7 September 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.118

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100610

Titres et sommaires

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Recours en annulation - Cas - Contrariété à l'ordre public international - Existence - Recherche - Obstacle - Exclusion - Attitude des parties devant l'arbitre

Le respect de l'ordre public international de fond ne peut être conditionné par l'attitude d'une partie devant l'arbitre


ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Recours en annulation - Cas - Contrariété à l'ordre public international - Existence - Recherche - Pouvoirs des juges

Si la mission d'une cour d'appel, saisie en vertu de l'article 1520 du code de procédure civile, est limitée à l'examen des vices que celui-ci énumère, aucune limitation n'est apportée à son pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question. Il s'ensuit que, saisie d'un moyen tiré de ce que la reconnaissance ou l'exécution d'une sentence heurterait l'ordre public international en ce que la transaction qu'elle homologuait avait été obtenue par corruption, une cour d'appel vérifie à bon droit la réalité de cette allégation en examinant l'ensemble des pièces produites à son soutien, peu important que celles-ci n'aient pas été précédemment soumises aux arbitres

Texte de la décision

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 septembre 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 610 FS-B

Pourvoi n° E 20-22.118




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022

La Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 20-22.118 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant à l'Etat de Libye, agissant par le Conseil judiciaire suprême, département du contentieux, section contentieux international , dont le siège est [Adresse 3]), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de l'Etat de Libye, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M.Vigneau, conseiller doyen MM. Hascher, Avel et Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2020, n° RG 18/02568), le 20 janvier 2003, le Gouvernement libyen et la Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique (Sorelec) ont conclu un accord pour fixer le montant de la créance de celle-ci et mettre fin à leur différend concernant l'exécution d'un contrat de construction.

2. Pour obtenir paiement de sa créance, la société Sorelec a engagé une procédure d'arbitrage, sous l'égide de la Chambre de commerce international (la CCI), sur le fondement du traité bilatéral de protection des investissements entre la France et la Libye. En cours d'instance, elle a sollicité l'homologation d'un protocole transactionnel. Une sentence partielle, rendue à [Localité 2], a accueilli cette demande, condamné la Libye à payer une certaine somme dans un certain délai et prévu qu'en cas de défaillance cet Etat serait tenu de payer un montant supérieur.

3. La sentence partielle n'ayant pas été exécutée dans le délai imparti, le tribunal arbitral a rendu une sentence finale condamnant la Libye au paiement de la somme majorée et répartissant les frais d'arbitrage.

4. La Libye a formé un recours en annulation de la sentence partielle.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Sorelec fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence partielle rendue à [Localité 2] le 20 décembre 2017 et de la condamner à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les parties doivent agir avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que « le respect de la conception française de l'ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse apprécier le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international alors même qu'il n'a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l'ont pas mis dans le débat » et que la circonstance « que le grief tenant à une activité de corruption est nouveau, alors qu'il aurait été possible à l'Etat de Libye d'en saisir le tribunal arbitral, ne prive pas le juge de l'annulation d'examiner si la sentence partielle qui homologue le protocole n'a pas eu pour effet de couvrir une telle activité, sans laquelle il n'aurait pas été conclu », sans rechercher , comme elle y était expressément invitée, si en s'absentant de se prévaloir d'allégations de corruption qu'ils pouvaient invoquer, d'abord entre la date de communication du protocole transactionnel au tribunal arbitral, le 22 août 2016, et la date de la sentence partielle du 20 décembre 2017, et ensuite après le dépôt de son recours en annulation contre la sentence partielle et avant que les arbitres ne statuent par sentence finale le 10 avril 2018, l'État de Libye n'avait pas ainsi agi avec déloyauté au cours de la procédure arbitrale, se privant dès lors de la possibilité de fonder son recours en annulation sur de telles allégations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1464, alinéa 3, 1506.3° et 1520.5° du code de procédure civile »

Réponse de la Cour

7. Le respect de l'ordre public international de fond ne peut être conditionné par l'attitude d'une partie devant l'arbitre.

8. La cour d'appel, devant laquelle il était allégué que l'exécution de la sentence avait pour effet de permettre à la société Sorelec de retirer les bénéfices d'un protocole transactionnel obtenu par corruption, n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante selon laquelle l'Etat libyen aurait fait preuve de déloyauté en n'invoquant pas ce grief devant les arbitres, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision de ce chef.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. La société Sorelec fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que M. [S] reconnaissait, à la date du 7 septembre 2015, que « même si le département du contentieux relevait de son ministère, et même si une transaction était approuvée par une décision prise en conseil des ministres ou autorisée par le premier ministre, il était nécessaire d'obtenir préalablement l'autorisation du département du contentieux pour qu'un représentant de l'Etat de Libye, quel qu'il soit, puisse régulièrement approuver une transaction », que « l'article 6 de la loi de 1971 qui institue le département du contentieux, prévoit que celui-ci donne à la partie administrative son avis motivé et que cette dernière ne peut contrevenir à cet avis qu'en vertu d'une décision du ministre compétent », qu'il « résulte que ce texte s'il permet au ministre compétent le cas échéant, somme le soutient Sorelec, de ne pas suivre l'avis du département du contentieux, ne l'autorise pas en revanche à ne pas solliciter son avis préalable », que « M. [S] n'a pas sollicité cet avis avant de signer le protocole » et que « l'attitude de M. [S] qui a signé le Protocole fin mars 2016, sans avoir sollicité l'avis du département du contentieux qu'il savait obligatoire et qu'il n'a communiqué que le 12 avril 2016, ce qu'il a appelé un "projet de protocole transactionnel préparé en vue de régler le différend opposant la société française Sorelec à l'Etat libyen", en dissimulant qu'il avait déjà signé le Protocole constituait un indice grave et précis d'une collusion entre Sorelec et le ministre de la justice qui a signé cet accord dans l'exercice de ses fonctions officielles, susceptible d'en tirer un avantage personnel » après avoir pourtant constaté que dans sa sentence partielle du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a notamment retenu, en application du principe de l'estoppel et de la théorie de l'apparence, que la société Sorelec pouvait légitiment croire en l'apparente légitimité du ministre de la justice du gouvernement provisoire émanant du Parlement et que devant le tribunal arbitral, l'avocat représentant l'Etat de Libye et la procédure arbitrale a soutenu que le protocole n'était pas homologué en droit interne libyen par le Département des litiges, ce dont il résultait que le tribunal arbitral avait statué sur la question de l'avis préalable du Département du contentieux, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire déjà soumise au tribunal arbitral, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°/ que le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait en se fondant sur une lettre de M. [S] du 7 septembre 2015, adressée au ministre de la justice, sur un courrier du ministre de la justice du 12 avril 2016 transmettant au président du département des contentieux le projet de protocole transactionnel, et sur une sentence arbitrale [D] rendue le 24 mai 2019, pièces qui n'ont pas été produites devant le tribunal arbitral, la cour d'appel, qui a ainsi révisé la sentence arbitrale, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile »

Réponse de la Cour

10. L'article 1520 du code de procédure civile dispose :

« Le recours en annulation n'est ouvert que si :

1° Le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent ; ou

2° Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; ou

3° Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ; ou

4° Le principe de la contradiction n'a pas été respecté ; ou

5° La reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international. »

11. Si la mission de la cour d'appel, saisie en vertu de ce texte, est limitée à l'examen des vices que celui-ci énumère, aucune limitation n'est apportée à son pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question.

12. Saisie d'un moyen tiré de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence heurterait l'ordre public international en ce que la transaction qu'elle homologuait avait été obtenue par corruption, la cour d'appel a vérifié à bon droit la réalité de cette allégation en examinant l'ensemble des pièces produites à son soutien, peu important que celles-ci n'aient pas été précédemment soumises aux arbitres.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sorelec aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Sorelec et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à l'Etat libyen ;





Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Sorelec fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence partielle rendue à Paris le 20 décembre 2017 dans l'arbitrage CCI n° 19329/MCP/DDA par le tribunal arbitral composé de MM. [L] [Z] et [C] [A], arbitres, et M. [J] [N], président, de l'avoir condamnée à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

ALORS QUE les parties doivent agir avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que « le respect de la conception française de l'ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse apprécier le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international alors même qu'il n'a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l'ont pas mis dans le débat » et que la circonstance « que le grief tenant à une activité de corruption est nouveau, alors qu'il aurait été possible à l'Etat de Libye d'en saisir le tribunal arbitral, ne prive pas le juge de l'annulation d'examiner si la sentence partielle qui homologue le protocole n'a pas eu pour effet de couvrir une telle activité, sans laquelle il n'aurait pas été conclu » (arrêt attaqué, p. 7 § 6), sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si en s'absentant de se prévaloir d'allégations de corruption qu'ils pouvaient invoquer, d'abord entre la date de communication du protocole transactionnel au tribunal arbitral, le 22 août 2016, et la date de la sentence partielle du 20 décembre 2017, et ensuite après le dépôt de son recours en annulation contre la sentence partielle et avant que les arbitres ne statuent par sentence finale le 10 avril 2018, l'État de Libye n'avait pas ainsi agi avec déloyauté au cours de la procédure arbitrale, se privant dès lors de la possibilité de fonder son recours en annulation sur de telles allégations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1464, alinéa 3, 1506.3° et 1520.5° du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

La société Sorelec fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence partielle rendue à Paris le 20 décembre 2017 dans l'arbitrage CCI n° 19329/MCP/DDA par le tribunal arbitral composé de MM. [L] [Z] et [C] [A], arbitres, et M. [J] [N], président, de l'avoir condamnée à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que M. [S] reconnaissait, à la date du 7 septembre 2015, que « même si le département du contentieux relevait de son ministère, et même si une transaction était approuvée par une décision prise en conseil des ministres ou autorisée par le premier ministre, il était nécessaire d'obtenir préalablement l'autorisation du département du contentieux pour qu'un représentant de l'Etat de Libye, quel qu'il soit, puisse régulièrement approuver une transaction » (arrêt attaqué, p. 11 § 6), que « l'article 6 de la loi de 1971 qui institue le département du contentieux, prévoit que celui-ci donne à la partie administrative son avis motivé et que cette dernière ne peut contrevenir à cet avis qu'en vertu d'une décision du ministre compétent », qu'il « résulte que ce texte s'il permet au ministre compétent le cas échéant, somme le soutient Sorelec, de ne pas suivre l'avis du département du contentieux, ne l'autorise pas en revanche à ne pas solliciter son avis préalable », que « M. [S] n'a pas sollicité cet avis avant de signer le protocole » (arrêt attaqué, p. 11, § 8) et que « l'attitude de M. [S] qui a signé le Protocole fin mars 2016, sans avoir sollicité l'avis du département du contentieux qu'il savait obligatoire et qu'il n'a communiqué que le 12 avril 2016, ce qu'il a appelé un "projet de protocole transactionnel préparé en vue de régler le différend opposant la société française Sorelec à l'Etat libyen", en dissimulant qu'il avait déjà signé le Protocole constituait un indice grave et précis d'une collusion entre Sorelec et le ministre de la justice qui a signé cet accord dans l'exercice de ses fonctions officielles, susceptible d'en tirer un avantage personnel » (arrêt attaqué, p. 12, § 1), après avoir pourtant constaté que dans sa sentence partielle du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a notamment retenu, en application du principe de l'estoppel et de la théorie de l'apparence, que la société Sorelec pouvait légitiment croire en l'apparente légitimité du ministre de la justice du gouvernement provisoire émanant du Parlement (arrêt attaqué, p. 8, § 2) et que devant le tribunal arbitral, l'avocat représentant l'Etat de Libye et la procédure arbitrale a soutenu que le protocole n'était pas homologué en droit interne libyen par le Département des litiges (arrêt attaqué, p. 9, § 1), ce dont il résultait que le tribunal arbitral avait statué sur la question de l'avis préalable du Département du contentieux, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire déjà soumise au tribunal arbitral, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait en se fondant sur une lettre de M. [S] du 7 septembre 2015, adressée au ministre de la justice, sur un courrier du ministre de la justice du 12 avril 2016 transmettant au président du département des contentieux le projet de protocole transactionnel, et sur une sentence arbitrale [D] rendue le 24 mai 2019, pièces qui n'ont pas été produites devant le tribunal arbitral (pièces de l'État de Libye devant la cour d'appel n° 24, 25 et 31), la cour d'appel, qui a ainsi révisé la sentence arbitrale, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

La société Sorelec fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence partielle rendue à Paris le 20 décembre 2017 dans l'arbitrage CCI n° 19329/MCP/DDA par le tribunal arbitral composé de MM. [L] [Z] et [C] [A], arbitres, et M. [J] [N], président, de l'avoir condamnée à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans sa sentence de révision [D] rendue le 24 mai 2019, le tribunal arbitral a expressément relevé (§ 219) que « le pivot central de la machination qui a consisté à tromper la religion du Tribunal est assurément [P] [B] [W], que l'on rencontre d'un bout à l'autre du processus qui a conduit à l'accord transactionnel de la sentence d'accord-parties » et que « c'est lui qui conclut et signe l'accord transactionnel, qui révoque le mandat de Me [F], qui constitue en ses lieu et place Me [O] dans le même acte et qui, "approuve" l'accord transactionnel dans une décision sur papier portant l'entête du Ministère de la Justice, daté du 1er août 2016, et qui sera communiqué au Président du Tribunal arbitral trois mois plus tard, le 31 octobre 2016 » ; que si le tribunal, dans sa sentence de révision du 24 mai 2019, a certes constaté que les faits examinés constituaient « à l'évidence des indices graves, précis, et concordants d'une fraude mise en oeuvre par le Défendeur au recours, avec la collusion active de certains fonctionnaires ou responsables libyens, notamment M. [P] [B] [W] afin de tromper le Tribunal arbitral en lui demandant d'entériner l'accord transactionnel dans une sentence d'accord-parties » (§ 224) , que M. [D] « s'était livré à des manoeuvres frauduleuses en collusion avec les agents de l'Etat agissant à titre personnel en vue de tromper le Tribunal arbitral » (§ 235), et que celui-ci a trompé la religion du tribunal arbitral « avec la complicité agissante et occulte de hauts fonctionnaires du Ministère de la Justice du gouvernement provisoire libyen et le concours d'un avocat complaisant » (§ 237), il n'a, à aucun moment, constaté la participation de M. [S], ministre de la justice, à ces manoeuvres ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que les faits évoqués dans cette sentence « sont contemporains de ceux qui ont conduit à la signature du Protocole et mettent en cause dans des circonstances comparables, le même ministre de la Justice » (arrêt attaqué, p. 12, § 4), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la sentence du 24 mai 2019, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°) ALORS QUE le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur la lettre de M. le ministre de la Justice [K] [R] en date du 29 septembre 2016 (pièce de la société Sorelec n° 33), invoquée par la société Sorelec pour établir les étapes de la négociation avec l'Etat libyen et l'intérêt, pour cet Etat, de conclure cette transaction (concl. app., n° 149), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE c'est à la partie qui soutient que la reconnaissance de l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international, en ce qu'elle permettrait à l'autre partie de retirer des bénéfices d'un pacte entaché de corruption, de rapporter la preuve d'indices graves, précis et concordants de cette corruption ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motif pris que la société Sorelec ne produit « aucun compte-rendu ou procès-verbal de réunion, retraçant les positions en présence et l'évolution des discussions, aucun échange écrit entre les parties préparatoire à l'accord, aucune preuve d'un envoi par Sorelec d'un décompte de sa créance, soumis à la partie adverse » (arrêt attaqué, p. 13, § 9), la cour d'appel a inversé la charge de la preuve de l'existence d'indices graves, précis et concordants de la corruption alléguée par l'État de Libye, en violation de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

4°) ALORS QU'en se prononçant comme elle l'a fait, sans répondre aux conclusions opérantes de la société Sorelec, qui faisait expressément valoir qu'elle sollicitait également, devant le tribunal arbitral, la réparation du dommage résultant de la non-exploitation de brevets reconnus internationalement et dument déposés, lui ayant fait perdre une chance pouvant entrainer une condamnation très importante de l'État de Libye (concl.,§ 193), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QUE dans ses dernières conclusions d'appel, la société Sorelec faisait expressément valoir que l'Etat de Libye n'avait jamais contesté, devant le tribunal arbitral, la réalité et l'exigibilité de sa créance, mais uniquement son montant (concl., § 191), que cet État faisait principalement valoir, devant les arbitres, que le protocole de 2003 n'était pas résolu (concl., § 192) et opposait des saisies provoquées et sans fondement, que la société Sorelec était en droit de réclamer la somme arrêtée d'un commun accord et due depuis 1999, et que la stipulation d'intérêts au taux de 11,5 % portait, en 2016, son montant à 660.000.000 € (concl., § 192) ; qu'elle faisait en outre valoir qu'elle avait également sollicité du tribunal arbitral des dommages et intérêts résultant de la non-exploitation de ses brevets et que la demande de la société Sorelec devant le tribunal arbitral ne s'élevait pas, comme il était prétendu de mauvaise foi, uniquement à la somme de 109.238.764 € (concl., § 193), et qu'ainsi, au regard « des risques encourus » par l'État de Libye au cours de la procédure arbitrale, la transaction à hauteur de 230.000.000 € s'avérait « très favorable à l'État » (concl., § 194) ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que le protocole opérait un « rabais illusoire compte tenu des conditions de paiement prévues », que « le ministre de la Justice a en réalité signé un accord faisant droit à la quasi intégralité des demandes principales de Sorelec formulées dans les procédures d'arbitrage devant la CCI, dans le dernier état de ses écritures, au rejet desquelles l'Etat de Libye concluait pourtant » (arrêt attaqué, pp .14 in fine et 15 in limine), que « le protocole satisfait à quasiment à toutes les prétentions de Sorelec sans contrepartie obtenues par l'Etat de Libye » (arrêt attaqué, p. 15 § 6), et que l'existence d'un tel déséquilibre entre les parties, l'absence de concessions réciproques visibles dans les termes et conditions du protocole, contraires à la position prise par l'Etat de Libye au cours de la procédure d'arbitrage « conduisent à considérer que celui-ci n'avait aucun intérêt évident à conclure ce protocole, dont il ne tirait un quelconque avantage économique ou politique » (arrêt attaqué., p. 15, § 7), sans répondre aux conclusions opérantes précitées de la société Sorelec, qui l'invitaient ainsi à déterminer si les risques de condamnation véritablement encourus par l'Etat de Libye au cours de la procédure arbitrale étaient importants, de sorte que la transaction lui était en réalité favorable, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

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