22 June 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-25.434

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00419

Titres et sommaires

REFERE - Applications diverses - Contrats de la commande publique - Référé contractuel - Recevabilité - Exclusion - Contrats de concession - Contrat d'attribution d'un service de dépannage

En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services visés à l'article L. 122-20, 2°, du code de la voirie routière, il est fait application, pour les marchés relevant du droit privé, des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique. Cette possibilité n'étant pas prévue pour les contrats de concession, les candidats à un appel d'offres pour un tel contrat ne peuvent donc saisir le juge du référé contractuel, ce qui ne les empêche pas de saisir le juge de droit commun pour faire valoir leurs droits et ne porte donc pas atteinte à leur droit d'accès à un tribunal. Doit être cassée la décision d'un juge du référé contractuel qui, pour déclarer l'action recevable, qualifie de marché un contrat qui ne prévoyait aucune rémunération versée par le concessionnaire d'une autoroute à une entreprise de dépannage, la situation de monopole de l'entreprise de dépannage désignée pour accomplir la mission n'étant pas exclusive de l'existence d'un aléa susceptible d'affecter le volume et la valeur de la demande de dépannage sur la portion d'autoroute concernée

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Tribunal - Accès - Droit d'agir - Violation - Défaut - Cas - Appel d'offre pour un contrat de concession

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 juin 2022




Cassation sans renvoi


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 419 FS-B

Pourvoi n° P 19-25.434




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JUIN 2022

La société Bernard dépannage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° P 19-25.434 contre l'ordonnance rendue le 18 novembre 2019 par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux (statuant en la forme des référés), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Atlandes, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ au groupement d'intérêt économique (GIE) DBF-DRB, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société DBF Cestas, société à responsabilité limitée, dont le siège [Adresse 1],

4°/ à la société Dépannage remorquage Bertrande, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La société Atlandes a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Bernard dépannage, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Atlandes, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat du GIE DBF-DRB, et des sociétés DBF Cestas et Dépannage remorquage Bertrande, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, conseillers, M. Blanc, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (tribunal de grande instance de Bordeaux, 18 novembre 2019), rendue en la forme des référés, la société Atlandes, société concessionnaire d'autoroute, a publié au mois d'avril 2019 un appel d'offres pour l'attribution des opérations de dépannage des poids lourds sur une portion d'autoroute qu'elle exploite.

2. Deux offres ont été déposées, l'une par la société Bernard dépannage, précédemment chargée de ce service depuis l'année 2012, l'autre par le groupement d'intérêt économique DBF-DRB (le GIE DBF-DRB), constitué par les sociétés de dépannage DBF Cestas et Dépannage remorquage Bertrande.

3. La société Bernard dépannage, informée le 26 juin 2019 que sa candidature n'avait pas été retenue, a saisi le juge du référé contractuel en nullité du contrat au motif que la société Atlandes n'avait pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Examen des moyens

Le pourvoi incident discutant la recevabilité de la demande, son examen devrait être préalable. Toutefois, étant formé à titre éventuel, il ne sera examiné, conformément à la volonté du demandeur à ce pourvoi, que si la cassation est encourue sur le pourvoi principal.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société Bernard dépannage fait grief à l'ordonnance de rejeter ses demandes, alors « qu'elle faisait valoir que les documents de la consultation, qui prévoyaient un dépanneur agréé par secteur et interdisaient toute sous-traitance, faisaient obstacle à la candidature d'un groupement d'intérêt économique et qu'à tout le moins les membres du groupement attributaire auraient dû être agréés ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

5. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motif.

6. Pour rejeter les demandes de la société Bernard dépannage, l'ordonnance, après avoir énoncé que I'article R. 2142-22 du code de la commande publique dispose que I'acheteur ne peut exiger que le groupement d'opérateurs économiques ait une forme déterminée pour la présentation d'une candidature ou d'une offre, retient qu'il est constant que les groupements d'intérêt économique peuvent se voir attribuer des contrats de la commande publique, l'article R. 2142-3 du même code permettant à un opérateur économique candidat à I'attribution d'un marché de se prévaloir des capacités d'autres opérateurs économiques, quelle que soit la nature juridique des liens qui I'unissent à ces opérateurs.

7. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Bernard dépannage qui faisait valoir que les documents de la consultation, qui prévoyaient un dépanneur agréé par secteur et interdisaient toute sous-traitance, faisaient obstacle pour le marché en cause à la candidature d'un groupement d'intérêt économique qui ne bénéficie pas de moyens propres, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

8. La cassation étant encourue sur le pourvoi principal, il y a lieu d'examiner le pourvoi incident éventuel.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. La société Atlandes fait grief à l'ordonnance de déclarer la société Bernard dépannage recevable en son action, alors :

« 2°/ qu'un contrat est un marché au sens du code de la commande publique lorsque l'attributaire accomplit une prestation au profit du pouvoir adjudicateur en contrepartie d'une rémunération reçue de ce dernier ; qu'au contraire, le contrat répond à la qualification de concession, ou de contrat d'exploitation s'il n'est pas conclu par un pouvoir adjudicateur, lorsqu'il est conféré au prestataire le droit d'exploiter l'ouvrage ou le service à l'effet d'obtenir une rémunération de la part des usagers ; qu'en retenant en l'espèce que le contrat consistant pour un concessionnaire d'autoroute à autoriser une société de dépannage à exploiter le secteur autoroutier concédé constituait un marché pour cette raison que l'agrément donné au dépanneur pour intervenir sur ce secteur avait pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, le président du tribunal de grande instance n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique ;

4°/ que le fait de bénéficier d'une situation de monopole n'exclut pas l'existence d'un aléa d'exploitation, qui est tributaire des coûts d'exploitation et non de l'existence d'une concurrence ; qu'en affirmant que la qualification de marché, au lieu de celle de contrat de concession ou de contrat d'exploitation, pour cette raison que la société Bernard dépannage n'était pas exposée à un risque particulier en raison de sa situation monopolistique sur le secteur autoroutier concédé à la société Atlandes, l'ordonnance attaquée a été rendue en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 122-20, 2° du code de la voirie routière, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique :

10. En application du premier de ces textes, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, il est fait application pour les marchés relevant du droit privé, des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

11. Aux termes du deuxième de ces textes, les personnes qui ont un intérêt à conclure l'un des contrats de droit privé mentionnés aux articles 2 et 5 de la présente ordonnance et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles ils sont soumis peuvent saisir le juge d'un recours en contestation de la validité du contrat.
La demande est portée devant la juridiction judiciaire.

12. Aux termes du troisième de ces textes, un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent.

13. Aux termes du quatrième de ces textes, un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix.
La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d'exploitation lorsque, dans des conditions d'exploitation normales, il n'est pas assuré d'amortir les investissements ou les coûts, liés à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, qu'il a supportés.

14. Pour déclarer l'action recevable, le juge du référé contractuel relève que si le concessionnaire ne verse aucun paiement au dépanneur pour l'exécution du contrat, I'agrément qu'il donne à celui-ci en lui permettant d'intervenir de façon exclusive sur un secteur d'autoroute déterminé a pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, sans l'exposer pour autant véritablement aux aléas du marché compte tenu de sa situation monopolistique.

15. Il déduit de ces éléments que malgré l'absence de définition de la notion de marché dans le code de la voirie routière, les contrats de dépannage et de remorquage sur les autoroutes, qui permettent à la société concessionnaire d'assurer une mission qui lui incombe en vertu du contrat de concession pour les travaux, fournitures ou services, doivent être qualifiés de marchés entrant dans le champ d'application de l'article L. 122-12 de ce code.

16. En statuant ainsi, après avoir relevé que le contrat qui lui était soumis ne prévoyait aucune rémunération versée par le concessionnaire à l'entreprise de dépannage, la situation de monopole de l'entreprise de dépannage désignée pour accomplir la mission n'étant pas exclusive de l'existence d'un aléa susceptible d'affecter le volume et la valeur de la demande de dépannage sur la portion d'autoroute concernée, le juge du référé contractuel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

17. La société Atlandes fait le même grief à l'ordonnance, alors « qu'en l'absence de référé contractuel ou précontractuel devant le juge judiciaire, tout intéressé à une procédure d'appel d'offres dispose de la faculté de saisir le juge de droit commun statuant au fond ou en référé ; qu'en affirmant que toute solution qui consisterait à fermer la voie du référé contractuel prévue par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 reviendrait à priver le candidat évincé de tout recours judiciaire, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 par fausse application, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit d'accès au juge. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :

18. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial.

19. Pour déclarer l'action recevable, le juge du référé contractuel énonce qu'il résulterait de I'interprétation de l'article L. 122-12 du code de la voirie routière soutenue par la société Atlandes Ia privation pour les candidats évincés de tout recours judiciaire à raison de manquements commis par la société concessionnaire, contrairement à la volonté du législateur de soumettre la passation des contrats des sociétés concessionnaires d'autoroute, critiqués pour leur opacité, aux procédures de référés précontractuel et contractuel.

20. En statuant ainsi, alors que l'impossibilité de saisir le juge du référé contractuel n'empêche pas les candidats évincés d'un appel à concurrence de saisir le juge de droit commun pour faire valoir leurs droits et ne porte donc pas atteinte à leur droit d'accès à un tribunal, le juge du référé contractuel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

La cassation est encourue tant sur le pourvoi principal que sur le pourvoi incident. Ce dernier étant préalable, la cassation ne sera prononcée que sur ce pourvoi.

21. Sur la suggestion de la société Atlandes, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

22. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

23. Il appartient au seul législateur, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales, de rendre applicable à des contrats passés par des personnes privées le recours au juge du référé précontractuel et contractuel.

24. L'article L. 122-20, 2° du code de la voirie routière, qui prévoit l'application pour les marchés de droit privé des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, réserve cette compétence aux marchés à l'exclusion des contrats de concession.

25. Il n'est pas contesté que le contrat conclu entre la société Atlandes, société privée concessionnaire d'une portion d'autoroute, et l'entreprise de droit privé sélectionnée à l'issue de l'appel d'offres pour accomplir les prestations de dépannage sur cette portion ne prévoyait ni rémunération versée par le concessionnaire d'autoroute ni mécanisme de compensation des pertes éventuelles. Il n'est pas contesté non plus que l'entreprise sélectionnée ne maîtrisait pas le nombre et le volume des prestations à accomplir, de sorte qu'elle supportait les risques liés à l'exploitation du service rendu. Dans ces conditions, le contrat en cause ne constitue pas un marché au sens des dispositions de l'article L. 1111-1 du code de la commande publique.

26. Il s'ensuit que les éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence relatifs à la passation de ce contrat ne relèvent pas de l'application des dispositions des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, de sorte que le juge du référé contractuel ne peut en connaître.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 18 novembre 2019, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DECLARE irrecevable le recours formé par la société Bernard dépannage ;

Condamne la société Bernard dépannage aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le président du tribunal de grande instance de Bordeaux ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bernard dépannage et la condamne à payer à la société Atlandes la somme de 4 000 euros et au GIE DBF-DRB, à la société Dépannage remorquage Bertrande et à la société DBF Cestas la somme globale de 4 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Bernard dépannage.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'avoir débouté la société Bernard Dépannage de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE la SARL Bernard Dépannage soulève l'irrecevabilité de la candidature du GIE DBF-DRB au motif que l'agrément a été délivré au GIE, lequel ne dispose en tant que tel d'aucune compétence en matière de dépannage-remorquage, les entreprises le composant n'ayant pas reçu l'agrément et la constitution du GIE contrevenant au droit de la concurrence ;

QU'il convient cependant de constater que la création d'un GIE, qui a pour objet de faciliter ou développer l'activité économique de ses membres ou d'accroître les résultats de cette activité, et qui n'a pas vocation à réaliser des bénéfices lui-même, a un fondement légal en vertu de l'article L. 251-1 du code de commerce ;

QU'en outre, l'article R. 2142-22 du code de la commande publique dispose que l'acheteur ne peut exiger que le groupement d'opérateurs économiques ait une forme déterminée pour la présentation d'une candidature ou d'une offre et il est constant que les GIE peuvent se voir attribuer des contrats de la commande publique, l'article R. 2142-3 du même code permettant à un opérateur économique candidat à l'attribution d'un marché de se prévaloir des capacités d'autres opérateurs économiques, quelle que soit la nature juridique des liens qui l'unissent à ces opérateurs ;

QUE, d'autre part, la SARL Bernard Dépannage ne peut valablement reprocher au GIE DBF-DRB que les prestations de dépannage seraient effectuées par les membres du GIE et non par le GIE lui-même alors qu'une telle violation des obligations contractuelles ne pourrait être constatée qu'après la mise en oeuvre du contrat litigieux et qu'en tout état de cause elle ne constituerait nullement un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence qui seules peuvent servir de fondement à un référé contractuel en vertu de l'article 16 de l'ordonnance du 7 mai 2009 ;

QU'enfin, le seul fait pour des entreprises de se grouper sous la forme d'un GIE pour répondre à une consultation ne suffit pas à caractériser une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du code de commerce ;

QUE la SARL Bernard Dépannage doit donc être déboutée de sa demande tendant à l'irrecevabilité de la candidature du GIE DBF-DRB ;

1°) ALORS QUE la société Bernard Dépannage faisait valoir que les documents de la consultation, qui prévoyaient un dépanneur agréé par secteur et interdisaient toute sous-traitance, faisaient obstacle à la candidature d'un groupement d'intérêt économique et qu'à tout le moins les membres du groupement attributaire auraient dû être agréés (p. 30 et suivantes des conclusions récapitulatives) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE lorsqu'un groupement d'intérêt économique est candidat à l'attribution d'un marché relevant de la commande publique, les conditions posées par l'avis de marché doivent être satisfaites tant par le groupement lui-même que par ses membres ; qu'en l'occurrence, en se bornant à rappeler que la candidature d'un groupement est par principe recevable sans vérifier, comme il y était invité (p. 30 et suivantes des conclusions récapitulatives de la société Bernard Dépannage), que la société Atlandes s'était assurée de l'aptitude des membres du groupement attributaire à satisfaire aux exigences du marché, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles R. 2142-19 à R. 2142-27 du code de la commande publique ;

3°) ALORS QU'un groupement d'intérêt économique ne se substitue pas à ses membres, son activité ayant, aux termes de l'article L. 251-1 du code de commerce, un caractère auxiliaire par rapport à celle de ses membres ; qu'ainsi, lorsqu'un groupement d'intérêt économique est désigné attributaire d'un marché, ses membres ont la qualité de sous-traitants et participent nécessairement à son exécution ; qu'en considérant néanmoins que la circonstance selon laquelle les prestations de dépannage seraient effectuées par les membres du GIE et non par le GIE lui-même ne pourrait être constatée qu'après la mise en oeuvre du contrat litigieux, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a violé les dispositions de l'article L. 251-1 du code de commerce ;

4°) ALORS QUE lorsqu'un groupement d'intérêt économique présente seul sa candidature à un marché, ses membres ont la qualité de sous-traitants et doivent être acceptés comme tels par le responsable de marché ; que constitue un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence l'attribution d'un marché à un groupement d'intérêt économique sans examen et acceptation préalables de ses membres et de la nature des prestations qu'ils exécuteront ; qu'en considérant que le défaut de prise en compte de ce que les prestations de dépannage seraient effectuées par les membres du groupement et non par le groupement attributaire lui-même ne constituait pas un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence, le juge des référés a violé les articles 11 et suivants de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'avoir débouté la société Bernard Dépannage de l'ensemble de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE l'article 5.3.C.6 du règlement de consultation "tarifs de l'entreprise" énumère la liste des tarifications des prestations requises et, notamment, le coût horaire de la dépanneuse-remorqueuse, cette exigence étant reprise à l'article 6 "jugement des candidatures et désignation de l'attributaire", dont le critère 4 "présentation de l'offre tarifaire" rappelle que l'appréciation de ce critère comprend notamment le coût horaire d'une dépanneuse-remorqueuse ;

QUE cependant, la SARL Bernard Dépannage, qui a volontairement choisi de présenter les tarifs de l'entreprise selon une forme propre différente de celle demandée par la SA Atlandes, n'a pas indiqué dans son offre la totalité des tarifs demandés en omettant notamment d'indiquer le coût horaire de la dépanneuse-remorqueuse ;

QUE cette offre incomplète, méconnaissant une des spécifications du règlement de la consultation, était donc irrégulière en ce qu'elle privait la SA Atlandes de toute visibilité sur le coût effectif de la prestation proposée par la SARL Bernard Dépannage ainsi que de toute comparaison utile avec les offres présentées par les autres candidats ;

QUE, dès lors, compte tenu de l'irrégularité de son offre, la SARL Bernard Dépannage ne peut valablement se prévaloir d'avoir été lésée ou susceptible de l'avoir été par les divers manquements invoqués à l'occasion de la procédure de publicité et de mise en concurrence lancée par la SA Atlandes, ceux-ci fussent-ils établis, y compris le fait d'avoir été privée de la possibilité d'un référé précontractuel ;

QU'il convient en conséquence de débouter la SARL Bernard Dépannage de ses demandes ;

1°) ALORS QUE la société Bernard Dépannage faisait valoir que le coût horaire de la dépanneuse-remorqueuse se déduisait de son offre tarifaire et que celle-ci ne pouvait donc être regardée comme irrégulière en raison de l'omission de ce tarif (cf. p. 16 de ses conclusions) ; qu'en se bornant à relever que la société Bernard Dépannage n'avait pas indiqué dans son offre la totalité des tarifs demandés, sans répondre à ce moyen, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'en tout état de cause, le responsable de marché ne peut utilement se prévaloir, pour faire échec à un référé contractuel, de ce que l'offre du candidat évincé était irrégulière, lorsqu'il n'a ni invité le candidat à la régulariser ni rejeté son offre pour ce motif ; qu'en l'occurrence, la société Atlandes s'est prévalue pour la première fois devant le juge du référé contractuel de l'irrégularité de l'offre de la société Bernard Dépannage, tenant au caractère incomplet des tarifs proposés, qu'elle n'avait pas retenue au stade de l'examen des offres et qu'elle n'avait pas invité l'exposante à régulariser ; qu'en jugeant néanmoins que la société Bernard Dépannage ne pouvait valablement se prévaloir d'avoir été lésée ou susceptible de l'avoir été par les divers manquements invoqués à l'occasion de la procédure de publicité et de mise en concurrence lancée par la société Atlandes, en raison du caractère incomplet de son offre, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a violé les articles 11 et suivants de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique ;

Moyen produit AU POURVOI INCIDENT ÉVENTUEL par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Atlandes.

IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré la société BERNARD DÉPANNAGE recevable en son action ;

AUX MOTIFS QUE « Selon les articles L. 122-12, L. 122-18 et L. 122-20 du code de la voirie routière (CVR), en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures et services du réseau autoroutier concédé, il est fait application...pour les marchés relevant du droit privé des articles 2 à 4 et 11 à 14 de l'ordonnance du 7 mai 2009.

Au terme des articles 2 et 11 de l'ordonnance du 7 mai 2019, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge d'un recours en contestation de la validité du contrat.

La SA ATLANDES ne peut valablement soutenir que la notion de marché contenue dans le CVR relevant nécessairement de l'article L. 1111-1 du code de la commande publique, il en résulterait que les contrats de dépannage et de remorquage ne seraient pas des marchés alors que, si le concessionnaire ne verse aucun paiement au dépanneur pour l'exécution du contrat, l'agrément qu'il donne à celui-ci en lui permettant d'intervenir de façon exclusive sur un secteur d'autoroute déterminé a bien pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers sans l'exposer pour autant à une réelle exposition aux aléas du marché compte tenu de sa situation monopolistique.

Au demeurant, il résulterait de l'interprétation faite par la SA ATLANDES l'exclusion pour les candidats évincés de la possibilité de tout recours judiciaire à l'encontre des manquements commis par la société concessionnaire, contrairement à la volonté du législateur de soumettre la passation des contrats des sociétés concessionnaires d'autoroute, critiqués pour leur opacité, aux procédures de référés pré-contractuel et contractuel.

Nonobstant l'absence de définition de la notion de marché dans le CVR, les contrats de dépannage et de remorquage sur les autoroutes, qui permettent à la société concessionnaire d'assurer une mission qui lui incombe en vertu du contrat de concession pour les travaux, fournitures ou services, doivent dès lors être qualifiés de marchés entrant dans le champ d'application de l'article L. 122-12 susvisé du CVR.

Il convient en conséquence de déclarer la SARL BERNARD ET DEPANNAGE recevable en son action. » ;

1° ALORS QUE la procédure de référé contractuel devant le juge judiciaire s'applique aux recours formés contre les procédures de passation des marchés conclus par les concessionnaires d'autoroute ; qu'en revanche, ce recours est inapplicable aux contrats par lesquels les concessionnaires d'autoroute délèguent à une autre entreprise tout ou partie de l'exploitation d'un ouvrage ou d'un service accessoire à l'exercice de leur mission ; qu'en se prononçant en l'espèce sur le référé contractuel formé par la société BERNARD DÉPANNAGE à l'effet de contester les conditions de conclusion du contrat par lequel la société ATLANDES, concessionnaire d'une section de l'autoroute A63, a confié au GIE DBF-DRB le service de dépannage de véhicules sur le tronçon dont cette société assure l'exploitation, l'ordonnance attaquée a été rendue au prix d'un excès de pouvoir, en violation des articles L. 122-12, L. 122-18 et L. 122-20 du code de la voirie routière, et de l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, par fausse application ;

2° ALORS QU' un contrat est un marché au sens du code de la commande publique lorsque l'attributaire accomplit une prestation au profit du pouvoir adjudicateur en contrepartie d'une rémunération reçue de ce dernier ; qu'au contraire, le contrat répond à la qualification de concession, ou de contrat d'exploitation s'il n'est pas conclu par un pouvoir adjudicateur, lorsqu'il est conféré au prestataire le droit d'exploiter l'ouvrage ou le service à l'effet d'obtenir une rémunération de la part des usagers ; qu'en retenant en l'espèce que le contrat consistant pour un concessionnaire d'autoroute à autoriser une société de dépannage à exploiter le secteur autoroutier concédé constituait un marché pour cette raison que l'agrément donné au dépanneur pour intervenir sur ce secteur avait pour contrepartie économique le prix facturé aux usagers, le président du tribunal de grande instance n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique ;

3° ALORS QUE si la qualification de contrat de concession suppose une réelle exposition du concessionnaire aux aléas du marché, l'absence d'aléa, à la supposer avérée, ne rattache pas pour autant le contrat à la qualification de marché ; qu'en retenant en l'espèce la qualification de marché, au lieu de celle de contrat de concession ou de contrat d'exploitation, pour cette raison que la société BERNARD DÉPANNAGE n'était pas exposée à un risque particulier en raison de sa situation monopolistique sur le secteur autoroutier concédé à la société ATLANDES, l'ordonnance attaquée a été rendue en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique ;

4° ALORS QUE, subsidiairement, le fait de bénéficier d'une situation de monopole n'exclut pas l'existence d'un aléa d'exploitation, qui est tributaire des coûts d'exploitation et non de l'existence d'une concurrence ; qu'en affirmant que la qualification de marché, au lieu de celle de contrat de concession ou de contrat d'exploitation, pour cette raison que la société BERNARD DÉPANNAGE n'était pas exposée à un risque particulier en raison de sa situation monopolistique sur le secteur autoroutier concédé à la société ATLANDES, l'ordonnance attaquée a été rendue en violation des articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique ;

5° ALORS QU' en l'absence de référé contractuel ou précontractuel devant le juge judiciaire, tout intéressé à une procédure d'appel d'offres dispose de la faculté de saisir le juge de droit commun statuant au fond ou en référé ; qu'en affirmant que toute solution qui consisterait à fermer la voie du référé contractuel prévue par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 reviendrait à priver le candidat évincé de tout recours judiciaire, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 par fausse application, ensemble l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit d'accès au juge.

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