18 May 2022
Cour d'appel de Rouen
RG n° 20/01628

1ère ch. civile

Texte de la décision

N° RG 20/01628 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPAG







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 18 MAI 2022









DÉCISION DÉFÉRÉE :



19/4417

Tribunal judiciaire d'Evreux du 06 avril 2020





APPELANTE :



COMMUNE DE [Localité 6]

prise en la personne de son maire en exercice

[Adresse 7]

[Localité 6]



représentée par Me Virginie VIALLON FRACHETTE, avocat au barreau de l'Eure et assistée de Me François SOUCHON, avocat au barreau de Chartres







INTIMES :



Monsieur [S] [R]

[Adresse 5]

[Localité 6]



non constitué bien que régulièrement assigné à l'étude d'huissier le 3 août 2020





Madame [X] [V]

[Adresse 5]

[Localité 6]



non constituée bien que régulièrement assignée à l'étude d'huissier le 3 août 2020









COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS  :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 7 mars 2022 sans opposition des avocats devant Mme Julie VERA, vice-présidente placée auprès de la première présidente de la cour d'appel de Rouen, rapporteur,



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :



Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Julie VERA, vice-présidente placée,









GREFFIER LORS DES DEBATS :



Mme [H] [N],





DEBATS :



A l'audience publique du 7 mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 mai 2022.





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU PRONONCÉ  :



Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,





ARRET :



PAR DEFAUT



Prononcé publiquement le 18 mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.






*

* *





EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE



La commune de [Localité 6] est propriétaire d'un terrain d'une superficie de 8 425 m² cadastré section B n°[Cadastre 1] p, contigu à un terrain composé de parcelles cadastrées section B n°[Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 3], appartenant à M. [S] [R] et Mme [X] [V].



La commune a reproché à ces propriétaires d'avoir érigé une clôture en grillage au-delà de leur propriété, empiétant ainsi sur le terrain communal.



La limite entre les propriétés n'étant toutefois pas certaine, il était procédé à un bornage amiable et contradictoire le 21 mars 2018, aux termes duquel les parties ont reconnu la limite cadastrale comme définissant et fixant définitivement la limite séparative entre leurs deux propriétés respectives.

Au cours de l'année 2019, M. [S] [R] et Mme [X] [V] dressaient une palissade en bois représentant un empiétement de 96 m² sur le terrain de la commune.

Par procès-verbal n°2019-03 en date du 7 juin 2019, le maire a constaté une infraction à l'article L.421-1 du code de l'urbanisme et par arrêté interruptif de travaux du même jour, a mis en demeure le couple qui est restée vaine.



Par acte du 21 novembre 2019, la commune de [Localité 6] a assigné les intéressés devant le tribunal de grande instance d'Evreux, en vertu d'une délibération du conseil municipal en date du 27 juin 2019, aux fins de voir ordonner sous astreinte la démolition de la clôture, ou subsidiairement sa mise en conformité, outre la condamnation des défendeurs à payer 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et une indemnité pour frais irrépétibles.



Par jugement rendu le 6 avril 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a :

- débouté la commune de [Localité 6] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné la commune de [Localité 6] aux dépens de l'instance.



Par déclaration reçue au greffe le 28 mai 2020, la commune a interjeté appel de la décision.





EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES



Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 19 août 2020, la commune de [Localité 6] demande à la cour, sur le fondement des articles 544 du code civil et L. 421-4, R. 421-12, L. 480-1, L. 480-2, L.480-7, L.480-8, L.480-9, L.480-14 du code de l'urbanisme, d'infirmer le jugement entrepris et de :

- ordonner la démolition ou, subsidiairement, la mise en conformité, du mur de clôture érigé par M. [S] [R] et Mme [X] [V] en séparation des terrains cadastrés B n°[Cadastre 2], [Cadastre 4] et [Cadastre 3] d'une part, et du terrain cadastré B n°[Cadastre 1]p d'autre part,

- dire et juger que cette mesure sera assortie d'une astreinte de 500 euros par jour de retard jusqu'à son exécution complète, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- dire et juger que M. [S] [R] et Mme [X] [V] seront solidairement débiteurs de l'astreinte,

- dire et juger que si, à l'expiration du délai fixé par l'arrêt, la démolition ou la mise en conformité ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire de la commune de [Localité 6] pourra faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la mesure aux frais et risques de M. [S] [R] et Mme [X] [V],

- condamner solidairement M. [S] [R] et Mme [X] [V] à verser à la commune de [Localité 6] les sommes de :

. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice pour violation du droit de propriété et résistance abusive et injustifiée ;

. 3 000 euros à titre d'indemnité relative aux frais irrépétibles de première instance.

- condamner solidairement M. [S] [R] et Mme [X] [V] aux dépens de première instance,

- condamner solidairement M. [S] [R] et Mme [X] [V] à verser à la commune de [Localité 6] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité relative aux frais irrépétibles d'appel,

- condamner solidairement M. [S] [R] et Mme [X] [V] aux dépens d'appel.



Malgré signification de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelante par actes du 3 août 2020 en l'étude de l'huissier instrumentaire, M. [S] [R] et Mme [X] [V] n'ont pas constitué avocat.



Il est renvoyé aux écritures de l'appelante pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens qui seront par ailleurs analysés ci-dessous.



L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 février 2022.






MOTIFS



Sur le sort de la clôture érigée par les intimés



La commune de [Localité 6] sollicite, à titre principal, la démolition de la clôture érigée par M. [R] et Mme [V], ou à titre subsidiaire, sa mise en conformité, le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt. Elle fonde sa prétention d'une part sur la violation de l'article 544 du code civil du fait de l'existence d'un empiétement imputable aux intimés sur le terrain lui appartenant, et d'autre part sur la violation des prescriptions du code de l'urbanisme, compte tenu de l'absence de dépôt d'une déclaration préalable à l'édification de la clôture.



- Sur l'existence d'un empiétement



L'article 544 du code civil consacre la propriété comme le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Toute atteinte injustifiée à la propriété est ainsi prohibée, et tout propriétaire est en droit d'obtenir la démolition d'un ouvrage empiétant sur son fonds.



La commune soutient que M. [R] et Mme [V] ont érigé le mur de clôture litigieux en empiétant sur le terrain communal pour une superficie de 96 m².



Elle allègue que, du fait de la crise sanitaire et du dépôt du dossier sans audience, la juridiction aurait privé l'affaire d'une audience de plaidoiries qui lui aurait permis de comprendre les pièces dont elle n'a su lire et interpréter la teneur, s'agissant de plans et de cadastre, et non de textes.



Le premier juge a considéré qu'elle ne communiquait aucun élément à l'appui de sa demande, se contentant de transmettre la page 3/10 d'un procès-verbal de bornage amiable, insuffisant pour apprécier les concessions réciproques des parties, et un plan cadastral relatif à un projet de division ne démontrant pas que celle-ci avait été définitivement adoptée ; il relevait en outre que le maire s'était constitué une preuve à lui-même en transmettant un procès-verbal d'infraction imprécis, qui ne permettait pas de déterminer l'empiétement.



En cause d'appel, la commune ne communique pas l'intégralité du procès-verbal de bornage et de reconnaissance de limite (pièce n°1-A), ne versant que la page de garde et la page 3/10.



Sur le fond, ce document indique « La présente opération de bornage et de reconnaissance de limite a pour objet de reconnaître, définir et fixer d'un commun accord de manière définitive les limites séparatives communes et (ou) les points de limites communs entre » les parcelles des parties. Cependant, la page 3/10 comporte le paraphe des différentes personnes présentes lors du débat contradictoire organisé sur les lieux le 21 mars 2018 par le géomètre, mais nullement leurs signatures. Les observations et revendications des propriétaires ne sont pas précisément reprises dans l'extrait de document communiqué, pas plus que les constatations du géomètre énoncées littéralement, ou que ses propositions, et qu'un prétendu accord des parties (7 pages sur 10 étant manquantes). L'économie générale de cet acte est donc toujours ignorée de la juridiction.



La pièce 1B, qui serait une annexe de la précédente, est constituée d'un fond de plan en noir et blanc, en date du 21 mars 2018, contresigné par l'ensemble des parties, comportant des repères d'arpentage. La parcelle litigieuse, de forme triangulaire et située entre les parcelles cadastrées section B n°[Cadastre 1] d'une part, et n°[Cadastre 4] et [Cadastre 3] d'autre part, comporte en sa limite haute un tracé des points G-F-E, dont il est indiqué qu'il serait la limite conforme au plan de division dressé en septembre 2013. Un tel plan n'est pas produit.



Dans sa limite basse, la parcelle est délimitée d'un côté par un trait continu figurant un mur existant et dont la légende indique qu'il correspond à une limite de propriété reconnue contradictoirement, et de l'autre côté, par un trait en pointillés figurant un mur existant, qui serait selon la légende l'application du cadastre (limite non garantie).



Quant à la pièce n°2, elle est constituée d'un plan en couleurs, intitulé projet de division, non daté, indiquant que la parcelle triangulaire précitée, signalisée en rose, constitue le lot A, cédé au riverain -96 m². Rien n'indique que ce plan, non daté, correspondrait à la division cadastrale de 2013 mentionnée précédemment. Et effectivement, aucune pièce ne démontre que cette division cadastrale aurait été entérinée.



La parcelle B n°[Cadastre 2], dont la commune fait état dans ses conclusions comme étant la propriété de M. [R] et Mme [V], n'apparaît dans aucun des plans communiqués. Aucun titre de propriété n'est produit.



Ainsi, il ne peut être déduit de ces documents, insuffisants, que lors des opérations de bornage amiable du 21 mars 2018, les parties se seraient accordées pour reconnaître que la limite de propriété de leurs parcelles respectives correspondraient aux points G-F-E.



Contrairement à ce que soutient l'appelante, les parcelles ne sont pas clairement identifiées et la commune est défaillante dans l'établissement de ses prétentions.



Dès lors, le premier juge a procédé à une lecture pertinente et à une analyse des pièces exempte de tout reproche. Le jugement devra donc être confirmé sur ce point.





- Sur l'absence de déclaration préalable



La commune de [Localité 6], soutenant que le tribunal judiciaire est compétent pour ordonner sous astreinte la démolition d'une clôture érigée sans déclaration préalable, expose que le premier juge n'a pas statué sur la demande formée sur ce fondement juridique.



Il ressort de l'article L. 421-4, alinéas 1 et 2, du code de l'urbanisme qu'un décret en Conseil d'Etat arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, en raison de leurs dimensions, de leur nature ou de leur localisation, ne justifient pas l'exigence d'un permis et font l'objet d'une déclaration préalable. Ce décret précise les cas où les clôtures sont également soumises à déclaration préalable.



En conséquence des dispositions précédentes, l'article R. 421-12 du même code prévoit que doit être précédée d'une déclaration préalable l'édification d'une clôture située :

a) dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable classé en application de l'article L. 631-1 du code du patrimoine ou dans les abords des monuments historiques définis à l'article L. 621-30 du code du patrimoine ;

b) dans un site inscrit ou dans un site classé ou en instance de classement en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement ;



c) dans un secteur délimité par le plan local d'urbanisme en application de l'article L. 151-19 ou de l'article L. 151-23 ;

d) dans une commune ou partie de commune où le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme a décidé de soumettre les clôtures à déclaration.



Enfin, l'article L.480-14 prévoit que la commune peut saisir le tribunal judiciaire en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée telle que rappelée ci-dessus.



En l'espèce, le maire de la commune de [Localité 6] a dressé un procès-verbal d'infraction à la législation sur l'urbanisme, en date du 7 juin 2019, après avoir constaté l'installation d'une clôture en bois sans déclaration préalable, et en violation du bornage en date du 21 mars 2018. Un arrêté interruptif de travaux est intervenu à la même date.



Or, alors que la commune se prévaut d'une édification de clôture sans dépôt d'une déclaration préalable, aucun des documents ne permet de déterminer le fondement sur lequel une telle déclaration aurait été exigible compte tenu des différentes hypothèses énoncées par l'article R.421-12 du code de l'urbanisme, et ne permet donc pas de s'assurer que cette déclaration était obligatoire. Le plan local d'urbanisme ou aucune autre pièce utile ne sont produits.



Faute d'indication précise sur le fondement de l'obligation déclarative et de démonstration de son existence, le non-respect allégué ne saurait justifier que soit ordonnée la démolition ou la mise en conformité de l'ouvrage.



Au surplus, le procès-verbal d'infraction a été établi sur le fondement de l'article L.421-1 du code de l'urbanisme, qui concerne les constructions soumises à la délivrance d'un permis de construire. Ce fondement est manifestement inadapté à une construction sans déclaration préalable.



Quant à l'arrêté interruptif de travaux, qui mettait en demeure M. [R] et Mme [V] mais sans énoncer les obligations dont l'exécution était attendue, il été pris au visa du code des communes et de celui de l'urbanisme, mention pour le moins vaste et imprécise, et notamment de l'article L.421-1, fondement inadapté comme précédemment relevé.



Dans ces conditions, et ajoutant au premier jugement s'agissant des prétentions fondées sur l'absence de déclaration préalable, la demande de démolition sous astreinte et les demandes subséquentes ne pourront qu'être rejetées.



La demande en dommages et intérêts sera également rejetée.





Sur les dépens et les frais irrépétibles



La commune de [Localité 6], partie succombante, conservera la charge des entiers dépens.





PAR CES MOTIFS,



La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,



Y ajoutant,





Déboute la commune de [Localité 6] de sa demande de démolition et des demandes subséquentes fondée sur l'absence de déclaration préalable à l'édification de la clôture litigieuse,



La déboute pour le surplus des demandes,



Condamne la commune de [Localité 6] aux dépens d'appel.









Le greffierLa présidente

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