1 March 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.497

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00185

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er mars 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 185 F-D

Pourvoi n° B 21-19.497





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER MARS 2023

Mme [X] [C], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-19.497 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à la société Shurgard France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [C], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Shurgard France, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 mai 2021), Mme [C], engagée en qualité de responsable de site adjoint par la société Shurgard et promue par avenant du 27 mars 2017 responsable de site, a été affectée au site de [Localité 4].

2. Le 10 octobre 2017, elle a été informée de son affectation sur le site d'[Localité 3], en application de la clause de mobilité insérée au contrat de travail.

3. La salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 28 février 2018 et a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission et de la débouter de toutes ses demandes, y compris sa demande au titre des congés payés, alors « que c'est à l'employeur, débiteur du paiement du salaire, de prouver qu'il s'est libéré de sa dette ; que l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le salarié ne fait pas présumer le paiement des sommes qui y figurent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déduit que le salarié aurait été rempli de son droit à indemnité de congés payés du fait que ''Le bulletin de paie du mois de mars 2018, mentionne, comme le fait valoir l'employeur, l'indemnisation de 29 jours de congés payés au titre de l'année précédente, et de 13 jours au titre de l'année en cours'', que la salariée ne conteste pas les mentions des fiches de paie et qu'elle ''ne prétend pas ne pas avoir reçu paiement du salaire mentionné dans la fiche de paie du mois de mars 2018'' ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 3243-3 du code du travail et l'article 1315, devenu 1353, du code civil. »


Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-3 du code du travail et 1315, devenu 1353, du code civil :

6. Aux termes du premier de ces textes, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.

7. Aux termes du second, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

8. Pour débouter la salariée de sa demande tendant au paiement d'une somme à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt retient que le bulletin de paie du mois de mars 2018 mentionne l'indemnisation de 29 jours de congés payés au titre de l'année précédente et de 13 jours au titre de l'année en cours et que la salariée ne prétend pas ne pas avoir reçu paiement du salaire mentionné dans cette fiche de paie.

9. En statuant ainsi, alors qu'il appartient à l'employeur, débiteur de l'obligation de paiement de l'intégralité de l'indemnité due au titre des jours de congés payés, d'établir qu'il a exécuté son obligation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

10. La cassation prononcée ne s'étend pas aux autres chefs de dispositif visés par le moyen que la critique qu'il formule n'est pas susceptible d'atteindre.

11. La cassation du chef de dispositif déboutant la salariée de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés n'emporte pas cassation du chef de dispositif de l'arrêt la condamnant aux dépens, justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [C] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Shurgard aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Shurgard France et la condamne à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour Mme [C]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [C] fait grief l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté Mme [C] de sa demande de nullité de la clause de mobilité, d'AVOIR, en conséquence, dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission, et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à la société Shurgard France une somme de 8 193 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

ALORS QUE nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que comme le faisait valoir l'exposante en cause d'appel (conclusions d'appel page 7, §1), l'insertion dans le contrat de travail d'une clause de mobilité suppose qu'elle soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, proportionnée au but recherché et justifiée par la nature de la tâche à accomplir ; qu'en jugeant en l'espèce que « La clause de mobilité, qui permet à l'employeur d'imposer au salarié un changement de son lieu de travail, et qui n'est pas en soi abusive, est valable à la double condition, d'une part, qu'elle définisse de façon précise sa zone géographique d'application, et d'autre part, qu'elle ne confère pas à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée », la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Mme [C] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission, et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à la société Shurgard France une somme de 8 193 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

1) ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ; qu'en l'espèce, le contrat de travail de Mme [C] stipulait expressément que la mise en oeuvre par l'employeur de la clause de mobilité était possible à l'égard d'un salarié « soit pour les besoins propres de l'entreprise, soit pour l'amélioration ou le développement de ses compétences » ; qu'il appartenait donc à l'employeur d'établir que la mutation vers le site d'[Localité 3], après seulement sept mois de présence de Mme [C] sur le site de [Localité 4], répondait à une des deux hypothèses contractuellement déterminées : les besoins propres de l'entreprise ou l'amélioration ou le développement des compétences de la salariée ; qu'en jugeant qu'il appartenait à la salariée de prouver que la décision de mutation avait été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;

2) ALORS QUE lorsqu'elle s'accompagne d'une modification de tout ou partie de la rémunération du salarié, la mise en oeuvre de la clause de mobilité suppose, nonobstant toute clause contractuelle contraire, que le salarié l'accepte ; qu'en l'espèce la cour d'appel a relevé que « le site de [Localité 4] a donné lieu au paiement de primes respectivement de 22 451,93 euros en 2015, 16 196 euros en 2016 et 15 885,70 euros en 2017, contre 7 754,56 euros en 2015, 7 894,28 euros en 2016 et 10 115,56 euros en 2017 pour le site d'[Localité 3] » (arrêt page 7 in fine) ; qu'elle a donc constaté qu'au cours de trois années consécutives, à l'époque de la mutation de Mme [C] en octobre 2017, l'activité du site d'[Localité 3] avait permis le versement de primes significativement plus faibles que celles reçues sur le site de [Localité 4] ; qu'il s'en évinçait que la mutation sur le site d'[Localité 3] devait entrainer une diminution signification de la rémunération variable ; que pour retenir qu'« il n'est pas établi que la mutation de Mme [C] du site de [Localité 4] au site d'[Localité 3] portait atteinte à sa rémunération telle que contractuellement convenue », la cour d'appel a pourtant relevé que « les primes versées au titre du mois de décembre 2017 s'élèvent à 584,18 euros pour le site d'Éragny, contre seulement 439,97 euros pour le site de [Localité 4] (cf. pièce n° 14 de la salariée), et celles au titre du premier trimestre de l'année 2018 à 2 341 euros pour le site d'[Localité 3] contre 2 431 euros pour le site de [Localité 4] » et retenu que la rémunération variable était « fonction du travail accompli par le salarié » (arrêt page 8, § 1) ; qu'en statuant ainsi par des motifs qui n'étaient pas de nature à exclure la diminution à venir de la rémunération variable de Mme [C], liée en partie au moins à la différence d'emplacement des deux sites, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu 1103, du code civil et de l'article L. 1221-1 du code du travail ;

3) ALORS QUE le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour établir que sa mutation du site de [Localité 4] vers celui d'[Localité 3] en octobre 2017 devait causer une baisse de sa rémunération variable, Mme [C] se prévalait (conclusions page 13) et versait aux débats (pièce d'appel n° 15) le montant des primes pour chacun des établissements en mai 2018 ; qu'il résultait de ce document que le cumul des primes versées en 2018 jusqu'au mois de mai s'élevait à 5 377 euros pour le site de [Localité 4] et seulement à 3649,14 euros pour le site d'[Localité 3] ; qu'en ignorant ce document pour se fonder seulement sur les chiffres de décembre 2017, et du premier trimestre 2018, qui au demeurant montraient déjà un niveau de primes légèrement inférieur pour le site d'Éragny par rapport à celui de [Localité 4], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Mme [C] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission et débouté Mme [C] de toutes ses demandes, y compris sa demande au titre des congés payés,

1) ALORS QUE c'est à l'employeur, débiteur du paiement du salaire, de prouver qu'il s'est libéré de sa dette ; que l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le salarié ne fait pas présumer le paiement des sommes qui y figurent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déduit que le salarié aurait été rempli de son droit à indemnité de congés payés du fait que « Le bulletin de paie du mois de mars 2018, mentionne, comme le fait valoir l'employeur, l'indemnisation de 29 jours de congés payés au titre de l'année précédente, et de 13 jours au titre de l'année en cours », que la salariée ne conteste pas les mentions des fiches de paie et qu'elle « ne prétend pas ne pas avoir reçu paiement du salaire mentionné dans la fiche de paie du mois de mars 2018 » (arrêt page 9) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 3243-3 du code du travail et l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;

2) ALORS QUE le juge ne peut pas méconnaître les termes du litige ; qu'en énonçant que la salariée « ne prétend pas ne pas avoir reçu paiement du salaire mentionné dans la fiche de paie du mois de mars 2018 » (arrêt page 9) pour dispenser l'employeur de rapporter la preuve du paiement, quand la salariée sollicitait en cause d'appel le paiement de la somme de 5 120,62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés en se fondant sur les mentions de son dernier bulletin de salaire (conclusions page 16), ce qui constituait une contestation du fait qu'elle aurait effectivement reçu paiement de l'indemnité de congés payés due au regard des mentions des fiches de paie, la cour d'appel a méconnu les limites du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.

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