29 November 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-85.579

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01458

Titres et sommaires

TRAVAIL - Travail dissimulé - Dissimulation d'activité - Exercice à but lucratif d'une activité de prestation de service - Défaut d'immatriculation obligatoire au répertoire des métiers, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés - Cas - Gérants d'une entreprise ostréicole ayant une activité de restauration

Il se déduit de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime que seules sont réputées agricoles les activités de culture marine et les activités exercées par un aquaculteur qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. Les prestations de restauration développées par les co-gérants d'une entreprise d'ostréiculture qui procèdent à la revente habituelle, d'une part, de poissons de mer, d'autre part, d'huîtres et coquillages achetés auprès d'autres producteurs, ne peuvent être regardées comme ayant pour support leur exploitation. Elles ne peuvent non plus être considérées comme ayant une nature agricole, au regard du texte susvisé et de l'article L. 911-1 du code précité, dès lors que l'importance des moyens qui leur ont été consacrés, la fréquence et le montant des achats pour revendre qu'elles ont nécessités, dépourvus de tout lien avec l'activité de production et leur prédominance sur celle-ci, d'un point de vue économique, ne permettent pas de les considérer comme le prolongement de l'activité de production ostréicole. C'est à bon droit qu'une cour d'appel déclare coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité les gérants d'une entreprise ostréicole ayant développé une telle activité de restauration, dès lors que ces derniers n'ont pas sollicité leur inscription au registre du commerce et des sociétés à raison de celle-ci

Texte de la décision

N° E 21-85.579 F-D

N° 01458


ODVS
29 NOVEMBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 NOVEMBRE 2022



Mme [Y] [U] et M. [F] [T] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 7 juillet 2021, qui, pour travail dissimulé, l'une et l'autre, et le second, en outre, pour infractions à la réglementation sur la pêche, les a condamnés chacun à 6 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [Y] [U] et de M. [F] [T], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [Y] [U] et son époux, M. [F] [T], sont co-gérants de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (ci-après EARL) le Routioutiou, immatriculée au registre du commerce et des sociétés en 2006, au titre d'une activité d'ostréiculture, qui relève du régime de la mutualité sociale agricole.

3. L'entreprise a développé, sur le site de l'exploitation, des prestations de dégustation.

4. À l'initiative de divers services, deux opérations de contrôle ont été opérées les 13 et 18 août 2017 sur les lieux dédiés à cette activité.

5. Mme [U] et M. [T] ont été poursuivis, le second pour infractions à la législation sur la pêche maritime, l'un et l'autre pour travail dissimulé par dissimulation de trois salariés et d'activité entre le 15 janvier 2014 et le 31 décembre 2017.

6. Par jugement en date du 25 novembre 2019, le tribunal correctionnel a prononcé des relaxes partielles et a déclaré les prévenus coupables de travail dissimulé, par dissimulation de deux salariés et d'activité, du 1er janvier au 31 décembre 2017. M. [T] a en outre été reconnu coupable d'infractions à la législation sur la pêche maritime.

7. Les premiers juges ont condamné Mme [U] et M. [T] à des peines d'amende, à la confiscation des biens saisis ou placés sous scellés et ont prononcé sur les intérêts civils.

8. Les prévenus, puis le procureur de la République, et l'URSSAF, ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le quatrième moyen, pris en sa première branche, et le cinquième moyen


9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupables Mme [U] et M. [T] de travail dissimulé par dissimulation d'activité, alors « que l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'activité n'est caractérisée que lorsque la déclaration aux fins d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés est obligatoire ; qu'en énonçant par des motifs inopérants que l'activité de dégustation exercée par les prévenus aurait dû rester subsidiaire par rapport à leur activité de production et en se fondant sur des textes réglementaires et législatifs dont elle relevait elle-même le caractère indicatif (arrêt attaqué, p. 10), lorsque l'activité de dégustation est par essence une activité agricole de sorte qu'elle n'imposait aucune déclaration supplémentaire de la part des prévenus dont l'activité de production agricole était au demeurant régulièrement déclarée, la cour d'appel a méconnu les articles L. 311-1 du code rural et l'arrêté préfectoral de Gironde du 11 avril 2011 pris pour son application, les articles L. 8221-1 à L. 8221-6 et L. 8224-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

11. Pour condamner Mme [U] et M. [T] du chef de travail dissimulé par dissimulation d'activité entre le 15 janvier 2014 et le 31 décembre 2017, l'arrêt attaqué énonce que les contrôles effectués ont mis en évidence la présence de salariés non déclarés dans les lieux dédiés à la dégustation.

12. Il précise que les achats d'alcool sont passés de 3 594 bouteilles en 2014 à 8 910 en 2017, que les sommes dépensées pour l'achat de denrées alimentaires ont varié, de 2014 à 2017, selon les années, entre 11 324,84 euros et 16 036,71 euros.

13. Les juges relèvent que l'établissement de restauration occupe une surface permettant de servir des clients sur onze tables en salle et vingt-six en terrasse, soit une capacité de deux cent vingt-deux couverts simultanément, et que des travaux d'aménagement de ces locaux ont été réalisés pour un montant global de 200 000 euros.

14. Ils observent qu'une centaine de poissons de mer ont été trouvés dans les chambres froides de l'établissement, dont une trentaine de bars pêchés par M. [T] dans des conditions et au moyen d'engins illégaux, que des achats de coquillages et d'huîtres ont été réalisés auprès de producteurs extérieurs et qu'il ressort des auditions de salariés et des mis en cause eux-mêmes qu'ils vendaient plus d'huîtres qu'ils n'en produisaient.



15. Ils énoncent que le chiffre d'affaires de l'entreprise, reconstitué par les enquêteurs, lié à la seule activité de restauration, est passé de 389 788,50 euros en 2014 à 929 560 euros en 2017, soit entre 61 % et 72 % du chiffre d'affaires global de la société, pourcentages qui n'ont pas été véritablement contestés à l'audience.

16. Les juges retiennent enfin que la comptable de la société a déclaré avoir mis en garde les co-gérants, oralement, puis par écrit, sur la nécessité de déclarer cette activité commerciale, qui était devenue principale, ce témoin concluant qu'il n'était pas possible en l'état de créer deux sociétés, en raison de l'utilisation du domaine public maritime, mais qu'il était impératif que l'activité de dégustation reprenne des proportions normales ou quitte ce domaine.

17. La cour d'appel constate enfin que l'activité de dégustation devait, au regard des textes parfaitement connus des prévenus, demeurer secondaire, dans le prolongement de l'activité principale de production, telle que définie par l'objet de leur entreprise, alors que cette activité de dégustation, entre 2014 et 2017, a été pourtant majoritaire.

18. Elle en déduit qu'au regard de l'article L. 8221-3 du code du travail, les co-gérants devaient obligatoirement faire les déclarations nécessaires au registre du commerce et des sociétés et les déclarations impératives des salariés auprès de I'URSSAF, toutes démarches qu'ils se sont volontairement abstenus de réaliser.

19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité poursuivi, sans méconnaître les textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

20. En premier lieu, il se déduit de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime que seules sont réputées agricoles les activités de culture marine et les activités exercées par un aquaculteur qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation.

21. En deuxième lieu, selon l'article L. 911-1 de ce même code, la conchyliculture est une forme d'aquaculture et cette activité d'exploitation comprend notamment le captage, l'élevage, la finition, la purification, l'entreposage, le conditionnement, l'expédition ou la première mise en marché des produits.

22. En troisième lieu, il se déduit des motifs susvisés de l'arrêt attaqué que les co-gérants de l'EARL [1], dont l'objet déclaré est l'ostréiculture, ont procédé à la revente habituelle, d'une part, de poissons de mer, d'autre part, d'huîtres et coquillages achetés auprès d'autres producteurs, activités qui ne peuvent être regardées comme ayant pour support leur exploitation.

23. En quatrième lieu, les prestations de restauration, ci-dessus décrites, compte tenu, d'une part, de l'importance des moyens qui leur ont été consacrés, d'autre part, de la fréquence et du montant des achats pour revendre qu'elles ont nécessités, dépourvus de tout lien avec l'activité de production, enfin, de leur prédominance sur celle-ci, d'un point de vue économique, ne peuvent être considérées comme le prolongement de l'activité de production ostréicole.

24. Le moyen sera donc écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [U] et M. [T] coupables de dissimulation d'activité par dissimulation de salariés, alors :

« 1°/ que, d'une part, la déclaration simplifiée d'un salariée dite « TESA » vaut déclaration nominative au sens de l'article L. 1221-10 du code du travail de sorte que l'employeur qui y procède ne saurait se voir reprocher le délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié au sens de l'article L. 8221-5, 1° du code du travail ; qu'en retenant néanmoins, s'agissant de la déclaration TESA de M. [O] [R], que « c'est à juste titre que le tribunal correctionnel a considéré cette déclaration simplifiée dite TESA comme insuffisante et inefficace à remplacer la déclaration préalable à l'embauche et a condamné les prévenus de ce chef, en réduisant toutefois la période de prévention » (arrêt attaqué, p. 9), la cour d'appel a violé les articles L. 1221-10 du code du travail, L. 712-1 et R. 712-6 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 8221-5 du code du travail.

2°/ que, d'autre part, et en tout état de cause, en déclarant les prévenus coupables de dissimulation de l'emploi salarié de M. [O] [R], sans constater le caractère intentionnel de cette dissimulation, lorsqu'elle relevait pourtant que l'employeur avait procédé à la déclaration simplifiée dite « TESA » de M. [O] [R] (arrêt attaqué, p. 9), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 121-3 du code pénal et L. 8221-5 du code du travail ;

3/ qu' enfin, en déclarant les prévenus coupables de dissimulation de l'emploi salarié de M. [B] sans constater le caractère intentionnel de cette dissimulation, lorsqu'elle relevait pourtant que l'employeur avait procédé à la déclaration tardive de M. [B] (arrêt attaqué, p. 9) ce qui démontrait qu'il avait eu l'initiative d'une déclaration et qu'il n'entendait donc pas dissimuler cet emploi salarié, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 121-3 du code pénal et L. 8221-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

26. Pour déclarer coupables Mme [U] et M. [T] de travail dissimulé par dissimulation de deux salariés, l'arrêt attaqué énonce que M. [X] [O] [R], contrôlé en situation de travail le 18 août 2017, qui a fait l'objet d'une déclaration pour une embauche le 18 décembre 2017, reçue le 20 décembre suivant, a expliqué qu'il avait déjà travaillé dans le cadre de l'activité de dégustation entre dix et quinze jours au mois d'août, et qu'il avait reçu un imprimé de titre emploi simplifié agricole (ci-après TESA), qu'il n'a pas fourni aux enquêteurs.

27. Les juges ajoutent que c'est à juste titre que le tribunal correctionnel a considéré cette déclaration simplifiée dite TESA comme insuffisante et inefficace à remplacer la déclaration préalable à l'embauche et a condamné les prévenus de ce chef.

28. Ils relèvent par ailleurs que M. [S] [B], qui, contrôlé le 13 août 2017, a été déclaré pour une embauche en août 2017, l'enveloppe portant un cachet de la poste du 14 août, a expliqué avoir suivi un stage dans l'établissement en juin et avoir commencé à y travailler à la mi-août.

29. La cour d'appel retient que la déclaration étant tardive, l'infraction est constituée.

30. C'est à tort que la cour d'appel a considéré, en contradiction avec l'article L. 712-1 du code rural et de la pêche maritime, que la déclaration TESA ne pouvait valoir déclaration préalable à l'embauche.

31. L'arrêt attaqué n'encourt néanmoins pas la censure, dès lors que, par des motifs suffisants et exempts de contradiction, la cour d'appel, qui a relevé les nombreux avertissements donnés par leur comptable aux deux prévenus, a constaté qu'aucun des deux salariés n'était déclaré de quelque manière que ce soit à aucun organisme social au moment des contrôles qui se sont succédé dans le temps, sans que les demandeurs ne régularisent la situation de la seconde personne employée illégalement, après avoir tenté, tardivement, de le faire pour la première.

32. Le moyen doit être rejeté.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [U] et M. [T] à une peine de 6 000 euros d'amende chacun et ordonné la confiscation des objets saisis, alors :

« 2°/ que d'autre part, le juge qui prononce une peine de confiscation doit énumérer les objets dont il ordonne la confiscation ; qu'en se bornant à ordonner « la confiscation des objets saisis » (arrêt attaqué, p. 14), sans indiquer la nature et l'origine des objets placés sous scellés dont elle a ordonné la confiscation, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision et n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-1 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale :

34. Il se déduit de ces textes qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.

35. Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu, hormis le cas où la confiscation porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction.

36. En se bornant à confirmer, sans autre motif, la décision du tribunal correctionnel en ce qu'elle a ordonné la confiscation des objets saisis, sans préciser la nature et l'origine des biens confisqués, ni le fondement de la mesure, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision.

37. La cassation est en conséquence encourue de ce chef.




PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 7 juillet 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la confiscation des objets saisis, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf novembre deux mille vingt-deux.

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