9 November 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.264

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00643

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 novembre 2022




Cassation partielle


M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 643 F-D

Pourvoi n° R 20-18.264




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022

M. [B] [F], domicilié [Adresse 3], [Localité 4], a formé le pourvoi n° R 20-18.264 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2020 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre civile A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Crédit lyonnais, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 5],

2°/ à la société Intrum Justitia Debt Finance AG, dont le siège est Industrienstrasse [Adresse 1], [Localité 6] (Suisse),

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [F], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Crédit lyonnais et de la société Intrum Justitia Debt Finance AG, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 juin 2020), par un acte du 10 janvier 2008, la société Le Crédit lyonnais (la banque) a consenti à la société Tasc'co un prêt d'un montant de 839 980 euros. En garantie du remboursement de cet emprunt, M. [F], gérant de la débitrice principale, s'est, par un acte du même jour, rendu caution de 50 % de l'encours de crédit, dans la limite de 482 988,50 euros.

2. Par un acte du 18 mars 2008, la société Tasc'co a consenti à la banque un nantissement sur son fonds de commerce.

3. La société Tasc'co ayant été mise en redressement judiciaire, une offre de reprise a été présentée, subordonnée à la renonciation par la banque au bénéfice de l'article L. 642-12, alinéa 4, du code de commerce en contrepartie de l'affectation au remboursement de sa créance d'une partie du prix de la reprise. Par une lettre du 2 décembre 2014, la banque a fait connaître son accord à l'administrateur judiciaire. Par un jugement d'un tribunal de commerce du 23 décembre 2014, le plan de cession a été arrêté auxdites conditions et la société Tasc'co placée en liquidation judiciaire.

4. La banque a assigné en paiement du solde de sa créance M. [F], qui a à la fois opposé à la banque un manquement à son obligation de mise en garde et demandé à être déchargé sur le fondement de l'article 2314 du code civil.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [F] fait grief à l'arrêt de juger que banque n'était pas tenue à un devoir de mise en garde à son égard en tant que caution avertie et qu'il restait redevable de son engagement à concurrence des sommes réclamées par cette dernière, de rejeter en conséquence sa demande fondée sur le manquement par la banque à son devoir de mise en garde et visant à ce que cette dernière soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts d'un montant identique aux condamnations requises à son encontre et à ce que la compensation des créances réciproques soit ordonnée et de le condamner à payer à la société Intrum Debt Finance AG, venant aux droits de la banque, dans la limite de 281 116,90 euros, la somme de 114 613,54 euros, avec intérêts au taux légal du 8 janvier 2016 et capitalisés année par année et pour la première fois le 9 janvier 2017, alors :

« 1°/ que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; que le caractère averti de la caution doit être apprécié in concreto, au regard de sa capacité à apprécier les risques de son engagement ; qu'au cas d'espèce, en retenant que la banque n'était pas tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de M. [F], qui devait être considéré comme une caution avertie dès lors qu'il avait exercé en qualité de cadre au sein de la société Carrefour dans le domaine des achats de textile et de chaussures et qui, selon son profil publié sur le réseau social LinkedIn, était titulaire d'une maîtrise de gestion et mentionnait parmi ses compétences le management, le business development, le business analysis, la gestion d'équipes et les négociations, quand aucun de ces éléments ne révélait une quelconque connaissance du domaine professionnel de la restauration, et notamment de l'exploitation d'une pizzeria, qui était l'activité financée par le prêt cautionné, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à qualifier la caution d'avertie, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que, subsidiairement, M. [F] faisait valoir dans ses conclusions d'appel du 11 janvier 2019 qu'au moment de l'octroi du prêt et de la signature de l'engagement de caution, il ne disposait d'aucune qualification, compétence ou expérience dans la gestion d'un commerce de restauration, non plus que dans la gestion d'entreprise, pour avoir exclusivement occupé un poste commercial au sein de la société Carrefour dans le secteur du textile et des chaussures, et qu'il ne disposait d'aucune expérience pour apprécier la pertinence et le réalisme des documents prévisionnels établis par le franchiseur en vue de l'exploitation de la pizzeria ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, avant de conclure que M. [F] était une caution avertie, en sorte que la banque ne lui devait aucune mise en garde, la cour d'appel n'a en toute hypothèse pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle [issue] de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt relève qu'il résulte de la convention de rupture de son contrat de travail, produite aux débats, qu'entre le 1er mars 1983 et le 19 septembre 2007, M. [F] occupait au sein de la société Carrefour un poste de cadre dans la fonction d'expert achats. Il constate que, sur son profil LinkedIn, M. [F] indique être titulaire d'une maîtrise en sciences économiques et gestion, disposer de compétences en management, en « business development », en « business analysis », en gestion d'équipe et en négociation, et avoir, au titre de son expérience en qualité de « responsable achats textile chaussures » de la société Carrefour, piloté et arbitré les marchés chaussures, linge de maison, accessoires et bébé puériculture sur un plan commercial et financier et élaboré et mis en œuvre les plans d'action validés en s'appuyant sur une équipe de category managers. Il retient que, par sa formation, son expérience professionnelle et ses compétences, M. [F] était apte à évaluer les risques propres à la garantie qu'il a apportée au projet de la société Tasc'co, société qu'il a créée et dont il a pris la direction pour exploiter une activité de restauration pizzeria sous franchise, après études préalables de marché.

7. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu juger que M. [F] était une caution avertie à l'égard de laquelle la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. M. [F] fait grief à l'arrêt de juger qu'il est mal fondé à solliciter la décharge intégrale de son engagement de caution sur le fondement des dispositions de l'article 2314 du code civil et de le condamner à payer à la société Intrum Debt Finance, venant aux droits de la banque, dans la limite de 281 116,90 euros, la somme de 114 613,54 euros, avec intérêts au taux légal du 8 janvier 2016 et capitalisés année et par année et pour la première fois le 9 janvier 2017, alors « que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que tel est le cas lorsque, dans le cadre de la cession du fonds de commerce exploité par le débiteur cautionné placé en procédure collective, le créancier passe un accord avec le cessionnaire pour renoncer au nantissement qui lui avait été consenti sur le fonds ; qu'au cas d'espèce, dès lors qu'elle constatait que la banque avait donné son accord pour renoncer au nantissement sur le fonds de commerce dans le cadre de la cession de ce dernier, actée par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 23 décembre 2014 rendu dans le cadre de la procédure collective affectant la société Tasc'co, la perte du nantissement devait être considérée comme le fait exclusif du créancier, sans qu'importe la circonstance qu'un seul repreneur s'était manifesté et qu'il en avait fait une condition de son engagement ; qu'en décidant le contraire, et en refusant en conséquence la décharge de la caution, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 642-12, alinéa 4, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, et L. 642-12, alinéa 4, du code de commerce :

10. Il résulte du second de ces textes que la transmission au cessionnaire de la charge des sûretés garantissant le remboursement d'un crédit consenti pour permettre le financement d'un bien sur lequel portent ces sûretés, s'opère de plein droit, sauf accord entre le cessionnaire et le créancier titulaire d'une sûreté mentionnée par ce texte. Lorsqu'un tel accord a été passé, la perte de la sûreté résultant du jugement arrêtant le plan de cession est exclusivement imputable au créancier, de sorte qu'en application du premier texte, la caution doit être déchargée de son engagement, sauf au créancier à établir que la perte de la sûreté n'a causé aucun préjudice à la caution.

11. Pour considérer que la caution n'est pas déchargée de son engagement, l'arrêt retient que la mainlevée du nantissement sur le fonds de commerce de la société Tasc'co est la conséquence d'un accord prévu par une disposition légale régissant la procédure collective qui modifie les intérêts à préserver et à laquelle le créancier doit s'adapter.

12. En se déterminant ainsi, après avoir relevé qu'aux termes du jugement ayant arrêté le plan de cession de la société Tasc'co, le repreneur avait proposé à la banque un accord dérogatoire en contrepartie de la renonciation au bénéfice de l'article L. 642-12, alinéa 4, du code de commerce, et qu'il résultait d'une lettre du 2 décembre 2014 adressée à l'administrateur par la banque que celle-ci avait accepté cette proposition, ce dont il se déduisait que la caution avait perdu, par le fait exclusif du créancier, le nantissement sur le fonds de commerce dont elle aurait pu bénéficier par voie de subrogation, sans constater que la perte du nantissement n'avait causé aucun préjudice à la caution, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, infirmant le jugement, il juge que la société Le Crédit lyonnais n'a pas respecté l'obligation d'information annuelle de la caution et ne peut réclamer à M. [F] les pénalités et intérêts de retard, l'arrêt rendu le 11 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne la société Intrum Debt Finance aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Intrum Debt Finance et la société Crédit lyonnais et les condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Krivine et Viaud, avocat aux Conseils, pour M. [F].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR jugé que la société Crédit Lyonnais n'était pas tenue à un devoir de mise en garde à son égard en tant que caution avertie et que celui-ci restait redevable de son engagement de caution à concurrence des sommes réclamées par la banque, D'AVOIR en conséquence nécessairement rejeté sa demande fondée sur le manquement par la banque à son devoir de mise en garde et visant à ce que cette dernière soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts d'un montant identique aux condamnations requises à son encontre et à ce que la compensation des créances réciproques soit ordonnée et de l'AVOIR condamné à payer à la société Intrum Debt Finance AG (anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Finance AG), venant aux droits de la société Crédit Lyonnais, dans la limite de 281.116,90 €, la somme de 114.613,54 € avec intérêts au taux légal du 8 janvier 2016 et capitalisés, année par année et pour la première fois le 9 janvier 2017 ;

1. ALORS QUE la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; que le caractère averti de la caution doit être apprécié in concreto, au regard de sa capacité à apprécier les risques de son engagement ; qu'au cas d'espèce, en retenant que la banque n'était pas tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de M. [F], qui devait être considéré comme une caution avertie dès lors qu'il avait exercé en qualité de cadre au sein de la société Carrefour dans le domaine des achats de textile et de chaussures et qui, selon son profil publié sur le réseau social Linkedin, était titulaire d'une maîtrise de gestion et mentionnait parmi ses compétences le management, le business development, le business analysis, la gestion d'équipes et les négociations, quand aucun de ces éléments ne révélait une quelconque connaissance du domaine professionnel de la restauration, et notamment de l'exploitation d'une pizzeria, qui était l'activité financée par le prêt cautionné, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à qualifier la caution d'avertie, a violé l'article 1147 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

2. ALORS, subsidiairement, QUE M. [F] faisait valoir dans ses conclusions d'appel du 11 janvier 2019 (p. 15) qu'au moment de l'octroi du prêt et de la signature de l'engagement de caution, il ne disposait d'aucune qualification, compétence ou expérience dans la gestion d'un commerce de restauration, non plus que dans la gestion d'entreprise, pour avoir exclusivement occupé un poste commercial au sein de la société Carrefour dans le secteur du textile et des chaussures, et qu'il ne disposait d'aucune expérience pour apprécier la pertinence et le réalisme des documents prévisionnels établis par le franchiseur en vue de l'exploitation de la pizzeria ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, avant de conclure que M. [F] était une caution avertie, en sorte que la banque ne lui devait aucune mise en garde, la cour d'appel n'a en toute hypothèse pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016)

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR jugé qu'il était mal fondé à solliciter la décharge intégrale de son engagement de caution sur le fondement des dispositions de l'article 2314 du code civil et de l'AVOIR condamné à payer à la société Intrum Debt Finance AG (anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Finance AG), venant aux droits de la société Crédit Lyonnais, dans la limite de 281.116,90 €, la somme de 114.613,54 € avec intérêts au taux légal du 8 janvier 2016 et capitalisés, année et par année et pour la première fois le 9 janvier 2017 ;

ALORS QUE la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que tel est le cas lorsque, dans le cadre de la cession du fonds de commerce exploité par le débiteur cautionné placé en procédure collective, le créancier passe un accord avec le cessionnaire pour renoncer au nantissement qui lui avait été consenti sur le fonds ; qu'au cas d'espèce, dès lors qu'elle constatait que le Crédit Lyonnais avait donné son accord pour renoncer au nantissement sur le fonds de commerce dans le cadre de la cession de ce dernier, actée par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 23 décembre 2014 rendu dans le cadre de la procédure collective affectant la société Tasc'co, la perte du nantissement devait être considérée comme le fait exclusif du créancier, sans qu'importe la circonstance qu'un seul repreneur s'était manifesté et qu'il en avait fait une condition de son engagement ; qu'en décidant le contraire, et en refusant en conséquence la décharge de la caution, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 642-12, alinéa 4, du code de commerce.

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