25 May 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-50.035

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100412

Titres et sommaires

NATIONALITE - Nationalité française - Acquisition - Effets - Effet collectif de l'acquisition de la nationalité - Conditions - Etablissement antérieur de la filiation - Etablissement de la filiation selon la loi de la mère - Recherche nécessaire

Il résulte de l'article 84 du code de la nationalité, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, que l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française ne s'étend qu'aux enfants dont la filiation a été établie avant cette acquisition par leur auteur. Viole ce texte et l'article 311-14 du code civil, selon lequel la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la cour d'appel qui, pour déclarer française une personne née d'une mère étrangère, retient que son acte de naissance établit sa filiation à l'égard de son père et qu'elle bénéficie de l'effet collectif attaché à la déclaration d'acquisition de la nationalité française souscrite par celui-ci, sans rechercher, ainsi qu'il le lui incombait, si sa filiation avait été établie, selon la loi de sa mère, avant l'acquisition par son père de la nationalité française

CONFLIT DE LOIS - Statut personnel - Filiation - Etablissement - Loi applicable - Loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant - Applications diverses

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 412 FS-B

Pourvoi n° Z 20-50.035

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [O] [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 2 juin 2021.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2022

Le procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, domicilié en son parquet général, [Adresse 6], a formé le pourvoi n° Z 20-50.035 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou-Mayotte (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mamoudzou, domicilié [Adresse 1],

2°/ à Mme [Z] [O] [M], domiciliée chez [W] [L], [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme [O] [M], et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 08 septembre 2020), le ministère public a assigné Mme [O] [M], née en 1984 à [Localité 4], Anjouan (Comores), aux fins de constater son extranéité.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 3 et 311-14 du code civil et l'article 84 du code de la nationalité, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 :

3. Il résulte du premier de ces textes qu'en matière de droits indisponibles, il incombe au juge français de mettre en oeuvre les règles de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle.

4. Aux termes du deuxième, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant.

5. Il résulte du troisième que l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française ne s'étend qu'aux enfants dont la filiation a été établie avant cette acquisition par leur auteur.

6. Pour dire que Mme [Z] [O] [M] est française, l'arrêt retient que son acte de naissance établit sa filiation à l'égard de M. [O] [M] et qu'elle bénéficie de l'effet collectif attaché à la déclaration d'acquisition de la nationalité française souscrite par celui-ci le 12 juin 1989.

7. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de rechercher si, au regard des règles d'établissement de la filiation paternelle selon la loi de la mère, désignée par la règle de conflit, la filiation de Mme [Z] [O] [M] avait été établie avant l'acquisition par son père de la nationalité française, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la procédure régulière, l'arrêt rendu le 08 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou-Mayotte ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;

Condamne Mme [O] [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion

li est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infrrmé le jugement et, statuant à nouveau, dit que Madame [Z] [O] [M] est de nationalité française:

AUX MOTIFS QUE:" 18. En l'espèce, Madame [Z] [O] [M] est titulaire d'un certificat de nationalité française délivré le 25 mars 2008 par le tribunal de première instance de MAMOUDZOU. Ce certificat est motivé par le fait que l'intéressée, fille de Monsieur [O] [M], né le 1er janvier 1955 à [Localité 2] (Comores), est devenue française de plein droit par l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française par ce parent suivant déclaration souscrite le 12 juin 1989 et enregistrée sous le numéro de dossier 8644DX89'.

Il appartient donc au ministère public de faire la démonstration de l'insuffisance des pièces produites par Madame [Z] [O] [M] relativement à l'établissement de son état civil, de sa filiation et de sa nationalité.
20. Le jugement supplétif de naissance du tribunal de première instance de MUTSAMUDU du 19 juillet 2019 [lire 11 septembre 2006] dit et juge que [Z] [O] [M] (est) née en mil neuf cent quatre vingt quatre à [Localité 4]-Anjouan, fille de [O] [M], né le premier janvier mil neuf cent cinquante cinq à [Localité 2]-Anjouan et de [T] [B], née en mil neuf cent soixante deux à [Localité 4]-Anjouan" et autorise la transcription du dispositif dans les registres de l'état civil de [Localité 3]-Anjouan.
21. Contrairement aux affirmations de l'intimé, ce jugement est motivé et vise les pièces produites ainsi que l'avis conforme du ministère public. La signature du greffier, [G] [H], a été authentifiée au dos de l'expédition par l'ambassade des Comores en France, de sorte qu'il doit être considéré comme dûment légalisé. La simple erreur matérielle de frappe sur l'orthographe du prénom ([Z] au lieu de [Z]) ne peut être jugée significative. La précision du 1er janvier 1984 au lieu de la simple mention de l'année dans l'acte de naissance initial dressé le 16 octobre 2006 ou à l'occasion de l'acte de reconnaissance du 4 janvier 2001 s'explique par la référence habituelle au premier jour de l'année lorsque le véritable jour de la naissance est ignoré.
22. Ce jugement supplétif a permis l'établissement d'un acte de naissance conforme, dressé le 20 juillet 2019 [lire 16 octobre 2006] par l'officier d'état civil Inssa [P], dont la signature a été authentifiée au dos de l'expédition par l'ambassade des Comores en France, de sorte qu'il doit être également considéré comme dûment légalisé.

23. Cet acte de naissance établit suffisamment la filiation de Madame [Z] [O] [M] avec Monsieur [O] [S], né le 1er janvier 1955 à [Localité 2] (Comores).
24. Enfin, il n'est pas allégué par le ministère public que la mention du certificat de nationalité française délivré le 25 mars 2008 par le tribunal de première instance de Mamoudzou, aux termes de laquelle Madame [Z] [O] [M] "est devenue française de plein droit par l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française par (son père) suivant déclaration souscrite le 12 juin 1989 et enregistrée sous le numéro de dossier 8644DX89 11 serait erronée, étant ici observé que cette déclaration, dont il n'est pas exigé la production, a été faite alors que l'appelante était âgée de 15 ans".

ALORS QUE l'article 84 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n°73-42 du 9 janvier 1973, suppose que la filiation de l'enfant ait été légalement établie avant l'acquisition par son auteur de la nationalité française ; qu'un jugement supplétif d'acte de naissance n'a pas pour objet d'établir un lien de filiation, mais un état civil, et de permettre qu'un acte de naissance soit enregistré dans les registres de l'état civil au nom de la personne concernée qui, jusqu'alors, en était privée ; qu'en se bornant à affirmer que l'acte de naissance de Madame [Z] [O] [M], dressé en exécution d'un jugement supplétif du Il septembre 2006, établissait suffisamment la filiation de l'intéressée, déclarée née le 1er janvier 1984, à l'égard de Monsieur [O] [M], Français par déclaration souscrite le 12 juin 1989, sans examiner, ainsi qu'elle avait été invitée à le faire, les conséquences du défaut de production par Madame [O] [M], se prétendant issue d'une filiation légitime, de l'acte de mariage de ses parents, la chambre d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

ALORS QU'à supposer qu'un jugement supplétif régulier, quelle que soit la date à laquelle il est prononcé, soit réputé, en raison de son caractère déclaratif, établir la filiation de l'enfant à la date de sa naissance, cette filiation n'emporte des effets utiles en matière de nationalité, pour l'enfant prétendant au bénéfice de l'effet collectif prévu à l'article 84 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n°73-42 du 9 janvier 1973, que dans les conditions prévues par cette disposition ; qu'en jugeant Madame [Z] [O] [M] française aux motifs que son acte de naissance, dressé en exécution d'un jugement supplétif du Il septembre 2006, établissait suffisamment la fIliation de l'intéressée, déclarée née le 1er janvier 1984, à l'égard de Monsieur [O] [M], Français par déclaration souscrite le 12 juin 1989, alors que le jugement supplétif ne permettait pas à Madame [Z] [O] [M] de revendiquer la nationalité française acquise par son auteur avant le prononcé de cette décision, la chambre d'appel a violé l'article 84 du code de la nationalité française;

ALORS QUE l'article 455 du code de procédure civile dispose que le jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en omettant de répondre au moyen développé par le ministère public, qui soutenait que l'acte de reconnaissance du 4 janvier 2001 de Madame [Z] [O] par Monsieur [O] [M], postérieur à l'acquisition, par ce dernier, de la nationalité française le 12 juin 1989, ne permettait pas à l'intéressée, qui ne démontrait pas être issue d'une fIliation légitime, de prétendre au bénéfice de l'effet collectif prévu à l'article 84 du code de la nationalité française, dans sa rédaction de la loi n°73-42 du 9 janvier 1973, la chambre d'appel n'a pas répondu à un moyen déterminant du ministère public et a donc violé l'article 455 du code de procédure civile;

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