2 June 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/08525

Pôle 6 - Chambre 7

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRET DU 02 JUIN 2022



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08525 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CANY5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 17/08172







APPELANTE



Madame [N] [G]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10





INTIMEE



SARL ATAWAY agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Karen AZRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0067







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, et Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller, chargés du rapport.



Ces magistrats, entendus en leur rapport, ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :



Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller.





Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN









ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.








FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES



Mme [N] [G] a été engagée par la SaRL Ataway (ci-après désignée la société Ataway) par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein à compter du 31 mai 2010 en qualité de consultante manager.



La société Ataway a une activité de prestations de services de conseil liés à la mise en place de solutions informatiques de développement de logiciels d'hébergement, à la maintenance et à la location de ressources informatiques.



La société emploie au moins onze salariés.



Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseil et sociétés de conseils (Syntec).



Par délibération du 29 avril 2014, l'assemblée générale de la société Ataway a nommé Mme [G] en qualité de gérante non associée à compter du 30 avril 2014 et a pris acte que la salariée cumulera ses fonctions de gérante avec son emploi de consultante.



Par courrier du 23 août 2016, Mme [G] a présenté sa démission de gérante.



Par délibération du 6 décembre 2016, l'assemblée générale de la société Ataway a pris acte de cette démission et a mis fin aux fonctions de gérante de Mme [G] à compter du 28 décembre 2016.



Mme [G] a été mise à pied à titre conservatoire à compter du 11 juillet 2017.



Elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 20 juillet 2017 en vue d'un éventuel licenciement qui lui a été notifié le 25 juillet 2017 pour faute lourde.



Contestant le bien fondé de son licenciement, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 2 octobre 2017 aux fins d'obtenir la condamnation de la société Ataway au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.



Par jugement du 4 juillet 2019, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Mme [G] est dû à une faute grave,

- dit que la rémunération de Mme [G] est de 7.512,75 euros,

- condamné Mme [G] à rembourser à la société Ataway la somme de 46.802,90 euros au titre de la répétition de l'indû à titre de rappel de salaires,

- débouté la société Ataway du surplus de ses demandes,

- condamné Mme [G] aux dépens.



Le 26 juillet 2019, Mme [G] a interjeté appel du jugement.







Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 25 janvier 2022 , elle demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau :



Sur le licenciement,

Constater que la faute lourde n'est pas caractérisée,

En conséquence,

Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamner la société Ataway à lui verser à les sommes suivantes :

- indemnité de préavis : 28 500 euros bruts,

- congés payés sur préavis 10% : 2 850 euros bruts,

- paiement de la période de mise à pied : 3 945,55 euros bruts,

- congés payés sur mise à pied 10% : 394,56 euros bruts,

- indemnités suite à la radiation de la mutuelle et la prévoyance : 3 639,24 euros,

- indemnité conventionnelle de licenciement : 23 486 euros,

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 171 000 euros,



A titre subsidiaire,



Juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- indemnité de préavis : 28 500 euros bruts,

- congés payés sur préavis 10% : 2 850 euros bruts,

- paiement de la période de mise à pied : 3 945,55 euros bruts,

- congés payés sur mise à pied 10% : 394,56 euros bruts

- indemnités suite à la radiation de la mutuelle et la prévoyance : 3 639,24 euros,

- indemnité conventionnelle de licenciement 23 486 euros,



Mme [G] demande à la cour de débouter la société de son appel incident quant au fait que le licenciement serait pour faute lourde.



Sur la nullité de la convention de forfait en jours,

Constater que la convention de forfait jours est illicite,

En conséquence,

Déclarer nulle la convention de forfait jours ;

Y faisant droit,

Condamner la société Ataway au paiement de la somme de 37.000 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de la clause de forfait,



Sur la demande de remboursement,

Débouter la société Ataway de sa demande de répétition de l'indû à titre de rappel de salaire outre les charges patronales afférentes,

A titre subsidiaire,

Si la cour confirme le jugement en ce qu'il l'a condamnée à rembourser à la société Ataway la somme de 46.802,90 euros au titre de la répétition de l'indû à titre de rappel de salaires, il est

demandé à la cour d'infirmer le jugement sur ce point et, statuant à nouveau, de la condamner à verser la somme de 37.232 euros.



Sur la demande de remboursement des cotisations sociales,

elle demande à la cour de débouter la société de sa demande d'infirmation du jugement sur ce point et en conséquence de confirmer le jugement qui a débouté la société de sa demande de remboursement des cotisations patronales.



En tout état de cause,

Débouter la société Ataway de toutes ses demandes ;

Dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine,

Ordonner la capitalisation des intérêts,

Condamner la société Ataway à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 25 janvier 2022 , la société Ataway demande à la cour de :

Confirmer le jugement ce qu'il a :

- jugé que le licenciement de Mme [G] est fondé,

- dit que la rémunération de Mme [G] est de 7.512,75 euros,

- jugé que Mme [G] ne justifie pas de son préjudice au titre de la nullité d'une convention de forfait,

- condamné Mme [G] à lui rembourser la somme de 46.802,90 euros au titre de la répétition de l'indû à titre de rappel de salaires,

- débouté Mme [G] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné Mme [G] au paiement des entiers dépens.



Infirmer le jugement en ce qu'il :

- a jugé que le licenciement repose sur une faute grave de Mme [G] et non sur une faute lourde.

- a jugé que Mme [G] a été soumise à une convention de forfait nulle,

- l'a déboutée de sa demande de remboursement des cotisations patronales afférentes au rappel de salaire que Mme [G] a été condamnée à restituer,

- l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile



Et statuant à nouveau sur ces points,



Dire et juger que le licenciement de Mme [G] repose sur une faute lourde,

Dire et juger que Mme [G] ne justifie pas avoir été soumise à une convention de forfait et la débouter de toute demande à ce titre,

Condamner Mme [G] à lui régler la somme de 18.721,16 euros au titre des cotisations patronales afférentes au rappel de salaire indument versées,

Débouter Mme [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner Mme [G] à régler à la société Ataway la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Intérêt légal à compter de la saisine.

Capitalisation des intérêts.

Condamner Mme [G] aux entiers dépens de l'instance.



Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.



L'instruction a été déclarée close le 26 janvier 2022.








MOTIFS :



Sur la nullité de la convention de forfait en jours :



Mme [G] soutient que la convention de forfait en jours stipulée à son contrat de travail est nulle à défaut de convention individuelle signée par les parties précisant la nature de ses missions justifiant le recours à cette modalité, le nombre de jours travaillés ainsi que le nombre d'entretiens annuels. Elle sollicite ainsi dans le dispositif de ses conclusions que la cour annule la convention de forfait en jours et condamne l'employeur à lui verser la somme de 37.000 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de forfait.



S'opposant aux demandes de la salariée, l'employeur conteste le fait qu'une convention de forfait en jours a été conclue avec la salariée. Il soutient avoir perdu le contrat de travail de Mme [G] et que l'exemplaire produit par celle-ci n'est qu'un projet non signé par elle et raturé. Il soutient également qu'au cours de l'entretien préalable du 20 juillet 2017, la salariée a reconnu n'avoir signé aucun contrat de travail et n'avoir à sa disposition qu'un projet de contrat.



En l'espèce, s'il est vrai que les parties ne produisent aucun contrat de travail signé par elles, il ressort des bulletins de paye versés aux débats que Mme [G] a bien été rémunérée sur une base forfaitaire annuelle calculée sur 218 jours. Dans la mesure où il n'est ni allégué ni justifié qu'une convention individuelle de forfait a été passée par écrit entre la société Ataway et l'appelante, il doit être fait droit à la demande de cette dernière tendant à l'annulation de la convention de forfait en jours. Le jugement sera infirmé en conséquence.



En revanche, la salariée ne produit pas d'argumentaire à l'appui de sa demande indemnitaire et n'établit d'ailleurs aucun préjudice particulier. Par suite, elle sera déboutée de sa demande et le jugement sera confirmé sur ce point.





Sur le licenciement pour faute lourde :



La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice à l'occasion de la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.



Il appartient à l'employeur qui l'invoque, de rapporter la preuve de l'existence d'une faute lourde.



La lettre de licenciement du 25 juillet 2017, qui fixe les limites du litige, reproche trois griefs à Mme [G] qui vont être examinés ci-dessous.



* Sur le premier grief :



L'employeur expose que Mme [G] a modifié à deux reprises et alors qu'elle était gérante sa rémunération au titre de son contrat de travail sans respecter les prescriptions de l'article L. 223-19 du code de commerce qui imposent que les conventions réglementées conclues par le gérant soient approuvées par l'assemblée de la SaRL. La société Attaway soutient que Mme [G] a porté sa rémunération mensuelle de salariée à 9.000 euros à compter d'avril 2015 puis à 9.500 euros à compter de janvier 2016, alors qu'elle était de 7.512,75 euros en avril 2014.



En réponse, Mme [G] conteste les faits qui lui sont reprochés et soutient que ce premier grief est irrecevable dans la mesure où la société ne peut la licencier pour la décision d'augmentation de son salaire qu'elle aurait prise en tant que gérante. Elle soutient également que ce grief est prescrit en application des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail puisque le nouveau gérant, M. [Z], a été nommé le 28 décembre 2016 et que son licenciement ne lui a été notifié que le 25 juillet 2017. Elle indique que M. [Z] et M. [K], l'associé majoritaire, étaient d'ailleurs parfaitement informés de ces augmentations.



En premier lieu, il ressort des fiches de paye de Mme [G], dont les mentions ne sont pas contestées par les parties, que celle-ci a perçu au titre de son contrat de travail les rémunérations suivantes :

- 7.512,75 euros de janvier 2014 à mars 2015,

- 9.000 euros d'avril 2015 à décembre 2015 inclus,

- 9.500 euros de janvier à décembre 2016.



Il s'en déduit que Mme [G] a bénéficié d'une augmentation de son salaire en avril 2015 et en janvier 2016, alors qu'elle était gérante de la société Ataway puisque nommée à ce titre le 30 avril 2014.



En deuxième lieu, la modification du contrat de travail d'un gérant non associé de SaRL, notamment par l'augmentation de son salaire, est soumise à la procédure des conventions réglementées prévue par l'article L. 223-19 du code de commerce. Aux termes de cet article, le gérant ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l'assemblée ou joint aux documents communiqués aux associés en cas de consultation écrite, un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés. L'assemblée statue sur ce rapport. Le gérant ou l'associé intéressé ne peut prendre part au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité. Toutefois, s'il n'existe pas de commissaire aux comptes, les conventions conclues par un gérant non associé sont soumises à l'approbation préalable de l'assemblée.



Il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que la société Ataway disposait d'un commissaire aux comptes entre avril 2015 et décembre 2016. Par suite, l'augmentation de la rémunération de Mme [G] en avril 2015 et en janvier 2016 devait être soumise à l'approbation préalable de l'assemblée de la société. Or, il ne découle d'aucun des procès-verbaux de l'assemblée de la société versés aux débats que celle-ci a approuvé les deux augmentations de salaire de sa gérante. Au contraire, il ressort des procès-verbaux de l'assemblée générale ordinaire des 26 juin 2015 et 28 juin 2016 (pièces 24), que le rapport spécial du gérant sur les conventions visées à l'article L. 223-19 du code de commerce a mentionné l'absence de telles conventions.



Il s'en déduit que la décision d'augmenter le salaire de Mme [G] à compter d'avril 2015 puis de janvier 2016 n'a pas été prise conformément aux dispositions de l'article L. 223-19 du code de commerce.



En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.



Il est constant que :

- M. [Z] a été nommé gérant de la société au lieu et place de Mme [G] à compter du 28 décembre 2016,

- l'appelante n'a été convoquée par le nouveau gérant à un éventuel licenciement que le 11 juillet 2017, soit plus de six mois plus tard,

- Mme [G] n'a été licenciée que le 25 juillet 2017.



Afin de démontrer que, contrairement aux allégations de la salariée, les faits constitutifs du premier grief ne sont pas prescrits, l'employeur soutient que Mme [G] lui a dissimulé ses augmentations de salaire. Il expose ainsi n'avoir découvert les faits que 'dans le cadre de la clôture des comptes et de la préparation de l'assemblée générale du 30 juin' sans autre précision. La preuve de la dissimulation alléguée découlerait, selon l'employeur, du fait que les procès-verbaux d'assemblée susmentionnés n'ont été signés que de Mme [G], sans associer ni l'associé majoritaire (M. [K]) ni le cabinet d'expert-comptable de l'entreprise.



S'il est vrai que Mme [G] a signé seule, en tant que gérante, ces procès-verbaux, la cour constate que l'employeur se fonde uniquement sur les bulletins de paye de la salariée pour établir les deux augmentations de salaire litigieuses. Or, il n'est ni allégué ni justifié par ce dernier que M. [Z] n'a pu avoir accès entre décembre 2016 et juillet 2017 à ces bulletins ou, de manière générale, au montant des rémunérations effectivement versées à la salariée en raison de manoeuvres de cette dernière.



Il s'en déduit que l'employeur n'établit pas ne pas avoir eu connaissance des rémunérations indûment versées à Mme [G] au moment du changement de gérant. Par suite, les faits constitutifs du premier grief sont prescrits.



* Sur le deuxième grief :



La société Ataway reproche à Mme [G] de n'avoir eu de cesse depuis la fin de son mandat social, le 28 décembre 2016, de créer un climat de suspicion et de défiance à son égard en demandant une définition de ses fonctions alors qu'elle savait qu'elle était employée en qualité de consultante manager et qu'elle devait réintégrer ce poste au terme de son mandat de gérante.



Plus précisément et en premier lieu, l'employeur reproche à la salariée d'avoir sollicité une clarification de ses fonctions en lui adressant :

- un courriel du 21 novembre 2016 lui demandant : '(...) afin de finaliser mes réponses à ton message du 15 novembre, tu trouveras ci-dessous qq éléments pour définir ma nouvelle position au sein d'Ataway. Je suis actuellement sur un créneau porteur de valeur, à mon sens-Oracle Afrique centrale et de l'Ouest m'abreuvent de projets de mis en oeuvre de solutions Cloud -fin de semaine prochaine je devrais avoir signé 4 projets au Comeroun et 1 au Ghana. Je te propose de me donner commissionnement de 40% de la marge brute (charges directes) dégagées (...)',

- un courriel du 17 mai 2017 lui demandant : 'malgré mes relances, aujourd'hui le 17 mai 2017 je ne sais toujours pas ce que tu attends de moi et quel rôle tu me réserves dans ta nouvelle organisation'.



La cour considère que ces messages ne comportent aucune marque de suspicion ou de défiance à l'égard de l'employeur. En tout état de cause, le fait pour la salariée de demander à ce dernier une clarification de ses fonctions ne peut constituer à lui seul un grief susceptible de motiver un licenciement disciplinaire.



En second lieu, l'employeur reproche à la salariée d'avoir signé sans en rendre compte et sans autorisation de M. [K] un contrat de projet Cloud Afrique avec la société Hoda Holding Limited en tant que managing director. Cependant, la cour constate que la société ne produit aucun élément permettant d'apprécier la pertinence de ce grief.



Par suite, les faits constitutifs du deuxième grief ne sont pas établis.



* Sur le troisième grief :



La société Ataway reproche à Mme [G] son manque de communication et de transparence à son égard sur l'état d'avancement des dossiers dont elle avait la charge et sur les relances de demandes de paiement émanant de fournisseurs. Elle lui reproche également le manque d'encadrement de ses équipes qui étaient en souffrance et d'avoir continué unilatéralement le développement de projets en Afrique en vendant des contenus difficilement livrables dans les délais contractuels.



A l'appui de ses allégations, il produit notamment:

- un courriel du 14 avril 2016 par lequel Mme [S], fournisseur a écrit à Mme [G] : 'Depuis le début, nous avons toujours été patients pour prendre sur nous en attendant que la situation s'améliore et aussi en espérant qu'Ataway trouve des solutions',

- un courriel du 28 mai 2016 par lequel M. [C], fournisseur a reproché à Mme [G] d'une part, de ne pas avoir réglé la facture du mois de mars 2016 et, d'autre part, de ne pas répondre à ses appels,

- un courriel du 29 août 2016 par lequel M. [Z] a écrit à Mme [G] : 'J'ai besoin de savoir si la situation a pu avancer vis-à-vis de nos fournisseurs. Je ne te cache pas que cela devient compliqué pour tout le monde',

- un courriel du 23 novembre 2016 par lequel M. [K] a demandé à Mme [G] : 'ne prends aucune initiative dans la signature des projets. Je dois approuver toute nouvelle signature. De plus, je veux un statut report hebdomadaire sur chaque projet et sur la situation de recouvrement. Je veux éviter la situation Antagaz et [E] ou la perception client est négative',

- un courriel du même jour par lequel Mme [G] a ainsi répondu au courriel de M. [K] : 'Le contrat de gérance que tu m'as confié le 29 avril 2014 me confère les pleins pouvoirs pour signer au nom d'Ataway France. Je t'informe que je dépose plainte aux prud'hommes pour entrave dans l'exercice de mes fonctions et harcèlement',

- un courriel du 11 février 2017 par lequel M. [Z] a indiqué à M. [K] qu'il avait des doutes sur la capacité de Mme [G] à gérer le projet Media +,

- deux échanges de courriels des 14 et 17 février 2017 et des 10 et 12 avril 2017 par lesquels Mme [G] a répondu à des demandes d'information de M. [K] sur l'état d'avancement de projets,

- un courriel du 23 juin 2017 par lequel Mme [P], collaboratrice de Mme [G] a informé cette dernière que : 'D'ailleurs, côté CPQ je suis bloquée depuis lundi, le support ne répond plus. Je ne sais pas quoi faire. Je ne vois pas comment débloquer le point et je pense que j'ai atteint mes limites',

- un courriel du 30 juin 2017 par lequel M. [A] [U], contrôleur financier, a demandé à Mme [G] un certain nombre d'éléments sur des projets déficitaires à hauteur de 35.000 euros en mai 2017,

- un courriel du 6 juillet 2017 par lequel Mme [P] a indiqué à M. [Z] les raisons de sa démission : 'le poste proposé est un poste en interne positionné en AMOA sur un ensemble de projet, ce qui correspond plus à mon profil; les missions qui m'ont été confiées depuis mon arrivée chez Ataway ne correspondent pas tout à fait à ce qui avait été envisagé lors de mon embauche; je ne me sens pas performante sur les missions à réaliser : j'ai essayé de me former sur les modules sur lesquels je suis sensé intervenir mais les formations à distance ne sont pas à mon avis suffisances. Sans accompagnement ou échange interne avec d'autres consultants, je ne comprends pas toutes les spécificités de l'outil et j'ai du mal à transposer dans le monde réel; la mission se déroule de façon isolée tant par ma situation à [Localité 5] que dans l'équipe. Nous travaillons en autonomie chacun sur notre domaine et les échanges de travail en équipe me manquent',

- un courrier du 7 septembre 2017 par lequel Mme [P] a indiqué à M. [Z] qu'elle avait été nommée chef de projet et qu'elle devait le conduire avec Mme [G]. Elle a également indiqué : 'au sein de l'équipe, très peu d'informations circulait. Je travaillais sur le périmètre qui était le mien (CRM) sans visibilité sur les autres développements en cours. Mes demandes d'assistance sont restées sans réponse de la part de mon manager. Sans vision globale, il devenait impossible de fournir un retour précis au client sur les avancées du projet. Mon positionnement en région lyonnaise, stratégique à mon embauche, s'est révélé être un frein dans la dynamique projet étant de plus associé à un cadre managérial flou. En tant que professionnelle souhaitant assurer une qualité de service au client final, je n'ai pas compris le départ en congés de ma responsable lors des derniers jours de préparation de la mise en recette cible du projet, cela sans m'en informer ou me donner des explications quant à la situation du projet. Je me suis alors rendue compte qu'il n'était plus possible pour moi de travailler sur un projet où j'étais la seule à sembler me soucier du succès de celui-ci (...)',

- des échanges de courriels peu compréhensibles et très techniques (pièces 45 à 50) par lesquels M. [F], ancien salarié de la société, semble évoquer des difficultés dans les dossiers gérés par Mme [G].



Mme [G] soutient que ce troisième grief n'est pas établi, que la gestion des projets africains a été réalisée en tant que gérante et non en tant que salariée, que ces projets ont été approuvés et validés par l'employeur.



Elle produit notamment :

- des courriels soumettant des projets à la validation de M. [K] et informant ce dernier de difficultés financières liés à des projets,

- un courriel du 29 juin 2017 par lequel Mme [P] lui a indiqué qu'elle démissionnait pour un nouveau poste pour lequel elle avait été démarchée,

- une attestation par laquelle M. [F] a indiqué : 'Lors de ma prise de fonction (en juillet 2017) je me suis entretenu avec MM. [K] et [Z] qui m'ont remis les dossiers et documents réalisés par Mme [G]. Comme il est d'usage dans notre profession, j'ai souhaité pouvoir effectuer un transfert de compétence avec elle. MM. [K] et [Z] m'ont interdit de contacter Mme [G] et cela sans raison valable à mes yeux. Par la suite, ils m'ont demandé à plusieurs reprises de réaliser un audit négatif de son travail, chose que je ne pouvais pas faire en toute objectivité car j'ai pu constater que son travail était de bonne qualité et réalisé dans les règles de l'art',

- les attestations par lesquelles Mme [H] [X] et MM [Y] et [L], salariés d'autres entreprises dans lesquelles Mme [G] a travaillé, ont fait état des grandes qualités professionnelles de l'appelante.



En premier lieu, contrairement aux allégations de l'employeur, il apparaît au regard des éléments produits que Mme [G] a répondu à ses demandes d'éclaircissements. S'il est vrai cependant que l'appelante a menacé la société de porter plainte aux prud'hommes suite à une demande de renseignement de M. [K], il résulte de l'échange de courriels produit que Mme [G] s'exprimait au regard de ses fonctions de gérante et non de salariée. Il apparaît en outre que cette réponse est isolée, ne comprend pas de propos vexatoires et ne manifeste pas le refus de répondre à l'associé majoritaire.



En second lieu, s'il résulte des éléments produits que certains dossiers gérés par la salariée étaient déficitaires, que des fournisseurs se sont plaints de retard et que Mme [P] s'estimait insuffisamment dirigée par Mme [G], la cour constate qu'il ne peut se déduire des pièces versées aux débats que ces faits concernent exclusivement l'activité salariale de l'appelante qui seule est susceptible de justifier un licenciement disciplinaire et non son activité de gérante.



Toutefois, à supposer ces faits réalisés dans le cadre du contrat de travail de Mme [G], ils attestent seulement d'une mauvaise exécution de certaines tâches confiées à cette dernière. Or, il est de jurisprudence constante que l'insuffisance professionnelle, qui correspond à une mauvaise exécution des tâches confiées au salarié ou à des erreurs commises dans cette exécution, ne constitue pas une faute mais un motif personnel non disciplinaire de licenciement. C'est seulement lorsqu'ils procèdent d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée du salarié que les faits d'insuffisance professionnelle prennent le caractère d'une faute. Il ne résulte pas des éléments versés aux débats que les manquements reprochés à la salariée procèdent d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée de celle-ci. Par suite, ces manquements ne peuvent s'analyser en un grief susceptible de justifier un licenciement disciplinaire.



Il se déduit de ce qui précède que le troisième grief n'est pas établi.

Il résulte de ce qui précède qu'aucun des trois griefs susmentionnés n'est susceptible de justifier le licenciement disciplinaire de Mme [G] qui est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse.



Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de la salariée était dû à une faute grave.





Sur les conséquences financières de la rupture :



* Sur la détermination du salaire de référence :



L'employeur soutient que les indemnités de rupture ne peuvent être calculées à partir du salaire mensuel brut attribué à l'appelante en méconnaissance des dispositions de l'article L. 223-19 du code de commerce et que, par voie de conséquence, la rémunération de cette dernière doit être fixée à la somme de 7.512,75 euros.



La salariée soutient au contraire que sa rémunération mensuelle brute doit être fixée à 9.500 euros.



Selon l'article L. 213-19 du code de commerce, les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.



S'il résulte des développements précédents que les deux augmentations de salaire de Mme [G] n'ont pas fait l'objet d'une approbation préalable de l'assemblée de la société, il résulte des termes de l'article L. 213-19 précité que ces augmentations produisent néanmoins leurs effets.



Il s'en déduit que le salaire de référence doit être fixé en l'espèce à la somme de 9.500 euros bruts.



* Sur l'indemnité compensatrice de préavis :



En application de l'article 15 de la convention collective applicable, il y a lieu d'accorder à la salariée la somme de 28.500 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de trois mois, outre la somme de 2.850 euros bruts au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé en conséquence.



* Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :



En application de l'article 19 de la convention collective applicable, il y a lieu d'accorder à la salariée la somme de 23.486 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement. Le jugement sera infirmé en ce sens.



* Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :



Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire. Cette indemnité répare l'ensemble du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et donc tant le préjudice moral que le préjudice économique.



Au vu des éléments d'appréciation dont dispose la cour, et notamment de l'âge de la salariée au moment de la rupture, de son ancienneté dans l'entreprise (plus de 7 ans), de sa rémunération et des éléments produits sur sa situation postérieure (attestations de versement par Pôle emploi, création d'une société en janvier 2018), le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixé à 57.000 euros et le jugement infirmé en ce sens.











* Sur le rappel de salaire pour mise à pied :



Il est constant que Mme [G] a été mise à pied à titre conservatoire à compter du 11 juillet 2017 dans le cadre de la procédure de licenciement.



Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il sera alloué à la salariée, dans les limites de l'appel, la somme de 3.945,55 euros bruts à titre de rappel de salaire, outre 394,56 euros bruts de congés payés afférents. Le jugement sera infirmé en conséquence.



* Sur l'indemnité pour radiation de la mutuelle et de la prévoyance:



Mme [G] sollicite une indemnité d'un montant de 3.639,24 euros suite à sa radiation le 31 juillet 2017 du contrat collectif frais de soins de santé à adhésion obligatoire souscrit par la société Ataway. Toutefois, la salariée ne produit aucun élément pour justifier le préjudice subi du fait de cette radiation. Elle sera donc déboutée de sa demande et le jugement sera confirmé en conséquence.





Sur la demande reconventionnelle pour remboursement des sommes dues :



La société Ataway demande à la cour de condamner Mme [G] à lui rembourser la somme de 46.802,90 euros correspondant à la différence entre le salaire versé après les deux augmentations litigieuses et le salaire versé avant celles-ci sur la période d'avril 2015 à juillet 2017. Elle demande également un rappel de charges patronales sur ces sommes à hauteur de 18.721,16 euros.



Mme [G] s'oppose à ces demandes.



La responsabilité du salarié envers son employeur ne peut être engagée que pour faute lourde, laquelle suppose une intention de nuire.



Si le salarié n'a pas été licencié pour une faute lourde, il ne peut être condamné à verser des dommages-intérêts à l'employeur que si le juge prud'homal constate qu'il a commis une telle faute, distincte des faits visés par la lettre de licenciement.



En l'espèce, il ressort des développements précédents que, d'une part, les sommes sollicitées par l'employeur sont liées aux faits visés par la lettre de licenciement et, d'autre part, le licenciement de Mme [G] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.



Par suite, les demandes de l'employeur ne peuvent qu'être rejetées et le jugement sera, d'une part, infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante à verser à la société la somme de 46.802,90 euros au titre de la répétition de l'indû et, d'autre part, confirmé en ce qu'il a débouté la société de sa demande au titre des charges patronales.





Sur le remboursement des indemnités de chômage :



En application de l'article L 1235-4, il y a lieu d'office d'ordonner à l'employeur le remboursement aux organismes intéressés des indemnités de chômage versé à la salariée licenciée du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de 2 mois d'indemnités de chômage.





Sur les demandes accessoires :



Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne. Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil.



La société Ataway qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens de première instance et d'appel et être condamnée à payer à Mme [G] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel. Elle sera débouté de sa demande sur ce fondement.







PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe :





INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté, d'une part, la société Ataway de ses demandes au titre des charges patronales et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, d'autre part, Mme [N] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour convention de forfait en jours nulle et de sa demande indemnitaire pour radiation de la mutuelle et de la prévoyance ;





Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,





DIT que le licenciement de Mme [N] [G] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;





DIT que la convention de forfait en jours est nulle ;





CONDAMNE la société Ataway à verser à Mme [N] [G] les sommes suivantes:

- 28.500 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 2.850 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 3.945,55 euros bruts à titre de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire,

- 394,55 euros bruts de congés payés afférents,

- 23.486 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 57.000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel ;





DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce ;





ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil ;





ORDONNE à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de deux mois d'indemnités ;





DEBOUTE la société Ataway de sa demande au titre de la répétition de l'indû ;





DEBOUTE la société Ataway de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;





CONDAMNE la société Ataway aux dépens de première instance et d'appel.







LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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