9 March 2023
Cour d'appel d'Amiens
RG n° 21/01975

2EME PROTECTION SOCIALE

Texte de la décision

ARRET

N° 246





CPAM DU [Localité 4]





C/



Société [2]













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 09 MARS 2023



*************************************************************



N° RG 21/01975 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICBK - N° registre 1ère instance : 18/00593



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE EN DATE DU 28 janvier 2021





PARTIES EN CAUSE :





APPELANTE





CPAM DU [Localité 4] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée et plaidant par Mme Fozia MAVOUNGOU dûment mandatée











ET :





INTIMEE





Société [2] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

AT : M. [C] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1]





Représentée et plaidant par Me RUIMY, avocat au barreau de LYON substituant Me Cédric PUTANIER de la SELARL CEDRIC PUTANIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON











DEBATS :



A l'audience publique du 12 Décembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 09 Mars 2023.



GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Isabelle LEROY





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :



Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:



Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,



qui en ont délibéré conformément à la loi.





PRONONCE :



Le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.




*

* *



DECISION



M. [C] [L], salarié de la société [2], a été victime d'un accident du travail le 29 juin 2017 caractérisé, selon le certificat médical de la même date, par une « douleur hémi thorax droit pariétale ».



La société [2] a déclaré, à la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 4] (ci-après la CPAM), cet accident dans les circonstances suivantes : « en voulant se relever la victime aurait ressenti une forte douleur à la poitrine » et a accompagné cette déclaration d'une lettre de réserves.



La CPAM du [Localité 4] a diligenté une enquête puis a notifié à l'employeur sa décision de prise en charge de l'accident par courrier du 27 septembre 2017.



Une lésion nouvelle, caractérisée par une « lombosciatalgie hyperalgique L3-L4 et L4-L5 à droite apparue quelques jours après le traumatisme thoracique droit survenu au cour du travail », a été déclarée suivant un certificat médical de prolongation du 24 juillet 2017.



Le 2 octobre 2017, suivant un avis favorable du médecin-conseil, la CPAM du [Localité 4] a notifié à l'employeur sa décision de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnelles, de cette nouvelle lésion.



La date de guérison des lésions de M. [L] a été fixée au 31 décembre 2017.



Contestant la prise en charge de l'accident du travail du 29 juin 2017, la société [2] a saisi la commission de recours amiable le 28 novembre 2017 laquelle, en séance du 16 janvier 2018, a rejeté la contestation au motif qu'elle était irrecevable.



Le 15 mars 2018, la société [2] a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille, devenu pôle social du tribunal de grande instance, aux fins de contestation de la décision explicite de rejet de ladite commission.



Par jugement du 3 octobre 2019, le tribunal de grande instance a ordonné une mesure d'expertise médicale sur pièces et a désigné, pour y procéder, le docteur [F], lequel a rendu un rapport d'expertise le 26 août 2019, aux termes duquel il indique que :

« 1) Après avoir dument convoqué la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du [Localité 4] et le médecin désigné par la Sté [2],

2) Sans avoir eu communication de l'entier dossier médical de Mr [C] [L] détenu par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du [Localité 4] et/ou par le service médical afférent aux prestations prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du chef de l'accident du travail dont à été victime Mr [C] [L] le 29 juin 2017,



L'expert ne peut pas répondre aux questions de la mission d'expertise ».



Par jugement du 28 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Lille, pôle social, au vu du rapport de carence de l'expert, a :

- dit que les soins et arrêts de travail prescrits à M. [C] [L] suite à son accident du travail du 29 juin 2017 sont inopposables à la société [2] à compter du 4 juillet 2017,

- invité la CPAM du [Localité 4] à donner les informations utiles à la CARSAT compétente pour la rectification du taux de cotisations AT/MP de la société [2],

- condamné la CPAM du [Localité 4] aux dépens de l'instance intégrant notamment les frais d'expertise d'un montant de 541 euros.



Cette décision a été notifiée à la CPAM du [Localité 4] le 31 mars 2021, laquelle en a relevé appel le 16 avril suivant.



Les parties ont été convoquées à l'audience du 12 mai 2022, laquelle a été renvoyée au 12 décembre suivant.



Par conclusions communiquées au greffe le 9 décembre 2022 et soutenues oralement lors de l'audience, la CPAM du [Localité 4] demande à la cour de :

- constater que l'échelon local du service médical d'Albi a transmis au docteur [F], médecin expert désigné par le tribunal de grande instance de Lille, l'entier dossier médical de M. [L] relatif à l'accident du travail du 29 juin 2017,

En conséquence,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 28 janvier 2021,

- reconnaître et déclarer que les soins et arrêts de travail prescrits à M. [L] à compter du 4 juillet 2017 sont imputables à l'accident du travail du 29 juin 2017,

A défaut,

- reconnaître et déclarer que la présomption d'imputabilité à l'accident du travail des lésions, qui n'est plus subordonnée à la preuve d'une continuité de soins et symptômes, n'est nullement détruite par l'employeur qui n'apporte aucun élément objectif de nature à démontrer l'existence d'une cause totalement étrangère au travail,

En conséquence,

- déclarer opposable à la société [2] les soins et arrêts de travail prescrits à M. [L] du 4 juillet au 31 décembre 2017 (date de guérison),

- mettre à la charge de la partie succombante les entiers dépens de l'instance.



S'agissant du concours apporté par le service médical à la mission d'expertise, elle fait essentiellement valoir que l'échelon local du service médical a adressé à l'expert l'ensemble des éléments médicaux en sa possession et produit en ce sens le courrier daté du 11 juin 2019 adressé à l'expert qui l'a reçu le 19 juin suivant selon l'accusé de réception signé.



Elle indique qu'il ressort des échanges entre l'échelon local et l'expert que ce denier aurait souhaité plus d'éléments médicaux et que l'échelon local aurait expliqué ne pas en disposer.



Elle estime ainsi que, le défaut de transmission de pièces n'étant pas avéré, l'inopposabilité des arrêts et soins s'avère injustifiée.



Au titre de l'imputabilité des soins et arrêts, elle soutient que l'assuré a bénéficié de prescriptions continues du 29 juin au 31 décembre 2017 pour des lésions liées à son accident du travail et que, de ce fait, la présomption d'imputabilité trouve à s'appliquer.



Elle ajoute que l'employeur n'a apporté aucun élément objectif sur l'existence d'un état pathologique étranger à l'accident ; que n'ayant pas contesté l'expertise ordonnée par les premiers juges, elle ne s'oppose pas à la mise en 'uvre d'une nouvelle expertise par la présente cour ; que le lien entre les arrêts de travail et la lésion n'a pas à être exclusif et qu'au surplus la présomption joue pleinement ses effets sans qu'il soit besoin de rapporter la preuve d'une continuité de soins et symptômes.



Par conclusions communiquées au greffe le 9 décembre 2022 soutenues oralement , la société [2] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions et y compris par substitution de motifs, le jugement rendu par le tribunal,

- débouter la CPAM du [Localité 4] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la CPAM du [Localité 4] aux entiers dépens.



Elle indique que l'échange de courriels transmis par la CPAM permet de confirmer que le service médical n'a pas adressé les pièces médicales du dossier mais s'est contenté de retranscrire les éléments médicaux dans des observations, ce qui n'est pas suffisant.



Elle reprend un mail du docteur [F] répondant à la CPAM le 29 mai 2020 et indiquant ce qui suit : « la transmission d'un rapport médical d'auto-justification (= Ce que Madame [G] qualifie d'ensemble des éléments) n'est pas celle d'un rapport complet et exploitable. C'est se moquer de l'expert que de le prétendre en niant l'essence de son travail d'analyse médico-légale ».



Elle estime ainsi que les éléments médicaux du dossier n'ont pas été transmis au docteur [F] et que c'est à bon droit que le tribunal a déclaré inopposables les soins et arrêts de travail.



Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.




MOTIFS



Selon l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.



En application des dispositions des articles L. 411-1, L. 431-1 et L. 433-1 du code de la sécurité sociale, la présomption d'imputabilité s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident du travail ou la maladie professionnelle, pendant toute la période d'incapacité, précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement aux soins destinés à prévenir une aggravation et plus généralement, à toutes les conséquences directes de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle. Cette présomption fait obligation à la caisse de prendre en charge, au titre de la législation sur les accidents du travail, les dépenses afférentes à ces lésions.



Lorsqu'il y a continuité de symptômes et de soins, à compter de l'accident initial ou de la maladie, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci et jusqu'à la guérison ou la consolidation, sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou la maladie professionnelle, ou d'une cause totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts postérieurs.



A l'appui de son appel, la CPAM soutient que ses services n'ont pas entravé la mission de l'expert de sorte que l'inopposabilité des arrêts et soins retenue par le tribunal est injustifiée, et qu'en toute hypothèse, l'absence prétendue de transmission d'éléments médicaux à l'expert ne saurait remettre en cause la présomption d'imputabilité des soins et arrêts à l'accident que seule la démonstration d'une cause totalement étrangère peut tenir en échec.



Sur le premier point, la CPAM du [Localité 4] justifie, par un courrier du 11 juin 2019 réceptionné le 19 juin suivant, de ce que le service médical a adressé au docteur [F], expert judiciaire, des éléments médicaux en ces termes : « En vue de l'expertise médicale contradictoire concernant l'assuré cité en référence, veuillez trouver ci-joint : - Les observations médicales concernant l'accident du travail du 29/06/2017 ».



Dans son rapport de carence, le docteur [F] indique que le service médical a bien transmis une fiche médicale concernant M. [L], mais qu'il n'a pas répondu à son obligation de transmission documentaire de l'entier dossier de sorte que n'ayant pas d'information sur l'état pathologique antérieur, sur la nature exacte de la pathologie, sur la durée de l'hospitalisation ainsi que sur la nature de la complication pathologique évolutive et de son imputabilité aux conséquences de l'événement traumatique ou à l'état antérieur, il ne pouvait répondre aux questions de sa mission.



La CPAM du [Localité 4] a donc sollicité des informations auprès du service médical par mail du 27 mai 2020 : « A notre grand étonnement, l'expert affirme ne pas avoir eu communication de l'entier dossier de l'assuré (') Ainsi, pourriez-vous vérifier le circuit de transmission du dossier médical ' », lequel a répondu par mail du lendemain : « Nous aussi, nous sommes étonnées ' Car voici en pièce jointe l'AR et la lettre d'envoi. J'ai contacté l'expert, il aurait souhaité plus d'éléments médicaux mais nous n'en avons pas plus en notre possession et les copies DAT, CI etc qui n'ont pas été transmises mais que nous avons de notre côté repris dans les observations ».



A la suite de la réponse apportée par le service médical, la CPAM du [Localité 4] a transmis ces informations au tribunal judiciaire de Lille, en mettant en copie l'expert, lequel a répondu par mail du 29 mai 2020 : « l'expert a nécessairement besoin de toutes les informations qui ont été mises à disposition des praticiens conseil pour leur permettre de prendre leur décision. Ces éléments sont à la fois de nature administrative (non transmis au cas présent / D.A.T .- C.M.I et C.M.P +/-C.M.F) et de nature médicale avec l'exigence d'apporter la preuve de l'exhaustivité d'un suivi attentif et prolongé de la victime enrichi de tous les commentaires et observations utiles.

Au cadre présent du dossier, la transmission d'un rapport médical d'auto-justification (') n'est pas celle d'un rapport complet et exploitable ».



Il ressort de ces éléments que l'expert ne nie pas la transmission de documents par le service médical, mais critique leur nature en ce qu'elle ne lui permettrait pas de répondre à sa mission.

Or il ne saurait utilement être reproché à la CPAM du [Localité 4] un défaut de transmission à l'expert de documents médicaux de l'assuré qui ne sont pas en sa possession et qui sont couverts par le secret médical.

En tout état de cause, l'insuffisance des documents médicaux n'est pas de nature à remettre en cause la présomption d'imputabilité à l'accident des soins et arrêts de travail qui a été retenue par le tribunal à juste titre au vu des pièces du dossier. M. [C] [L] a en effet fait l'objet d'arrêts de travail continus prescrits par son médecin traitant à compter du 29 juin 2017, date de l'accident, jusqu'à la guérison fixée au 31 décembre 2017. Et l'intégralité des arrêts, comme le certificat médical initial, font référence à un traumatisme thoracique et costal ayant engendré des complications telles que l'apparition d'une nouvelle lésion consistant en une lombosciatalgie hyper-algique L3-L4 et L4-L5 à droite mentionnée sur un certificat médical de prolongation du 24 juillet 2017, lequel a été soumis à l'avis du médecin-conseil qui a conclu que cette nouvelle lésion était imputable à l'accident du travail du 29 juin 2017, suivant avis du 2 octobre 2017.



Seule la démonstration d'une cause totalement étrangère par l'employeur peut tenir en échec la présomption d'imputabilité. En l'occurence, la société [2] n'apporte pas cette preuve en affirmant que la nouvelle lésion ( lombosciatique) s'inscrit dans un contexte d'état pathologique antérieur sans lien avec le travail.



Les arrêts et soins prescrits à M. [C] [L], pris en charge par la CPAM au titre de l'accident du travail, sont donc opposables à l'employeur à compter du 29 juin 2017 jusqu'à la date de consolidation retenue par le service médical de la caisse, le 31 décembre suivant.



Le jugement sera infirmé.



La société [2], partie succombante, est condamnée aux dépens de l'instance, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu par décision mise à disposition au greffe,



Infirme le jugement rendu par la pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 28 janvier 2021,



Statuant à nouveau,



Déclare les soins et arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident du travail du 29 juin 2017 dont a été victime M. [C] [L], opposables à la société [2],



Condamne la société [2] aux entiers dépens.









Le Greffier, Le Président,

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