7 September 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-84.322

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01045

Titres et sommaires

CONFISCATION - Instrument du délit ou chose produite par le délit - Propriété d'un tiers - Objet susceptible de restitution - Détenteur de bonne foi - Voies de recours - Droits de la défense - Détermination

Il résulte des articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1 du Protocole additionnel n° 1 à celle-ci que toute personne dont le titre est connu ou qui a revendiqué cette qualité pendant la procédure a droit à ce que sa cause soit entendue par une juridiction ordonnant la confiscation d'un bien dont elle est propriétaire ou dont elle revendique la propriété. Il résulte de l'article 131-21 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable à compter du 31 décembre 2021, que lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne, dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure, n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'elle revendique et sa bonne foi. Pour tenir compte des décisions rendues tant par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 16 avril 2019, Bokova c. Russie, n° 27879/13, § 55 ; CEDH, arrêt du 10 avril 2012, Silickiene c. Lituanie, n° 20496/02, § 50), que par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 14 janvier 2021, OM, C-393/19, § 61), les personnes dont le titre est connu ou qui ont réclamé cette qualité au cours de la procédure sont recevables à interjeter appel ou à former un pourvoi en cassation contre la décision ordonnant la confiscation d'un bien leur appartenant. Outre ce droit à exercer un recours contre la décision de confiscation, la personne propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure et qui est convoquée conformément aux dispositions de l'article 131-21 susvisées, bénéficie des droits suivants. D'une part, si l'article D. 45-2-1 du code de procédure pénale, qui complète l'article 131-21 du code pénal, prévoit que la personne concernée a le droit de présenter elle-même ou par un avocat ses observations à l'audience, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne qu'elle a le droit également de bénéficier de l'assistance d'un avocat tout au long de la procédure, en première instance comme en appel ou en cassation. D'autre part, la juridiction correctionnelle qui statue sur la mesure de confiscation est tenue de s'assurer que lui ont été communiqués en temps utile outre les procès-verbaux de saisie, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l'ordonnance et les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires. Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui ordonne à l'encontre de la prévenue des mesures de confiscations de biens appartenant à des personnes morales qui n'ont pas été mises en mesure de présenter leurs observations au cours des débats

Texte de la décision

N° P 21-84.322 FS-B

N° 01045


MAS2
7 SEPTEMBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022






Mme [X] [P], d'une part, et les sociétés [8], [5], [10] et [4], [6] et l'[7], parties intervenantes, d'autre part, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 30 juin 2021, qui, pour aide à l'entrée et au séjour irrégulier, association de malfaiteurs, complicité d'obtention frauduleuse de document administratif, escroquerie et blanchiment, a condamné la première à trois ans d'emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d'amende et a ordonné une mesure de confiscation.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.


Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [X] [P], des sociétés [8], [5], [10] et [4], de [6] et de [7], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [X] [P], qui dirige trois établissements d'enseignement privé, [6] ([6]), association créée en 2011, l'[7] ([7]), société créée en août 2005, et le [2] ([2]), association créée le 18 février 2011, tous situés à la même adresse à [Localité 11], a été mise en cause comme étant l'organisatrice, au travers de ces établissements, d'une filière chinoise d'aide au séjour irrégulier en permettant à des ressortissants chinois de s'inscrire dans les écoles aux fins d'obtention du renouvellement de leur titre de séjour d'un an en qualité d'étudiant sur le territoire français moyennant des frais d'inscription d'un montant de 3 000 euros pour une formation purement fictive.

3. Par ailleurs, l'enquête puis l'information ouverte sur les agissements de l'intéressée ont permis de recueillir des éléments tendant à établir qu'elle aurait commis le délit d'escroquerie en présentant faussement l'[6] comme étant un organisme collecteur de la taxe d'apprentissage due par les entreprises, ce qui lui a permis de récupérer une somme de plus de 700 000 euros sur laquelle elle n'a reversé que la somme de 288 000 euros.

4. Les trois écoles utilisent des locaux loués à la société civile immobilière (SCI) [8] créée en 2005, dont les parts sont détenues par Mme [P], son frère M. [R] [P] et le fils de ce dernier, M. [H] [P].

5. Mme [P] est aussi propriétaire de trois autres SCI dont elle possède quatre-vingt-dix-neuf parts sur cent : la SCI [10], créée en 2010, propriétaire d'un débarras, d'un hangar et d'une remise situés à [Localité 12] et acquis pour un montant de 250 000 euros, la SCI [4], créée en 2011,
propriétaire d'un appartement situé à [Localité 11], acquis pour un montant de 775 000 euros et la SCI [5], créée en 2010, propriétaire d'une maison située à [Localité 11] d'une valeur de 800 000 euros qui a servi à loger les étudiants des écoles.

6. Au terme des investigations, il a été procédé le 11 juin 2013 à l'interpellation de six personnes qui ont été mises en examen et renvoyées devant le tribunal. Pour sa part, Mme [P] a été renvoyée devant le tribunal des chefs susvisés, et notamment, du chef d'aide au séjour irrégulier, pour avoir à [Localité 9] courant 2012 et jusqu'au 11 juin 2013, en procédant à l'inscription de ressortissants chinois dans des écoles dont elle était gérante de droit ou de fait ou trésorière, en percevant pour ce faire des rémunérations illicites et non déclarées, en ne dispensant pas les cours nécessaires à la validation des inscriptions ou en présentant les démarches à suivre après inscription comme de simples formalités administratives aux fins d'obtention d'un titre de séjour sur le territoire français, facilité le séjour irrégulier en France de plusieurs dizaines de ressortissants chinois, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée.

7. Par jugement en date du 19 mai 2017, le tribunal correctionnel a relaxé Mme [P] des chefs d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier, de complicité d'obtention indue de documents administratifs et de faux et usage, a requalifié les faits d'escroquerie en bande organisée et de blanchiment en bande organisée en escroquerie et blanchiment, et par voie de conséquence le délit d'association de malfaiteurs, l'a déclarée coupable de ces délits, l'a condamnée à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 100 000 euros d'amende et a ordonné la confiscation de l'ensemble des biens saisis dont les immeubles appartenant aux sociétés [4] et [8] et a ordonné la restitution des sommes saisies sur les comptes bancaires des sociétés [5], [10] et [4] et de la somme de 208 000 euros découverte dans un coffre au nom du neveu de Mme [P].

8. Mme [P], la société [8], à titre principal, et le ministère public, dont l'appel est dirigé contre la seule Mme [P], ont relevé appel de cette décision.





Examen de la recevabilité des pourvois formés par les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7]


9. Les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7] n'étaient pas parties à la procédure au cours de laquelle des biens leur appartenant ont été saisis.

10. Ces structures, même si les trois premières ont toutefois obtenu la restitution, par le tribunal correctionnel, des fonds figurant au crédit des trois comptes dont elles sont titulaires, n'ont pas été intimées devant la cour d'appel qui a ordonné des mesures de confiscation concernant des biens dont elles sont propriétaires.

11. Le Conseil constitutionnel a jugé non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 131-21 du code pénal prévoyant la confiscation des biens dont la personne condamnée a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, après avoir relevé que ni ces dispositions ni aucune autre disposition ne prévoient que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi (Cons. Const., 23 avril 2021, décision n° 2021-899 QPC ; Cons. Const., 23 septembre 2021, décision n° 2021-932 QPC ; Cons. Const., 24 novembre 2021, décision n° 2021-949/950 QPC).

12. Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, d'une part, reporté au 31 mars 2022 la date de l'abrogation des dispositions contestées, d'autre part, décidé que les mesures prises avant la publication de la décision précitée ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

13. L'article 51 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable à compter du 31 décembre 2021, a complété l'article 131-21 du code pénal par un dernier alinéa qui prévoit que lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels un tiers autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si ce tiers dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi.




14. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'en vertu des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention, les personnes dont les biens sont menacés de confiscation doivent se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation peut être ordonnée (CEDH, arrêt du 16 avril 2019, Bokova c. Russie, n° 27879/13, § 55 ; CEDH, arrêt du 10 avril 2012, Silickiene c. Lituanie, n° 20496/02, § 50).

15. Pour sa part, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée à deux reprises sur des mesures de confiscation de biens appartenant à des tiers. Dans une première décision du 14 janvier 2021 (CJUE, arrêt du 14 janvier 2021, OM, C-393/19, § 1) elle a dit pour droit que, d'une part, l'article 2, § 1, de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, lu à la lumière de l'article 17, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation d'un instrument utilisé pour commettre une infraction de contrebande qualifiée, lorsque celui-ci appartient à un tiers de bonne foi, d'autre part, l'article 4 de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, dans le cadre d'une procédure pénale, d'un bien appartenant à une personne autre que celle qui a commis l'infraction pénale, sans que cette première personne dispose d'une voie de recours effective. Dans une décision du 21 octobre 2021 (CJUE, arrêt du 21 octobre 2021, C-845/19 et C-863/19), elle a dit pour droit, notamment, que l'article 8, §§ 1, 7 et 9, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, lu en combinaison avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, au profit de l'État, d'un bien dont il est allégué qu'il appartient à une personne différente de l'auteur de l'infraction pénale, sans que cette personne ait la faculté de se constituer partie à la procédure de confiscation.

16. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les personnes dont le titre est connu ou qui ont réclamé cette qualité au cours de la procédure sont recevables à interjeter appel ou à former un pourvoi en cassation contre la décision ordonnant la confiscation d'un bien leur appartenant.

17. En conséquence, il convient de déclarer recevables les pourvois formés par les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7].


Examen des moyens

Sur les premier, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens proposés pour Mme [P] et le moyen proposé pour la société [8]

18. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen proposé pour Mme [P]

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [P] coupable du délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger en France, alors :

« 1°/ que le délit d'aide au séjour irrégulier exige, à titre de condition préalable, que la personne étrangère se trouve en situation irrégulière sur le sol français ; qu'il s'ensuit que ce délit ne peut être constitué lorsque la personne étrangère séjourne régulièrement sur le territoire français au moment où l'aide lui est apportée ; que, dès lors, en retenant que la prévenue s'est rendue coupable de ce délit en fournissant, en connaissance de cause, de faux documents à des étudiants étrangers en situation régulière afin de leur permettre d'obtenir le renouvellement de leur titre de séjour qui venait à expiration, la cour d'appel a violé l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, devenu l'article L.823-1 du même code ;

2°/ que le délit d'aide au séjour irrégulier exige, pour être caractérisé, que l'auteur des faits ait connaissance de l'irrégularité de la situation de la personne étrangère au moment où il lui apporte de l'aide ; que, dès lors, en entrant en voie de condamnation, sans constater que la prévenue, qui soutenait que les étudiants étrangers avaient justifié, lors leur inscription, être titulaires d'un titre de séjour en cours de validité, avait connaissance de l'irrégularité de leur situation au moment de la remise des documents litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, devenu l'article L. 823-1 du même code. »







Réponse de la Cour

20. Pour déclarer Mme [P] coupable du délit d'aide au séjour irrégulier, l'arrêt attaqué relève que les investigations ont permis d'établir qu'avant leur inscription, les étudiants avaient suivi une formation préalable dans d'autres établissements, étaient titulaires d'un titre de séjour en cours de validité et séjournaient régulièrement sur le territoire national, que la thèse de la défense selon laquelle l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ne permettrait pas de poursuivre l'aide apportée à un étranger en situation régulière qui obtient le renouvellement de son titre de séjour grâce à de faux documents, vide les dispositions susvisées d'une partie de leur contenu et confond la notion d'entrée, qui n'est effective que lorsque l'étranger pénètre sur le territoire national et ne bénéficie donc à la date de son entrée d'aucun droit à un séjour, avec celle de séjour qui implique nécessairement une résidence continue sur le territoire national, l'article L. 622-1 visant ces deux situations sans poser comme condition exonératoire l'existence d'un séjour régulier antérieur, et qu'il en résulte que celui qui permet à un étranger de demeurer sur le territoire national, alors qu'il a connaissance de l'expiration de son titre de séjour régulier, et qui lui fournit, en toute connaissance de cause, des documents nécessaires pour lui permettre de bénéficier d'un titre de séjour qu'il n'obtiendrait pas sans ces faux documents, contrevient aux dispositions de l'article précité.

21. Ils retiennent que cette connaissance du caractère temporaire des titres de séjour remis lors de l'inscription et de la nécessité de donner aux étudiants de faux documents pour leur permettre de se maintenir sur le territoire, est établie par les pièces de la procédure qui démontrent, à l'exception de deux enseignements, le BTS MUC et le FLE, le caractère fictif des formations inventées dans le seul but de collecter des frais de scolarité en échange de certificats de scolarité et de relevés de notes de complaisance, l'absence de cours et le caractère simulé des examens résultant d'une stratégie délibérée de Mme [P] qui demandait des paiements en espèces pour dissimuler le chiffre d'affaires, ce dont il résulte que l'existence de ces formations factices ne peut avoir d'autre but que de procurer des faux documents utiles au renouvellement de titres de séjour.

22. Ils relèvent ensuite que la connaissance par Mme [P] de l'emploi des faux documents par les étudiants pour obtenir des titres de séjour est établie par les écoutes téléphoniques dans lesquelles ceux-ci expriment clairement la nécessité d'obtenir de tels documents à cette fin, l'école répondant à leurs demandes en les leur remettant pour faciliter leurs démarches administratives, que le caractère mensonger des inscriptions et leur utilisation à des fins frauduleuses sont démontrés par les tentatives de dissimulation de la prévenue qui, outre le fait qu'elle écourte les conversations téléphoniques et préfère une discussion de vive voix, gère seule l'inscription des élèves et la remise des notes qui échappe aux professeurs, à qui elle ne remet même pas les feuilles de présence, ce qui lui permet de maintenir la plus grande opacité et de piloter les résultats en fonction, non des mérites, mais de sa négociation avec chacun des étudiants, que le fait qu'à la date de remise des faux documents, les étudiants soient en situation régulière ne contrevient pas aux éléments constitutifs de l'infraction, caractérisée par la fourniture à cette seule fin auxdits étudiants des faux documents afin qu'ils renouvellent leur titre de séjour.

23. La cour d'appel retient qu'il est démontré qu'à la date de la remise des faux documents, la prévenue avait connaissance de l'expiration des titres de séjour des étudiants qui sollicitent des faux relevés de notes afin de pouvoir les fournir à la préfecture dans le but de renouveler leur titre de séjour
et conclut qu'il n'y avait aucune ambiguïté pour elle sur le fait que ces documents étaient nécessaires à des étudiants qui, sans leur possession, verraient leur séjour sur le territoire français devenir irrégulier et qui les ont effectivement utilisés pour obtenir leur titre de séjour.

24. En prononçant ainsi, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, desquels il résulte que la prévenue a fourni sciemment à des étudiants étrangers des faux documents que ceux-ci ont remis à l'appui d'un dossier de demande de renouvellement de titre de séjour aux fins d'obtenir indûment un nouveau titre leur permettant ainsi de séjourner irrégulièrement sur le territoire français, peu important que ces étudiants aient été en situation régulière au moment où l'aide a été fournie, la cour d'appel a justifié sa décision.

25. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le huitième moyen proposé pour Mme [P]

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [P] aux peines de trois ans d'emprisonnement avec sursis et de 100 000 euros d'amende et a prononcé la confiscation du bien immobilier appartenant à la société [8], alors :

« 1°/ qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en se référant, dans sa décision, aux éléments qui résultent du dossier et à ceux qu'il a sollicités et recueillis lors des débats ;

qu'en l'espèce, pour condamner Mme [P] aux peines de trois ans d'emprisonnement avec sursis et de 100 000 euros d'amende et pour ordonner la confiscation du bien immobilier de la société [8] en tant qu'instrument de l'infraction, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur l'ampleur de la fraude, ses conséquences économiques, l'âge de la prévenue et l'arrêt des activités délictueuses ; qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la personnalité de la prévenue et sur sa situation matérielle, familiale et sociale, alors que celle-ci était présente à l'audience et pouvait donc répondre à toute question permettant aux juges de s'informer sur sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21, 132-1 et 132-20 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu, en se référant, dans sa décision, aux éléments qui résultent du dossier et à ceux qu'il a sollicités et recueillis lors des débats ; que, dès lors, en se fondant exclusivement, pour condamner Mme [P] au paiement d'une amende de 100 000 euros, sur le montant des gains prétendument réalisés grâce aux infractions dont elle a été déclarée coupable, sans s'expliquer sur le montant de ses charges, alors que celle-ci était présente à l'audience et pouvait donc répondre à toutes les questions des juges leur permettant d'évaluer sa situation financière, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 et 132-20 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

27. Pour condamner Mme [P] à trois ans d'emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d'amende et ordonner des mesures de confiscation, l'arrêt attaqué relève, notamment, qu'il convient de confirmer la peine d'emprisonnement qui apparaît comme la réponse la plus adéquate et à même d'éviter tout risque de récidive, compte tenu de l'ampleur de la fraude, de ses conséquences économiques tant au titre de la taxe d'apprentissage que de l'aide au séjour irrégulier de dizaines de ressortissants chinois, pour l'essentiel, que cependant, en raison de l'âge de la prévenue, de l'arrêt des écoles, et notamment des cours fictifs, cette peine peut être entièrement assortie d'un sursis, l'équilibre de la sanction nécessitant de privilégier une sanction économique en augmentant les confiscations.




28. Les juges ajoutent, s'agissant de la peine d'amende, que Mme [P] a accumulé un patrimoine tout à fait conséquent, qu'outre l'escroquerie à la taxe d'apprentissage, dont le produit est égal à 429 000 euros, l'aide aux séjours irréguliers a généré au minimum un gain de 500 000 euros, que l'[6] a transféré sans aucun motif économique aux sociétés et à l'[7] la somme de 709 000 euros provenant, à hauteur de 429 000 euros, de la fraude à la taxe d'apprentissage, et à hauteur de 280 000 euros, du délit d'aide au séjour irrégulier, ces fonds ne pouvant avoir d'autre origine, tout comme la somme de 248 000 euros retrouvée dans le coffre de Mme [P] qui privilégiait un paiement en espèces, ce dont il résulte que le produit total des infractions imputables à Mme [P] est égal à 900 000 euros au minimum et qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges quant au prononcé d'une amende de 100 000 euros, compte tenu des gains réalisés.

29. Ils retiennent, s'agissant des peines de confiscation, que la sanction patrimoniale apparaît la plus adaptée dès lors que l'enrichissement constitue la finalité des délits et que deux biens immobiliers et les sommes détenues sur les comptes bancaires des sociétés et des écoles ont fait l'objet d'ordonnances de saisie pénale au profit de l'AGRASC.

30. Ils relèvent que si Mme [P] n'est effectivement actionnaire de la société [8] qu'à hauteur de 13 %, elle en a la libre disposition dès lors que les locaux de cette société sont loués aux trois écoles dont Mme [P], gérante, détermine seule l'utilisation de l'actif social, sans aucun contrôle de la régularité des baux dont elle est à la fois le bailleur et le preneur, que Mme [P] gère la société [8] dans son seul intérêt, en lui permettant de percevoir 543 500 euros de loyers de l'[6] en l'absence de tout contrat de bail, et en admettant que l'[7] et le [2] ne règlent que partiellement les loyers dus, ce qui démontre que les paiements par les écoles correspondent au reversement des sommes captées par les fraudes, que Mme [P] utilise l'argent de la société [8] pour ses besoins personnels en versant, sans contrepartie, les fonds de celle-ci aux autres sociétés qui lui appartiennent exclusivement, que la société [8] lui a également versé la somme de 341 000 euros alors qu'elle ne détient que 13 % des parts et qu'il n'est ni soutenu ni démontré que ce versement en sa faveur correspondrait à une distribution de dividendes et que cette société apparaît donc comme l'outil de transfert des fonds collectés par la fraude reversés directement ou indirectement par les trois sociétés à la prévenue qui en a donc la libre disposition.

31. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

32. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le neuvième moyen proposé pour Mme [P]

Enoncé du moyen

33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation des fonds inscrits au crédit des deux contrats d'assurance-vie dont Mme [P] est titulaire et des sommes inscrites au crédit des comptes détenus par les sociétés [5], [10], [4], l'[7] et l'[6], alors :

« 1°/ que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en ordonnant la confiscation des sommes inscrites sur les comptes bancaires des sociétés [5], [10], [4] et de l'[7], lorsque le tribunal correctionnel avait ordonné la restitution de ces fonds à ces sociétés et que le ministère public a interjeté appel incident contre Mme [P], la cour d'appel a violé les articles 500, 502, 509 et 515 du code de procédure pénale ;

2°/ que les juges qui prononcent la confiscation d'un bien en tant que produit direct ou indirect de l'infraction doivent établir l'origine frauduleuse de ce bien ; qu'en se bornant à énoncer, pour confirmer la confiscation des deux contrats d'assurance-vie pour des montants respectifs de 398 735 euros et de 116 047 euros, soit un montant total de 514 782 euros, que ces fonds sont « le produit direct de la fraude », sans mieux s'expliquer sur leur origine, alors que la prévenue soutenait qu'il ressortait du rapport d'expertise-comptable versé aux débats que « les apports financiers sur ces assurances ont principalement été réalisés en 2010 » et que ce rapport indique que les apports initiaux effectués en juin 2010 s'élèvent à 400 000 euros, ce dont il se déduisait qu'à hauteur de ce montant, les sommes inscrites sur ces assurances vie ne pouvaient provenir ni du délit d'aide au séjour irrégulier poursuivi commis « courant 2012 et 2013 », ni intégralement du délit l'escroquerie poursuivie, évalué par les juges d'appel à la somme totale de 429 313 euros pour une période comprise « entre courant 2010 et le 11 juin 2013 », la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512, 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que les juges qui prononcent la confiscation d'un bien en tant que produit direct ou indirect de l'infraction doivent établir l'origine frauduleuse de ce bien ; qu'en l'espèce, pour infirmer la restitution des sommes saisies sur les comptes des sociétés [5], [10] et [4] et en ordonner la confiscation, la cour d'appel a énoncé que ces sommes étaient « également le produit de la fraude, puisque les sommes reçues sont supérieures aux sommes confisquées

(38 774,39 euros confisqués pour la SCI [5] qui a reçu 86 000 euros, 2 949,17 euros contre 45 000 euros pour la société [10] et 16 923,14 euros pour la SCI [4] qui a reçu 240 000 euros de la SCI [8] » ; qu'en l'état de ces motifs qui n'établissent pas que les sommes confisquées proviennent des délits dont la prévenue a été déclarée coupable, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512, 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'enfin, il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ; qu'en se bornant à affirmer, pour confirmer la confiscation de la somme de 8 593,27 euros inscrite au crédit d'un compte bancaire dont l'[7] est titulaire, que cette somme est « le support du délit d'aide au séjour irrégulier », sans mieux s'expliquer sur le fondement de cette mesure de confiscation et sur l'origine de ces fonds, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512, 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

34. Il résulte des pièces de procédure, et plus précisément de l'acte d'appel du ministère public, que celui-ci a interjeté appel des dispositions pénales du jugement ayant condamné Mme [P] à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 100 000 euros d'amende et ayant ordonné, à titre de peine complémentaire, la confiscation de l'objet de l'infraction et celle du produit de l'infraction, l'acte précisant que l'appel est dirigé contre Mme [P].

35. La cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution des sommes saisies sur les comptes des trois sociétés, qui sont également le produit de la fraude.

36. En prononçant ainsi, et dès lors que l'acte d'appel du ministère public inclut nécessairement l'appel des peines prononcées à l'encontre de Mme [P], y compris dans les limitations qui y ont été apportées par les restitutions ordonnées par le jugement, la cour d'appel a justifié sa décision.

37. D'où il suit que le grief doit être écarté.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

38. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

39. Pour ordonner la confiscation des deux contrats d'assurance-vie dont la prévenue est titulaire pour des montants respectifs de 398 735 euros et de 116 047 euros, l'arrêt énonce que le produit des délits a été estimé à 900 000 euros et qu'il a été mouvementé sur les comptes des sociétés et sur ceux de l'[6] et de l'[7] et au final sur les comptes de la prévenue, ces sommes étant directement confiscables sur ce fondement.

40. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la demanderesse qui faisait valoir que les sommes figurant sur ces contrats avaient été versées en 2010, soit antérieurement à la date des faits, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

41. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.

Et sur les premier et second moyens proposés pour les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7]

Enoncé des moyens

42. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la confiscation du solde de la somme de 108 163,36 euros sur le compte bancaire et le livret A de l'[6] ouverts à la [1], de la somme de 38 774,39 euros saisie sur le compte bancaire de la société [5] ouvert à la [13], de la somme de 12 949,12 euros saisie sur le compte bancaire de la société [10] ouvert à la [13], de la somme de 16 923,14 euros saisie sur le compte bancaire de la société [4] ouvert à la [13] et de la somme de 8 593,27 euros saisie sur le compte bancaire de l'[7] ouvert au [3], alors :








« 1°/ que les personnes dont les biens sont menacés de confiscation doivent se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation peut être ordonnée ; qu'en prononçant la confiscation de sommes d'argent appartenant à l'[6], aux sociétés [5], [10], [4] et à l'[7] en tant que produit des infractions dont elle déclarait Mme [P] coupable, lorsque ces sociétés, qui n'ont pas été citées à comparaître et ne sont pas intervenues volontairement à l'instance, n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations et de contester effectivement cette peine affectant leur droit de propriété, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à cette Convention, ensemble l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

2°/ qu'il résulte des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 du 24 février 2005, et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, lus à la lumière des considérants 33 et 38 de cette directive et des articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que le tiers propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée doit se voir offrir la possibilité de présenter ses observations sur la mesure de confiscation affectant son droit de propriété et disposer d'une voie de recours effective à l'encontre de celle-ci ; que, dès lors, en prononçant la confiscation de sommes d'argent appartenant à l'[6], aux sociétés [5], [10], [4] et à l'[7] en tant que produit des infractions dont elle déclarait Mme [P] coupable, lorsque ces sociétés, qui n'ont pas été citées à comparaître et ne sont pas intervenues volontairement à l'instance, n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations et de contester effectivement cette peine affectant leur droit de propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

3°/ qu'enfin, conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, en cas de doute sur l'interprétation des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 du 24 février 2005, et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, il appartiendra à la Cour de cassation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle qui pourrait être ainsi rédigée : « les articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 du 24 février 2005, et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, lus à la lumière des considérants 33 et 38 de cette directive et des articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui autorise les juridictions répressives internes à prononcer une peine de confiscation portant sur un bien dont le condamné a la libre disposition, sans avoir préalablement recueilli les observations du tiers propriétaire de ce bien ? ». »

43. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la confiscation du solde de la somme de 108 163,36 euros sur le compte bancaire et le livret A de l'[6] ouverts à la [1], de la somme de 38 774,39 euros saisie sur le compte bancaire de la société [5] ouvert à la [13], de la somme de 12 949,12 euros saisie sur le compte bancaire de la société [10] ouvert à la [13], de la somme de 16 923,14 euros saisie sur le compte bancaire de la société [4] ouvert à la [13] et de la somme de 8 593,27 euros saisie sur le compte bancaire de l'[7] ouvert au [3], alors « que les droits du propriétaire de bonne foi doivent être réservés, même lorsque le bien constitue le produit direct ou indirect de l'infraction ; qu'en prononçant la confiscation de sommes inscrites au crédit des comptes bancaires détenus par l'[6], les sociétés [5], [10], [4] et l'IBSCP en tant que produit des infractions dont elle déclarait Mme [P] coupable, sans constater la mauvaise foi de ces sociétés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 131-21, alinéa 3, du code pénal et de l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014. »

Réponse de la Cour

44. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention et 131-21 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable à compter du 31 décembre 2021 :

45. Il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne dont le titre est connu ou qui a revendiqué cette qualité pendant la procédure a droit à ce que sa cause soit entendue par une juridiction ordonnant la confiscation d'un bien dont elle est propriétaire ou dont elle revendique la propriété.

46. Il résulte du quatrième de ces textes que lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'elle revendique et sa bonne foi.





47. Pour tenir compte des décisions rendues tant par la Cour européenne des droits de l'homme que par la Cour de justice de l'Union européenne rappelées aux paragraphes 14 et 15 du présent arrêt, outre le droit à exercer un recours contre la décision de confiscation consacré au paragraphe 16 de ce même arrêt, la personne propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée, dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure et qui est convoquée conformément aux dispositions de l'article 131-21 susvisées, bénéficie des droits suivants.

48. D'une part, si l'article D. 45-2-1 du code de procédure pénale, qui complète l'article 131-21 du code pénal, prévoit que la personne concernée a le droit de présenter elle-même ou par un avocat ses observations à l'audience, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne qu'elle a le droit également de bénéficier de l'assistance d'un avocat tout au long de la procédure, en première instance comme en appel ou en cassation.

49. D'autre part, la juridiction correctionnelle qui statue sur la mesure de confiscation est tenue de s'assurer que lui ont été communiqués en temps utile outre les procès-verbaux de saisie, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l'ordonnance et les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.

50. Pour ordonner la confiscation des comptes bancaires des sociétés [5], [4] et [10] et de l'[6] et de l'[7], l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris aux paragraphes 29 et 30 du présent arrêt.

51. Toutefois, la peine de confiscation ordonnée à l'encontre des biens dont sont propriétaires les sociétés [5], [4] et [10] et l'[6] et l'[7] a été prononcée sans que les demandeurs, ainsi que l'exige le dernier alinéa de l'article 131-21 du code pénal, issu de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable au 31 décembre 2021, aient été mis en mesure de présenter leurs observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'ils revendiquent et leur bonne foi.

52. Si la cour d'appel n'encourt aucune censure pour avoir statué comme elle l'a fait au jour de sa décision, aucune disposition ne lui imposant d'entendre les observations des propriétaires des biens dont elle a ordonné la confiscation, l'arrêt attaqué doit cependant être annulé afin qu'il soit prononcé sur la peine de confiscation portant sur des biens dont sont propriétaires les sociétés [5], [4] et [10], l'[6] et l'[7] au regard des nouvelles dispositions de l'article 131-21 du code pénal, dans les conditions énoncées aux paragraphes 47 à 49 ci-dessus.

53. L'annulation est par conséquent encourue.

Portée et conséquence de la cassation

54. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de Mme [P], les dispositions sur la culpabilité sont définitives.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le dixième moyen de cassation proposé pour Mme [P], la Cour :

DÉCLARE RECEVABLES les pourvois des sociétés [5], [10] et [4], de [6] et de [7] ;

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 juin 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de Mme [P], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux.

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