24 January 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-82.778

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00006

Titres et sommaires

ACTION CIVILE - Partie civile - Constitution - Constitution à l'instruction - Recevabilité - Existence d'un préjudice certain, direct et personnel - Appréciation - Cas - Attentats terroristes

C'est à tort que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré les constitutions de partie civile des plaignantes irrecevables, les juges ont retenu que celles-ci ne s'étaient pas trouvées sur la trajectoire de la camionnette conduite par l'un des auteurs des faits poursuivis. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations qu'elles ont suivi un mouvement de foule dont à l'origine elles ignoraient la cause, de sorte qu'elles n'ont pu se croire exposées à une action criminelle ayant pour but de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin)

Texte de la décision

N° K 21-82.778 FP-B

N° 00006


ODVS
24 JANVIER 2023


REJET


M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023


Mmes [V] et [I] [H], et M. [R] [H], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 14 avril 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [B] [C] et [G] [K] des chefs de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terrroriste et association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevables leurs constitutions de partie civile.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mmes [V] et [I] [H], et M. [R] [H], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, MM. d'Huy, Wyon, Mmes Ménotti, Leprieur, Sudre, Goanvic, MM. Dary, Sottet, conseillers de la chambre, M. Leblanc, Mme Chafaï, M. Michon, conseillers référendaires, Mme Bellone, avocat général référendaire, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,



la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 17 août 2017, vers 17 heures, une fourgonnette a fait irruption sur la [Adresse 3] à [Localité 1], avant de remonter [Adresse 2] jusqu'à la [Adresse 4], artères touristiques de la ville, fonçant dans la foule, faisant quatorze morts et plus d'une centaine de blessés. Le conducteur a pris la fuite avant d'être tué par des policiers quatre jours plus tard. L'organisation dite « Etat islamique » a revendiqué cet attentat.

3. Une information judiciaire a été ouverte à Paris des chefs susvisés, des ressortissants français ayant été blessés.

4. Mme [V] [H], sa fille, Mme [I] [H], et son fils, M. [R] [H], se sont constitués partie civile. Ils ont exposé que, présents lors de l'attentat, ils avaient subi un préjudice en relation avec celui-ci. Mmes [V] et [I] [H], impressionnées par une foule de personnes paniquées, se sont mises à courir. Mme [V] [H] s'est blessée en tombant dans sa course. Ses enfants ont indiqué souffrir de troubles psychologiques.

5. Le juge d'instruction a déclaré ces constitutions de partie civile irrecevables.

6. Mmes [V] [H], [I] [H] et M. [R] [H] ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Mmes [V] et [I] [H] et de M. [R] [H], alors « que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant les juridictions d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle se fonde permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu'il en est notamment ainsi lorsque les dommages invoqués par le plaignant se rattachent par un lien d'indivisibilité aux faits visés à la prévention ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevables les constitutions de parties civiles des consorts [H], la chambre de l'instruction a relevé qu'au vu de leur localisation précise et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette, ils ne s'étaient pas trouvés directement et immédiatement exposés au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. mémoire des consorts [H]), si le mouvement de panique ayant notamment provoqué la chute de Mme [V] [H] ainsi que les blessures qu'elle a subies n'étaient pas indissociablement liés au passage du véhicule conduit par le terroriste, dont rien ne permettait en outre d'exclure un autre passage meurtrier, cette fois dans la direction des consorts [H], de sorte qu'en cet état la possibilité d'un préjudice en lien de causalité direct avec l'infraction de tentative d'assassinat ne pouvait être exclue, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2, 3, 85, 87 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen en ce qu'il concerne M. [R] [H]

8. Pour déclarer la constitution de partie civile de M. [R] [H] irrecevable, l'arrêt attaqué énonce que lors des faits, il ne se trouvait pas avec sa mère et sa soeur, que le lieu exact où il était n'est pas connu, la seule circonstance qu'il se soit trouvé bloqué à l'extérieur d'un périmètre circonscrit par les forces de l'ordre ne démontrant pas qu'il était sur le lieu même des faits ou dans sa proximité immédiate, de sorte que c'est par une juste analyse que le magistrat instructeur a considéré qu'il ne s'est pas trouvé directement exposé au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste.

9. En l'état des seuls motifs dont il résulte que M. [H] ne se trouvait pas à proximité du lieu de commission des faits, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

10. Il s'ensuit que le moyen, en ce qu'il concerne M. [H], n'est pas fondé.

Sur le moyen en ce qu'il concerne Mmes [V] et [I] [H]

11. Pour déclarer les constitutions de partie civile de Mmes [V] et [I] [H] irrecevables, après avoir rappelé les déclarations de Mme [V] [H] selon lesquelles elle a été entraînée avec sa fille dans le mouvement de la foule paniquée, s'est blessée en tombant dans sa course, avant de voir le corps d'une femme étendu sur la route et de penser à un acte criminel, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort de ces déclarations qu'elles n'ont pas vu la scène ni la camionnette.


12. Les juges ajoutent que c'est par une juste analyse de la localisation précise des parties civiles et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette que le magistrat instructeur a considéré qu'elles ne s'étaient pas trouvées directement et immédiatement exposées au risque de mort ou de blessures.

13. Ils en concluent que le traumatisme indéniable des plaignantes correspond à celui vécu par les témoins des conséquences de l'infraction, et non au préjudice d'une victime directe au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.

14. C'est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n'était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que les intéressées ne s'étaient pas trouvées sur la trajectoire de la camionnette.

15. Néanmoins l'arrêt n'encourt pas la censure.

16. En effet, il résulte de ses énonciations que, si Mmes [V] et [I] [H] se trouvaient à proximité du lieu des faits, elles ont suivi un mouvement de foule dont à l'origine elles ignoraient la cause, de sorte qu'elles n'ont pu se croire exposées à une action criminelle ayant pour but de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).

17. Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

REJETTE les pourvois ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois.

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