23 November 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-16.608

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01294

Titres et sommaires

TRAVAIL TEMPORAIRE - Contrat de mission - Succession de contrats de mission - Requalification en contrat de travail à durée indéterminée - Succession d'entreprises utilisatrices - Transfert du contrat de mission d'une entreprise utilisatrice à la suivante - Action à l'encontre de la dernière entreprise utilisatrice - Effets de la demande en requalification - Détermination - Portée

Aux termes de l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission. Aux termes de l'article L.1224-1 du même code, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Aux termes de l'article L.1224-2 du même code, le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants : 1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ; 2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci. Le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux. Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour limiter les effets de la requalification de contrats de mission d'un salarié intérimaire, mis à disposition successivement de plusieurs entreprises utilisatrices sur un même site, en contrat à durée indéterminée à l'égard de la dernière entreprise utilisatrice, à la période postérieure au premier jour de sa première mission auprès de celle-ci, a retenu que les entreprises utilisatrices n'avaient jamais eu la qualité d'employeur du salarié, sans rechercher si l'exécution du dernier contrat de mission du salarié au sein de chaque entreprise utilisatrice n'avait pas été reprise et poursuivie par l'entreprise utilisatrice suivante

Texte de la décision

VSOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2022




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 1294 FS-B

Pourvoi n° V 19-16.608

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 octobre 2020.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022

M. [X] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 19-16.608 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2019 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Parker Hannifin Manufacturing France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Parker Hannifin Manufacturing France, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mmes Lecaplain-Morel, Deltort, conseillers, Mmes Ala, Techer, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 22 mars 2019), M. [Y] a été engagé par la société Manpower et mis à disposition de la société Denison Hydraulics, afin d'exécuter plusieurs missions au cours de la période du 13 juillet 2000 au 14 décembre 2004, en qualité d'ouvrier professionnel. En 2005, le salarié a été mis à la disposition de la société Parker Hannifin, laquelle a repris l'activité de la société Denison Hydraulics. A la suite d'un apport partiel d'actifs à effet au 1er juillet 2011, la société Parker Hannifin Manufacturing France a repris l'activité de la société Parker Hannifin et le salarié a été mis à disposition de cette entreprise utilisatrice à compter de cette date. Le terme de son dernier contrat de mission était le 15 mars 2013.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale afin de solliciter, notamment, la requalification de l'ensemble de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l'égard de la dernière entreprise utilisatrice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter la requalification des missions d'intérim en contrat à durée indéterminée à la période postérieure au 1er juillet 2011, de limiter le montant des indemnités de préavis, de licenciement, les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect de la procédure de licenciement et de rejeter sa demande de rappels de salaires pour la période de janvier à octobre 2009, alors :

« 1°/ que lorsqu'une société utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions légales applicables en la matière, le salarié peut faire valoir auprès de l'utilisateur les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande de requalification de M. [Y] pour les contrats de mission antérieurs au 1er uillet 2011, que les sociétés utilisatrices n'avaient pas la qualité d'employeur de M. [Y], sans rechercher si ces sociétés avaient respecté les dispositions applicables en matière de recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au visa de l'article L. 1251-40 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l'espèce ;

2°/ que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur ; qu'en rejetant la demande de requalification de M. [Y] pour les contrats de mission antérieurs au 1er juillet 2011 au motif qu'aucun élément ne permettait de mettre en cause la société Parker Hannifin Manufacturing pour la période antérieure au 1er juillet 2011 et que les deux autres sociétés n'étaient pas dans la cause, tandis qu'elle constatait que cette dernière venait aux droits de la société Parker Hannifin qui elle-même venait aux droits de la société Denison Hydraulics, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1, L. 1224-2 et L. 1251-40 du code du travail dans leur version applicable aux faits de l'espèce ;

3°/ que la cassation à intervenir du chef de la première branche ou de la deuxième branche moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, celle des chefs de dispositif ayant limité les montants des indemnités de préavis, de licenciement, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de non-respect de la procédure de licenciement, et de celui ayant rejeté la demande de rappels de salaires de M. [Y] pour la période de janvier à octobre 2009, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1251-40, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail :

4. Aux termes du premier de ces textes, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

5. Aux termes du deuxième, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

6. Aux termes du troisième, le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :
1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;
2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.
Le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux.

7. Pour limiter la requalification des missions d'intérim en contrat à durée indéterminée à la période postérieure au 1er juillet 2011 ainsi que le montant des sommes allouées en conséquence, l'arrêt retient que les sociétés Denison Hydraulics, Parker Hannifin France et Parker Hannifin Manufacturing France n'ont jamais eu la qualité d'employeur de M. [Y], mais la qualité d'entreprises utilisatrices en vertu des contrats de mise à disposition signés avec l'entreprise de travail temporaire Manpower. Il ajoute que s'il est vrai que l'apport partiel d'actif de l'établissement de [Localité 3], intervenu entre les deux sociétés du groupe Parker, a prévu la transmission des droits et obligations résultant des contrats de travail des salariés de l'entreprise apporteuse à l'entreprise bénéficiaire, ainsi que des contrats de mission en cours au 1er juillet 2011, conformément à l'article L.1224-1 du code du travail, il n'a pour autant pas modifié la situation juridique de M. [Y], celui-ci demeurant intérimaire et salarié de la seule entreprise de travail temporaire ci-dessus dénommée.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, d'une part, si l'exécution du dernier contrat de mission du salarié au sein de la société Denison Hydraulics France avait été reprise et poursuivie par la société Parker Hannifin France et, d'autre part, si l'exécution du dernier contrat de mission du salarié au sein de la société Parker Hannifin France avait été reprise et poursuivie au sein de la société Parker Hannifin Manufacturing France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la requalification des missions de M. [Y] en contrat à durée indéterminée à l'égard de la société Parker Hannifin Manufacturing France à la période postérieure au 1er juillet 2011, ainsi que la condamnation de la société à lui verser les sommes de 1 822,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 182,30 euros au titre des congés payés afférents, 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il déboute M. [Y] de sa demande de rappel de salaire pour la période de janvier à octobre 2009, outre les congés payés afférents, l'arrêt rendu le 22 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne la société Parker Hannifin Manufacturing France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Parker Hannifin Manufacturing France et la condamne à payer à la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [Y]

M. [X] [Y] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité la requalification des missions d'intérim en contrat à durée indéterminée à la période postérieure au 1er juillet 2011, d'AVOIR limité le montant des indemnités de préavis, de licenciement, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de non-respect de la procédure de licenciement et d'AVOIR rejeté sa demande de rappels de salaires pour la période de janvier à octobre 2009 ;

1°) ALORS QUE lorsqu'une société utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions légales applicables en la matière, le salarié peut faire valoir auprès de l'utilisateur les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande de requalification de M. [Y] pour les contrats de mission antérieurs au 1er juillet 2011, que les sociétés utilisatrices n'avaient pas la qualité d'employeur de M. [Y], sans rechercher si ces sociétés avaient respecté les dispositions applicables en matière de recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au visa de l'article L. 1251-40 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l'espèce ;

2°) ALORS QUE le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur ; qu'en rejetant la demande de requalification de M. [Y] pour les contrats de mission antérieurs au 1er juillet 2011 au motif qu'aucun élément ne permettait de mettre en cause la société Parker Hannifin Manufacturing pour la période antérieure au 1er juillet 2011 et que les deux autres sociétés n'étaient pas dans la cause, tandis qu'elle constatait que cette dernière venait aux droits de la société Parker Hannifin qui elle-même venait aux droits de la société Denison Hydraulics, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1, L. 1224-2 et L. 1251-40 du code du travail dans leur version applicable aux faits de l'espèce ;

3°) ALORS QUE la cassation à intervenir du chef de la première branche ou de la deuxième branche moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, celle des chefs de dispositif ayant limité les montants des indemnités de préavis, de licenciement, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de non-respect de la procédure de licenciement, et de celui ayant rejeté la demande de rappels de salaires de M. [Y] pour la période de janvier à octobre 2009, en application de l'article 624 du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.