8 December 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-17.446

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C201282

Titres et sommaires

AVEU - Définition - Composantes - Reconnaissance non-équivoque d' un fait - Cas - Modalités de calcul d'un préjudice (non)

Il résulte des articles 1383 et 1383-2 du code civil que l'aveu, qu'il soit judiciaire ou extrajudiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Méconnaît, dès lors, ces dispositions, l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que la reconnaissance, par une partie, des modalités de calcul de son préjudice constitue un aveu judiciaire, alors que les conclusions de celle-ci portaient sur une appréciation en droit du contenu du préjudice indemnisable et ne constituaient pas l'aveu d'un fait

AVEU - Aveu extrajudiciaire - Définition - Reconnaissance de points de fait - Nécessité

AVEU - Aveu judiciaire - Définition - Reconnaissance d'un point de fait - Applications diverses - Modalités de calcul d'un préjudice

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2022




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1282 F-B

Pourvoi n° X 21-17.446







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022

M. [M] [P], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 21-17.446 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la chambre civile de la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [O] [J],

2°/ à Mme [T] [L],

tous deux domiciliés [Adresse 4],

3°/ à la société Maif assurances, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Gers, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [P], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [J], Mme [L] et la société Maif assurances, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Kermina, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 mai 2021) et les productions, courant 2008, lors d'une séance d'entraînement au sein d'un club de motocyclisme, M. [P] a été percuté par la motocyclette pilotée par M. [J], alors mineur, ce qui a entraîné une atteinte à son intégrité physique et psychique.

2. M. [J] a été déclaré entièrement responsable du préjudice corporel subi par M. [P] et tenu, en la personne de sa mère Mme [L], d'indemniser l'entier préjudice de la victime, une expertise médicale étant ordonnée.

3. M. [P] a fait construire une maison d'habitation d'une surface adaptée à son handicap, dont l'édification s'est achevée en juillet 2014.

4. Par arrêt confirmatif du 19 décembre 2018, M. [J] et la société Maif (l'assureur) ont été condamnés in solidum à payer diverses sommes à M. [P] en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, à l'exception du poste relatif à l'adaptation du logement pour lequel une mesure d'instruction a été ordonnée.

5. M. [P] a interjeté appel du jugement ayant condamné in solidum M. [J] et l'assureur à lui payer la somme de 105 170,94 euros au titre des frais de logement adapté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, ci-après annexé


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. M. [P] fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice qu'il a subi du fait de la nécessité dans laquelle il se trouve de vivre dans un logement adapté à son handicap à la somme de 68 488,72 euros de surface supplémentaires et 24 817,20 euros d'équipements et matériels spécifiques, alors « que l'aveu ne peut porter que sur un point de fait et non de droit tel que la définition d'un chef de préjudice ; que, dès lors, en retenant l'existence d'un « aveu judiciaire de M. [P] » par lequel il aurait « admis à plusieurs reprises […] que l'indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques », qui lui interdirait de demander, devant la cour d'appel, une indemnisation au titre des frais de logement adapté, incluant le coût de la construction de son logement adapté, la cour d'appel, qui a retenu un aveu portant sur une qualification juridique, a violé l'article 1356 du code civil ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. M. [J], Mme [L] et l'assureur contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau, M. [P] n'ayant jamais soutenu que l'aveu portait sur une qualification juridique.

9. Cependant, M. [P] a fait valoir, devant la cour d'appel, que son indemnisation par rapport au coût de son logement était une question de droit, et non de fait.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1383 et 1383-2 du code civil :

11. Il résulte de ces textes que l'aveu, qu'il soit judiciaire ou extra-judiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques.

12. Pour fixer le préjudice résultant pour M. [P] de l'accident dont il a été victime, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il a admis à plusieurs reprises dans ses conclusions que son indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques, ce qui constitue un aveu judiciaire et qu'il a reconnu, pour définir quel était ce surcoût, que l'expert devait le comparer au coût qu'aurait représenté pour lui, hors handicap, la construction d'une maison ou l'acquisition d'un appartement, cette reconnaissance étant bien faite judiciairement.

13. En statuant ainsi, alors que les conclusions de M. [P] portaient sur une appréciation en droit du contenu du préjudice indemnisable et ne constituaient pas l'aveu d'un fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la chambre civile de la cour d'appel d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne M. [J], Mme [L] et la société Maif assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [P] en ce qu'elle est dirigée contre la caisse primaire d'assurance maladie du Gers, rejette la demande formée par M. [J], Mme [L] et la société Maif assurances et les condamne à payer à M. [P] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [P]

M. [P] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR fixé le préjudice qu'il a subi du fait de la nécessité dans laquelle il se trouve de vivre dans un logement adapté à son handicap à la somme de 68 488,72 euros de surface supplémentaires et 24 817,20 euros d'équipements et matériels spécifiques et de l'AVOIR débouté du surplus de ses demandes à ce titre ;

1°) ALORS QUE l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel et il est statué à nouveau en fait et en droit ; que la victime est recevable à solliciter en appel une indemnisation nouvelle qui présente un lien d'accessoire ou de complément avec les prétentions émises précédemment ; qu'en refusant d'indemniser M. [P] du coût d'acquisition d'un logement, rendu nécessaire par l'accident dont il a été victime le 11 mai 2008, au motif qu'il aurait « reconn[u] dans ses conclusions du 22 mai 2017, que « pour définir quel était le surcoût l'expert devait le comparer au coût qu'aurait représenté pour lui, hors handicap, la construction d'une maison ou l'acquisition d'un appartement » », quand la victime pouvait valablement modifier sa demande d'indemnisation devant la cour d'appel, qui était saisie de l'entier litige, la cour d'appel a violé les articles 561 et 566 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'aveu ne peut porter que sur un point de fait et non de droit tel que la définition d'un chef de préjudice ; que, dès lors, en retenant l'existence d'un « aveu judiciaire [de M. [P]] » par lequel il aurait « admis à plusieurs reprises […] que l'indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques » (jugement p. 6, al. 2), qui lui interdirait de demander, devant la cour d'appel, une indemnisation au titre des frais de logement adapté, incluant le coût de la construction de son logement adapté, la cour d'appel, qui a retenu un aveu portant sur une qualification juridique, a violé l'article 1356 du code civil ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, en retenant que « M. [P] est déjà propriétaire » (arrêt p. 5, al. 8) au moment de l'accident survenu le 11 mai 2008 quand il n'a jamais été contesté qu'en 2008 il vivait chez ses parents et quand l'expert [Z] a constaté que le permis de construire a été déposé le 24 septembre 2012, accordé le 25 octobre 2012 et que la déclaration d'ouverture de chantier a été déposée le 11 février 2013 (rapport de l'expert [Z] p. 7), la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le débiteur d'indemnisation doit être condamné au paiement des frais d'acquisition d'un terrain et de construction d'un logement adapté au handicap de la victime, dès lors que ces frais sont directement imputables aux séquelles provoquées par l'accident ; qu'en se fondant sur la circonstance que « M. [P] est déjà propriétaire » (arrêt p. 5, al. 8) à la date de l'arrêt pour le débouter de sa demande tendant à l'indemnisation du coût de construction de son logement sans rechercher si la construction d'un logement adapté était en relation avec l'accident pour avoir été rendue nécessaire à raison du handicap de la victime et du mode de vie qu'il lui impose, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

5°) ALORS QU'en toute hypothèse, le juge tenu de respecter et faire respecter le principe du contradictoire, ne peut se fonder sur des éléments de preuve qui n'ont pas été régulièrement produits aux débats ; qu'en se fondant dès lors sur une « facture récapitulative du 18 juillet 2014 de [H] Construction » (arrêt p. 6, al. 8) qui n'avait pas été régulièrement produite et soumise au débat contradictoire, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.