24 November 2022
Cour d'appel de Grenoble
RG n° 21/00450

Ch. Sociale -Section B

Texte de la décision

C9



N° RG 21/00450



N° Portalis DBVM-V-B7F-KW52



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Delphine SANCHEZ MORENO



la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 24 NOVEMBRE 2022





Appel d'une décision (N° RG 18/00684)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 18 décembre 2020

suivant déclaration d'appel du 20 janvier 2021





APPELANT :



Monsieur [E] [Y]

né le 12 Août 1981 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Delphine SANCHEZ MORENO, avocat au barreau de GRENOBLE





INTIMEE :



S.A. SOITEC agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 2]



représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Yves MERLE de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON





COMPOSITION DE LA COUR :



LORS DU DÉLIBÉRÉ :



M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,





DÉBATS :



A l'audience publique du 21 septembre 2022,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;



Puis l'affaire a été mise en délibéré au 24 novembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.



L'arrêt a été rendu le 24 novembre 2022.






EXPOSE DU LITIGE :



M. [E] [Y] a été embauché par contrat à durée déterminée du 8 février 2011 par la société anonyme Soitec, en qualité d'opérateur de production puis à durée indéterminée à compter du 7 août 2021.



M. [Y] a été en arrêt maladie à compter du 24 mars 2017.



A compter du 31 juillet 2017, il a bénéficié d'un arrêt de travail pour maladie professionnelle.



Le 17 janvier 2018, la médecine du travail a déclaré M. [Y] inapte à son poste dans les termes suivants : « patient présentant une atteinte persistante des membres supérieures sans amélioration depuis 10 mois affection 57 B en cours de reconnaissance inapte à tout poste avec gestes répétitifs ».



Le 26 février 2018, la CPAM de l'Isère a notifié à M. [Y] un refus de prise en charge de sa maladie professionnelle en l'absence d'avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.



Le 12 avril 2018, le médecin du travail l'a déclaré de nouveau inapte définitivement à son poste de travail.



Par courrier du 27 avril 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 9 mai.



Par courrier du 18 mai 2018, la société Soitec a notifié à M. [Y] son licenciement pour inaptitude à son poste de travail.



Par courrier du 09 août 2018, la CPAM de l'Isère a notifié à M. [Y] la prise en charge, au titre de la législation professionnelle tableau n°57, d'un syndrome du nerf ulnaire gauche.



Par requête en date du 06 août 2018, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble pour contester son licenciement et que soit reconnue l'origine professionnelle de son inaptitude.



La société Soitec s'est opposée aux prétentions adverses.





Par jugement en date du 18 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :



- dit et jugé que l'origine de l'inaptitude de M. [E] [Y] est professionnelle,

- dit que la SA Soitec a respecté son obligation de reclassement,

- dit que la SA Soitec a respecté la procédure de licenciement pour inaptitude médicale,

- condamné la SA Soitec à verser à M. [E] [Y] les sommes de :

- 4 514,79 € au titre du doublement de l'indemnité de licenciement,

- 4 826,12 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 482,61 € brui au titre de congés payés sur préavis,

- 1 500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R. 1454-28 du Code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intérêts de droit à compter du jour de la demande et que la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à retenir est de 2 310,19 €.

- débouté M. [E] [Y] de ses autres demandes.

- condamné la SA Soitec aux dépens.



La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 23 décembre 2020 par les parties.



Par déclaration en date du 20 janvier 2021, M. [Y] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.





M. [Y] s'en est remis à des conclusions transmises le 27 septembre 2021 et entend voir :



Vu la législation sus-citée ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu la jurisprudence citée ;

Vu les pièces produites ;



CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes du 18 décembre 2020 en ce qu'il a dit et jugé que l'origine de l'inaptitude de M. [E] [Y] était professionnelle et condamné la société Soitec à verser à ce dernier les sommes de :

- 4 514,79 € au titre du doublement de l'indemnité de licenciement ;

- 4 826,12 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 482,61 € brut au titre des congés payés sur préavis ;

INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 18 décembre 2020, en ce qu'il a dit que la société Soitec a respecté son obligation de reclassement et la procédure de licenciement pour inaptitude médicale ;

Et, statuant à nouveau,

CONDAMNER la société Soitec à verser à M. [E] [Y] la somme de 31 370 € net à titre d'indemnité pour violation par l'employeur de son obligation de reclassement, de son absence de consultation des délégués du personnel et de son absence de notification par écrit au salarié des raisons s'opposant à son reclassement ;

CONDAMNER, à titre subsidiaire, la société Soitec à verser à M. [E] [Y] la somme de 31 370 € net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, financier et professionnel subi par lui du fait de l'absence de notification par écrit des raisons s'opposant à son reclassement ;

INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 18 décembre 2020, en ce qu'il a limité le quantum de la condamnation prononcée à l'encontre de la société Soitec s'agissant de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et, statuant à nouveau,

CONDAMNER la société Soitec à verser à M. [E] [Y] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société Soitec à verser à M. [E] [Y] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens s'agissant de la procédure en appel.





La société Soitec s'en est rapportée à des conclusions remises le 03 décembre 2021 et demande à la cour d'appel de :



Vu les dispositions du code du travail,

Vu la jurisprudence applicable,

Vu les pièces versées aux débats,

La société Soitec sollicite de la cour d'appel de Grenoble de :



1/ Sur l'origine de l'inaptitude

A titre principal,

REFORMER le jugement en ce qu'il a jugé que l'inaptitude avait une origine professionnelle et ainsi condamné la société à verser à M. [Y] :

- 4 514,79 € au titre du doublement de l'indemnité de licenciement

- 4 826,12 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 482,61 € au titre des congés payés afférents

En conséquence, DEBOUTER M. [Y] de ses demandes







A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour confirmait le jugement ayant reconnu que l'inaptitude a une origine professionnelle, REFORMER le jugement en ce qu'il a octroyé à M. [Y] des congés payés sur préavis pour un montant de 482,61 €



2/ Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

A titre principal,

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse

En conséquence, DEBOUTER le salarié de l'intégralité de ses demandes

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour jugeait que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, LIMITER le montant des dommages et intérêts à 3 mois de salaire ou à tout le moins à de plus justes proportions ne pouvant excéder 8 mois



3/ Sur l'information du salarié sur l'impossibilité de reclassement

A titre principal,

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a jugé que la société avait respecté la procédure de licenciement

En conséquence, DEBOUTER M. [Y] de ses demandes

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour venait à juger que la société n'a pas satisfait à son obligation d'information, LIMITER le montant des dommages et intérêts à un mois de salaire



4/ Sur l'article 700 du CPC

DEBOUTER M. [Y] de sa demande à ce titre et le CONDAMNER à la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.





Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.



La clôture a été prononcée le 07 juillet 2022.





EXPOSE DES MOTIFS :



Sur l'origine de l'inaptitude définitive au poste de M. [Y] :



Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle résultant des articles L. 1226-10 du code du travail s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.



La juridiction apprécie souverainement si l'employeur avait ou non connaissance au jour du licenciement à raison de l'inaptitude physique d'un salarié du fait que celle-ci a en tout ou partie une origine professionnelle.



Au cas d'espèce, d'une première part, il appert que M. [Y] a été en arrêt maladie pour une maladie professionnelle du 31 juillet 2017 au 22 avril 2018.



Si, le 26 février 2018, la CPAM de l'Isère a adressé à M. [Y] une correspondance l'informant d'un refus de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée le 28 juillet 2017 au titre d'un syndrome de la gouttière gauche, cette décision n'était, à l'évidence, pas définitive puisque l'organisme social précise expressément qu'elle a été prise à défaut de l'avis du comité régional de reconnaissances des maladies professionnelles et que, dans l'hypothèse d'un avis favorable, il reviendra sur cette décision.

Or, selon décision du 9 août 2018, après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la CPAM de l'Isère a pris en charge ladite maladie au titre de la législation sur les maladies professionnelles s'agissant d'un syndrome du nerf ulnaire gauche, tableau 57 : affections péri-articulaires provoquées par certains gestes et postures de travail.



La lettre de licenciement pour inaptitude en date du 18 mai 2018 (erreur matérielle sur l'année) vise uniquement l'avis d'inaptitude du 17 janvier 2018, qui fait état d'une procédure en cours de reconnaissance d'une maladie professionnelle au titre du tableau 57B.



Quoique la cour observe que les exemplaires d'avis d'inaptitude rendu à l'issue de la visite du 12 avril 2018 à la médecine du travail, remis à l'employeur et au salarié, sont différents puisque le premier vise une visite médicale de reprise à la suite d'une maladie non professionnelle et le second une visite médicale de reprise à la suite d'une maladie professionnelle, en faisant référence à la première visite du 17 janvier 2018, force est de constater que l'avis du 12 avril 2018 n'est aucunement évoqué par l'employeur dans la lettre de licenciement et qu'au demeurant, les restrictions d'aptitude résiduelles émises par le médecin du travail sont identiques dans les deux avis.



Il s'ensuit que le médecin du travail a considéré de manière certaine que l'inaptitude définitive de M. [Y] à son poste, prononcée selon avis du 17 janvier 2018 dans le cadre d'une visite de reprise à la suite d'un arrêt maladie professionnelle et fondant son licenciement, est au moins en partie d'origine professionnelle, peu important que la reconnaissance définitive par l'organisme social n'ait été prononcée par décision définitive qu'après la rupture du contrat de travail eu égard à l'autonomie de la procédure de reconnaissance des affections au titre de la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles avec la procédure de licenciement pour inaptitude.



La condition tenant au fait que le licenciement pour inaptitude est au moins en partie d'origine professionnelle est dès lors remplie.



Par ailleurs, il est considéré que l'employeur avait une connaissance certaine du caractère au moins en partie professionnel de l'origine de l'inaptitude dès lors qu'il a décidé de ne viser que l'avis du 17 janvier 2018 dans la lettre de licenciement, qui fait expressément référence à une procédure en cours de reconnaissance de maladie professionnelle au titre du tableau 57, étant observé que l'employeur est de mauvaise foi lorsqu'il déduit du fait qu'il avait été informé de la décision de refus de prise en charge notifiée le 26 février 2018 au salarié le caractère non professionnel de l'inaptitude alors qu'il s'évince clairement de cette décision que le refus n'est que temporaire dans l'attente de l'avis du comité de reconnaissance des maladies professionnelles, position d'ailleurs défendue par la société Soitec dans un courrier du 10 avril 2018 à la compagnie d'assurance protection juridique Pacifica de M. [Y] et que la société Soitec avait pour autant connaissance que le médecin du travail avait fait un lien direct, dans l'avis du 17 janvier 2018, entre l'inaptitude définitive au poste et une maladie professionnelle ; ce qui aurait dû immanquablement conduire la société Soitec à le solliciter de nouveau pour avoir des précisions en recevant un second avis, le 12 avril 2018, avec l'évocation d'une visite de reprise à la suite d'une maladie non professionnelle, différant sur ce point, d'ailleurs, de celui remis au salarié, l'employeur ayant en définitive fait le choix de ne pas fonder la décision de licenciement sur cet avis mais uniquement sur le premier et n'avoir procédé à une consultation des délégués du personnel qu'au regard du premier avis.



Une nouvelle sollicitation du médecin du travail eût été d'autant plus nécessaire que la société Soitec a conclu en appel, (page 15/20), que « ce nouvel avis médical n'est qu'une confirmation de l'avis d'inaptitude du 17 janvier 2018 (') » alors même qu'il diffère s'agissant de l'exemplaire remis à l'employeur sur le caractère professionnel ou non de la maladie faisant l'objet d'une visite de reprise.



La cour d'appel observe d'ailleurs que l'employeur ne justifie pas davantage avoir questionné le médecin du travail dans le cadre du présent contentieux pour obtenir une explication sur la différence notable entre les exemplaires des avis remis aux parties à la suite de la visite du 12 avril 2018, alors que la société Soitec en a été à l'initiative.



Il s'ensuit qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que l'origine de l'inaptitude de M. [Y] est professionnelle.





Sur le licenciement :



L'article L 1226-10 du code du travail dispose que :

Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.



Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.



L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.



Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.



L'article L1226-12 du code du travail prévoit que :

Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.



L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.



L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.



S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.



En l'espèce, l'employeur ne justifie pas avoir sérieusement et loyalement rempli son obligation de reclassement en ce que :

- à supposer que les pièces n°11 du salarié et n°21 de l'employeur puissent être considérées comme la consultation des délégués du personnel sur le reclassement de M. [Y] alors qu'à la lecture du document, il est impossible de savoir à qui il est adressé, que les noms des personnes consultées ne sont pas mentionnés, qu'il n'est fait état d'aucun avis ou refus de rendre un avis, que le document est daté du 4 avril alors que la lettre de licenciement fait état d'une consultation des délégués du personnel lors de leur réunion mensuelle du 10 avril, force est de constater que cette démarche a eu lieu en avril 2018, soit après ce que l'employeur présente comme la seule proposition de reclassement faite au salarié au titre du poste de juriste d'affaires alors que la consultation doit précéder la ou les propositions de reclassement

- au demeurant, il s'évince clairement des échanges de courriels de février/mars 2018 entre M. [Y] et M. [L], partenaire RH, que l'employeur n'a pas effectivement et fermement adressé une proposition de poste de juriste d'affaire à M. [Y] dans le cadre de son obligation légale de reclassement suite à la déclaration d'inaptitude définitive au poste, étant observé que l'emploi litigieux est manifestement d'un niveau de compétences professionnelles largement plus élevé que celui pour lequel M. [Y] a été déclaré inapte, mais l'a uniquement informé de la disponibilité de ce poste, de la possibilité pour le salarié de se positionner en accomplissant des formalités additionnelles notamment en remplissant un dossier de candidature, de sorte que l'employeur, quoique évoquant par ailleurs le reclassement du salarié, a en réalité uniquement porté à sa connaissance l'existence d'une procédure de recrutement alors en cours pour ce poste, compte tenu des études que le salarié poursuivait par ailleurs, avec manifestement une sélection impliquant d'autres candidats possibles puisque M. [L] lui a ainsi précisé, par courriel du 16 mars 2018, « tu ne m'as pas fait de retour concernant le poste, je voulais juste t'informer avant notre point que le processus de recrutement avait commencé. Si tu veux te positionner, il faudra que tu me le dises rapidement que je te transfère le dossier de candidature. ». M. [L] n'a pas même répondu à M. [Y] l'interrogeant sur le niveau de rémunération en le renvoyant à Mme [T], RH partenaire des services généraux. Faute de proposition effective d'un emploi de reclassement, le refus allégué par l'employeur du poste par le salarié, qui ne saurait d'ailleurs ressortir suffisamment, de manière certaine, d'un courriel du 29 mars 2018 que M. [L] a adressé au salarié, faisant le compte-rendu d'un échange téléphonique du même jour, sans élément venant corroborer le positionnement adopté par le salarié, est dès lors sans portée et ne saurait permettre à l'employeur d'en déduire qu'il aurait satisfait à son obligation de reclassement en ayant proposé au moins un emploi dans les conditions de l'article L 1226-10 du code du travail



- l'employeur ne justifie aucunement avoir sollicité les conclusions écrites du médecin du travail puisque l'avis du 17 janvier 2018 indiquant « patient présentant une atteinte persistante des membres supérieures sans amélioration depuis 10 mois affection 57 B en cours de reconnaissance inapte à tout poste avec gestes répétitifs » ne permet aucunement d'en déduire que le salarié ne pouvait occuper que des postes administratifs et que tous les postes administratifs étaient médicalement compatibles avec ses restrictions médicales. Des précisions devaient nécessairement être sollicitées par l'employeur au médecin du travail puisque le salarié avait une capacité résiduelle pour les postes avec manutention, une restriction tenant au poids maximum de 10 kg des charges ayant d'ailleurs été ajoutée dans l'avis ultérieur du 12 avril 2018, et que certains postes administratifs peuvent à tout le moins impliquer des gestes répétitifs. La société Soitec échoue à établir qu'elle l'a fait puisqu'elle produit, certes, en pièce n°7 un courriel du 01 février 2018 du médecin du travail précisant que la pathologie dont souffre M. [Y] contre-indique le poste d'agent facilities tertiaire mais ne verse aucunement aux débats les termes de la sollicitation qui a été faite au médecin du travail. Dans le document présenté comme la consultation des délégués du personnel du 04 avril 2018 sur les préconisations de reclassement, l'employeur liste une série de postes disponibles sur le périmètre France mais ne fait qu'affirmer qu'ils ne sont pas conformes aux préconisations du médecin du travail et/ou ne correspondent pas aux compétences professionnelles du salarié ; ce qui n'est évident, sur ce dernier point, que pour certains emplois tels qu'ingénieurs mais aucunement avéré pour ceux d'agent, d'opérateur, ou de technicien



- les recherches de postes disponibles au jour du licenciement ne sont pas davantage justifiées, la cour d'appel observant qu'il n'est pas produit le registre du personnel et l'employeur ne justifiant d'une interrogation par courriel interne du 29 mars 2018 que sur les services juridiques, achats et RH, alors qu'il ne peut aucunement se déduire des courriels de M. [L], retraçant unilatéralement des échanges oraux entre les parties, que M. [Y] aurait expressément manifesté son souhait que les recherches de reclassement se limitent à ces activités, le salarié affirmant sans être démenti utilement par des pièces utiles de l'employeur qu'il « avait pourtant indiqué à M. [L] que trois services pouvaient éventuellement l'intéresser, à savoir le service juridique, le service propriété intellectuelle, le service achat, tout en prenant soin de préciser que cette liste n'était aucunement limitative et que d'autres postes pouvaient lui être proposés ». (page 21/32 des conclusions d'appel).



Faute pour l'employeur d'avoir sérieusement et loyalement rempli son obligation de reclassement, infirmant le jugement entrepris, il convient de dire que la société Soitec n'a pas satisfait à son obligation de ce chef.



Sur les prétentions afférentes à la rupture :



Premièrement, dès lors que le licenciement est injustifié, faute pour l'employeur d'avoir respecté son obligation de reclassement, M. [Y] a droit non seulement à une indemnité compensatrice de préavis, peu important qu'il n'ait pas été en capacité physique de l'exécuter mais encore aux congés payés afférents et pas uniquement à l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis qui ne concerne que l'hypothèse où le licenciement est causé.



Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a alloué de ces chefs à M. [Y] les sommes de :

- 4 826,12 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 482,61 € brut au titre de congés payés sur préavis,.



Deuxièmement, M. [Y], à raison du caractère professionnel de l'inaptitude fondant le licenciement, a droit, au visa de l'article L. 1226-14 du code du travail, au doublement de l'indemnité légale, de sorte que le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a alloué à M. [Y] la somme de 4514,79 euros sur laquelle l'employeur n'a développé aucun moyen critique quant au calcul et montant retenus.



Troisièmement, au visa des articles L. 1226-15 et L. 1235-3-1 du code du travail, de sorte que le moyen de la société Soitec tiré de l'applicabilité de l'article L. 1235-3 du même code est inopérant, il apparaît qu'au jour de son licenciement injustifié à raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, M. [Y] avait un salaire de l'ordre de 2300 à 2400 euros bruts, plus de 7 ans d'ancienneté et justifie avoir reçu de 304 allocations journalières de Pôle Emploi entre le 30 novembre 2018 et le 30 juin 2019 et avoir occupé un poste de contractuel de septembre 2019 à septembre 2020 au centre hospitalier de [Localité 4] pour un traitement de 2033,37 euros bruts.



Au vu du préjudice subi à raison de la perte injustifiée de l'emploi se manifestant par une période significative de chômage et de précarité professionnelle accompagnée de baisse de revenus, après une période significative d'emploi stable au sein de la société Soitec, il est alloué à M. [Y] la somme de 31370 euros bruts et non nets car soumis à cotisations sociales, en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, à titre de dommages et intérêts au titre de l'absence de reclassement.





Sur les demandes accessoires :



L'équité commande de confirmer l'indemnité de procédure de 1500 euros allouée par les premiers juges à M. [Y] et de lui accorder une indemnité complémentaire de procédure de 1500 euros en cause d'appel.



Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.



Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Soitec, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.





PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;



CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit et jugé que l'origine de l'inaptitude de M. [E] [Y] est professionnelle,

- condamné la SA Soitec à verser à M. [E] [Y] les sommes de :

- 4 514,79 € au titre du doublement de l'indemnité de licenciement,

- 4 826,12 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 482,61 € brut au titre de congés payés sur préavis,

- 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamné la SA Soitec aux dépens.



L'INFIRME pour le surplus,



DIT que la société Soitec a manqué à son obligation de reclassement



CONDAMNE la société Soitec à payer à M. [Y] la somme de trente-et-un mille soixante-dix euros (31 370 euros) bruts à titre de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de reclassement



CONDAMNE la société Soitec à payer à M. [Y] une indemnité complémentaire de procédure de 1500 euros



REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile



CONDAMNE la société Soitec aux dépens d'appel.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



La Greffière Le Président

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