14 December 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.628

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01383

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 décembre 2022




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen faisant
fonction de président



Arrêt n° 1383 F-D

Pourvoi n° U 21-19.628




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

La société Staubli Faverges, société d'exercice libéral en commandite par actions, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-19.628 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [P] [K], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Staubli Faverges, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 9 novembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 20 mai 2021), M. [P] [K], salarié de la société Annecy intérim, entreprise de travail temporaire, a effectué au sein de la société Staubli Faverges des contrats de mission en raison d'un accroissement temporaire de l'activité sur la période du 9 juin 2015 au 8 décembre 2016, puis du 4 septembre 2017 au 1er mars 2019.

2. Le salarié a occupé au cours de ses missions les postes de pré-monteur et monteur.

3. Le 6 mai 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée et d'une demande en paiement de dommages-intérêts au titre d'une discrimination à l'embauche.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salarié a été victime de discrimination à l'embauche et de le condamner à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, alors :

« 1°/ que dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ; qu'en l'espèce, dans le dispositif de ses dernières conclusions d'appel, M. [K] demandait la condamnation de la société Staubli Faverges à lui verser des dommages-intérêts pour discrimination à l'embauche, sans préciser le motif de cette discrimination et, dans le corps de ses conclusions, il invoquait une discrimination fondée sur l'âge, en soutenant qu'il appartenait à son employeur de justifier qu'il n'a pas été écarté du recrutement ''en raison de son âge'' ; qu'en se fondant sur le contenu d'une pièce produite par le salarié, comportant une analyse statistique des embauches effectuées par la société Staubli Faverges en fonction du patronyme des salariés, pour retenir que le salarié invoquait une ''discrimination en raison de la race ou de l'origine'', la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile ;

2°/ que la seule comparaison du pourcentage de salariés ayant un patronyme à consonnance européenne et de salariés ayant un patronyme à consonnance extra-européenne embauchés par une entreprise, indépendamment du nombre de candidatures reçues, du profil et qualification des candidats et de la nature du poste à pourvoir, est insuffisante à laisser supposer une discrimination à l'embauche systémique à raison du nom ou de l'origine des salariés et, a fortiori, une discrimination à l'encontre d'un salarié ; qu'en retenant, en l'espèce, que les statistiques établies par M. [K], à partir des registres du personnel et de l'organigramme de l'entreprise, sur la proportion de salariés de patronyme supposé européen et de salariés de patronyme supposé non-européen parmi les salariés recrutés en contrat à durée déterminée et en contrat à durée indéterminée, parmi les intérimaires recrutés en contrat à durée indéterminée et plus largement parmi les salariés en contrat à durée indéterminée, laissent présumer une discrimination à l'embauche, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

3°/ que la seule comparaison du pourcentage de salariés ayant un patronyme à consonnance européenne et de salariés ayant un patronyme à consonnance extra-européenne embauchés par une entreprise, indépendamment du nombre de candidatures reçues, du profil et qualification des candidats et de la nature du poste à pourvoir, est insuffisante à laisser supposer une discrimination à l'embauche systémique à raison du nom ou de l'origine des salariés et a fortiori une discrimination à l'encontre d'un salarié dont le patronyme n'est pas, à l'évidence, de consonnance extra-européenne ; qu'en considérant en l'espèce que les statistiques fondées sur le patronyme des salariés étaient de nature à laisser supposer une discrimination à l'embauche en raison de l'origine à l'encontre de M. [K], sans expliquer en quoi le patronyme de ce salarié (''[K]'') pouvait être assimilé à un ''patronyme non-européen'', la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

4°/ qu'il est interdit à l'employeur d'établir des statistiques en fonction de l'origine des salariés et, en particulier, de la consonnance de leur patronyme ; qu'en l'espèce, pour contester toute pratique discriminatoire à l'embauche, la société Staubli Faverges soulignait qu'elle faisait bien appel à des intérimaires rattachés par M. [K] dans la catégorie des ''salariés à patronyme extra-européen'' et qu'elle avait recruté en contrat à durée indéterminée plusieurs intérimaires que M. [K] rattachait au groupe des ''salariés à patronyme extra-européen'' prétendument discriminés ; qu'en considérant que ces embauches étaient insuffisantes à établir l'absence de discrimination et qu'il appartenait à l'employeur d'apporter une ''analyse démontant celle faite par le salarié'', la cour d'appel a violé l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1134-1 du code du travail ;

5°/ que dès lors que le choix de l'employeur entre plusieurs candidats est fondé sur un motif étranger à l'origine ou au nom de famille du candidat retenu, les autres candidats ne peuvent s'estimer victimes d'une discrimination fondée sur leur origine ou leur nom de famille ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la société Staubli Faverges a préféré, à la candidature de M. [K], celle de ''candidats plus jeunes qui n'étaient pas encore entrés sur le marché de l'emploi'', ce qui relevait d'un ''choix stratégique permettant à des jeunes d'être formés sur le plan pratique et d'acquérir une expérience professionnelle'' ; qu'en jugeant néanmoins que la société Staubli Faverges ne justifiait pas d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de l'origine, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. D'abord, c'est par une interprétation nécessaire des conclusions ambiguës du salarié devant la cour d'appel que celle-ci a constaté que le salarié estimait avoir fait l'objet d'une discrimination à l'embauche en raison de son nom à consonnance extra-européenne.

7. Ensuite, ayant retenu que le salarié produisait une analyse faite à partir du registre unique du personnel communiqué par l'employeur sur la période du 26 mars 2018 au 31 décembre 2018 et sur l'organigramme de la société à partir desquels il avait fait des analyses statistiques et avait conclu que, parmi les salariés à patronyme européen recrutés sous « contrat à durée déterminée intérim », 18,07 % s'étaient vus accorder un contrat à durée indéterminée contre 6,9 % pour les salariés à patronyme extra-européen, que les salariés en « contrat à durée déterminée intérim » à patronyme extra-européen représentaient 8,17 % de l'ensemble des salariés en « contrat à durée déterminée intérim » mais seulement 2,12 % de l'ensemble des salariés en contrat à durée indéterminée pour les mêmes postes, 80,93 % des salariés à patronyme européen étaient sous contrat à durée indéterminée pour seulement 21,43 % des salariés à patronyme extra-européen, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que ces éléments pris dans leur ensemble laissaient supposer une discrimination à l'embauche.

8. Enfin, ayant retenu que l'employeur n'apportait pas d'analyse réfutant celle faite par le salarié, mis à part quatre exemples qui portaient sur une liste de vingt-deux noms, étant précisé que, sur ce point, l'analyse du salarié portait sur le fait que, sur 269 salariés en « contrat à durée déterminée intérim », vingt-deux avaient un patronyme extra-européen, la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'employeur ne justifiait pas d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Staubli Faverges aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Staubli Faverges et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Staubli Faverges

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Stäubli Faverges fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que M. [K] a été victime de discrimination à l'embauche et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [K] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination à l'embauche ;

1. ALORS QUE dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ; qu'en l'espèce, dans le dispositif de ses dernières conclusions d'appel, M. [K] demandait la condamnation de la société Stäubli Faverges à lui verser des dommages et intérêts pour discrimination à l'embauche, sans préciser le motif de cette discrimination et, dans le corps de ses conclusions, il invoquait une discrimination fondée sur l'âge, en soutenant qu'il appartenait à son employeur de justifier qu'il n'a pas été écarté du recrutement « en raison de son âge » ; qu'en se fondant sur le contenu d'une pièce produite par le salarié, comportant une analyse statistique des embauches effectuées par la société Stäubli Faverges en fonction du patronyme des salariés, pour retenir que le salarié invoquait une « discrimination en raison de la race ou de l'origine », la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile ;

2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la seule comparaison du pourcentage de salariés ayant un patronyme à consonnance européenne et de salariés ayant un patronyme à consonnance extra-européenne embauchés par une entreprise, indépendamment du nombre de candidatures reçues, du profil et qualification des candidats et de la nature du poste à pourvoir, est insuffisante à laisser supposer une discrimination à l'embauche systémique à raison du nom * ou de l'origine des salariés et, a fortiori, une discrimination à l'encontre d'un salarié ; qu'en retenant, en l'espèce, que les statistiques établies par M. [K], à partir des registres du personnel et de l'organigramme de l'entreprise, sur la proportion de salariés de patronyme supposé européen et de salariés de patronyme supposé non-européen parmi les salariés recrutés en contrat à durée déterminée et en contrat à durée indéterminée, parmi les intérimaires recrutés en contrat à durée indéterminée et plus largement parmi les salariés en contrat à durée indéterminée, laissent présumer une discrimination à l'embauche, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

3. ALORS QUE la seule comparaison du pourcentage de salariés ayant un patronyme à consonnance européenne et de salariés ayant un patronyme à consonnance extra-européenne embauchés par une entreprise, indépendamment du nombre de candidatures reçues, du profil et qualification des candidats et de la nature du poste à pourvoir, est insuffisante à laisser supposer une discrimination à l'embauche systémique à raison du nom ou de l'origine des salariés et a fortiori une discrimination à l'encontre d'un salarié dont le patronyme n'est pas, à l'évidence, de consonnance extra-européenne ; qu'en considérant en l'espèce que les statistiques fondées sur le patronyme des salariés étaient de nature à laisser supposer une discrimination à l'embauche en raison de l'origine à l'encontre de M. [K], sans expliquer en quoi le patronyme de ce salarié (« [K] ») pouvait être assimilé à un « patronyme non-européen », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

4. ALORS QU' il est interdit à l'employeur d'établir des statistiques en fonction de l'origine des salariés et, en particulier, de la consonnance de leur patronyme ; qu'en l'espèce, pour contester toute pratique discriminatoire à l'embauche, la société Stäubli Faverges soulignait qu'elle faisait bien appel à des intérimaires rattachés par M. [K] dans la catégorie des « salariés à patronyme extra-européen » et qu'elle avait recruté en contrat à durée indéterminée plusieurs intérimaires que M. [K] rattachait au groupe des « salariés à patronyme extra-européen » prétendument discriminés ; qu'en considérant que ces embauches étaient insuffisantes à établir l'absence de discrimination et qu'il appartenait à l'employeur d'apporter une « analyse démontant celle faite par le salarié », la cour d'appel a violé l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1134-1 du code du travail ;

5. ALORS QUE dès lors que le choix de l'employeur entre plusieurs candidats est fondé sur un motif étranger à l'origine ou au nom de famille du candidat retenu, les autres candidats ne peuvent s'estimer victimes d'une discrimination fondée sur leur origine ou leur nom de famille ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la société Stäubli Faverges a préféré, à la candidature de M. [K], celle de « candidats plus jeunes qui n'étaient pas encore entrés sur le marché de l'emploi », ce qui relevait d'un « choix stratégique permettant à des jeunes d'être formés sur le plan pratique et d'acquérir une expérience professionnelle » ; qu'en jugeant néanmoins que la société Stäubli Faverges ne justifiait pas d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de l'origine, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La société Stäubli Faverges fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR requalifié les contrats de mission temporaire de M. [K] en contrat à durée indéterminée et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [K] les sommes de 2.471,77 euros à titre d'indemnité de requalification, 4.834,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, et 9.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ;

1. ALORS QUE le terme de la mission peut être aménagé par voie d'avenant au contrat de mise à disposition, dès lors que cet aménagement n'a pas pour effet de réduire la durée de la mission initialement prévue de plus de dix jours de travail, ni de conduire à dépasser la durée maximale de dix-huit mois ; qu'en l'espèce, la société Stäubli Faverges soutenait que le contrat initial conclu pour la période du 9 juin 2015 au 23 décembre 2015 prévoyait que son terme pourrait être aménagé et que les parties avaient usé de cette faculté d'aménagement du terme ; qu'en s'abstenant de rechercher si les contrats conclus postérieurement au contrat initial ne visaient pas à aménager le terme de la mission, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1251-30, L. 1251-35 et L. 1251-35-1 du code du travail ;

2. ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. [K] ne soutenait pas que les avenants de renouvellement de ses contrats de mission auraient été conclus avant le terme du contrat initial ; qu'en retenant d'office, pour opérer la requalification des contrats, que les avenants ne sont pas signés avant le terme initialement prévu, mais le lendemain de la fin de la mission correspondant au début de la nouvelle mission, sans avoir invité les parties à s'expliquer sur la date de signature des avenants, la cour d'appel a violé l'article 16 du code du procédure civile.

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