26 January 2023
Cour d'appel de Versailles
RG n° 21/00591

12e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 26 JANVIER 2023



N° RG 21/00591 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UJFO





AFFAIRE :



S.A.S IN EXTENSO ILE DE FRANCE

...



C/



[G] [Y]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Janvier 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 4

N° RG : 2018F01844



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Stéphanie TERIITEHAU



Me Franck LAFON



TC NANTERRE













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



S.A.S IN EXTENSO ILE DE FRANCE

RCS Nanterre n° 449 259 860

[Adresse 6]

[Adresse 6]



S.A. MMA IARD

RCS Le Mans n° 440 048 882

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

RCS Le Mans n° 775 652 126

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentées par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Me Florence VILAIN de l'AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R098



APPELANTES



****************



Monsieur [G] [Y]

né le [Date naissance 3] 1957

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Madame [H] [F] épouse [Y]

née le [Date naissance 1] 1958

[Adresse 5]

[Adresse 5]



S.A.S SUD EST AUTOMOBILES

RCS Paris n° 572 208 346

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentés par Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et Me Thierry MOUNICQ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R097



INTIMES



****************









Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,



Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,




EXPOSÉ DU LITIGE



La SA Sud-Est Automobiles a pour activité la réparation de véhicules automobiles et le commerce de véhicules neufs et d'occasion. Mme [H] [F] épouse [Y] et M. [G] [Y] (ci-après époux [Y]) sont respectivement président et administrateur de cette société.



La SA In Extenso Ile-de-France (ci-après In Extenso) exerce l'activité d'expert-comptable et est assurée auprès des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles. Elle s'est vue confier par la société Sud-Est Automobiles une mission de présentation de ses comptes annuels et de réalisation de ses déclarations fiscales.



Du 12 février au 18 avril 2013, la société Sud-Est Automobiles a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur l'ensemble de ses déclarations de TVA sur la période du 1er janvier 2010 au 30 novembre 2012.



Saisi par la direction nationale des enquêtes fiscales d'une requête selon laquelle la société Sud-Est Automobiles était présumée minorer ses bases taxables à la TVA, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a, par ordonnance du 19 juin 2012, autorisé des agents de cette direction à exercer le droit de visite et de saisie prévu par l'article L.16 B du livre des procédures fiscales au siège de la société Sud-Est Automobiles ainsi qu'au domicile des époux [Y]. Les opérations de saisie ont été réalisées le 21 juin 2012.



L'administration fiscale ayant relevé des manquements dans la comptabilité et l'établissement des déclarations de TVA, elle a notifié à la société Sud-Est Automobiles une proposition de rectification portant sur une somme de 639.342 €, en ce compris les intérêts de retard, une amende pour défaut d'auto-liquidation et une majoration de 40% pour manquements délibérés. Le 15 novembre 2013, le rappel de TVA a été ramené à la somme de 471.430 €, à la suite d'un recours hiérarchique exercé par la société Sud-Est Automobiles.



Les demandes de décharge de la société Sud-Est Automobiles ont été successivement rejetées par le tribunal administratif, la cour administrative d'appel et, en dernier lieu, par la cour administrative d'appel de renvoi suivant arrêt du 21 juin 2018, après annulation prononcée par le Conseil d'Etat.



Le 25 mai 2020, la société Sud-Est Automobiles a procédé au dernier règlement, soldant sa dette auprès de l'administration fiscale à hauteur de 419.779 €.



Par acte du 26 octobre 2018, la société Sud-Est Automobiles avait précédemment assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre la société In Extenso ainsi que les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux fins de voir engager la responsabilité professionnelle de la société In Extenso et de la voir condamner solidairement avec ses assureurs à indemniser la société Sud-Est Automobiles de son entier préjudice.



Les époux [Y] sont intervenus volontairement à l'instance aux fins de remboursement des frais qu'ils ont dû personnellement supporter pour régler la dette fiscale de la société Sud-Est Automobiles.



Par jugement contradictoire du 22 janvier 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Dit recevable la société Sud-Est Automobiles en son action ainsi que les époux [Y] en leur intervention volontaire ;

- Condamné solidairement les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Mutuelles à payer à la société Sud-Est Automobiles la somme de 284.779 € au titre de la perte de chance, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 26 juin 2018, avec anatocisme ;

- Débouté la société Sud-Est Automobiles de ses autres demandes, fins et prétentions ;

- Débouté les époux [Y] de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

- Condamné solidairement les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Mutuelles à payer à :

* Sud-Est Automobiles la somme de 15.000 €,

* M. [Y] la somme de 6.000 €,

* Mme [Y] la somme de 6.000 €,

au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- Condamné solidairement les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Mutuelles aux entiers dépens.



Par déclaration du 29 janvier 2021, les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ont interjeté appel du jugement.



Par ordonnance de référé du 4 mars 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Versailles a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ainsi que leur demande subsidiaire de consignation des sommes qu'elles ont été condamnées à payer.



Par ordonnance du 6 janvier 2022, le conseiller de la mise en état de la 12e chambre, saisi d'un incident par les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, a :

- Déclaré recevable la prétention relative au défaut de dépôt des comptes sociaux au greffe du tribunal de commerce (demande en paiement des sommes de 5.616,44 € et 5.000 €) ;

- Déclaré irrecevable la prétention nouvelle formée par la société Sud-Est Automobiles portant sur un défaut de déclaration de la retraite de janvier et février 2018, ainsi que sur un défaut de déclaration de la mutuelle sur la période 2018 à 2020 (demande en paiement des sommes de 2.230 €, 39.071,59 € et 5.770 €) ;

- Déclaré irrecevable la prétention nouvelle formée par la société Sud-Est Automobiles portant sur un défaut de traitement des remises annuelles RFA et sur une erreur de caisse;

- Dit n'y avoir lieu à paiement de frais irrépétibles ;

- Dit que les dépens de l'incident suivront le sort de l'instance principale.



PRÉTENTIONS DES PARTIES



Par dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2022, les sociétés In Extenso Ile-de-France, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour de :

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit recevable la société Sud-Est Automobiles ;

- Condamné solidairement les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à la société Sud-Est Automobiles la somme de 284.779 € au titre de la perte de chance, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 26 juin 2018, avec anatocisme ;

- Condamné solidairement les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile à payer à :

- Sud-Est Automobiles la somme de 15.000 €,

- M. [Y] la somme de 6.000 €,

- Mme [Y] la somme de 6.000 € ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- Condamné solidairement les sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux entiers dépens ;

- Confirmer le jugement pour le surplus ;

Et statuant à nouveau,

- Déclarer l'action de la société Sud-Est Automobiles irrecevable pour cause de forclusion;

En tout état de cause,

- Débouter la société Sud-Est Automobiles et les époux [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre des sociétés In Extenso, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ;

- Condamner solidairement la société Sud-Est Automobiles et les époux [Y] au paiement de la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau, agissant par Me Stéphanie Teriitehau, avocat aux offres de droit.



Par dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2022, la société Sud-Est automobiles, M. [Y] et Mme [Y] demandent à la cour de :

- Débouter la société In Extenso ainsi que les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions tendant à la réformation du jugement entrepris ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit engagée la responsabilité professionnelle de la société In Extenso ;

- Condamné la société In Extenso ainsi que les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, à indemniser la perte de chance subie par la société Sud-Est Automobiles au titre du redressement fiscal ;

- Déclarer recevables et bien fondés les appels incidents de la société Sud-Est Automobiles et de M. et Mme [Y] ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

- Émender la condamnation des premiers juges de ce chef pour la porter à la somme de 419.779 € au titre de l'indemnisation financière liée au rappel de TVA, sauf à parfaire, relative à la perte de chance de ne pas subir de redressement et de ne pouvoir facturer et récupérer la TVA adéquate auprès de ses clients ;

- Réformer le jugement entrepris ayant débouté la société Sud-Est Automobiles de ses autres demandes et M. et Mme [Y] de toutes demandes :

A l'égard de la société Sud-Est Automobiles,

- Condamner solidairement la société In Extenso et son assureur, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer, à titre de dommages et intérêts en raison des fautes commises en indemnisation de ses préjudices, à la société Sud-Est Automobiles:

Au titre du remboursement de ses frais de conseils :

- 36.221,66 € HT, sauf à parfaire,

Au titre du remboursement des honoraires versés à la société In Extenso de 2010 à 2012 :

- 67.369,87 € HT, sauf à parfaire,

Au titre de la perte de sa marge brute pour les années 2015 à 2018 :

- 180.000 €, sauf à parfaire,

Au titre de la perte de ses autorisations de découvert :

- 50.000 €, sauf à parfaire,

Au titre de l'indemnisation de son préjudice d'image et moral :

- 50.000 €, sauf à parfaire ;

A l'égard de Mme [Y] et M. [Y],

- Juger que la société In Extenso a commis des fautes engageant sa responsabilité civile délictuelle ayant entraîné des préjudices à l'égard de Mme et M. [Y] ;

En conséquence,

- Condamner solidairement la société In Extenso et son assureur, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer, à titre de dommages et intérêts, à Mme et M. [Y] :

Au titre des préjudices matériels :

- Une somme de 71.756,16 € correspondant aux intérêts bancaires dont 38.440,80€ ont été remboursés,

- Une somme de 18.054 € correspondant aux divers frais de l'emprunt,

- Une somme de 186.945,99 € correspondant au montant du prêt après déduction des frais,

Au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral :

- 50.000 € à chacun,

En tout état de cause,

- Assortir ces condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de l'acte introductif d'instance et ordonner la capitalisation desdits intérêts, conformément et en exécution de l'article 1343-2 du code civil ;

- Déclarer recevables et bien fondées les demandes additionnelles de la société Sud-Est Automobiles portées devant la cour ;

Y faisant droit,

- En raison des nouvelles fautes professionnelles commises, condamner la société In Extenso et son assureur, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à lui payer les sommes suivantes :

Au titre du défaut de dépôt de ses comptes sociaux au greffe du tribunal de commerce de Paris :

- Une somme de 5.616,44 € HT à titre de remboursement des honoraires de la société In Extenso se décomposant comme suit :

- 1.311 € HT au titre de l'approbation des comptes 2017,

- 1.350 € HT au titre de l'approbation des comptes 2018,

- 2.600 € HT au titre de l'établissement des comptes 2019,

- 300 € HT au titre des déclarations des bénéficiaires effectifs,

- 55,44 € HT au titre des frais de greffe,

- Une somme de 5.000 € au titre de son préjudice moral ;

- Confirmer les condamnations des premiers juges au titre des articles 700 (sic) accordés en première instance ;

Y ajoutant,

- Condamner solidairement la société In Extenso et son assureur, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, à payer d'une part à la société Sud-Est Automobiles la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et d'autre part à Mme et M. [Y], à chacun, la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Les condamner aux entiers dépens de la présente instance qui seront recouvrés par Me Franck Lafon, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2022.



Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.




MOTIFS



Sur la recevabilité de l'action en responsabilité à l'encontre de la société In Extenso



Les appelantes sollicitent de la cour qu'elle déclare irrecevable l'action de la société Sud-Est Automobiles, motif pris de la forclusion conventionnelle encourue aux termes de la lettre de renouvellement de la mission de présentation des comptes annuels pour l'exercice 2013.



Elles font valoir que la société Sud-Est Automobiles a eu connaissance de l'évènement dont elle se prévaut pour engager la responsabilité de son expert-comptable, à compter de la proposition de rectification qui lui a été notifiée suivant lettre du 26 avril 2013 et, à tout le moins, à compter de l'avis de mise en recouvrement datant du 26 novembre 2013 ; qu'elle aurait donc dû attraire la société In Extenso et les sociétés MMA dans les trois mois de la proposition de rectification, soit avant le 26 juillet 2013 voire avant le 26 février 2014.



Elles indiquent que la forclusion est également acquise depuis le 28 septembre 2018 si l'on prend comme point de départ l'arrêt définitif de la cour administrative d'appel de renvoi du 26 juin 2018.



Elles ajoutent à titre surabondant que la société Sud-Est Automobiles aurait dû engager son action dans les trois ans de la date des télédéclarations de la TVA litigieuse, soit avant le mois de décembre 2015.



Elles soulignent enfin que la lettre de mission, si elle se rapporte à l'exercice 2013, constitue un renouvellement de la mission de présentation des comptes fournie sur les exercices précédents, renouvelée tous les ans.



Les intimés répondent que la lettre de mission dont se prévalent les appelantes pour soulever la forclusion, qui a pour objet les prestations In Extenso réalisées du 1er janvier au 31 décembre 2013, n'a pas vocation à s'appliquer aux faits querellés qui lui sont antérieurs pour avoir été commis durant la période 2010 à 2012 ; que de plus, cette lettre de mission, qui est la seule que la société Sud-Est Automobiles a reçue, n'a été signée ni par la société Sud-Est Automobiles, ni par la société In Extenso.



*****



L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.



Les appelantes communiquent en pièce n° 1 une lettre de mission d'expertise comptable établie le 25 juillet 2013 à l'attention de la société Sud-Est Automobiles. A cette lettre est annexé un certain nombre de documents, dont des conditions générales d'intervention datées d'avril 2013, lesquelles prévoient en leur article 5 (Responsabilité) :

« (...) Toute action en responsabilité formulée à l'encontre d'un membre de l'Ordre, fondée sur/ou liée à la conclusion ou à l'exécution de la présente lettre de mission, devra être engagée dans un délai maximum de trois ans à compter de la date de réalisation de la prestation par le membre de l'Ordre. Les parties conviennent que cette date de réalisation correspond à la date du rapport ou du compte-rendu établi par le membre de l'Ordre à l'occasion d'une mission portant sur des comptes ou, pour les autres prestations, à la date de remise des documents fondant la demande de réparation (tels que, par exemple et sans que cette liste soit exhaustive, une déclaration sociale ou fiscale, un bulletin de paie, un procès-verbal d'assemblée générale) ou à la date de télédéclaration des informations litigieuses. Par ailleurs, cette action devra être engagée dans les trois mois de la connaissance par le client de l'évènement susceptible d'engager la responsabilité du membre de l'Ordre (...) ».



Outre que ni la lettre de mission, ni les conditions générales d'intervention n'ont été signées par la société Sud-Est Automobiles, les intimés font justement observer que ladite lettre n'a pas vocation à s'appliquer au litige dans la mesure où elle a pour objet la mission de présentation des comptes de l'exercice 2013 tandis que les faits litigieux portent sur la période du 1er janvier 2010 au 30 novembre 2012. La cour observe en outre qu'il n'y est nullement fait état d'un renouvellement de la mission de présentation des comptes fournie par la société In Extenso sur les exercices précédents.



Aucune autre lettre de mission n'est communiquée pour la période considérée.



Le moyen tiré de la forclusion de l'action doit donc être écarté, étant relevé que les appelantes précisent elles-mêmes que leur demande porte sur la forclusion et non sur la prescription de l'action.



Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit recevable la société Sud-Est Automobiles en son action ainsi que les époux [Y] en leur intervention volontaire.



Sur la responsabilité de la société In Extenso dans le cadre de l'établissement des déclarations de TVA



La société Sud-Est Automobiles et les époux [Y] font grief à la société In Extenso d'avoir commis une faute dans l'établissement des déclarations de TVA de la société Sud-Est Automobiles, ainsi que d'avoir manqué à son obligation de conseil.



Les appelantes prétendent qu'aucune faute ne peut être reprochée à la société In Extenso, qui a renseigné les déclarations de TVA au vu des éléments fournis par la société Sud-Est Automobiles, laquelle a fait le choix en amont de son intervention, de déclarer les acquisitions intracommunautaires comme non taxables au service des impôts des entreprises (SIE) et d'appliquer, de sa propre initiative, le régime de TVA sur la marge lors de la revente des véhicules d'occasion en France, sans avoir jamais consulté son expert-comptable sur ce point.



Elles font valoir qu'en amont de l'établissement des déclarations de TVA et de l'intervention de l'expert-comptable, la société Sud-Est Automobiles présentait au SIE des certificats d'acquisition des véhicules terrestres à moteur erronés en vue de l'obtention du quitus fiscal permettant d'attester du caractère non taxable de l'acquisition et de la situation régulière du véhicule acquis au regard de la TVA ; qu'ainsi le quitus fiscal validait faussement l'application de la TVA sur marge lors de la revente du véhicule en France ; qu'en suite du quitus obtenu, la société Sud-Est Automobiles établissait sa facturation TTC pour les reventes de véhicules en France en appliquant de manière erronée la TVA sur marge. Elles en concluent qu'il ne peut en résulter aucune faute de l'expert-comptable dans l'établissement postérieur des déclarations de TVA sur le fondement de pièces comptables erronées (factures et quitus fiscaux) qui ne faisaient ressortir aucune incohérence.



Elles considèrent comme parfaitement infondé de reprocher à la société In Extenso de n'avoir pas examiné toutes les factures fournisseurs et de n'avoir pas décelé que les livraisons y étaient mentionnées hors taxes, alors que la société Sud-Est Automobiles, professionnelle de l'automobile et responsable au premier chef de ses opérations et facturations, pouvait seule le déceler.



Elles soutiennent encore que la société In Extenso n'est coupable d'aucun manquement à son obligation de conseil ; qu'en effet la société Sud-Est Automobiles ne l'a ni consultée, ni interrogée d'une quelconque manière sur les conditions d'application de la TVA sur la vente des véhicules en provenance d'Allemagne ; que bien plus, elle a choisi de consulter l'administration fiscale sur le régime applicable dès qu'elle a commencé son activité de négoce de véhicules d'occasion ; que d'ailleurs, elle n'a eu de cesse de soutenir devant les juridictions administratives qu'elle avait directement sollicité le SIE sur le régime de taxation des opérations de revente des véhicules d'occasion ; qu'elle est donc mal fondée, après cinq ans de procédure administrative, à reprocher soudainement à son expert-comptable de ne pas avoir étudié les conditions d'application du régime de TVA.



Elles estiment que la société Sud-Est Automobiles est seule à l'origine du redressement subi ; qu'elle ne pouvait ignorer le caractère d'acquisition intracommunautaire des achats de véhicules auprès de ses fournisseurs allemands alors même qu'elle ne commerçait qu'avec des sociétés allemandes ; que l'obtention successive d'un quitus fiscal faisant état d'une opération non taxable et l'application de la TVA sur marge à la revente, et ce depuis 2008, démontre sans conteste que la société Sud-Est Automobiles était parfaitement informée du mécanisme d'application de la TVA sur la marge qu'elle pouvait appliquer à la revente dès lors qu'elle s'était faussement procuré en amont un quitus constatant des acquisitions non taxables ; qu'elle ne saurait donc tenter de s'exonérer de sa faute en arguant d'abord d'une faute des agents de l'administration fiscale, puis ensuite fort opportunément de celle de l'expert-comptable au motif qu'il est assuré au titre de sa profession ; que, si par extraordinaire, une faute était retenue à l'égard de la société In Extenso, elle est en tout état de cause sans lien avec les dommages allégués.



S'agissant des fautes alléguées par les époux [Y], les appelantes font valoir que ceux-ci ne démontrent pas en quoi le prétendu manquement à l'obligation contractuelle de la société In Extenso à l'égard de la société Sud-Est Automobiles constituerait également un manquement général à leur endroit.



Les intimées font valoir en réplique que l'expert-comptable, qui est un professionnel de la TVA, contrairement à la société Sud-Est Automobiles, a lui-même reconnu sa responsabilité « par défaut de conseil » dans un courriel adressé le 10 juillet 2018 à Mme [Y] par M. [D] [P], directeur de la société In Extenso, ce qui suffit à établir le bien-fondé des demandes de condamnation.



Elles exposent que le cabinet comptable In Extenso était son expert-comptable depuis plusieurs années et connaissait parfaitement l'activité économique exercée par sa cliente ; qu'il était chargé de l'établissement des déclarations mensuelles de TVA, qu'il réglait par télétransmission, et de l'établissement du bilan et des déclarations fiscales annuelles de la société Sud-Est Automobiles ; qu'un des collaborateurs du cabinet se rendait chaque mois dans les locaux de la société Sud-Est Automobiles pour saisir « les banques », la caisse et établir les déclarations de TVA sur la base des relevés de banque, des factures d'achat et de vente (avec consultation et copie du livre de police pour les véhicules d'occasion) ainsi que des quitus de l'administration fiscale ; que s'agissant plus particulièrement des véhicules d'occasion en provenance d'Allemagne, ce collaborateur avait accès aux factures d'achat auprès des fournisseurs allemands et aux factures de vente, qu'il photocopiait pour son dossier ; que la société In Extenso n'a pas tiré les conséquences légales de ces factures d'achat.



Elles reprochent à la société In Extenso son manque de professionnalisme, alors que les opérations intra-communautaires, qui impliquaient une auto-liquidation de la TVA, représentaient une part très importante du chiffre d'affaires de la société, de sorte que l'expert-comptable ne pouvait éviter de se poser la question du régime de TVA applicable à ces opérations, et ce dès l'acquisition des véhicules d'occasion auprès des fournisseurs allemands.



Elles prétendent que l'application erronée par la société In Extenso des règles de TVA justifie la mise en cause de sa responsabilité professionnelle ; que d'ailleurs, après la notification du contrôle fiscal, en octobre 2013, elle a modifié ses pratiques professionnelles pour commencer à procéder aux déclarations d'échanges de biens (DEB).



Elles se prévalent du dégrèvement accordé par l'administration fiscale sur l'ensemble des pénalités et des intérêts de retard qui établit, selon elles, l'absence d'intentionnalité de la société Sud-Est Automobiles et sa bonne foi.



Elles considèrent que si la société In Extenso avait eu un doute quant au régime de TVA applicable, elle aurait dû proposer de diligenter un rescrit auprès de l'administration fiscale ; qu'il relevait de son devoir de conseil d'appeler l'attention de la société Sud-Est Automobiles sur la mention figurant sur le quitus de l'administration fiscale ; que la société In Extenso a manqué à son obligation de conseil, qui était d'autant plus étendue que sa mission était très vaste. Elles soulignent à cet égard que durant le contrôle fiscal, la société In Extenso a assisté la société Sud-Est Automobiles en lui recommandant ses avocats et que toute la stratégie devant le juge administratif de l'impôt a été menée sous l'impulsion de la société In Extenso.



*****



La demande de la société Sud-Est Automobiles et des époux [Y] est fondée sur l'article 1147 du code civil, dont la version applicable aux faits prévoit que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.



L'expert-comptable est tenu d'une obligation de moyens. Sa responsabilité civile s'apprécie au regard de la mission que lui a confiée son client.



Le seul fait qu'un redressement fiscal ait été prononcé par l'administration fiscale n'implique pas nécessairement la mise en cause de la responsabilité de l'expert-comptable. Il appartient au client d'établir l'existence d'une faute de son expert-comptable en relation directe avec le redressement en cause.



Il n'est en l'espèce pas discuté que la société Sud-Est Automobiles a confié à la société In Extenso une mission de présentation de ses comptes annuels et d'établissement de ses déclarations fiscales, notamment celles relatives à la TVA.



A la suite d'une vérification de comptabilité et de la mise en oeuvre du droit de visite et de saisie prévu à l'article L.16 B du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a adressé à la société Sud-Est Automobiles, le 26 avril 2013, une proposition de rectification portant sur une somme de 639.342 €, comprenant un rappel de TVA de 419.779 €, des intérêts de retard, une amende pour défaut d'auto-liquidation et une majoration de 40% pour manquements délibérés.



L'administration fiscale a en effet reproché à la société Sud-Est Automobiles d'avoir appliqué, du 1er octobre 2010 au 30 novembre 2012, le régime de TVA sur la marge lors de la revente en France de véhicules d'occasion qu'elle avait acquis auprès de sociétés allemandes. L'examen des factures d'achat, rédigées en langue allemande, a permis de constater que la société Sud-Est Automobiles avait réalisé des acquisitions intracommunautaires auprès de fournisseurs allemands : ainsi était-il mentionné sur ces factures que les véhicules constituaient des livraisons intracommunautaires exonérées de TVA au départ de l'Allemagne (« Steuerfreie innergemeinschaftliche lieferung ») et aucune mention relative à la TVA n'était indiquée dans le prix final. Ces véhicules auraient dû faire l'objet d'une acquisition imposable dans le pays de livraison, soit la France, et d'une revente avec collecte de la TVA sur le prix de vente total. Or, ces acquisitions intracommunautaires n'ont pas été déclarées par la société Sud-Est Automobiles au service des impôts des entreprises (SIE) de [Localité 7] dont elle dépendait, les véhicules ont été revendus à des clients situés en France selon le régime de la marge en matière de TVA et aucune des factures de vente ne mentionnait la TVA dans le prix final.



Si la société In Extenso soutient que sa responsabilité ne peut être recherchée dans la mesure où elle se contentait d'établir les déclarations mensuelles de TVA sur la base des éléments qui lui étaient communiqués par sa cliente et, plus particulièrement, sur la base du quitus de l'administration fiscale et des factures de vente en France, il convient de souligner que la société In Extenso était par ailleurs chargée d'une mission d'établissement des comptes et qu'à ce titre, elle devait examiner les factures, qu'elles soient d'achat ou de vente, avant de les enregistrer en comptabilité. Elle était donc nécessairement amenée à s'intéresser à la question de la TVA et des transactions intracommunautaires réalisées par sa cliente.



En ignorant cette question et même si, comme le rappellent les appelantes, l'expert comptable n'est tenu que d'une obligation de moyens, la société In Extenso a failli dans sa mission d'expert-comptable. Il lui incombait, dans le cadre des diligences normalement attendues de ce professionnel, de s'assurer de la bonne application des règles, notamment comptables et fiscales, auxquelles sa cliente était soumise.



L'expert-comptable, tenu en outre d'une obligation de conseil, aurait dû mettre en oeuvre les moyens suffisants pour alerter sa cliente du risque encouru en appliquant un régime de TVA erroné.



Ces éléments doivent conduire à retenir la responsabilité, tout au moins partielle, de la société In Extenso, dont le comportement fautif est en lien direct avec le redressement fiscal opéré.



Sur l'indemnisation des préjudices de la société Sud-Est Automobiles



La société Sud-Est Automobiles sollicite l'indemnisation des préjudices suivants :

- 419.779 € au titre de l'indemnisation financière liée au rappel de TVA, constituée de la perte de chance de ne pas subir de redressement et de ne pouvoir facturer et récupérer la TVA adéquate auprès de ses clients ;

- 36.221,66 € HT au titre du remboursement de frais des conseils auxquels elle a été contrainte de faire appel pour défendre ses intérêts face à l'administration fiscale ;

- 67.369,87 € HT au titre du remboursement des honoraires versés à la société In Extenso de 2010 à 2012 ;

- 180.000 € au titre de la perte de sa marge brute pour les années 2015 à 2018 ;

- 50.000 € au titre de la perte de ses autorisations de découvert ;

- 50.000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice d'image et moral.



Les appelantes objectent que :

- la demande de remboursement de la TVA due et payée ne constitue pas un préjudice et la société Sud-Est Automobiles ne saurait pas plus arguer d'une quelconque perte de chance d'avoir pu facturer la TVA à ses clients ou conserver une marge ;

- les honoraires d'avocats et dépenses engagées devant les juridictions administratives résultent de frais exposés dans le cadre d'autres actions juridictionnelles engagées à l'initiative de la société Sud-Est Automobiles et des décisions qu'elle a choisi de contester, et n'ont donc pas de lien avec les fautes alléguées ; seuls les frais de procédure afférents à la présente instance peuvent être réclamés le cas échéant au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la société Sud-Est Automobiles ne saurait demander le remboursement d'honoraires pour des prestations qui ont été dument réalisées et qui ne sont d'ailleurs pas remises en cause dans la présente procédure ;

- en réalité, elle finançait son activité de négoce de véhicules d'occasion avec la TVA qu'elle aurait dû reverser au Trésor ;

- le non-renouvellement des concours bancaires n'est que la conséquence de la décision des banques suite à la défaillance de la société Sud-Est Automobiles de payer sa dette fiscale et à son incapacité à demeurer rentable depuis qu'elle n'applique plus la TVA sur marge, qui lui conférait un avantage concurrentiel indû ;

- le préjudice moral allégué n'est pas démontré et fait au surplus double emploi avec le préjudice réclamé au titre de la perte de marge.



*****



- Sur la demande liée au rappel de TVA



La demande indemnitaire de la société Sud-Est Automobiles ne peut aboutir dans son entièreté, dès lors que la somme de 419.779 € payée à l'administration fiscale consécutivement au redressement correspond au montant de la TVA que la société aurait dû acquitter si l'impôt n'avait pas été éludé, sachant qu'elle a obtenu le dégrèvement des sommes dues au titre des intérêts de retard et des pénalités pour défaut d'auto-liquidation de la TVA.



Il sera ensuite rappelé que la perte de chance ne saurait être égale au montant du préjudice. Comme le font justement observer les appelantes, si la société Sud-Est Automobiles avait appliqué le régime de TVA normal sur le prix de vente de ses véhicules, et non le régime sur la marge, elle aurait été amenée à réduire d'autant sa marge sur les ventes pour conserver un prix identique, afin de ne pas dépasser la cote Argus fixant le prix des véhicules : ce qu'elle a gagné en marge, elle aurait dû le payer en TVA. Le rappel de TVA dont elle a dû s'acquitter auprès de l'administration fiscale la replace donc dans la situation qui aurait dû être la sienne si elle n'avait pas bénéficié de cet avantage résultant de l'application d'un taux de TVA erroné, étant observé que le redressement n'a pu porter que sur la période non couverte par la prescription.



Il n'en demeure pas moins que l'application d'un taux de TVA erroné a effectivement empêché la société Sud-Est Automobiles d'appeler en temps utile l'exacte TVA due sur le prix de vente, qu'elle était tenue d'acquitter auprès de l'administration fiscale, et qu'elle n'est plus en mesure a posteriori de pouvoir récupérer.



Il doit aussi être tenu compte du fait que la société Sud-Est Automobiles n'a pas payé la totalité du redressement sur ses fonds puisqu'elle a bénéficié d'un apport en compte courant à hauteur de 186.945,99 € de sa société mère, la holding Garage Saint-Antoine, qui n'est pas partie à la présente instance et qui a elle-même bénéficié d'un apport en compte courant de la même somme par les époux [Y], sachant que ces derniers formulent également une demande d'indemnisation.



Il convient enfin de relever que la cour administrative d'appel de Paris a souligné, dans son arrêt rendu le 22 juin 2018 sur renvoi du Conseil d'Etat, que la société Sud-Est Automobiles savait pertinemment que les mentions figurant sur les factures de ses fournisseurs ne l'autorisaient pas à bénéficier du régime de taxation sur la marge. C'est donc en toute connaissance de cause qu'elle a persisté pendant plusieurs années à appliquer un régime de TVA qui n'était pas le bon et à minorer le montant de l'impôt normalement dû.



Au vu de ces éléments, la perte de chance de la société Sud-Est Automobiles sera évaluée à la somme de 40.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018 - date de l'acte introductif d'instance - que la société In Extenso et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Mutuelles seront condamnées solidairement à lui payer, par infirmation du jugement entrepris. La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.



- Sur la demande de remboursement des frais de conseils



Comme rappelé ci-dessus, la société Sud-Est Automobiles savait qu'elle n'appliquait pas le bon régime de TVA et elle a néanmoins continué pendant plusieurs années à appliquer un régime de TVA qui n'était pas le bon et à minorer le montant de l'impôt normalement dû. Elle a fait le choix, dans ces conditions, de contester le redressement fiscal, alors que son action était manifestement vouée à l'échec, de sorte que ses frais de conseils doivent demeurer intégralement à sa charge.



- Sur la demande de remboursement des honoraires perçus par l'expert-comptable



Comme l'ont justement retenu les premiers juges, les honoraires payés à la société In Extenso sont la contrepartie des travaux commandés et réalisés. La société Sud-Est Automobiles est donc mal fondée en sa demande de remboursement.







- Sur les demandes au titre de la perte de marge brute et de la suppression des autorisations de découvert



La société Sud-Est Automobiles invoque une perte de marge brute d'un montant de 180.000 € entre 2015 et 2018, consécutive à l'arrêt de l'activité de revente de véhicules d'occasion. Elle indique qu'elle a perdu la confiance des banques qui ont mis fin aux autorisations bancaires de découvert, ce qui ne lui permettait plus de financer cette activité, faute de trésorerie suffisante.



Toutefois, les saisies opérées sur ses comptes bancaires, qui ont entraîné la perte de confiance des banques, n'ont pour cause que le défaut de paiement du rappel d'impôt qu'elle aurait dû de toute façon acquitter si elle avait appliqué le régime de TVA correct. Il n'est donc pas démontré que la perte de marge - marge au demeurant générée par l'économie d'impôt indue - ni que les suppressions des autorisations de découvert sont en lien direct avec le redressement fiscal.



En outre, le défaut de paiement de la TVA normalement due a permis à la société Sud-Est Automobiles de bénéficier d'une trésorerie qui aurait dû lui permettre de s'acquitter du montant du rappel d'impôt.



Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Sud-Est Automobiles de ses demandes à ce titre.



- Sur la demande au titre du préjudice d'image et moral



La société Sud-Est Automobiles s'estime bien fondée à solliciter le versement de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'image et moral dont elle ne rapporte toutefois nullement la preuve, ce qui justifie la confirmation du jugement sur ce point également.



Sur l'indemnisation des préjudices des époux [Y]



Les époux [Y] soutiennent que les fautes commises par la société In Extenso leur ont causé un préjudice personnel, sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Ils font valoir que, sans ces fautes, ils n'auraient pas été obligés de recourir à un emprunt de 205.000 euros et d'hypothéquer leur appartement, afin de payer la dette fiscale de la société Sud-Est Automobiles à hauteur de 186.945,99 €, en effectuant un apport en compte courant via leur holding, la SARL Garage Saint-Antoine.



Ils réclament en conséquence, les sommes suivantes :

- 71.756 € au titre des intérêts bancaires,

- 18.054 € au titre des frais d'emprunt,

- 186.945,99 € au titre du prêt souscrit, après déduction des frais,

- 50.000 euros au titre de leur préjudice moral.



Les appelantes répondent que ces préjudices ne sont aucunement fondés.



*****

Les époux [Y] expliquent avoir contracté un prêt in fine de 205.000 €, dont le capital doit être remboursé en 2026, ce prêt étant garanti par une hypothèque sur l'appartement dont ils sont propriétaires au [Adresse 5]. Ils ont ensuite fait un apport en compte courant d'associés, d'un montant de 186.945,99 €, à la SARL Garage Saint-Antoine, leur holding, laquelle a transféré cette somme à la société Sud-Est Automobiles, sa filiale, via un apport en compte courant, ce qui a permis à cette dernière de régler une partie de sa dette fiscale, comme en atteste l'ordre de virement au SIE en date du 21 janvier 2019.



Ils se prévalent en outre de l'abandon partiel de créance en compte courant d'associé qu'ils ont consenti à leur holding à concurrence de 125.000 €, aux termes d'une convention conclue avec la société Garage Saint-Antoine le 31 décembre 2018. La cour observe néanmoins que cet abandon de créance a été assorti d'une condition résolutoire de retour à meilleure fortune, de sorte que le préjudice allégué ne peut être considéré comme certain, au moins à hauteur de 125.000 €.



En outre, il ressort des relevés de compte bancaire des époux [Y] qu'ils se font rembourser mensuellement et progressivement des sommes de leur compte courant d'associé de la holding, qui les perçoit elle-même de la société Sud-Est Automobiles. Ces mêmes relevés révèlent que si les intérêts de l'emprunt souscrit sont prélevés chaque mois sur leur compte bancaire, ils font l'objet d'un remboursement immédiat par virement sur ce compte de la société Garage Saint-Antoine.



Il doit enfin être tenu compte du fait que les époux [Y], en tant que président de la société Sud-est Automobiles pour Madame et administrateur pour Monsieur, ont en toute connaissance de cause et pendant plusieurs années persisté à appliquer un régime de TVA erroné et à minorer le montant de l'impôt normalement dû ; que ce faisant, ils ont très largement contribué au préjudice dont ils réclament réparation.



Au regard de ces éléments, la cour évalue le préjudice total subi par les époux [Y] à la somme de 30.000 € que les appelantes seront condamnées à leur verser, par infirmation du jugement entrepris. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018 et la capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.



Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a débouté les époux [Y] de leur demande d'indemnisation au titre d'un prétendu préjudice moral. En effet, outre que ce dernier n'est pas démontré, les intéressés étaient parfaitement informés du risque de redressement que leur société encourait, comme indiqué précédemment.



Sur le défaut de dépôt des comptes annuels



Les intimées prétendent avoir découvert lors de la procédure aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement déféré, initiée par la société In Extenso, que celle-ci n'avait pas procédé au dépôt des comptes 2017, 2018 et 2019 de la société Sud-Est Automobiles au greffe du tribunal de commerce de Paris, contrairement à la mission qui lui avait été confiée jusqu'au 31 décembre 2020. Elles soulignent que la société In Extenso a pourtant facturé et encaissé les sommes correspondant aux prestations d'approbation des comptes sociaux et de dépôt au greffe.



Elles sollicitent en conséquence le remboursement des honoraires versés à ce titre, soit la somme de 5.616,44 HT se décomposant comme suit :

- 1.311 € HT au titre de l'approbation des comptes 2017,

- 1.350 € HT au titre de l'approbation des comptes 2018,

- 2.600 € HT au titre de l'établissement des comptes 2019,

- 300 € HT au titre des déclarations des bénéficiaires effectifs,

- 55,44 € HT au titre des frais de greffe.



Elles invoquent également un préjudice moral résultant du défaut de dépôt des comptes annuels et de son utilisation abusive par les appelantes au soutien de leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement déféré. Elles réclament à ce titre la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts.



Les appelantes répondent en premier lieu que la société Sud-Est Automobiles savait parfaitement que l'absence, lui incombant, de désignation obligatoire d'un commissaire aux comptes, pendant deux exercices empêchait toute approbation et donc publication de ses comptes annuels.



Elles soutiennent en second lieu que la société In Extenso ne s'est pas vue confier par la société Sud-Est Automobiles une mission de dépôt de ses comptes au greffe, mais la mission juridique habituelle de rédaction des actes juridiques nécessaires à « l'approbation des comptes », soit la rédaction des procès-verbaux du conseil d'administration, des résolutions d'assemblée générale, du rapport du conseil d'administration et du procès-verbal d'assemblée générale.



Elles considèrent que ce nouveau grief a été imaginé pour les seuls besoins de la cause et font observer que les honoraires dont les intimées réclament le remboursement ont été facturés par la société In Extenso au titre de la rédaction des actes juridiques et aucunement de celui du dépôt des comptes au greffe, qu'en outre elles n'hésitent pas à réclamer le remboursement de la facture du 29 juillet 2020 établie au titre de l'établissement des comptes annuels 2019, qui n'a donc rien à voir avec des honoraires juridiques d'approbation des comptes mais constitue la rémunération de l'établissement de son bilan 2019, prestation dont la réalisation n'est pas contestée.



*****



Les pièces produites par les intimées au soutien de leur demande ne permettent pas d'établir que le dépôt des comptes annuels faisait partie de la mission confiée par la société Sud-Est Automobiles à son expert-comptable.



Il ressort en outre du procès-verbal du 28 novembre 2018 que l'assemblée générale des actionnaires de la société Sud-Est Automobiles a, à cette date, pris acte du fait que la société n'avait plus de commissaires aux comptes depuis le 17 novembre 2017 (titulaire) et le 21 octobre 2017 (suppléant). Lors de cette même réunion, elle a décidé « d'ajourner l'examen des questions figurant à l'ordre du jour et de se réunir de nouveau en Assemblée Générale Ordinaire annuelle pour délibérer sur le même ordre du jour dès que les commissaires aux comptes auront été nommés ».

Il a fallu attendre la réunion de l'assemblée générale du 30 novembre 2019 pour que soit désignée la société Compagnie Européenne de Conseil et d'Audit (CECA) en qualité de commissaire aux comptes titulaire. Les appelantes expliquent, sans être utilement contredites, que le pouvoir en date du 20 décembre 2019 dont se prévalent les intimées a en réalité été donné par Mme [Y] à la société In Extenso afin justement que celle-ci puisse procéder aux formalités d'enregistrement de cette nomination, en particulier sur le Kbis de la société. La facture émise par l'expert-comptable le 31 décembre 2019, qui mentionne notamment « Honoraires juridiques relatifs à : Nomination de CAC/ Renouvellement des ADM » et « Débours engagés pour votre compte relatifs à : Nomination de CAC/ Renouvellement des ADM/ Frais greffe » vient corroborer cette explication.



La société In Extenso communique les procès-verbaux des assemblées générales tenues les 29 mai et 31 juillet 2020, au cours desquelles la société Sud-Est Automobiles a approuvé ses comptes 2017 et 2018 puis ses comptes 2019. Les deux factures émises le 29 mai 2020 font uniquement état de l'« Approbation des comptes annuels de l'exercice clos le 31/12/2017 » et de l'« Approbation des comptes annuels de l'exercice clos le 31/12/2018 » ; celle en date du 29 juillet 2020 vise seulement l'« Etablissement des comptes annuels 2019 ».



Aucune pièce ne démontre que la société In Extenso a été en outre chargée de procéder au dépôt des comptes au greffe du tribunal de commerce, pas même le courrier en date du 15 juillet 2020 par lequel le commissaire aux comptes de la société Sud-Est Automobiles lui a adressé ses rapports et l'a informée qu'il transmettait directement à l'expert-comptable les comptes de l'exercice.



Ainsi, rien ne permet de retenir que le défaut de dépôt des comptes doit être imputé à la société In Extenso.



Les intimées seront déboutées de leurs demandes de ce chef.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées.



L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles et de ses propres dépens.



PAR CES MOTIFS



La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,



CONFIRME le jugement rendu le 22 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a dit recevables l'action de la société Sud-Est Automobiles et l'intervention volontaire des époux [Y], en ce qu'il a débouté la société Sud-Est Automobiles de ses demandes indemnitaires autres que celle liée à la perte de chance et en ce qu'il a débouté Mme [H] [F] épouse [Y] et M. [G] [Y] de leur demande indemnitaire au titre d'un préjudice moral ;



L'INFIRME pour le surplus ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



CONDAMNE solidairement la société In Extenso et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Mutuelles à payer à la société Sud-Est Automobiles la somme de 40.000 € au titre de la perte de chance, avec intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018 ;



CONDAMNE solidairement la société In Extenso et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Mutuelles à payer à Mme [H] [F] épouse [Y] et M. [G] [Y] la somme de 30.000 € au titre des préjudices matériels, avec intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2018 ;



ORDONNE la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;



DÉBOUTE la société Sud-Est Automobiles, Mme [H] [F] épouse [Y] et M. [G] [Y] du surplus de leurs demandes ;



DÉBOUTE les sociétés In Extenso Ile-de-France, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



DIT que chaque partie assumera la charge de ses propres dépens.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le greffier, Le président,

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