Sorehal, alors « que le juge des référés précontractuels doit s'assurer du respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats ; que la prise en compte par le pouvoir adjudicateur de renseignements erronés relatifs aux capacités professionnelles, techniques et financières d'un candidat est susceptible de fausser l'appréciation portée sur les mérites de cette candidature au détriment des autres candidatures et ainsi de porter atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats ; qu'en l'espèce, la société Sopro faisait valoir que la société Sorehal, qui avait obtenu le marché, avait présenté une situation fausse et avait cherché à tromper la société SIA Habitat, pouvoir adjudicateur, quant à ses ressources humaines réelles ; qu'à l'appui de ce moyen, elle produisait aux débats le registre d'entrées et sorties du personnel de la société Sorehal et le rapport d'analyse des offres, dont la comparaison faisait ressortir que la société Sorehal avait mentionné dans son offre de nombreux salariés qui n'étaient en réalité pas inscrits à son registre du personnel, à savoir Mme [S] et MM. [O], [B], [C], [F], [U], [N], [W], [H], [K], [E], [Z], [J], [M], [A], [Y], [P], [T] et [L] ; qu'en se bornant à retenir qu'il n'était pas démontré que la société SIA Habitat ait été informé des prétendues pratiques de concurrence déloyale de la société Sorehal, ni même qu'elle n'aurait pas procédé aux vérifications suffisantes, quand il appartenait au juge du référé précontractuel de vérifier lui-même, au vu des preuves produites devant lui, que le pouvoir adjudicateur n'avait pas pris en compte des renseignements erronés relatifs aux ressources humaines, et donc aux capacités professionnelles, du candidat retenu, susceptible de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats, le juge des référés précontractuels a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et de l'article 1441-1 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :

9. Ce texte dispose :

« En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat.
La demande est portée devant la juridiction judiciaire. »

10. Il résulte de ce texte qu'il appartient au juge précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. La prise en compte, par un acheteur public, de renseignements erronés relatifs aux ressources humaines et donc aux capacités professionnelles du candidat retenu, qui conditionnent la recevabilité de son offre, est de nature à caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats.

11. Pour rejeter les demandes de la société Sopro, l'ordonnance retient qu'elle ne démontrait pas que la société SIA Habitat ait été informée des prétendues pratiques de « concurrence déloyale », ni même qu'elle n'aurait pas procédé aux vérifications suffisantes auxquelles elle pouvait être tenue lors de la passation du marché et manqué aux obligations de mise en concurrence lui incombant.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il y était invité, si le pouvoir adjudicateur n'avait pas pris en compte des renseignements erronés relatifs aux ressources humaines et donc aux capacités professionnelles du candidat retenu, lesquelles, conditionnant la recevabilité de son offre, étaient de nature à caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats, le juge n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

13. La société Sopro fait le même grief à l'ordonnance, alors « que peut saisir le juge des référés précontractuels l'entreprise qui se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une autre entreprise ; que le choix de l'offre d'un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d'avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Sopro avait candidaté, dans le délai de remise des offres, au marché litigieux ; qu'en affirmant néanmoins que la société Sopro ne justifiait pas que le manquement, résultant selon elle du comportement déloyal de la société Sorehal, avait pu entraîner une lésion, le juge des référés précontractuels a violé l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et de l'article 1441-1 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :

14. Pour rejeter les demandes de la société Sopro, l'ordonnance retient que celle-ci n'établissait pas que le manquement résultant, selon elle, du comportement déloyal de la société Sorehal, à le supposer établi, ait pu entraîner une lésion pour elle.

15. En statuant ainsi, par voie d'affirmation, alors qu'il aurait dû rechercher si le choix de l'offre d'un candidat retenu au regard d'informations éventuellement trompeuses sur ses capacités à réaliser le marché était de nature à léser le candidat concurrent qui invoquait ce manquement, le juge a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. Le contrat ayant été conclu, il n'y a plus lieu à référé précontractuel et la cassation n'implique donc pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle rejette l'exception de nullité de l'assignation, l'ordonnance rendue le 5 janvier 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Lille ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société SIA Habitat aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le tribunal judiciaire ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SIA Habitat et la condamne à payer à la société Sopro la somme de 3 500 euros ;



Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Sopro.

La société Sopro fait grief à la décision attaquée de l'AVOIR débouté de l'ensemble de ses demandes désignées contre la société Sia Habitat à raison de l'attribution d'un marché à la société Sia Habitat à raison de l'attribution d'un marché à la société Sorehal ;

1) ALORS QUE le juge des référés précontractuels doit s'assurer du respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats ; que la prise en compte par le pouvoir adjudicateur de renseignements erronés relatifs aux capacités professionnelles, techniques et financières d'un candidat est susceptible de fausser l'appréciation portée sur les mérites de cette candidature au détriment des autres candidatures et ainsi de porter atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats ; qu'en l'espèce, la société Sopro faisait valoir (cf. exposé des prétentions des parties en page 3 de l'ordonnance) que la société Sorehal, qui avait obtenu le marché, avait présenté une situation fausse et avait cherché à tromper la société SIA Habitat, pouvoir adjudicateur, quant à ses ressources humaines réelles ; qu'à l'appui de ce moyen, elle produisait aux débats le registre d'entrées et sorties du personnel de la société Sorehal et le rapport d'analyse des offres, dont la comparaison faisait ressortir que la société Sorehal avait mentionné dans son offre de nombreux salariés qui n'étaient en réalité pas inscrits à son registre du personnel, à savoir Mme [S] et MM. [O], [B], [C], [F], [U], [N], [W], [H], [K], [E], [Z], [J], [M], [A], [Y], [P], [T] et [L] (cf. conclusions Sopro, reprises à l'audience, pages 11 à 13) ; qu'en se bornant à retenir qu'il n'était pas démontré que la société SIA Habitat ait été informé des prétendues pratiques de concurrence déloyale de la société Sorehal, ni même qu'elle n'aurait pas procédé aux vérifications suffisantes, quand il appartenait au juge du référé précontractuel de vérifier lui-même, au vu des preuves produites devant lui, que le pouvoir adjudicateur n'avait pas pris en compte des renseignements erronés relatifs aux ressources humaines, et donc aux capacités professionnelles, du candidat retenu, susceptible de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats, le juge des référés précontractuels a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de l'ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 et de l'article 1441-1 du code de procédure civile.

2) ALORS QUE peut saisir le juge des référés précontractuels l'entreprise qui se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une autre entreprise ; que le choix de l'offre d'un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d'avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Sopro avait candidaté, dans le délai de remise des offres, au marché litigieux ; qu'en affirmant néanmoins que la société Sopro ne justifiait pas que le manquement, résultant selon elle du comportement déloyal de la société Sorehal, avait pu entraîner une lésion, le juge des référés précontractuels a violé l'article 2 de l'ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 et de l'article 1441-1 du code de procédure civile.

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