8 February 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.189

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00111

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Plan de redressement - Jugement arrêtant le plan - Voies de recours - Tierce opposition - Recevabilité - Conditions - Détermination

Est recevable à former tierce opposition au jugement arrêtant le plan de redressement d'une société l'associé qui soutient que ce plan prévoit la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, tenu d'exécuter le plan, devient un associé presque unique, et qui invoque ainsi un moyen qui lui est propre

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Procédure (dispositions générales) - Voies de recours - Exercice - Tierce opposition - Qualité pour l'exercer - Associé - Conditions - Invocation de moyens propres - Applications diverses - Plan prévoyant la désignation d'un mandataire ad hoc - Exercice des droits de vote de l'associé - Réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 février 2023




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 111 F-B

Pourvoi n° H 21-14.189











R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023

M. [D] [E], domicilié [Adresse 3] (Allemagne), a formé le pourvoi n° H 21-14.189 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Spagnolo Stephan, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Les Parcs du Sud, nommée en remplacement de M. [M] [K],

2°/ à la société Les Parcs du Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société De Saint-Rapt et Bertholet, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Parcs du Sud,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [E], de la SCP Spinosi, avocat de la société Les Parcs du Sud et des sociétés Spagnolo Stephan, ès qualités, et De Saint-Rapt et Bertholet, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à la société SAS Les Parcs du Sud (la société LPS), la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société LPS et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, de leur reprise d'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 26 novembre 2020), le 17 mai 2017, la société LPS, dont le capital était détenu à 43,09 % par M. [E], a été mise en redressement judiciaire, la société De Saint-Rapt et Bertholet étant désignée administrateur avec la mission d'assurer seule et entièrement l'administration de l'entreprise.

3. Le 20 décembre 2017, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société LPS, prévoyant l'apurement du passif selon deux options, dit que M. [J], autre actionnaire de la société LPS, était tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan de redressement et maintenu l'administrateur en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce.

4. Par une ordonnance de référé du 23 janvier 2018, le président du tribunal a désigné l'étude Balincourt, en la personne de M. [F], avec la mission de convoquer l'assemblée compétente de la société LPS pour statuer au plus tard le 31 mai 2018 sur la décision à prendre conformément aux dispositions de l'article L. 225-248 du code de commerce à la suite de la constatation des capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social, la réduction du capital social à zéro, et une augmentation du capital en numéraire en deux temps réservée à M. [J] et à un autre actionnaire, la société M. Capital Partners.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition tendant à la rétractation du jugement du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société LPS, alors « que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 583 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que si l'associé est, en principe, représenté, dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former tierce-opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre.

7. Pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [E], l'arrêt retient, d'abord, qu'il était représenté par le représentant légal de la société qui n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société, lors de l'examen du plan de redressement qui a été arrêté par le tribunal. Il retient ensuite que le jugement du 20 décembre 2017 a arrêté le plan de redressement de la société LPS suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en a récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, que la reconstitution des capitaux propres ne peut être imposée par le tribunal et qu'elle est décidée par l'assemblée générale extraordinaire de la société anonyme, que c'est par une décision différente, à savoir l'ordonnance du 26 septembre 2018, que le juge des référés a désigné un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale. Il en déduit que M. [E], qui développe uniquement des moyens portant sur les modifications du capital social et la désignation d'un mandataire ad hoc, ne justifie d'aucune fraude ou d'un moyen qui lui serait propre concernant l'arrêté d'un plan qui ne porte sur aucun de ces sujets.

8. En statuant ainsi, alors que M. [E] soutenait que le plan de redressement prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, M. [J], tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan, devenait ainsi un associé presque unique, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Les Parcs du Sud, la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Parcs du Sud, et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [E].

M. [D] [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il l'avait dit irrecevable en sa tierce-opposition tendant à la rétractation du jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Les Parcs du Sud ;

alors 1°/ que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce ;

alors 2°/ que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en l'espèce, M. [D] [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché ; que, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci ne justifiait d'aucun moyen qui lui serait propre quand ledit jugement avait arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Les Parcs du Sud suivant les modalités figurant dans le projet de plan et les conditions qu'il fixait pour sa mise en oeuvre, à savoir d'une part, la recapitalisation de la société Les Parcs du Sud, qui devait être approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée, et, d'autre part, que les droits de vote de M. [D] [E], qui détenait une minorité de blocage, soient exercés par un mandataire ad hoc, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, par des motifs inopérants tirés de ce que la recapitalisation et la nécessité de nommer un administrateur ad hoc n'étaient évoquées que dans la discussion de la décision et non dans son dispositif, que la reconstitution des capitaux ne pouvait être imposée par le tribunal mais décidée par l'assemblée générale de la société et que c'était par une décision différente que le juge des référés avait désigné, à la requête de l'administrateur judiciaire, un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce ;

alors 3°/ qu' il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 avait arrêté un plan de redressement de la société Les Parcs du Sud dont la mise en oeuvre rendait « indispensable la recapitalisation qui sera approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée ; les droits de vote de M. [D] [E] qui détient une minorité de blocage devront être exercés par un mandataire ad hoc ; dans cette perspective, l'administrateur judiciaire devra rester en fonction uniquement pour mettre en oeuvre la procédure visée par les dispositions de l'article R. 6 31-34·6 du code de commerce » (cf. p. 5) ; que, dans le dispositif de sa décision, le tribunal arrêtait le plan de redressement suivant les modalités figurant dans le projet de plan et les conditions fixées par le jugement et maintenait à cet effet l'administrateur judiciaire en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce, donc pour désigner « un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan » ; qu'il était ainsi clairement prévu, d'une part, la recapitalisation de la société Les Parcs du Sud, qui devait être approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée, et, d'autre part, que les droits de vote de M. [D] [E], qui détenait une minorité de blocage, soient exercés par un mandataire ad hoc ; qu'en retenant que le jugement du 20 décembre 2017 ne portait ni sur les modifications du capital social ni sur la désignation d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel a dénaturé le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société Les Parcs du Sud en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

alors 4°/ qu'en toute hypothèse, l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que M. [D] [E] soutenait avoir un intérêt propre à agir dans la mesure où le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, arrêtant le plan de redressement, prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote, aux fins d'approuver une réduction suivie d'une augmentation de capital au profit d'un actionnaire presque unique et au détriment de l'actionnaire historique qu'il était ; que, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par celui-ci, elle a retenu qu'il ne justifiait d'aucun moyen qui lui était propre dans la mesure où le jugement du 20 décembre 2017 avait arrêté le plan de redressement de la société Les Parcs du Sud suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en avait récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, qui étaient seulement évoquées dans la discussion ; qu'en se déterminant de la sorte tout en relevant pourtant que, dans son dispositif, ledit jugement avait maintenu l'administrateur judiciaire en fonction aux fins de régulariser la procédure visée à l'article L. 631-9-1 du code de commerce, dispositions précisément relatives à la demande de l'administrateur judiciaire de « désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 583 du code de procédure civile.

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