7 December 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.390

Première chambre civile - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2022:C100877

Titres et sommaires

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Recours en annulation - Moyen d'annulation - Compétence du tribunal arbitral - Office du juge - Appréciation de la portée de la convention d'arbitrage - Exclusion - Révision au fond de la sentence

Il résulte de l'article 1520, 1°, du code de procédure civile que, si le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage, ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence. En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'Etat à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit. Il s'ensuit qu'alors que l'offre d'arbitrage stipulée dans un traité ne comporte pas de restriction ratione temporis, le juge de l'annulation doit seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige est né après l'entrée en vigueur du traité

ARBITRAGE - Arbitrage international - Traité de protection des investissements transnationaux - Offre permanente d'arbitrage - Champ d'application - Investissements définis par le traité - Office du juge - Vérification - Naissance du litige postérieur à l'entrée en vigueur du traité

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 877 FP-B+R

Pourvoi n° N 21-15.390






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022

La société Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine », également connue sous la dénomination JSC Oschadbank, anciennement dénommée Public Joint Stock Company (State Savings Bank of Ukraine), société par actions, dont le siège est [Adresse 1] (Ukraine), a formé le pourvoi n° N 21-15.390 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16, chambre commerciale internationale), dans le litige l'opposant à la Fédération de Russie, dont le siège est [Adresse 2] (Fédération de Russie), agissant par le Bureau du procureur général de la Fédération de Russie, lui-même représenté par le procureur général de la Fédération de Russie en exercice, ayant tous pouvoirs pour agir au nom de la Fédération de Russie, domicilié [Adresse 4] (Fédération de Russie), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller doyen, les observations et plaidoiries de Me Ortscheidt, avocat de la société Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine », de Me Bénabent, avocat de la Fédération de Russie, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller doyen rapporteur, Mmes Duval-Arnould, Auroy, conseillers doyens, Mme Antoine, M. Mornet, Mme Poinseaux, M. Chevalier, Mme Kerner-Menay, M. Fulchiron, Mmes Dard, Bacache-Gibeili, Beauvois, M. Bruyère, Mme Agostini, conseillers, Mmes Le Gall, Kloda, M. Duval, Mmes Azar, de Cabarrus, Dumas, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, M. Serrier, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2021), le 27 novembre 1998, la Fédération de Russie et la République d'Ukraine ont conclu un traité bilatéral de protection des investissements (le TBI), qui est entré en vigueur le 27 janvier 2000.

2. Après avoir défini le terme « investissements » en son article 1.1, le TBI prévoit, en son article 9, que « Tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou la procédure de paiement des indemnités, prévus à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord » peut être soumise à l'arbitrage après une tentative de règlement amiable.

3. L'article 12 stipule que « Le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992. »

4. Le 20 janvier 2016, la société ukrainienne Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » (la banque) a engagé, sur le fondement de ce traité, une action indemnitaire devant un tribunal arbitral, en invoquant l'expropriation par la Fédération de Russie, en 2014, de ses actifs situés en Crimée.

5. La Fédération de Russie a formé un recours en annulation de la sentence qui, après avoir constaté la violation du TBI, l'a condamnée à payer à la banque la somme de 1 111 300 729 dollars US.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence arbitrale et de la condamner à verser 150 000 euros à la Fédération de Russie en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; que ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence ; que selon l'article 9 du Traité bilatéral d'investissement conclu le 27 novembre 1998 entre la Fédération de Russie et l'Ukraine sur l'encouragement et la protection réciproque des investissements, "tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou les procédures de paiement des indemnités, prévu à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord" peut être soumis à l'arbitrage ; que l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement, en ce qu'il prévoit que "le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992", ne limite pas la protection procédurale offerte par la convention d'arbitrage figurant à l'article 9 de ce traité aux investissements réalisés après cette date, mais affecte uniquement l'entrée en vigueur de la protection substantielle des investissements par le traité ; qu'ainsi, en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que "l'offre d'arbitrage qui résulte de l'article 9 n'est pas une offre générale et inconditionnelle pour tout litige d'investissement entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, mais une offre insérée dans les limites fixées par le traité bilatéral d'investissement de sorte que la protection procédurale offerte par la clause d'arbitrage et dont la compétence du tribunal arbitral est subordonnée à l'applicabilité du traité à l'investissement objet du litige et plus précisément à l'existence d'un litige portant sur un investissement qui a nécessairement été réalisé par l'investisseur d'une des parties contractantes sur le territoire de l'autre à compter du 1er janvier 1992" et que "les termes de l'article 12 précité sont suffisamment clairs pour considérer qu'il détermine le champ d'application temporel du traité et qu'il n'ouvre droit à une protection tant substantielle que procédurale qu'aux seuls investissements qui ont été réalisés à compter du 1er janvier 1992 de sorte qu'en sont nécessairement exclu ceux qui l'ont été antérieurement", pour en déduire que l'activité bancaire de la société JSC Oschadbank en Crimée ayant débuté avant le 2 janvier 1992, cela impliquait "nécessairement que la réalisation de l'investissement le fût également" et que "la condition temporelle posée par l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement qui contient l'offre d'arbitrage n'est pas satisfaite de sorte que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent pour connaître du litige", la cour d'appel a violé l'article 1520,1° du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La Fédération de Russie invoque l'irrecevabilité du moyen en ce que la banque se serait contredite à son détriment lors du recours en révision de la sentence.

8. Cependant, les moyens invoqués dans une autre instance ne sauraient caractériser une contradiction au détriment d'autrui.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1520, 1°, du code de procédure civile :

10. Il résulte de ce texte que, si le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage, ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

11. En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'Etat à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.

12. Pour annuler la sentence, l'arrêt retient que l'article 9 du TBI n'institue pas une offre générale et inconditionnelle pour tous litiges d'investissements entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante, mais une offre insérée dans les limites fixées par le traité, de sorte que la protection procédurale offerte par la clause d'arbitrage et donc la compétence du tribunal arbitral est subordonnée à l'applicabilité du traité à l'investissement objet du litige et plus précisément à l'existence d'un litige portant sur un investissement qui a nécessairement été réalisé par un investisseur d'une des parties contractantes sur le territoire de l'autre à compter du 1er janvier 1992.

13. En statuant ainsi, alors que ni l'offre d'arbitrage stipulée à l'article 9 ni la définition des investissements prévue à l'article 1er ne comportaient de restriction ratione temporis et que l'article 12 n'énonçait pas une condition de consentement à l'arbitrage dont dépendait la compétence du tribunal arbitral, mais une règle de fond, la cour d'appel, qui devait seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige était né après l'entrée en vigueur du traité, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société par actions Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » sur le moyen tiré de l'incompétence temporelle du tribunal arbitral, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la Fédération de Russie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Fédération de Russie et la condamne à payer à la société Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine »

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » (JSC Oschadbank)
fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence arbitrale rendue à Paris le 26 novembre 2018 (PCA Case n° 2016-14) et de l'avoir condamnée à verser 150.000 euros à la Fédération de Russie en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision d'un tribunal arbitral sur la compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; que ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence ; qu'en affirmant que « seule la volonté commune des parties a le pouvoir d'investir l'arbitre de son pouvoir juridictionnel, lequel se confond en matière d'arbitrage avec sa compétence » et que « lorsque la clause d'arbitrage résulte d'un traité bilatéral d'investissement, il convient dès lors d'apprécier cette volonté commune au regard de l'ensemble des dispositions du traité de sorte que le tribunal arbitral n'est compétent pour connaître d'un litige que s'il entre dans le champ d'application du traité et que s'il est satisfait à l'ensemble de ses conditions d'application » (arrêt attaqué, § 70 et 71), quand la compétence du tribunal arbitral s'apprécie au regard, non pas de l'ensemble des conditions d'application du traité bilatéral d'investissement, notamment celles relatives à la protection substantielle offerte par ce traité, mais uniquement de celles affectant la convention d'arbitrage, la cour d'appel a violé l'article 1520,1° du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; que ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence ; que selon l'article 9 du Traité bilatéral d'investissement conclu le 27 novembre 1998 entre la Fédération de Russie et l'Ukraine sur l'encouragement et la protection réciproque des investissements, « tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou les procédures de paiement des indemnités, prévu à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord » peut être soumis à l'arbitrage ; que l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement, en ce qu'il prévoit que « le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 », ne limite pas la protection procédurale offerte par la convention d'arbitrage figurant à l'article 9 de ce traité aux investissements réalisés après cette date, mais affecte uniquement l'entrée en vigueur de la protection substantielle des investissements par le traité ; qu'ainsi, en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « l'offre d'arbitrage qui résulte de l'article 9 n'est pas une offre générale et inconditionnelle pour tout litige d'investissement entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, mais une offre insérée dans les limites fixées par le traité bilatéral d'investissement de sorte que la protection procédurale offerte par la clause d'arbitrage et dont la compétence du tribunal arbitral est subordonnée à l'applicabilité du traité à l'investissement objet du litige et plus précisément à l'existence d'un litige portant sur un investissement qui a nécessairement été réalisé par l'investisseur d'une des parties contractantes sur le territoire de l'autre à compter du 1er janvier 1992 » (arrêt attaqué, § 75) et que « les termes de l'article 12 précité sont suffisamment clairs pour considérer qu'il détermine le champ d'application temporel du traité et qu'il n'ouvre droit à une protection tant substantielle que procédurale qu'aux seuls investissements qui ont été réalisés à compter du 1er janvier 1992 de sorte qu'en sont nécessairement exclu ceux qui l'ont été antérieurement » (arrêt attaqué, § 83), pour en déduire que l'activité bancaire de la société JSC Oschadbank en Crimée ayant débuté avant le 2 janvier 1992, cela impliquait « nécessairement que la réalisation de l'investissement le fût également » et que « la condition temporelle posée par l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement qui contient l'offre d'arbitrage n'est pas satisfaite de sorte que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent pour connaître du litige » (arrêt attaqué, § 100-101), la cour d'appel a violé l'article 1520,1° du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » (JSC Oschadbank)
fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence arbitrale rendue à Paris le 26 novembre 2018 (PCA Case n° 2016-14) et de l'avoir condamnée à verser 150.000 euros à la Fédération de Russie en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE selon l'article 9 du Traité bilatéral conclu le 27 novembre 1998 entre la Fédération de Russie et l'Ukraine sur l'encouragement et la protection réciproque des investissements, peut être soumis à l'examen d'un tribunal ad hoc conformément au règlement d'arbitrage de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), « tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou la procédure de paiement des indemnités, prévus à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord » ; que selon l'article 1.1 de ce traité, le terme investissement s'entend notamment de toutes sortes de biens qui sont investis par un investisseur d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante et énumère ensuite, de manière non limitative, des actifs considérés comme des investissements ; que son article 12 prévoit que « le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 » ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que l'activité bancaire de la société JSC Oschadbank en Crimée avait débuté avant le 2 janvier 1992, « impliquant nécessairement que la réalisation de l'investissements le fût également », pour en déduire « que la condition temporelle posée par l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement qui contient l'offre d'arbitrage n'est pas satisfaite de sorte que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent pour connaitre du litige » (arrêt attaqué, § 100 et 101), après avoir pourtant constaté que « le 18 mars 2014, la République de Crimée a été rattachée à la Fédération de Russie au terme du traité conclu le même jour » (arrêt attaqué, § 2), ce dont il résultait que les biens de la société JSC Oschadbank situés dans la Péninsule de Crimée n'étaient devenus des investissements protégés, réalisés par une société ukrainienne sur le territoire de la Fédération de Russie, au sens du traité bilatéral d'investissement, que postérieurement à cette date, la cour d'appel a violé l'article 1520,1° du code de procédure civile ;

2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE selon l'article 9 du Traité bilatéral conclu le 27 novembre 1998 entre la Fédération de Russie et l'Ukraine sur l'encouragement et la protection réciproque des investissements, peut être soumis à l'examen d'un tribunal ad hoc conformément au règlement d'arbitrage de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), « tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou la procédure de paiement des indemnités, prévus à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord » ; que selon l'article 1.1 de ce traité, le terme investissement s'entend notamment de toutes sortes de biens qui sont investis par un investisseur d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante et énumère ensuite, de manière non limitative, des actifs considérés comme des investissements ; que son article 12 prévoit que « le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 » ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « pour apprécier la date à laquelle cet investissement, qui devait être pris dans sa globalité comme l'ensemble des services bancaires et financiers exercés par la société JSC Oschadbank à travers ses succursales bancaires en Crimée a été réalisé, il convient donc de s'interroger sur la date à laquelle cette activité bancaire et financière a été créée » (arrêt attaqué, § 96), que « l'activité bancaire de la société JSC Oschadbank en Crimée avait débuté antérieurement » au 2 janvier 1992, « impliquant nécessairement que la réalisation de l'investissement le fût également » (arrêt attaqué, § 100), pour en déduire que « la condition temporelle posée par l'article 12 du traité bilatéral d'investissement qui contient l'offre d'arbitrage n'est pas satisfaite de sorte que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent pour connaitre du litige » (arrêt attaqué, § 101), la cour d'appel, qui a ajouté une condition que le traité ne prévoit pas, a violé l'article 1520,1° du code de procédure civile ;

3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'en déduisant que l'activité bancaire de la société JSC Oschadbank en Crimée avait débuté avant le 2 janvier 1992, ce qui impliquait nécessairement que la réalisation de l'investissement le fût également (arrêt attaqué, § 100) de ce que cette banque est née du démantèlement du système bancaire unifié de l'Union Soviétique, en 1991, que l'activité de la branche ukrainienne de la Sberbank de l'Union Soviétique a été transférée à l'Etat ukrainien par une ordonnance du 20 mars 1991 et à une société de droit public dénommée, à compter du 3 septembre 1991, « Banque d'Epargne Public Commerciale spécialisée d'Ukraine (Oschadbank d'Ukraine) », enregistrée auprès de la banque nationale d'Ukraine le 31 décembre 1991 (arrêt attaqué, § 97), qu'aux termes des statuts de cette banque du 3 septembre 1991, il est indiqué qu'elle a été créée en vertu d'une loi du 20 mars 1991, qu'il s'agit d'une personne morale et avec toutes ses succursales, constitue un système unifié de la banque, que les succursales ou les départements situés en République Socialiste Soviétique autonome de Crimée, dans les régions, à [Localité 3] ainsi qu'au niveau local, sont dirigés par les directeurs de succursales ou les gestionnaires des départements qui sont nommés hiérarchiquement par les organes administratifs de la banque parmi les personnes ayant une expérience pratique d'au moins trois ans au sein de la banque et que ces succursales sont soumises au régime juridique des personnes morales, agissent au nom de la banque, disposent de leur propre bilan financier, qui font partie du bilan de la banque et exercent leur activité en vertu du Règlement sur les succursales et départements de la Banque approuvé par le Conseil de la banque (arrêt attaqué, § 98), et qu'il ressort d'un compte-rendu de la réunion du Conseil de la banque du 3 septembre 1991 « que le directeur de la succursale de la Banque en Crimée est un membre du Conseil de la banque précitée de sorte qu'à cette date les activités bancaires et financières de la société JSC Oschadbank étaient d'ores et déjà en cours » (arrêt attaqué, § 99), la société Oschadbank soutenant au contraire que l'investissement n'était pas antérieur au 1er janvier 1992, puisque sa succursale de Crimée n'avait été enregistrée que le 2 janvier 1992 (concl., § 163, p. 53), la cour d'appel, qui a statué par voie de simples affirmations, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision d'un tribunal arbitral sur la compétence, en recherchant, tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; que dans sa sentence arbitrale du 26 novembre 2018, le tribunal arbitral a indemnisé la société JSC Oschadbank à hauteur de 597.771.793 dollars US pour la perte de ses biens, de 484.616.757 dollars US pour sa perte de profits futurs et de 28.912.179 dollars US pour la perte de biens de tiers, correspondant à de l'or, des bijoux et des espèces dérobés, ainsi qu'à des commissions (sentence, § 332, à 341 et § 374 à 375) ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, après avoir relevé que « dans le cadre de la procédure arbitrale, la société JSC Oschadbank visait ainsi la protection de ses actifs corporels (biens mobiliers et immobiliers), et droits immobiliers (y compris ceux découlant de baux) des créances, des droits et des intérêts économiques découlant des relations entre la succursale de Crimée et ses clients (...) » (arrêt attaqué, § 95), sans constater que le tribunal arbitral, en indemnisant la société JSC Oschadbank, a statué sur des investissements réalisés par elle en Crimée avant 1er janvier 1992, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520,1° du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.