5 October 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.409

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00573

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Vérification et admission des créances - Admission - Instance introduite devant la juridiction compétente par une partie sur invitation du juge-commissaire - Délai d'un mois - Arbitrage - Cour internationale d'arbitrage - Saisine - Demande d'arbitrage reçue auprès du secrétariat - Forclusion (non)

Il résulte des articles 4-1 et 4-2 du règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage que lorsqu'une partie entend avoir recours à l'arbitrage selon ce règlement, elle doit soumettre sa demande d'arbitrage au secrétariat, laquelle doit organiser l'arbitrage. Dès lors, une cour d'appel a retenu à bon droit que le délai d'un mois prévu par l'article R. 624-5 du code de commerce était respecté, dès lors que le secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage avait reçu dans le délai la demande d'arbitrage par la personne désignée par le juge-commissaire et en a déduit exactement que la partie désignée n'est pas forclose

ARBITRAGE - Arbitrage international - Arbitrage institutionnel - Cour internationale d'arbitrage - Saisine - Détermination


ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Vérification et admission des créances - Admission - Instance introduite devant la juridiction compétente par une partie sur invitation du juge-commissaire - Mise en cause des deux autres parties - Nécessité

Si l'indivisibilité de la procédure introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire en application de l'article R. 624-5 impose à la partie qui saisit le juge compétent de mettre en cause les deux autres parties à cette procédure devant ce juge, afin de rendre cette instance opposable à la procédure collective, cette partie, qui a la faculté d'appeler les parties omises après l'expiration de ce délai, n'est pas forclose si la juridiction est saisie dans le délai légal

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 octobre 2022




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 573 FS-B

Pourvoi n° W 20-22.409




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 OCTOBRE 2022

1°/ La société Vergnet, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Villa Florek, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [H] [C], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Vergnet,

ont formé le pourvoi n° W 20-22.409 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre commerciale, économique et financière), dans le litige les opposant à la société Hydro Construction & Eng Co Ltd, dont le siège est [Adresse 3] (Éthiopie), défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de la société Vergnet et de la société Villa Florek, ès qualités, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Hydro Construction & Eng Co Ltd, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vaissette, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 5 novembre 2020), dans le cadre d'un projet de construction d'un parc éolien en Ethiopie, la société Vergnet a conclu en 2009 avec la société éthiopienne Hydro Construction & Eng Co Ltd (la société Hydro) un contrat lui confiant la réalisation de travaux de forage et d'étanchéité. Ce contrat prévoyait en cas de litige le recours à la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale (CCI), en son siège de Genève.

2. La société Vergnet ayant décidé de résilier par anticipation le contrat, la société Hydro, pour résoudre le conflit, a déposé une demande d'arbitrage le 18 avril 2013 auprès du secrétariat de la CCI aux fins de désignation d'un tribunal arbitral, puis, la société Vergnet se prévalant de l'application d'une clause contractuelle, elle a demandé la suspension de la procédure pour la désignation d'un "adjudicator".

3. La société Vergnet a été mise en redressement judiciaire le 30 août 2017, la société Villa, devenue la société Villa Florek, étant désignée en qualité de mandataire judiciaire, puis de commissaire à l'exécution du plan. Le 16 novembre 2017, la société Hydro a déclaré au passif une créance au titre d'une indemnité de résiliation du marché, qui a été contestée par la société débitrice. Par une ordonnance du 12 septembre 2018, le juge-commissaire a « renvoyé la société Hydro à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance, conformément aux dispositions de l'article R. 624-5 du code de commerce ». L'ordonnance a été notifiée le 24 septembre 2018 à la société Hydro.

4. Le 10 octobre 2018, la société Hydro a demandé au secrétariat de la CCI la reprise de la procédure d'arbitrage. L'arbitre unique a été désigné le 28 novembre 2018.

5. Par ordonnance du 2 octobre 2019, le juge-commissaire, saisi par la société Vergnet, a prononcé la forclusion de la société Hydro et, en conséquence, rejeté sa créance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société Vergnet et son mandataire judiciaire font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir déclarer forclose la société Hydro, alors :

« 1°/ qu'en matière d'admission des créances, lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion, à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte ; que lorsque la juridiction compétente est une juridiction arbitrale, celle-ci n'est saisie de la contestation qu'à compter de la date à laquelle elle est constituée, c'est-à-dire à partir de l'acceptation par le ou les arbitres de leur mission ; qu'en décidant néanmoins que la demande de la société Hydro n'était pas atteinte de forclusion, motif pris qu'elle avait demandé au secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage la désignation d'un arbitre dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance le 18 septembre 2018, après avoir pourtant constaté que le Tribunal arbitral n'avait été constitué que le 28 novembre 2018, soit après l'expiration de ce délai, la cour d'appel a violé l'article R. 624-5 du code de commerce, ensemble les articles 1506 et 1456 du code de procédure civile, et 4.2 du règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale ;

2°/ qu'en matière d'admission des créances, lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion, à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte, peu important que l'acte de notification de cette ordonnance ne mentionne pas que ce délai d'un mois s'impose à peine de forclusion ; qu'en décidant néanmoins que la demande de la société Hydro Construction & Eng Co Ltd n'était pas atteinte de forclusion, aux motifs inopérants que l'ordonnance du 12 septembre 2018 ne mentionnait pas que la juridiction compétente devait être saisie dans le délai imparti à peine de forclusion et que les parties n'avaient pas non plus été avisées de cette sanction lors de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, la cour d'appel a violé les articles L. 624-2 et L. 631-18 du code de commerce, ensemble les articles R. 624-5 et R. 631-28 du même code ;

3°/ que l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'il en résulte que la partie ayant déclaré sa créance, qui saisit le juge compétent afin de voir reconnaître celle-ci, doit mettre en cause les organes de la procédure collective devant ce juge ; qu'en décidant néanmoins que la société Hydro Construction & Eng Co Ltd n'était pas forclose en sa demande d'admission d'une créance au passif du redressement judiciaire, motif pris que si le mandataire judiciaire n'avait pas été mis en cause devant la juridiction arbitrale, cette fin de non-recevoir n'était pas de nature à rendre irrégulière la saisine, dans le délai d'un mois, de la Cour internationale d'arbitrage et de priver cette saisine de son effet interruptif, bien que la procédure arbitrale n'ait pas été opposable à la société Villa Florek, ès qualités, à défaut d'avoir été mise en cause par la société Hydro Construction & Eng Co Ltd devant la juridiction arbitrale, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21 et L. 631-14 du code de commerce, ensemble les articles R. 624-5 et R. 631-28 du même code. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, il résulte des articles 4-1 et 4-2 du règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage que lorsqu'une partie désire avoir recours à l'arbitrage selon ce règlement, elle doit soumettre sa demande d'arbitrage au secrétariat, dont la date de réception est considérée être celle d'introduction de l'arbitrage.

8. Ayant retenu à bon droit que c'est la Cour internationale d'arbitrage elle-même qui devait être saisie dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 624-5 du code de commerce, la société Hydro n'ayant pas le pouvoir de désigner directement l'arbitre, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Hydro, qui avait sollicité du secrétaire général de la Cour internationale d'arbitrage de reprendre le cours de la procédure d'arbitrage dans le délai légal, n'était pas forclose.

9. En second lieu, si l'indivisibilité de la procédure introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire impose à la partie qui saisit le juge compétent de mettre en cause les deux autres parties à cette procédure devant ce juge, cette partie, dès lors qu'elle a saisi la juridiction compétente dans le délai de l'article R. 624-5, n'est pas forclose, ayant la faculté d'appeler les parties omises après l'expiration de ce délai. C'est donc en vain qu'est invoquée par la troisième branche, l'inopposabilité de la créance contre un arrêt qui ne pouvait se prononcer que sur la forclusion du créancier.

10. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche pour critiquer des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Vergnet et la société Villa Florek, en qualité de mandataire judiciaire de cette dernière, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vergnet et la société Villa Florek, ès qualités, et condamne la société Vergnet à payer à la société Hydro Construction & Eng Co Ltd la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du cinq octobre deux mille vingt-deux et signé par Mme Vaissette, conseiller doyen, en remplacement de Mme Mouillard, président, empêché, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Vergnet et la société Villa Florek, en la personne de M. [H] [C], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Vergnet.

La Société VERGNET et la Société VILLA FLOREK, ès qualités de mandataire au redressement judiciaire de la Société VERGNET, FONT GRIEF à l'arrêt attaqué de les avoir déboutées de leur demande tendant à voir juger, sur le fondement de l'article R. 624-5 du Code de commerce, que la Société HYDRO CONSTRUCTION & ENG CO LTD était forclose en sa demande d'admission d'une créance au passif du redressement judiciaire de la Société VERGNET et d'avoir, en conséquence, renvoyé les parties devant le juge-commissaire aux fins de poursuite de la procédure de fixation de la créance de cette dernière au passif du redressement judiciaire ;

1°) ALORS QU'en matière d'admission des créances, lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion, à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte ; que lorsque la juridiction compétente est une juridiction arbitrale, celle-ci n'est saisie de la contestation qu'à compter de la date à laquelle elle est constituée, c'est-à-dire à partir de l'acceptation par le ou les arbitres de leur mission ; qu'en décidant néanmoins que la demande de la Société HYDRO CONSTRUCTION & ENG CO LTD n'était pas atteinte de forclusion, motif pris qu'elle avait demandé au secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage la désignation d'un arbitre dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance le 18 septembre 2018, après avoir pourtant constaté que le Tribunal arbitral n'avait été constitué que le 28 novembre 2018, soit après l'expiration de ce délai, la Cour d'appel a violé l'article R. 624-5 du Code de commerce, ensemble les articles 1506 et 1456 du Code de procédure civile, et 4.2 du règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale ;

2°) ALORS QU'en matière d'admission des créances, lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion, à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte, peu important que l'acte de notification de cette ordonnance ne mentionne pas que ce délai d'un mois s'impose à peine de forclusion ; qu'en décidant néanmoins que la demande de la Société HYDRO CONSTRUCTION & ENG CO LTD n'était pas atteinte de forclusion, aux motifs inopérants que l'ordonnance du 12 septembre 2018 ne mentionnait pas que la juridiction compétente devait être saisie dans le délai imparti à peine de forclusion et que les parties n'avaient pas non plus été avisées de cette sanction lors de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, la Cour d'appel a violé les articles L. 624-2 et L. 631-18 du Code de commerce, ensemble les articles R. 624-5 et R. 631-28 du même code ;

3°) ALORS QUE l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'il en résulte que la partie ayant déclaré sa créance, qui saisit le juge compétent afin de voir reconnaître celle-ci, doit mettre en cause les organes de la procédure collective devant ce juge ; qu'en décidant néanmoins que la Société HYDRO CONSTRUCTION & ENG CO LTD n'était pas forclose en sa demande d'admission d'une créance au passif du redressement judiciaire, motif pris que si le mandataire judiciaire n'avait pas été mis en cause devant la juridiction arbitrale, cette fin de non-recevoir n'était pas de nature à rendre irrégulière la saisine, dans le délai d'un mois, de la Cour internationale d'arbitrage et de priver cette saisine de son effet interruptif, bien que la procédure arbitrale n'ait pas été opposable à la Société VILLA FLOREK, ès qualités, à défaut d'avoir été mise en cause par la Société HYDRO CONSTRUCTION & ENG CO LTD devant la juridiction arbitrale, la Cour d'appel a violé les articles L. 622-21 et L. 631-14 du Code de commerce, ensemble les articles R. 624-5 et R. 631-28 du même code.

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