18 May 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.768

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00298

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Créanciers - Insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur - Applications diverses - Divorce - Attribution de la jouissance exclusive de la résidence au conjoint du débiteur - Portée - Fin de l'insaisissabilité

Il résulte de la combinaison des articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur, à l'égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu'il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de son activité professionnelle. Par conséquent, a violé ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l'immeuble au titre des opérations de liquidation, retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l'épouse de l'entrepreneur est sans effet sur les droits de ce dernier sur le bien et sur son insaisissabilité légale

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mai 2022




Cassation partielle


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 298 F-B

Pourvoi n° M 20-22.768

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [X], épouse [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 19 mars 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022

La société [Y], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [L] [Y], succédant à M. [W], agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [E] [K], a formé le pourvoi n° M 20-22.768 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [O] [X], épouse [K], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à M. [E] [K], domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [Y], en la personne de M. [L] [Y], succédant à M. [W], agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [E] [K], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [X], et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 octobre 2020), M. [K], coiffeur, a été mis en redressement puis liquidation judiciaires les 23 juin 2016 et 23 juin 2017. M. [W], auquel a succédé la société [Y], a été désigné en qualité de liquidateur.

2. Par une ordonnance du 9 juillet 2019, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques d'un bien immobilier appartenant au débiteur et à son épouse, Mme [X], dont cette dernière avait la jouissance exclusive depuis une ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 rendue au cours de la procédure de divorce des deux époux. Mme [X] a fait appel de l'ordonnance du juge-commissaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en sa demande d'autorisation de faire procéder à la réalisation de la propriété de M. [K] et de Mme [X], son épouse, alors « qu'au cours de l'instance en divorce, les époux peuvent avoir des résidences séparées et que le logement familial dont la jouissance exclusive a été attribuée, par l'ordonnance de non-conciliation, à un époux, n'est plus la résidence principale de l'autre époux qui a été contraint de la quitter ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2], qui avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005, était la résidence principale de M. [K] au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, alors qu'elle constatait qu'à la suite du dépôt par Mme [X] d'une requête en divorce, la jouissance exclusive de cette maison avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 qui avait statué sur la résidence séparée des époux et que M. [K] avait été contraint de la quitter en exécution de cette décision, de sorte que, depuis le 19 juillet 2010, la maison de [Adresse 5] ne constituait plus la résidence principale de M. [K] mais exclusivement celle de Mme [X], la cour d'appel a violé l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 (lire 108-1) et 255 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur, à l'égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu'il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de son activité professionnelle.

5. Pour déclarer la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l'immeuble au titre des opérations de liquidation irrecevable, l'arrêt retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à Mme [X] est sans effet sur les droits de M. [K] sur le bien et sur son insaisissabilité légale.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [K] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne Mme [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société [Y], en la personne de M. [L] [Y], succédant à M. [W], agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [E] [K].

La Selarlu [Y], représentée par M. [Y], en sa qualité de mandataire liquidateur de M. [K], fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable sa demande aux fins d'autorisation de faire procéder à la réalisation de la propriété de M. [K] et de Mme [X] située [Adresse 2]) ;

1° ALORS QUE la résidence principale de l'entrepreneur individuel, qui est seule légalement insaisissable, est le lieu où il vit effectivement et habituellement d'une manière stable ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2] était la résidence principale de M. [K] au motif qu'elle avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005 et que le divorce des époux [K]-[X] n'avait pas encore été définitivement prononcé et leur régime matrimonial pas encore été liquidé, sans rechercher concrètement, comme elle y était invitée, si, au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, et depuis le 19 juillet 2010, M. [K] ne vivait pas effectivement et habituellement d'une manière stable dans l'appartement qu'il louait à [Localité 6] et non plus dans la maison située [Adresse 2] dont la jouissance exclusive avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 et qu'il avait été contraint de quitter en exécution de cette décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 et 255 du code civil ;

2° ALORS QU'au cours de l'instance en divorce, les époux peuvent avoir des résidences séparées et que le logement familial dont la jouissance exclusive a été attribuée, par l'ordonnance de non-conciliation, à un époux, n'est plus la résidence principale de l'autre époux qui a été contraint de la quitter ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2], qui avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005, était la résidence principale de M. [K] au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, alors qu'elle constatait qu'à la suite du dépôt par Mme [X] d'une requête en divorce, la jouissance exclusive de cette maison avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 qui avait statué sur la résidence séparée des époux et que M. [K] avait été contraint de la quitter en exécution de cette décision, de sorte que, depuis le 19 juillet 2010, la maison de [Adresse 5] ne constituait plus la résidence principale de M. [K] mais exclusivement celle de Mme [X], la cour d'appel a violé l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 et 255 du code civil.

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