7 February 2023
Cour d'appel de Caen
RG n° 22/00551

1ère Chambre civile

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 22/00551 -

N° Portalis DBVC-V-B7G-G6BA

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : REFERE du Tribunal de Grande Instance de SAINT-BRIEUC du 03 Octobre 2019

RG n° 19/0025

ARRET de la Cour d'Appel de RENNES en date du 17 Mars 2020 - RG n° 109/2020

ARRET de la Cour de Cassation en date du 02 Février 2022 - Pourvoi n° Y 20-16.040







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

RENVOI APRES CASSATION

ARRÊT DU 07 FEVRIER 2023





APPELANTS :



Monsieur [T] [F]

[Adresse 6]

[Localité 5]



L' EARL DE [Adresse 6]

N° SIRET : 382 289 981

[Adresse 6]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal



représentés par Me Pauline LEREVEREND, avocat au barreau de CAEN

assistés de Me Jean-Pierre DEPASSE, avocat au barreau de RENNES,





INTIMÉES :



Association RED PILL Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 3]

[Localité 4]



venant aux droits de l'Association DIRECT ACTION EVERYWHERE Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée et assistée de Me Sandrine MONTI, avocat au barreau de CAEN





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



M. GUIGUESSON, Président de chambre,

M. GARET, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,



DÉBATS : A l'audience publique du 29 novembre 2022



GREFFIER : Mme COLLET



ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 07 Février 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier






* * *



EXPOSE DU LITIGE



L'EARL de [Adresse 6] dont Monsieur [T] [F] est le gérant, exploite un élevage porcin à [Localité 5] (22).



Le dimanche 19 mai 2019, deux personnes se sont présentées sur son exploitation, en indiquant qu'elles souhaitaient la visiter comme le proposait le spot publicitaire Fleury-Michon 'Venez vérifier'.



Monsieur [F] leur a répondu que ce n'était pas possible le jour même et les a invités à repasser en début de semaine, ce qu'ils n'ont pas fait.



Le 22 mai 2019, il constatait qu'était diffusée sur Facebook et Youtube, une vidéo signée par l'association Direct Action Everywhere France filmant l'intérieur et l'extérieur de son exploitation, en présence d'un député.



L'EARL de [Adresse 6] et Monsieur [F] ont déposé deux plaintes pénales et ont assigné l'association DXE devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc par acte d'huissier du 4 juillet 2019, afin que soit ordonnée la saisie de la vidéo et l'interdiction de sa diffusion.



Par ordonnance du 3 octobre 2019, le juge des référés a débouté les demandeurs de l'intégralité de leurs demandes, les a condamnés au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code civil, ainsi qu'aux dépens.





Par arrêt du 17 mars 2020, la cour d'appel de Rennes a infirmé l'ordonnance entreprise et a :



- ordonné le retrait de la vidéo litigieuse présente sur le site internet de l'association DXE ainsi que sur l'ensemble des réseaux sociaux et des plate- formes de vidéos en ligne et ordonné subsidiairement la saisie par toute personne dépositaire de l'autorité publique et mandatée à cet effet des supports et des clichés photographiques et films vidéos pris par les membres de l'association DXE lors de leur intrusion dans les locaux d'exploitation de l'EARL de [Adresse 6],



- dit que cette saisie pourra s'effectuer en tous lieux et notamment au siège de l'association DXE et au domicile de ses membres,



- interdit à toute personne l'utilisation et la diffusion de ces clichés photographiques et films vidéo,



- condamné l'association DXE à publier le dispositif de la décision en haut de la première page de son site internet en police Arial de taille 12 ainsi que dans trois quotidiens nationaux laissés au choix de la requérante, dans les quinze jours de son prononcé,



- condamné l'association DXE à payer la somme d'un euro à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice de l'EARL de [Adresse 6],



- condamné l'association DXE au paiement d'une indemnité de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Par arrêt du 2 février 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Rennes en toutes ses dispositions, et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de céans.



Par déclaration en date du 1er mars 2022, Monsieur [F] et l'EARL de [Adresse 6] ont saisi la cour sur renvoi de cassation, en intimant l'association Red Pill (anciennement DXE).



Aux termes de leurs dernières écritures en date du 14 octobre 2022, ils concluent à la réformation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Saint Brieuc du 3 octobre 2019, et demandent à la cour de :



- ordonner le retrait de la vidéo litigieuse présente sur le site internet de l'association Red Pill (anciennement DXE) ainsi que sur l'ensemble des réseaux sociaux et des plate formes de vidéos en ligne et ordonner subsidiairement la saisie par toute personne dépositaire de l'ordre publique et mandatée à cet effet des supports et des clichés photographiques et films vidéos pris par les membres de l'association Red Pill lors de leur intrusion dans les locaux d'exploitation de l'EARL de [Adresse 6],



- dire et juger que cette saisie pourra s'effectuer en tous lieux et notamment au siège de l'association Red Pill (anciennement DXE) et au domicile de ses membres,



- interdire à toute personne l'utilisation et la diffusion de ces clichés photographiques et films vidéos sous peine d'une astreinte financière de 50.000,00 € par infraction constatée,



- se réserver la liquidation de l'astreinte ainsi ordonnée,



- condamner l'association Red Pill à publier le dispositif de la décision en haut de la première page de son site internet en police Arial de taille 12 ainsi que dans trois quotidiens nationaux laissés au choix de la requérante dans les quinze jours de son prononcé,



- condamner l'association Red Pill à payer une somme d'un euro à titre de provision sur le préjudice subi par l'EARL de [Adresse 6],



- condamner l'association Red Pill au paiement d'une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront le coût des constats d'huissier de Maître [J] et toutes mesures d'exécution ordonnées par les présentes.



L'association Red Pill s'est constituée le 25 octobre 2022, mais n'a pas conclu après renvoi de cassation.



Elle est donc réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumises à la cour d'appel de Rennes, aux termes desquels elle sollicitait la confirmation de l'ordonnance entreprise et la condamnation des appelants au paiement d'une somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2022.








MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite



L'article 809 alinéa 1 ancien du code civil applicable aux faits de l'espèce, dispose que le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.



Le trouble manifestement illicite s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.



Il n'est pas contesté par l'association Red Pill, qu'elle a pénétré sans autorisation, de nuit, en compagnie d'un député, Monsieur [K], dans les bâtiments de l'exploitation de l'EARL de [Adresse 6] dont Monsieur [F] est le gérant, et en a filmé l'intérieur, dans le but de dénoncer les conditions d'élevage des cochons qui y sont exploités, en contradiction avec les affirmations de la société Fleury Michon quant au bien-être des animaux de sa gamme 'J'aime'.



Ce faisant, elle a commis une violation de domicile et une atteinte au droit de propriété de l'EARL [Adresse 6].



Elle a de surcroît méconnu les règles sanitaires en vigueur qui imposent notamment une limitation du nombre de personnes autorisées à pénétrer dans les élevages porcins (arrêté du 16 octobre 2018), qui doivent en outre revêtir une tenue spécifique.



L'association Red Pill est certes en droit de se prévaloir de son droit à la liberté d'expression au soutien de la cause animale, mais à la condition que les moyens employés pour informer le public, ne soient pas disproportionnés au but recherché.



Il est constant qu'en présence de deux droits fondamentaux, droit de propriété d'une part, droit à la liberté d'expression d'autre part, il incombe à la cour de rechercher un équilibre en ces droits, et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime.



La cour estime qu'au regard des intérêts en présence, et des moyens employés par l'association Red Pill, la diffusion des vidéos et des photographies litigieuses constitue une atteinte au droit de propriété des appelants suffisamment grave pour caractériser, nonobstant la liberté d'expression de l'intimée, un trouble manifestement illicite, l'intrusion dans les locaux de l'exploitation ayant eu lieu au surplus, sans aucun respect des règles sanitaires en vigueur, avec le risque par conséquent d'une contamination des animaux ou des hommes, voire de propagation d'une épidémie.



Il n'est pas contesté que la suppression des vidéos et clichés des supports sur lesquels ils avaient été publiés, n'avait pas eu lieu au jour où le juge des référés a rendu sa décision, de telle sorte que le trouble persistait à cette date ( 3 octobre 2019).



L'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Saint Brieuc sera donc infirmée en ce qu'elle a débouté les appelants de leurs demandes.



Il sera fait droit à leurs demandes consécutives à l'existence de ce trouble manifestement illicite comme il sera dit dans le dispositif ci-après, sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande de saisie par toute personne dépositaire de l'autorité publique et mandatée à cet effet, des supports et clichés photographiques et films vidéos pris par les membres de l'association Red Pille lors de leur intrusion dans les locaux d'exploitation de l'EARL de [Adresse 6], qui est présentée à titre subsidiaire.



L'interdiction de diffusion sollicitée ne pourra être prononcée qu'à l'encontre de l'association Red Pill et non de toute personne.



Les circonstances de l'espèce, et l'ancienneté des faits, ne justifient pas la publication du présent arrêt dans la presse.



Les appelants seront déboutés de leur demande de ce chef.



Sur la demande de provision



En vertu de l'article 809 alinéa 2 ancien du code de procédure civile, dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.



L'atteinte portée au droit de propriété de l'EARL de [Adresse 6] n'étant pas sérieusement contestable, il est justifié de faire droit à sa demande de provision et de condamner l'association Red Pill au paiement d'un euro à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice.



L'ordonnance entreprise sera infirmée ne ce qu'elle a débouté les appelants de leur demande de provision.



Sur les frais irrépétibles et les dépens



L'équité commande de condamner l'association Red Pill à payer à l'EARL de [Adresse 6] et à Monsieur [T] [F] unis d'intérêts, une somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure et de la débouter de sa demande à ce titre.





Succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût du constat d'huissier de Maître [J] du 5 juin 2019.



L'ordonnance entreprise sera infirmée sur ces points.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu sur renvoi de cassation, par mise à disposition au greffe,



INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Saint Brieuc du 3 octobre 2019,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



ORDONNE le retrait par l'association Red Pill ou par toute personne mandatée par elle à cet effet, de la vidéo constatée par le procès-verbal de Maître [J], huissier de justice du 5 juin 2019, présente sur le site internet de l'association Red Pill (anciennement DXE) ainsi que sur l'ensemble des réseaux sociaux et des plate formes de vidéos en ligne sur lesquels elle détient un compte, et ce, dans un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt,



DIT qu'à défaut de retrait dans le délai fixé, l'association Red Pill sera condamnée au paiement d'une astreinte provisoire de 150,00 € par jour de retard pendant un délai de trois mois, passé lequel, le juge de l'exécution pourra être saisi aux fins de liquidation de l'astreinte et de fixation éventuelle d'une nouvelle astreinte,



INTERDIT l'utilisation et la rediffusion de la vidéo litigieuse par l'association Red Pill, en tout ou en partie, par quelque moyen que ce soit, ainsi que de tous clichés photographiques ou films vidéos capturés en 2019 par elle dans les locaux de l'EARL de [Adresse 6], sous astreinte de 5.000,00 € par infraction constatée par huissier de justice,



DÉBOUTE l'EARL de [Adresse 6] et Monsieur [F] de leur demande de publication du présent arrêt dans la presse,



CONDAMNE l'association Red Pill à payer à l'EARL de [Adresse 6], la somme d'un euro à titre de provision sur le préjudice subi,





CONDAMNE l'association Red Pill à payer à l'EARL de [Adresse 6] et à Monsieur [T] [F] unis d'intérêts, la somme 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



DÉBOUTE l'association Red Pill de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE l'association Red Pill aux dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût du constat d'huissier de Maître [J] du 5 juin 2019.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT









M. COLLET G. GUIGUESSON

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