1 February 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.221

Chambre commerciale financière et économique - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00101

Titres et sommaires

UNION EUROPEENNE - Propriété industrielle - Certificat complémentaire de protection pour les médicaments - Règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 - Produit - Preuve - Désignation d'une substance comme principe actif dans une autorisation de mise sur le marché - Portée - Présomption réfragable

L'absence de désignation d'une substance comme principe actif dans une autorisation de mise sur le marché constitue une présomption réfragable qu'il ne s'agit pas d'un produit au sens de l'article 1 du règlement (CE) n° 469/2009 du Palement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er février 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 101 FP-B

Pourvoi n° D 21-15.221




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023

La société Halozyme Inc., société de droit américain "corporation", dont le siège est [Localité 1]), a formé le pourvoi n° D 21-15.221 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Halozyme Inc., de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen de la chambre, Mme Vaissette, conseiller doyen de section,
M. Mollard, conseiller doyen de section, Mmes Vallansan, Poillot-Peruzzetto, Graff-Daudret, Bélaval, Champalaune, Daubigney, conseillers, M. Guerlot, Mme Barbot, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 décembre 2020), le 20 juillet 2015, la société Halozyme Inc., laboratoire américain de biotechnologie qui développe des thérapies innovantes contre le cancer, a déposé une demande de certificat complémentaire de protection n° 15C0053 (CCP n° 053) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante ». Cette demande mentionne la partie française du brevet européen déposé le 5 mars 2004, publié sous le n° EP 2163643 (EP 643) sous le titre « Glycoprotéine d'hyaluronidase soluble, son procédé de préparation, utilisations et compositions pharmaceutiques le comportant », délivré le 21 janvier 2015, dont la revendication n° 18 couvre une combinaison de polypeptide hyaluronidase substantiellement purifié et d'un agent anti-cancéreux et dont la revendication n° 21 couvre une telle composition pour une utilisation dans le traitement du cancer du sein, dans laquelle l'anti-cancéreux est un anticorps monoclonal.

2. Le 20 juillet 2015, sur le fondement de la partie française du brevet EP 643 et d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) communautaire délivrée le 26 août 2013 à la société Roche Registration Limited (la société Roche) pour la formulation sous-cutanée d'un médicament anti-cancéreux dénommé « Herceptin », constituée de la combinaison de trastuzumab, anticorps monoclonal présenté dans l'AMM comme le « principe actif », et de hyaluronidase humaine recombinante, présentée comme un « excipient », la société Halozyme a déposé une demande de certificat complémentaire de protection (CCP) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante. »

3. La société Roche avait déjà obtenu, le 28 août 2000, une AMM communautaire pour la formulation intraveineuse de « Herceptin », laquelle ne contient pas de hyaluronidase humaine recombinante.

4. Par décision du 7 mars 2018, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a rejeté la demande de CCP aux motifs que la hyaluronidase humaine recombinante n'est pas un principe actif ayant un effet thérapeutique propre mais constitue un excipient, ainsi qu'il résulte du résumé des caractéristiques du produit se rapportant à l'AMM du 26 août 2013, et que le produit, objet du CCP demandé, ne peut être que le principe actif apparaissant dans l'AMM, soit le trastuzumab, lequel fait l'objet d'une AMM antérieure du 28 août 2000.

5. La société Halozyme a formé un recours contre cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. La société Halozyme fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI du 7 mars 2018, rejetant la demande de CCP n° 053, portant sur la partie française du brevet EP 643, pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante », alors :

« 1°/ qu'une substance présentée dans l'AMM comme un excipient, mais dont il est démontré qu'elle a un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre sur l'organisme des patients lorsqu'elle est associée à une autre substance présentée comme un principe actif, doit elle-même être considérée comme un "principe actif" au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en l'espèce, comme le soutenait l'exposante et ainsi que le relevait la décision du directeur de l'INPI entreprise, la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'AMM, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un cancer du sein en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du trastuzumab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets spécifiques propres à la hyaluronidase et que, conjuguée au trastuzumab, cette substance est dotée d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre justifiant de l'assimiler à un "principe actif" au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le trastuzumab, était dépourvue d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre, sans se prononcer sur l'effet physiologique propre de la hyaluronidase, agissant directement sur les tissus cellulaires des patients auxquels elle était administrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 de ce règlement ;

2°/ qu'il appartient aux juges du fond de vérifier, au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige, si un composant présenté comme un excipient dans une AMM est doté d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre lorsqu'il est conjugué avec un autre principe actif, peu important que l'AMM ne mentionne pas expressément les effets propres de la substance ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la société Halozyme produisait uniquement des pièces rédigées en anglais ne permettant pas d'identifier l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre de la hyaluronidase pour le traitement du cancer du sein, ce qui ne révélait rien sur les effets de l'enzyme lorsqu'elle est combinée au trastuzumab, et que l'AMM, assimilant la hyaluronidase à un excipient, ne concluait pas à l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre à ce composant "dans son association avec le trastuzumab", la cour d'appel a donc statué par des motifs tout à la fois insuffisants et impropres pour retenir, au regard de l'ensemble des circonstances de fait du litige, que la hyaluronidase n'avait pas un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre dans son association avec le trastuzumab, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009. »

Réponse de la Cour

8. Dans son arrêt du 15 janvier 2015 (Forsgren, C-631/13), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « l'article 1er, sous b), du règlement n° 469/2009 doit être interprété en ce sens qu'une protéine vectrice conjuguée à un antigène polysaccharidique au moyen d'une liaison covalente ne peut être qualifiée de "principe actif", au sens de cette disposition, que s'il est établi que celle-ci produit un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de l'autorisation de mise sur le marché, ce qu'il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige au principal. »

9. Il en résulte que lorsque l'AMM ne qualifie pas une substance de « principe actif », il est présumé de façon réfragable que cette substance ne produit pas d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques visées par cette AMM.

10. Après avoir exactement énoncé que l'appréciation de l'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de la hyalorunidase humaine recombinante devait s'effectuer au regard du contenu de l'AMM, l'arrêt relève que celle-ci ne vise comme principe actif que le seul trastuzumab et ne cite la hyalorunidase humaine recombinante que comme l'un des excipients de la composition, et retient qu'aucun élément contenu dans l'AMM ni dans un document externe ne justifie d'un effet propre à la hyarolunidase seule, ou dans son association avec le trastuzumab, pour les indications thérapeutiques de l'AMM.

11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la hyaluronidase recombinante humaine était présumée être un excipient au regard des mentions de l'AMM et de ses documents préparatoires, et a retenu qu'aucune preuve contraire n'était rapportée a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Halozyme Inc. aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Halozyme Inc. à payer au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société Halozyme Inc.

La société Halozyme fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté son recours formé contre la décision du directeur général de l'Inpi du 7 mars 2018, refusant de faire droit à sa demande de certificat complémentaire de protection n° 16C0053 (« la CCP 053 »), portant sur la partie française du brevet EP 643, pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante » ;

1°) ALORS QU' une substance présentée dans l'autorisation de mise sur le marché comme un excipient, mais dont il est démontré qu'elle a un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre sur l'organisme des patients lorsqu'elle est associée à une autre substance présentée comme un principe actif, doit elle-même être considérée comme un « principe actif » au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en l'espèce, comme le soutenait l'exposante et ainsi que le relevait la décision du directeur de l'INPI entreprise (p. 4 § 1), la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'autorisation de mise sur le marché, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un cancer du sein en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du trastuzumab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets spécifiques propres à la hyaluronidase et que, conjugué au trastuzumab, cette substance est dotée d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre justifiant de l'assimiler à un « principe actif » au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le trastuzumab, était dépourvue d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre (arrêt, p. 8 § 6), sans se prononcer sur l'effet physiologique propre de la hyaluronidase, agissant directement sur les tissus cellulaires des patients auxquels elle était administrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 de ce règlement ;

2°) ALORS, en toute hypothèse, QU' il appartient aux juges du fond de vérifier, au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige, si un composant présenté comme un excipient dans une autorisation de mise sur le marché est doté d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre lorsqu'il est conjugué avec un autre principe actif, peu important que l'autorisation de mise sur le marché ne mentionne pas expressément les effets propres de la substance ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la société Halozyme produisait uniquement des pièces rédigées en anglais ne permettant pas d'identifier l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre de la hyaluronidase pour le traitement du cancer du sein (arrêt, p. 8 § 3 et 4), ce qui ne révélait rien sur les effets de l'enzyme lorsqu'elle est combinée au trastuzumab, et que l'autorisation de mise sur le marché, assimilant la hyaluronidase à un excipient, ne concluait pas à l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre à ce composant « dans son association avec le trastuzumab » (arrêt, p. 8 § 5), la cour d'appel a donc statué par des motifs tout à la fois insuffisants et impropres pour retenir, au regard de l'ensemble des circonstances de fait du litige, que la hyaluronidase n'avait pas un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre dans son association avec le trastuzumab, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ;

3°) ALORS, enfin, QU' en jugeant que la hyaluronidase ne pouvait être assimilée à un « principe actif », sans répondre aux conclusions de la société Halozyme faisant valoir que la longueur des études cliniques ayant précédé l'autorisation de mise sur le marché de la composition trastuzumab/hyaluronidase « ne [pouvait] s'expliquer que par l'ajout de la hyaluronidase au trastuzumab », dès lors que le trastuzumab avait déjà fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché (concl., p. 33 § 67), et que « si l'ajout de la hyaluronidase avait été si neutre, et alors même qu'elle permet un traitement plus efficace et une injection par voie sous cutanée, l'obtention d'une AMM aurait été beaucoup plus rapide » (concl., p. 33, in fine), ce dont il résultait pourtant que la longueur de la phase de tests cliniques relatives aux effets spécifiques attachés à la combinaison de la hyaluronidase au trastuzumab révélait l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre attribué à la hyaluronidase combinée avec le trastuzumab, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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