25 January 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-86.839

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00089

Titres et sommaires

ETRANGER - Entrée et séjour - Entrée irrégulière en France - Aide à l'entrée irrégulière - Article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 - Répression en cas de but humanitaire - Possibilité

L'article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 permet de réprimer l'aide apportée à l'entrée irrégulière sur le territoire d'un Etat de l'Union, sans imposer d'immunité, en cas de poursuite d'un but humanitaire. L'interdiction de poursuivre pénalement un étranger qui fait l'objet d'une procédure d'éloignement en cours, n'interdit pas de poursuivre pénalement une personne qui a aidé cet étranger à franchir une frontière d'un Etat de l'Union. La personne qui, dans un but humanitaire, apporte une aide à l'entrée sur le territoire français, favorise la commission d'une infraction et ne peut bénéficier de l'immunité prévue en cas d'aide, poursuivant le même but, apportée au séjour et à la circulation

ETRANGER - Entrée et séjour - Entrée irrégulière en France - Aide à l'entrée irrégulière - Procédure d'éloignement en cours - Poursuites pénales contre la personne ayant apporté son aide pour franchir la frontière d'un Etat de l'Union - Possibilité

ETRANGER - Entrée et séjour - Entrée irrégulière en France - Aide à l'entrée irrégulière - But humanitaire - Bénéfice de l'immunité en cas d'aide au séjour et à la circulation dans un but humanitaire (non)

Texte de la décision

N° Z 21-86.839 F-B

N° 00089


ECF
25 JANVIER 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JANVIER 2023



M. [T] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 3 novembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 14 octobre 2020, n° 19-83.247) pour aide à l'entrée irrégulière d'un étranger en France, l'a condamné à 3 000 euros d'amende avec sursis.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Brugère, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [T] [R], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Brugère, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 18 janvier 2018, M. [T] [R], qui conduisait son véhicule, depuis la frontière italienne vers [Localité 1], a été contrôlé par les fonctionnaires de la police aux frontières. Il avait pour passager une personne de nationalité éthiopienne, démunie de document lui permettant d'entrer et de séjourner en France.

3. M. [R] a reconnu avoir pris en charge ce ressortissant étranger à [Localité 2] et lui avoir fait traverser la frontière dans son véhicule, afin de le conduire à la gare de [Localité 1].

4. Il a été poursuivi pour aide à l'entrée irrégulière d'un étranger sur le territoire national.

5. Par jugement du 14 mars 2018, il a été relaxé.

6. Le ministère public a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen


7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tirée de l'irrégularité de l'interpellation de M. [R], alors « que la régularité d'un contrôle d'identité doit s'apprécier au regard du fondement juridique sur lequel ceux qui l'ont réalisé entendaient agir, de sorte qu'il leur revient nécessairement de faire figurer dans leur procès-verbal le fondement légal précis de leur intervention afin que puisse être vérifié le respect des conditions relatives ; qu'en se bornant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de cette irrégularité, à faire état des circonstances de fait de l'interpellation dont elle déduit que « le contrôle du véhicule et de ses occupants était justifié au regard des dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale », lorsque de telles déductions, effectuées a posteriori, ne sauraient pallier l'irrégularité résultant de l'absence en procédure de mention du fondement légal précis sur lequel cette intervention a été effectuée, la cour d'appel a violé les articles 78-2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour écarter l'exception de nullité du contrôle d'identité, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte du procès-verbal d'interpellation du prévenu que celui-ci a été contrôlé, au volant de son automobile, sur l'autoroute, venant de l'Italie et se dirigeant vers [Localité 1], par des policiers qui ont vu, à l'arrière du véhicule, un homme couché derrière le siège du conducteur, dissimulé par le dossier de la banquette arrière, replié sur lui.

10. La juridiction du second degré en déduit que les policiers ont ainsi pu estimer possible que les deux hommes à l'intérieur du véhicule avaient commis ou tenté de commettre une infraction, ce qui justifie la légalité du contrôle, sur le fondement de l'article 78-2 du code de procédure pénale.

11. En l'état de ces énonciations qui établissent, de manière précise, les conditions dans lesquelles le contrôle a été effectué, et permettent d'apprécier sa régularité, la cour d'appel a justifié sa décision, aucune disposition n'imposant, à peine de nullité du contrôle, que le texte qui l'autorise soit visé à la procédure.

12. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable du chef d'aide à l'entrée irrégulière d'un étranger sur le territoire, alors :

« 1°/ que la Cour de justice de l'Union Européenne a exclu l'établissement par les Etats membres d'une répression pénale spécifique à l'encontre d'un individu ayant irrégulièrement franchi une frontière intérieure, au sens du code frontières Schengen ; qu'il s'en déduit qu'aucune répression spécifique ne saurait être établie à l'encontre d'un individu qui aide au franchissement irrégulier d'une frontière intérieure, à tout le moins lorsque c'est à des fins humanitaires qu'il procède à de tels agissements, dans la mesure où son action ne contribue pas à la création d'une situation susceptible d'être pénalement réprimée selon les exigences du droit de l'Union européenne ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre de M. [R] pour avoir aidé, dans un but humanitaire, un individu à franchir irrégulièrement une frontière intérieure, au sens du code frontières Schengen, la cour d'appel a méconnu les principes susvisés, ensemble la Charte des droits fondamentaux et la directive 2002/90 du 28 novembre 2002 ;
2°/ qu'il s'évince de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et plus particulièrement des arrêts n° C-47/15 du 7 juin 2016 et n° C-239/11 du 6 décembre 2011, que celle-ci retient un traitement pénal similaire à l'égard de l'étranger qui séjourne irrégulièrement sur le territoire d'un Etat membre, d'une part, et de celui qui a franchi irrégulièrement une frontière intérieure, d'autre part ; qu'il s'en déduit l'impossibilité de traiter différemment les individus qui se rendent coupables d'aide à ces mêmes agissements, en particulier à des fins humanitaires ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre de M. [R] pour avoir aidé, dans un cadre humanitaire, un individu à franchir irrégulièrement une frontière intérieure, au sens du code frontières Schengen, excluant ce faisant l'immunité humanitaire prévue pour les faits d'aide au séjour irrégulier apportée dans un cadre humanitaire, la cour d'appel a méconnu les principes susvisés, ensemble le principe de non-discrimination tel qu'il résulte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ qu'il existe une difficulté sérieuse d'interprétation des normes européennes applicables au présent litige qu'il appartiendrait à la Cour de cassation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle pour la résoudre. »

Réponse de la Cour

14. Pour refuser de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l'Union de la répression pénale de l'aide au franchissement irrégulier d'une frontière dans un but humanitaire, la cour d'appel énonce que l'article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers, prévoit que chaque Etat membre adopte les sanctions appropriées à l'encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d'un Etat membre à pénétrer sur le territoire d'un Etat membre ou d'y transiter en violation de sa législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, un Etat membre pouvant exclure le prononcé de sanction si ce comportement vise à apporter une aide humanitaire.

15. Elle ajoute que le demandeur ne se trouve pas dans la situation d'un étranger en séjour irrégulier, qui ne peut faire l'objet de poursuites pénales tant que la procédure administrative d'éloignement engagée à son égard n'est pas conduite à son terme.

16. Elle en déduit l'absence de contradiction entre les dispositions de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la directive susvisée.

17. En prononçant ainsi, et en déclarant le prévenu coupable d'aide à l'entrée irrégulière d'un étranger, après avoir constaté qu'il avait pris en charge dans son véhicule pour franchir la frontière, depuis l'Italie, un étranger démuni de titre lui permettant l'entrée et le séjour en France, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions du droit de l'Union et du droit interne.

18. En effet, d'une part, l'article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 permet de réprimer l'aide apportée à l'entrée irrégulière sur le territoire d'un Etat de l'Union, sans imposer d'immunité en cas de poursuite d'un but humanitaire.

19. D'autre part, l'interdiction de poursuivre pénalement un étranger qui fait l'objet d'une procédure d'éloignement en cours, n'interdit pas de poursuivre pénalement une personne qui a aidé cet étranger à franchir une frontière d'un Etat de l'Union, et qui, elle-même, ne fait pas l'objet d'une procédure d'éloignement, compte tenu de la différence de leurs situations respectives.

20. Par ailleurs, la personne qui, dans un but humanitaire, apporte une aide à l'entrée sur le territoire français, favorise la commission d'une infraction, ce qui explique qu'elle ne puisse bénéficier de l'immunité prévue en cas d'aide, poursuivant le même but, apportée au séjour et à la circulation.

21. Enfin, l'interprétation des règles communautaires s'impose ainsi avec une évidence qui ne laisse pas place à un doute raisonnable, ce qui justifie de rejeter la demande de transmission à la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

22. Le moyen ne peut donc être accueilli.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT n'y avoir lieu à transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;

REJETTE le pourvoi ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.

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