20 January 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.535

Assemblée plénière

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:CR90664

Titres et sommaires

MISE EN DANGER DE LA PERSONNE - Risques causés à autrui - Eléments constitutifs - Violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence - Obligation particulière de sécurité ou de prudence - Constatation nécessaire

Il résulte de la combinaison des articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale qu'une juridiction d'instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui sans avoir préalablement constaté l'existence de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit. Encourt la cassation, l'arrêt qui, pour rejeter la requête en nullité d'une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui, se réfère à des textes qui ne prévoient pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet


COUR DE JUSTICE DE LA REPUBLIQUE - Procédure - Procédure devant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République - Auditions et interrogatoires de membres du gouvernement - Composition de la commission - Collégialité - Défaut - Nullité d'orde public

La règle, posée par l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, selon laquelle les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la commission d'instruction, est relative à la composition de la juridiction. Elle est d'ordre public et sa méconnaissance peut être invoquée par toute partie à la procédure sans qu'il lui incombe d'établir un grief. Encourt la cassation l'arrêt qui rejette la demande d'annulation d'auditions de membres du gouvernement en exercice, effectuées par un ou par deux des trois membres de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, au motif qu'aucun grief n'est articulé à son soutien

Texte de la décision

COUR DE CASSATION LM


ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE


Audience publique du 20 janvier 2023
Cassation partielle
sans renvoi
M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 664 B+R
Pourvoi n° S 22-82.535



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023


Mme [L] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (commission d'instruction) du 15 avril 2022 qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de mise en danger d'autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, a rejeté sa requête en nullité d'actes de la procédure.

Le pourvoi est examiné par l'assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Par ordonnance du 10 juin 2022, la première présidente de la Cour de cassation a prescrit l'examen immédiat du pourvoi et fixé au 29 juillet 2022 l'expiration du délai imparti à la SCP Waquet, Farge et Hazan pour déposer un mémoire.

Mme [L] [P] invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation le 29 juillet 2022 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [P].

Le rapport écrit de M. Samuel, conseiller, et l'avis écrit de M. Desportes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, assisté de M. Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, et l'avis de M. Desportes, premier avocat général, auquel la SCP Waquet, Farge et Hazan, invitée à le faire, n'a pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Chauvin, Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, M. Samuel, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Duval-Arnould, Darbois, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Taillandier-Thomas, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Rinuy, Mme Durin-Karsenty, MM. Jacques, Riffaud, Mme Dard, conseillers, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Dottori, greffier,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 3 juillet 2020, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a transmis au procureur général près la Cour de cassation, ministère public près la Cour de justice de la République, des plaintes émanant de médecins, de syndicats et de particuliers, relatives à la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19, aux fins de saisine de la commission d'instruction du chef d'abstention de combattre un sinistre, à l'encontre de M. [F] [O], Premier ministre, de Mme [L] [P], ancienne ministre des solidarités et de la santé, et de M. [Z] [U], ministre des solidarités et de la santé.

3. Par réquisitoire du 7 juillet 2020, le procureur général a requis la commission d'instruction d'informer, à l'encontre de M. [O], de Mme [P] et de M. [U], du chef d'abstention de combattre un sinistre, délit prévu et réprimé à l'article 223-7 du code pénal, faits commis à [Localité 1], courant 2019 et 2020.

4. À la suite d'autres plaintes, notamment celle du compagnon de [S] [I] consécutive au décès de cette dernière, en raison, selon le plaignant, d'une infection par le virus SARS-CoV-2, des réquisitoires supplétifs ont été pris aux fins d'informer contre les mêmes personnes, du même chef.

5. Le 10 septembre 2021, Mme [P] a été mise en examen par la commission d'instruction du chef de mise en danger d'autrui et placée sous le statut de témoin assisté du chef d'abstention volontaire de combattre un sinistre.

6. Par ordonnance du 4 octobre 2021, la présidente de la commission d'instruction a commis des experts aux fins de procéder à l'examen du dossier médical de [S] [I] et répondre à diverses questions.

7. Le 9 mars 2022, Mme [P] a saisi la commission d'instruction, sur le fondement des articles 170 et suivants du code de procédure pénale auxquels renvoie l'article 18 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, d'une requête en nullité d'actes de la procédure d'instruction portant notamment sur la mise en examen du chef de mise en danger d'autrui, le dépassement de la saisine temporelle et matérielle de la commission et les conditions d'audition de membres du Gouvernement.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisine, alors « que pour écarter les limites de sa saisine, la Commission d'instruction considère que, même en l'absence de réquisitoire supplétif, le juge d'instruction peut procéder à des vérifications, à l'exclusion de tout acte coercitif, ces vérifications fussent-elles éventuellement de nature à aboutir à caractériser des délits nouveaux, et qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, les membres de la Commission d'instruction n'ont, à l'évidence, usé d'aucun moyen coercitif ; qu'en posant à Mme [P] des questions concernant des faits survenus après son départ du gouvernement, ils n'ont fait d'user des prérogatives que leur accorde la loi, la perspective d'une "comparaison internationale" devant de surcroît "faire l'objet de nouvelles investigations" ; que ces motifs traduisent le dépassement total de sa saisine par la juridiction d'instruction, celle-ci n'ayant le pouvoir, en cas d'élément nouveau, que d'effectuer des vérifications sommaires auxquelles ne peuvent être réduites les "nombreuses auditions de témoins" auxquelles il a été procédé, avant d'en référer au ministère public pour étendre éventuellement sa saisine ; en reconnaissant investiguer sur des faits extérieurs au réquisitoire introductif, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi, l'ensemble des actes affectés par le vice d'excès de pouvoir devant être annulé par l'Assemblée plénière. »

Réponse de la Cour

9. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance, par la commission d'instruction, des limites de sa saisine temporelle, l'arrêt attaqué énonce qu'un juge d'instruction peut procéder à des vérifications exclusives de tout acte coercitif éventuellement susceptibles d'aboutir à caractériser des délits nouveaux et que, de la même manière, les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire d'un juge d'instruction, s'ils acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication à ce magistrat des procès-verbaux qui les constatent, effectuer les vérifications sommaires qui s'imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu'elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique.

10. Les juges ajoutent qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, la commission d'instruction n'a pas usé de moyens coercitifs.

11. Ils précisent qu'en posant à Mme [P] des questions portant sur les faits survenus après son départ du Gouvernement, dont les réponses étaient de nature à les éclairer sur une crise sanitaire complexe, sur les mesures prises dans les différents temps de cette crise et leur articulation et sur l'acquisition des connaissances nouvelles, y compris à ses différents stades, la commission d'instruction n'a fait qu'user des prérogatives que lui accorde la loi.

12. Ils relèvent que Mme [P] a inscrit ses explications dans la perspective d'une comparaison internationale, laquelle doit faire l'objet de nouvelles investigations.

13. C'est à tort que la commission d'instruction s'est référée, d'une part, à une jurisprudence applicable à la découverte de faits nouveaux, quand elle-même n'indiquait pas en avoir découverts, d'autre part, à des interrogatoires de Mme [P] non visés par la requête.

14. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.

15. En effet, la Cour de cassation, exerçant sa pleine compétence pour statuer en fait et en droit sur la régularité des actes de l'information conduite par la commission d'instruction, est en mesure de s'assurer que les seules questions, portant sur les différents variants et vagues successives du virus, les mesures de couvre-feu, reconfinement et vaccination, dont la requête arguait qu'elles seraient de nature à entraîner l'annulation des auditions des témoins à qui elles ont été posées, ne constituent pas un dépassement de la saisine temporelle de la commission d'instruction.

16. Les vérifications en cause ne tendent pas à la recherche de nouvelles infractions susceptibles d'avoir été commises par des membres du Gouvernement. Elles sont en revanche de nature à contribuer à l'appréciation des moyens mis en oeuvre, en l'état des connaissances acquises au moment des faits, pour combattre le danger ou le sinistre, objet de l'information. Celle-ci est limitée aux seuls faits commis entre 2019 et le 7 juillet 2020, tels qu'ils résultent des différentes décisions de la commission des requêtes, reprises par les réquisitoires introductif et supplétifs, susceptibles d'être imputés aux trois membres du Gouvernement qu'ils visent.

17. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen

Enoncé des moyens

18. Le deuxième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisine, alors « que la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République n'est saisie que des faits qui lui sont soumis par le réquisitoire introductif ; en l'espèce, le réquisitoire aux fins d'informer pris le 7 juillet 2020 rappelle l'avis de la Commission des requêtes du 3 juillet 2020. Cet avis, repris par le Parquet, après avoir rappelé les plaintes déposées à la Cour de justice de la République cite expressément les faits susceptibles, aux yeux de la Commission des requêtes et du Parquet, de constituer une infraction, notamment le délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre, les faits en cause étant précisés comme suit : "Il résulte des éléments de fait précités, s'ils étaient avérés, que l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales, seraient susceptibles de constituer l'élément matériel du délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre", la commission des requêtes – reprise par le réquisitoire – ajoutant qu'elle "ne relève pas d'éléments de nature à justifier que les plaintes visant d'autres faits et d'autres qualifications pénales à l'encontre" d'autres ministres, soient transmises à la Commission d'instruction. L'ensemble des réquisitoires supplétifs des 22 octobre 2020, 17 décembre 2020, 9 juillet 2021, 12 juillet 2021 et 21 octobre 2021 a repris la même liste exhaustive de faits ; comme l'Assemblée plénière, juge de plein contentieux en l'espèce peut le constater, il résulte de ces éléments que loin d'être général et indistinct, le réquisitoire introductif a entendu préciser et limiter les faits dont le Parquet a saisi la Commission d'instruction ; en s'estimant saisi d'un "événement protéiforme se déroulant dans le temps qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci" (arrêt § 3.1.2. al. 2), et en entendant instruire sur d'autres éléments factuels "résultant des diverses plaintes et des quelques documents versés aux débats à leur soutien" (arrêt p. 11 § 3.1.2. al. 7), la Commission d'instruction a excédé les limites de ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993. »

19. Le troisième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [P] sollicitant l'annulation de sa mise en examen, et l'annulation d'expertises diligentées pour investiguer sur les circonstances du décès ou de la contamination de certaines personnes désignées, notamment l'expertise ordonnée à propos du décès de Mme [I] et de tous les actes subséquents, alors :

« 1°/ que la Commission d'instruction a privé sa décision de motifs en s'abstenant de répondre au moyen de nullité tiré de ce que la mission confiée aux experts excédait les limites de sa saisine, et en se bornant à affirmer que "la pertinence/des expertises/ne saurait être contestée", et que "le caractère lacunaire de certaines plaintes… nécessite à l'évidence des investigations" ; la Commission d'instruction a ainsi violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ que la mission confiée aux experts, notamment à propos du décès de Mme [I], les charges de déterminer les circonstances de sa prise en charge hospitalière, les causes de son décès, et de dire si les règles de l'art ont été respectées en ce qui la concerne ; tout ou partie de cette mission consiste donc à déterminer les circonstances et les responsabilités d'un décès particulier dont la Commission d'instruction n'est pas saisie ; en validant cette expertise et d'autres expertises formulées sans doute dans les mêmes termes, la Commission d'instruction a excédé les limites de sa saisine, excédé ses pouvoirs et violé l'article 80 du code de procédure pénale, les articles 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;

3°/ que les infractions autonomes de risques causés à autrui prévues et réprimées par les articles 223-1 et suivants du code pénal sont indifférentes aux éventuels résultats sur les personnes et les biens, les atteintes à ces derniers étant prévues et réprimées par d'autres textes ; tenue de préciser et de qualifier les faits qu'elle entend soumettre à la Commission d'instruction en vertu de l'article 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, la Commission des requêtes dont la décision a été reprise intégralement par le réquisitoire aux fins d'informer, a choisi de ne retenir que des faits relatifs à un comportement de risque et une qualification d'abstention volontaire de combattre un sinistre, excluant ainsi de façon claire et délibérée tout fait susceptible de constituer une atteinte aux personnes et aux biens ; en se fondant sur le motif inopérant que le tribunal judiciaire de Paris est parallèlement saisi à propos du même "événement" d'infractions portant sur les personnes et les biens, pour lancer des investigations à propos de tels faits, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, 223-1 et 223-7 du code pénal. La cassation interviendra sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler les expertises concernées et tous les actes subséquents. »

Réponse de la Cour

20. Les moyens sont réunis.

21. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance, par la commission d'instruction, des limites de sa saisine matérielle, l'arrêt attaqué énonce que, dans une information ouverte pour abstention de combattre un sinistre, le juge se trouve saisi de l'intégralité du sinistre, qui peut être d'origine naturelle et, s'agissant d'un problème sanitaire telle qu'une pandémie, ne se limite pas à un fait précis et déterminé dans sa matérialité, mais concerne un événement protéiforme se déroulant dans le temps, qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci.

22. La commission d'instruction retient qu'il lui est permis de requalifier les faits soumis à son appréciation, en application de l'article 20 de la loi organique du 23 novembre 1993, et de procéder à tous les actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, dans les limites des faits dont elle est régulièrement saisie.

23. Les juges précisent que les réquisitoires introductif et supplétifs, comme les décisions de la commission des requêtes, visent l'infraction d'abstention de combattre un sinistre prévue à l'article 223-7 du code pénal, et que, pour retenir cette qualification, la dite commission a évoqué l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales.

24. Ils relèvent encore que la commission des requêtes a évoqué de nombreux autres éléments factuels résultant de diverses plaintes et des documents versés à leur soutien, tels que la genèse et la chronologie du sinistre, la disparition de l'établissement de préparation aux réponses sanitaires urgentes, un changement de doctrine concernant les stocks stratégiques, notamment de masques, le fait que la constitution des stocks soit confiée aux établissements hospitaliers, l'inflexion de la politique de constitution des stocks, les modalités du port du masque et les refus d'hospitalisation.

25. Ils observent également que la commission des requêtes, qui a estimé nécessaire une enquête approfondie, n'a pas explicitement écarté la qualification de mise en danger visée par certains plaignants.

26. Ils ajoutent que la saisine matérielle s'entend de la possibilité d'instruire sur toutes les circonstances qui modifient ou aggravent le caractère pénal des faits dénoncés dans les plaintes, que le juge d'instruction a le devoir d'instruire sur l'ensemble des faits dont il est saisi et qu'en particulier la commission d'instruction doit, en cas de demande de réquisitoire supplétif, articuler des faits à l'encontre d'un ministre déterminé, ce qu'elle ne peut faire s'il lui est interdit d'instruire sur la totalité des faits dont elle a été saisie.

27. Ils retiennent, en outre, qu'ayant été saisis avant que ne soit ouverte l'information judiciaire suivie au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, qui ne concerne que des personnes autres que des ministres, des chefs d'abstention volontaire de combattre un sinistre, d'homicides et blessures involontaires et de mise en danger de la vie d'autrui, ils sont contraints de procéder à des investigations concernant d'autres intervenants que les ministres, lesquelles ne peuvent être analysées comme excédant leur saisine, étant de nature à permettre de retracer le contexte de l'adoption et de la mise en oeuvre des décisions ministérielles.

28. L'arrêt énonce, par ailleurs, que la demande d'annulation d'actes matériellement réalisés par l'un des membres de la commission d'instruction, délégué par elle, en particulier les expertises dont la pertinence ne saurait être contestée, ne peut qu'être rejetée dès lors que le caractère lacunaire de certaines plaintes, pourtant déclarées recevables par la commission des requêtes, nécessite des investigations, ne serait-ce que sur l'existence d'une contamination par le SARS-CoV2.

29. La commission d'instruction ne pouvait ériger en principe que son devoir d'instruire sur les faits dont elle est saisie l'autoriserait à informer sur l'ensemble d'une pandémie et à l'égard d'autres intervenants que les ministres visés par les différentes décisions de la commission des requêtes auxquelles se réfèrent les réquisitoires introductif et supplétifs.

30. Elle a, par ailleurs, omis de répondre par des motifs suffisants aux griefs articulés au soutien de la nullité de la mission d'expertise relative à [S] [I], comme excédant les limites matérielles de sa saisine.

31. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.

32. En effet, la Cour de cassation, exerçant sa pleine compétence pour statuer en fait et en droit sur la régularité des actes de l'information, est en mesure de s'assurer que l'ordonnance définissant la mission d'expertise médicale relative aux conditions du décès de [S] [I], seule ordonnance de cette nature figurant au dossier de la procédure au moment où la commission a statué et seul type de décision sur lequel la requête fondait sa demande de nullité pour dépassement de la saisine matérielle, n'excède pas les limites de cette saisine.

33. En premier lieu, la mission d'expertise a pour objet de faire examiner l'ensemble des pièces du dossier médical de la défunte, afin de vérifier si la cause de son décès consiste en une infection par le virus SARS-CoV2, comme l'affirme son compagnon dont la plainte a déterminé la décision de la commission des requêtes du 28 juin 2021, suivie du réquisitoire supplétif du 12 juillet 2021.

34. En second lieu, cette mission tend à apprécier l'existence ou non d'un lien de causalité entre, d'une part, les faits dénoncés par le plaignant relatifs notamment à une préparation insuffisante à la lutte contre l'épidémie et l'absence de suite apportée aux lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé sur le dépistage et le port du masque dans certaines circonstances, d'autre part, le décès de [S] [I].

35. Il en découle que les investigations ainsi ordonnées sont en relation avec la recherche de la vérité quant aux faits dont la commission d'instruction est saisie, lesquels sont expressément limités à ceux qui résultent des différentes décisions de la commission des requêtes auxquelles se réfèrent les réquisitoires introductif et supplétifs, qui ne comprennent pas de faits d'atteinte à la vie ou à l'intégrité de la personne.

36. Ainsi, les moyens doivent être écartés.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

37. Il est fait grief l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d'autrui, alors « que les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n'édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernent ; aucun de ces textes n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d'instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale :

38. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'une juridiction d'instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui sans avoir préalablement constaté l'existence de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit.

39. Pour rejeter la requête tendant à l'annulation de la mise en examen de Mme [P] du chef de mise en danger d'autrui, prise notamment de l'inexistence d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, l'arrêt attaqué se fonde sur les articles L. 1110-1, L. 1413-4 et L. 3131-1 du code de la santé publique, L. 1141-1 et L. 1142-8 du code de la défense ainsi que sur le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé.

40. En statuant ainsi, la commission d'instruction, qui s'est référée à des textes qui ne prévoient pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé, pour les motifs qui suivent.

41. En premier lieu, l'article L. 1110-1 du code de la santé publique se borne à fixer, pour l'ensemble des intervenants du système de santé, un simple objectif de mise en oeuvre du droit à la protection de la santé.

42. En deuxième lieu, l'article L. 1413-4 du même code prévoit, en termes généraux, que l'agence nationale de santé publique procède, à la demande du ministre chargé de la santé, à diverses opérations comme l'acquisition, le stockage et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves.

43. En troisième lieu, l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable aux faits objet de la mise en examen, ne fait qu'ouvrir au ministre chargé de la santé la possibilité, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, de prescrire toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu.

44. En quatrième lieu, l'article L. 1141-1 du code de la défense se borne à confier à chaque ministre la responsabilité de la préparation et de l'exécution des mesures de défense dans le département dont il a la charge. Ainsi, l'article L. 1142-8 du même code attribue au ministre chargé de la santé la responsabilité de l'organisation et de la préparation du système de santé, de la prévention des menaces sanitaires graves et de la protection de la population contre ces dernières.

45. En cinquième et dernier lieu, le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé, qui dispose que ce dernier « est responsable de l'organisation de la prévention et des soins », et lui confie la charge d'élaborer, avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de la santé contre les divers risques susceptibles de l'affecter, n'a d'autre objet que de déterminer le champ de ses compétences.

46. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

47. Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l'annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres, alors « que l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d'instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d'instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d'ordre public, et sa sanction n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l'article 21 ne serait pas d'ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n'aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d'instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler l'ensemble des auditions concernées. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 11 et 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République :

48. Selon le premier de ces textes, la commission d'instruction se compose de trois membres.

49. Selon le second, les auditions et interrogatoires des membres du Gouvernement sont effectués par la commission d'instruction.

50. Cette dernière règle, relative à la composition de la juridiction, est d'ordre public. Sa méconnaissance peut être invoquée par toute partie à la procédure sans qu'il lui incombe d'établir un grief.

51. Pour rejeter la demande d'annulation des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], membres du Gouvernement en exercice, effectuées par un ou par deux des trois juges de la commission d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 21 de la loi organique du 23 novembre 1993 ne sont ni édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ni prescrites à peine de nullité, ni revêtues d'un caractère d'ordre public.

52. Il ajoute que les conditions dans lesquelles ont été conduites ces auditions n'ont eu ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à un droit ou un intérêt propre à Mme [P] et qu'aucun grief n'est articulé au soutien de la demande d'annulation de ces actes.

53. En statuant ainsi, la commission d'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

54. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

55. L'assemblée plénière de la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3, alinéa 3, du code de l'organisation judiciaire, la cassation aura lieu sans renvoi.

56. Elle prononcera donc la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d'autrui dans les conditions précisées au dispositif.

57. Elle prononcera également la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693).

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République en date du 15 avril 2022, mais en ses seules dispositions rejetant la requête en nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] et des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

PRONONCE la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d'autrui ;

DIT que, par l'effet de cette annulation, Mme [P] est considérée comme témoin assisté relativement à l'infraction de mise en danger d'autrui, à compter de son interrogatoire de première comparution, pour l'ensemble de ses interrogatoires ultérieurs et jusqu'à l'issue de l'information, sous réserve des dispositions des articles 113-6 et 113-8 du code de procédure pénale ;

DIT que cette annulation n'entraîne aucune cancellation ni retrait de pièces ;

PRONONCE la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693) ;

DIT que ces actes annulés seront retirés du dossier d'information et classés au greffe de la Cour de justice de la République et qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour de justice de la République et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [L] [P]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d'autrui ;

1/ ALORS QUE selon l'article 80-1 du code de procédure pénale « à peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi » ; l'appréciation de cette vraisemblance doit porter aussi bien sur l'élément légal de l'infraction que sur les éléments purement matériels ; s'agissant de l'infraction de mise en danger d'autrui, celle-ci suppose impérativement aux termes de l'article 223-1 du code pénal, la violation d'une « obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ; il incombe donc au magistrat instructeur, lorsqu'il est saisi de la question, de vérifier qu'une telle obligation de prudence ou de sécurité pesait réellement sur la personne mise en cause, à défaut de quoi sa mise en examen est nulle ; en affirmant qu'il lui appartient de rechercher si une telle obligation particulière existe (arrêt § 4.2.1.9 et 4.2.1.6), mais en omettant de la caractériser de façon suffisamment vraisemblable, et ainsi de vérifier si des indices graves ou concordants justifient la mise en examen de ce chef, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal ;

2/ ALORS QUE les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n'édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernement ; aucun de ces textes n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d'instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités ;

3/ ALORS QUE l'infraction de mise en danger d'autrui suppose un élément intentionnel consistant en la violation « manifestement délibérée » de l'obligation prétendument méconnue ; une mise en examen de ce chef ne peut être prononcée ou maintenue que dans la mesure où il est suffisamment vraisemblable que cet élément intentionnel existe, et qu'à ce stade, le caractère délibéré de la violation en cause soit considéré comme reposant sur des indices graves ou concordants ; en affirmant qu'il lui appartient de rechercher si le caractère délibéré de la violation existe (§ 4.2.1.6 et 4.2.1.9 de l'arrêt) sans en caractériser l'existence à ce stade de manière suffisamment vraisemblable, ni caractériser les indices de nature à justifier une mise en examen de ce chef, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi après annulation par l'Assemblée plénière de la mise en examen et tous les actes subséquents.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la Commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisie ;

1/ ALORS QUE la Commission d'instruction de la Cour de Justice de la République n'est saisie que des faits qui lui sont soumis par le réquisitoire introductif ; en l'espèce, le réquisitoire aux fins d'informer pris le 7 juillet 2020 rappelle l'avis de la Commission des requêtes du 3 juillet 2020. Cet avis, repris par le Parquet, après avoir rappelé les plaintes déposées à la Cour de justice de la République, cite expressément les faits susceptibles, aux yeux de la Commission des requêtes et du Parquet, de constituer une infraction, notamment le délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre, les faits en cause étant précisés comme suit : « Il résulte des éléments de fait précités, s'ils étaient avérés, que l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales, seraient susceptibles de constituer l'élément matériel du délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre », la commission de requêtes – reprise par le réquisitoire – ajoutant qu'elle « ne relève pas d'éléments de nature à justifier que les plaintes visant d'autres faits et d'autres qualifications pénales à l'encontre » d'autres ministres, soient transmises à la Commission d'instruction. L'ensemble des réquisitoires supplétifs des 22 octobre 2020, 17 décembre 2020, 9 juillet 2021, 12 juillet 2021 et 21 octobre 2021 a repris la même liste exhaustive de faits ; comme l'Assemblée plénière, juge de plein contentieux en l'espèce peut le constater, il résulte de ces éléments que loin d'être général et indistinct, le réquisitoire introductif a entendu préciser et limiter les faits dont le Parquet a saisi la Commission d'instruction ; en s'estimant saisi d'un « évènement protéiforme se déroulant dans le temps qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci » (arrêt § 3.1.2. al. 2), et en entendant instruire sur d'autres éléments factuels « résultant des diverses plaintes et des quelques documents versés aux débats à leur soutien » (arrêt p. 11 § 3.1.2. al. 7), la Commission d'instruction a excédé les limites de ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;

2/ ALORS QUE pour écarter les limites de sa saisine, la Commission d'instruction considère que, même en l'absence de réquisitoire supplétif, le juge d'instruction peut procéder à des vérifications, à l'exclusion de tout acte coercitif, ces vérifications fussent-elles éventuellement de nature à aboutir à caractériser des délits nouveaux, et qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, les membres de la Commission d'instruction n'ont, à l'évidence, usé d'aucun moyen coercitif ; qu'en posant à Mme [P] des questions concernant des faits survenus après son départ du gouvernement, ils n'ont fait d'user des prérogatives que leur accorde la loi, la perspective d'une « comparaison internationale » devant de surcroît « faire l'objet de nouvelles investigations » ; que ces motifs traduisent le dépassement total de sa saisine par la juridiction d'instruction, celle-ci n'ayant le pouvoir, en cas d'élément nouveau, que d'effectuer des vérifications sommaires auxquelles ne peuvent être réduites les « nombreuses auditions de témoins » auxquelles il a été procédé, avant d'en référer au ministère public pour étendre éventuellement sa saisine ; en reconnaissant investiguer sur des faits extérieurs au réquisitoire introductif, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi, l'ensemble des actes affectés par le vice d'excès de pouvoir devant être annulés par l'Assemblée plénière.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [P] sollicitant l'annulation de sa mise en examen, et l'annulation d'expertises diligentées pour investiguer sur les circonstances du décès ou de la contamination de certaines personnes désignées, notamment l'expertise ordonnée à propos du décès de Mme [I] et de tous les actes subséquents ;

1/ ALORS D'UNE PART QUE la Commission d'instruction a privé sa décision de motifs en s'abstenant de répondre au moyen de nullité tiré de ce que la mission confiée aux experts excédait les limites de sa saisine, et en se bornant à affirmer que « la pertinence/des expertises/ne saurait être contestée », et que « le caractère lacunaire de certaines plaintes… nécessite à l'évidence des investigations » ; la Commission d'instruction a ainsi violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

2/ ALORS D'AUTRE PART QUE la mission confiée aux experts, notamment à propos du décès de Mme [I], les charges de déterminer les circonstances de sa prise en charge hospitalière, les causes de son décès, et de dire si les règles de l'art ont été respectées en ce qui la concerne ; tout ou partie de cette mission consiste donc à déterminer les circonstances et les responsabilités d'un décès particulier dont la Commission d'instruction n'est pas saisie ; en validant cette expertise et d'autres expertises formulées sans doute dans les mêmes termes, la Commission d'instruction a excédé les limites de sa saisine, excédé ses pouvoirs et violé l'article 80 du code de procédure pénale, les articles 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;

3/ ALORS QUE les infractions autonomes de risques causés à autrui prévues et réprimées par les articles 223-1 et suivants du code pénal sont indifférentes aux éventuels résultats sur les personnes et les biens, les atteintes à ces derniers étant prévues et réprimées par d'autres textes ; tenue de préciser et de qualifier les faits qu'elle entend soumettre à la Commission d'instruction en vertu de l'article 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, la Commission des requêtes dont la décision a été reprise intégralement par le réquisitoire aux fins d'informer, a choisi de ne retenir que des faits relatifs à un comportement de risque et une qualification d'abstention volontaire de combattre un sinistre, excluant ainsi de façon claire et délibérée tout fait susceptible de constituer une atteinte aux personnes et aux biens ; en se fondant sur le motif inopérant que le tribunal judiciaire de Paris est parallèlement saisi à propos du même « évènement » d'infractions portant sur les personnes et les biens, pour lancer des investigations à propos de tels faits, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, 223-1 et 223-7 du code pénal. La cassation interviendra sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler les expertises concernées et tous les actes subséquents.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l'annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres ;

ALORS QUE l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d'instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d'instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d'ordre public, et sa sanction n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l'article 21 ne serait pas d'ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n'aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d'instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler l'ensemble des auditions concernées.

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