12 May 2022
Cour d'appel de Grenoble
RG n° 20/01006

Ch. Sociale -Section B

Texte de la décision

C2



N° RG 20/01006



N° Portalis DBVM-V-B7E-KMCR



N° Minute :













































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL FTN



la SELARL LGB-BOBANT





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 12 MAI 2022





Appel d'une décision (N° RG 19/00014)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 20 février 2020

suivant déclaration d'appel du 27 février 2020





APPELANTE :



S.A.R.L. FIMUREX BTP, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

52 A route de Colombe BP 52

38146 RIVES SUR FURE cedex



représentée par Me Florence NERI de la SELARL FTN, avocat au barreau de GRENOBLE





INTIME :



Monsieur [G] [E]

de nationalité Française

7 rue du Rif Tronchard

38120 SAINT EGREVE



représenté par Me Jean-Christophe BOBANT de la SELARL LGB-BOBANT, avocat au barreau de GRENOBLE





COMPOSITION DE LA COUR :



LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,



Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,





DÉBATS :



A l'audience publique du 02 mars 2022,



Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, chargée du rapport,



Les avocats ont été entendus en leurs observations.



Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.












EXPOSE DU LITIGE



M. [G] [E], né le 7 juin 1963, a été engagé par la société SIDERMETAL le'1er avril'1985 en qualité d'agent technico-commercial.



Le contrat de travail était repris par la société FIMUREX BTP, membre du groupe'EXPERTON-REVOLLIER, spécialisée dans la fabrication de structures en béton.



L'évolution de carrière de M. [G] [E] lui a permis d'accéder au poste de directeur général adjoint.



A ce titre, il assurait la direction du site de RIVES SUR FURE, et la coordination de l'activité des sites de CREIL et AUBIGNE RACAN.



Au dernier état de la relation contractuelle M. [G] [E] percevait une rémunération mensuelle moyenne brute de 10 366,63 euros.



M. [G] [E] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie à compter du'31'mai'2018.



Postérieurement à cet arrêt, les services de la comptabilité du siège de la société ont constaté différentes anomalies comptables sur des factures d'achats.



Il était alors procédé à un audit interne mettant à jour un système de malversations qui avait permis à M. [D] [Z], responsable du magasin, sous couvert de factures validées par des signatures contestées, de réaliser un approvisionnement à des fins personnelles de produits détournés à son bénéfice.



Par courrier du 23 août 2018 la société FIMUREX BTP a engagé une procédure disciplinaire contre M. [D] [Z], convoqué à un entretien préalable fixé au'6'septembre 2018 avec mise à pied conservatoire.



Par lettre du 15 octobre 2018, M. [D] [Z] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave.



Suivant courrier en date du 2 octobre 2018, la société FIMUREX BTP a transmis à M.'[E] une proposition de rupture conventionnelle avec un délai de réponse fixé au'5'octobre 2018.



Par courrier du 3 octobre 2018, la société FIMUREX BTP a engagé une procédure disciplinaire contre M. [G] [E], convoqué à un entretien préalable fixé au'15'octobre 2018.



Lors de l'entretien préalable reporté au 19 octobre 2018, la société FIMUREX BTP a remis à M. [E] la formalisation d'une proposition de rupture conventionnelle définissant le versement d'une indemnité de rupture de 186'600 euros.



Le 26 octobre 2018, la société FIMUREX BTP a remis à M. [G] [E] une nouvelle proposition de rupture conventionnelle avec une indemnité de rupture de'320'000'euros, assortie d'une clause de non-concurrence qui n'a pas été acceptée.



Le 31 octobre 2018, la société FIMUREX BTP a notifié à M. [G] [E], une proposition de rétrogradation à un poste de responsable technico-commercial.



Par courrier recommandé du 9 novembre 2018 M. [G] [E] a refusé cette proposition, dénonçant des accusations mensongères et des pressions exercées à son encontre.



Par courrier du 12 novembre 2018, la société FIMUREX BTP a notifié à M.'[G]'[E] une convocation à un entretien préalable fixé au 23 novembre 2018.



Le 27 novembre 2018 la société FIMUREX BTP a notifié à M. [G] [E] son licenciement pour faute, avec un préavis de six mois.



Aux termes de la lettre de licenciement, il lui est reproché, d'une part, d'avoir visé un nombre important de factures en apposant un bon à payer sans exercer sur celles-ci le moindre contrôle et, d'autre part, d'avoir accordé sans raison des encours disproportionnés, sans respecter les règles sur le crédit client, malgré des consignes précises.



Suivant courriel du 29 novembre 2018, M. [G] [E] a contesté les griefs retenus.



Contestant le licenciement, M. [G] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble par requête du 7 janvier 2019.



Après avoir sollicité un complément d'information portant sur la remise de documents revêtus du paraphe de M. [G] [E], antérieurs à la période de réalisation des fraudes constatées, par jugement du 20 février 2020 le conseil de prud'hommes de Grenoble a':



DIT que le licenciement de M. [G] [E] ne repose sur aucune cause réelle ni sérieuse,

CONDAMNE la SARL FIMUREX BTP à payer à M. [G] [E] les sommes suivantes :

- 190.400 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du jugement,

ORDONNE l'exécution provisoire en application de l'article 515 du Code de procédure civile,

DIT que les sommes seront consignées à la Caisse des dépôts et Consignation,

DÉBOUTE la société FIMUREX BTP de sa demande reconventionnelle,

CONDAMNE la SARL FIMUREX BTP aux dépens.



Ce jugement a été notifié aux parties les 21 et 22 février 2020.



La société FIMUREX BTP en a relevé appel partiel par déclaration en date du 27 février 2020.





Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le'25'janvier'2022, la société FIMUREX BTP SARL demande à la cour de':



CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 20 février 2020 en ce qu'il a dit et jugé que les fautes reprochées à M. [G] [E] n'étaient pas prescrites.

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 20 février 2020 en ce qu'il a débouté M. [G] [E] de sa demande de nullité du licenciement notifié le'27'novembre 2018.

REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement de M.'[G]''[E] ne repose sur aucune cause réelle ni sérieuse.

REFORMER le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Grenoble le'20'février'2020 en ce qu'il a condamné la société FIMUREX BTP à lui payer les sommes de 190.400 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1.500 euros au titre de l'article de l'article 700 du code de procédure civile.

REFORMER le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Grenoble le'20'février'2020 en ce qu'il a débouté la société FIMUREX BTP de sa demande au titre de l'article 700.

REFORMER le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Grenoble le'20'février'2020 en ce qu'il a condamné la société FIMUREX BTP aux dépens.



Statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que la société FIMUREX BTP démontre que le contrôle des factures d'achat relevait des attributions de M. [G] [E].

DIRE ET JUGER que M. [G] [E] a failli dans le contrôle des factures d'achat et de ce fait, dire et juger que ce premier grief, qui justifiait amplement son licenciement, est réel et sérieux.



A titre subsidiaire,

ORDONNER une procédure de vérification d'écritures.

DIRE ET JUGER que M. [G] [E] a commis une faute en continuant à livrer la société PSC CORSE alors qu'un premier incident de paiement était survenu dès février 2018 pour atteindre un encours de 59.199,00 euros lequel n'a jamais été recouvré par la société'FIMUREX BTP.

DIRE ET JUGER que le licenciement de M. [G] [E] repose sur une cause réelle et sérieuse et par conséquent,

DEBOUTER M. [G] [E] de l'intégralité de ses demandes.



A titre subsidiaire,

- Si la Cour considère que le licenciement de M. [G] [E] est nul : RAMENER le montant des dommages et intérêts sollicités au titre de la nullité du licenciement à la somme de'57.120 euros nets (9.520 euros x 6 mois) en l'absence de tout préjudice démontré.

- Si la Cour considère que le licenciement de M. [G] [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse : RAMENER le montant des dommages et intérêts sollicité par M.'[G]'[E] pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à la somme de 28.560 euros correspondant au plafond bas fixé par l'article L.1235-3 du code du travail, lesquels ne pourrait en tout état de cause excéder le plancher haut fixé par l'article L.1235-3 du Code du Travail, soit 20 mois de salaire (190.400 euros).

DEBOUTER en tout état de cause M. [G] [E] de son appel incident.



A titre reconventionnel,

CONDAMNER M. [G] [E] à payer à la société FIMUREX BTP la somme de'3.000'euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.





Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le'21'janvier'2022, M. [G] [E] demande à la cour de':



DIRE ET JUGER que l'appel de la société FIMUREX BTP est mal fondé.

En conséquence, DEBOUTER la société FIMUREX BTP de l'intégralité de ses fins, moyens, demandes et prétentions.

DIRE ET JUGER que le licenciement de M. [G] [E] est nul pour avoir été motivé par son état de santé et/ou son âge, ou, dans tous les cas, sans cause réelle et sérieuse.

CONFIRMER le jugement entrepris, sauf à faire droit à l'appel incident relevé par M.'[G]'[E], et, ainsi, à juger que les griefs allégués étaient prescrits, et à porter le montant des dommages-intérêts à la somme de 280.000,00 euros net, compte tenu de l'aggravation du préjudice subi.

CONDAMNER la société FIMUREX BTP d'avoir à verser à M. [G] [E] une somme de 3.000,00 euros net en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

CONDAMNER la Société FIMUREX BTP aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl LGB-BOBANT, Avocats Associés, sur ses offres de droits en application de l'article 699 du code de procédure civile.





Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2022.



L'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 2 mars 2022 a été mise en délibéré au'12'mai'2022.












MOTIFS DE L'ARRÊT



1 ' Sur la demande de nullité du licenciement



L'article L1132-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 02 mars 2017 au 24 mai'2019 énonce que :

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé ou de son âge.



L'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations dans sa Version en vigueur du 20 novembre 2016 au 02 mars 2017 énonce que :

Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.



L'article L1132-4 du code du travail prévoit que :

Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.



L'article L 1134-1 du code du travail dispose que':

Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



Au cas d'espèce, le salarié avance, d'une part, que le licenciement a été prononcé pendant son arrêt de travail pour maladie et, d'autre part, qu'il était âgé de 55 ans au moment de l'engagement de la procédure disciplinaire, relevant en outre que l'employeur avait également engagé une procédure de rupture conventionnelle et envisagé une sanction de rétrogradation.



S'il est effectivement établi que l'employeur avait connaissance tant de l'âge du salarié que de son arrêt de travail pour maladie quand il a engagé la procédure disciplinaire, le 3 octobre 2018, ces seuls éléments ne suffisent toutefois pas à laisser supposer l'existence d'une discrimination en l'absence de tout élément de fait susceptible de laisser supposer l'existence d'un lien entre l'engagement de la procédure disciplinaire et la situation d'âge et de santé du salarié.



En effet, il n'est justifié d'aucune circonstance permettant d'établir un tel lien. Ni la procédure de rupture conventionnelle, ni la procédure disciplinaire en ce qu'elle a envisagé une mesure de rétrogradation ne font apparaître de telles circonstances. Il n'est pas davantage démontré que l'employeur avait connaissance des causes médicales de l'arrêt de travail régulièrement renouvelé depuis le 31 mai 2018. Il n'est argué d'aucune concomitance entre la décision de l'employeur et le renouvellement des arrêts maladie du salarié.



Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de considérer que le licenciement de M. [G] [E] serait fondé sur une discrimination liée à son état de santé ni à son âge.



Infirmant le jugement déféré en ce qu'il a omis de statuer sur cette prétention au dispositif de la décision, la cour déboute M. [G] [E] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement.





2 ' Sur la contestation des motifs du licenciement



L'article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.



Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en cas de litige, forme sa conviction au regard des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile. Si un doute subsiste, il doit profiter au salarié.



L'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.



Une faute disciplinaire ne peut être retenue à l'égard du salarié que s'il est établi la matérialité des faits, leur imputabilité et une volonté intentionnelle dans leur commission.



En l'espèce, la lettre de licenciement du 27 novembre 2018, qui fixe les limites du litige, vise deux griefs :

« ['] Il est clairement démontré que vous avez visé un nombre important de factures en apposant un bon à payer sans exercer sur celles-ci le moindre contrôle.

Agissant ainsi, votre négligence systématique à n'exercer aucun contrôle ni ne demander aucune explication a permis à monsieur [Z], magasinier, d'acheter pour son compte personnel des matériels que l'entreprise a donc payés au travers des factures que vous validiez.

['] Malgré des consignes précises, vous n'avez pas respecté les règles sur le crédit client (dossier PSC corse) accordant des en-cours disproportionnés et sans raison, bien au-delà des limites qui vous étaient attribuées. Cela débouche sur un sinistre d'insolvabilité d'un montant de 56'199 euros qui était évitable dans le cadre d'une surveillance appropriée, et pire laisse entendre à notre assureur que nous ne maîtrisons pas le processus. Outre le coût engendré, votre négligence débouche sur la remise en cause du professionnalisme de l'ensemble du groupe.'»



Il ressort ainsi de la lettre de licenciement qu'il est reproché à M. [G] [E] un manque de vigilance fautif dans son rôle de contrôle de dépenses ainsi que des négligences fautives en matière de respect des consignes de crédit client.



L'article L. 1332-4 du code du travail dispose que :

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.



Le licenciement survenu en méconnaissance de ces dispositions est sans cause réelle et sérieuse.



Les poursuites disciplinaires se trouvent engagées à la date à laquelle le salarié concerné est convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire.



Lorsque les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il incombe à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites. Cette connaissance par l'employeur s'entend d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.



Si des vérifications ont été entreprises préalablement à l'engagement de poursuites disciplinaires, le point de départ du délai de prescription est fixé à la date à laquelle l'employeur a eu connaissance du résultat de ces investigations.



En l'espèce, il est acquis que les fautes reprochées à M. [G] [E] sont antérieures au'31 mai 2018 et datent de plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires par courrier du 3 octobre 2018, portant convocation du salarié au premier entretien préalable.



Il incombe donc à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'a eu connaissance des faits fautifs que postérieurement au 3 août 2018.



S'agissant du premier grief, en premier lieu, l'employeur soutient, sans le démontrer, que ce sont les déclarations du magasinier, M. [D] [Z], lors de l'entretien préalable du'6'septembre 2018, qui ont révélé des manquements commis par M. [E] dans le contrôle des achats.



La société FIMUREX BTP justifie, certes, de la lettre de licenciement de M. [D] [Z] du'15'octobre'2018 mentionnant notamment «'concernant les factures antérieures à mai 2018 vous avez affirmé que vous n'aviez jamais imité la signature de monsieur [E], mais que celui-ci ne contrôlant rien vous aviez pu sans difficulté lui présenter les factures sans craindre d'être découvert'» mais ne produit ni le compte-rendu de l'entretien préalable du'6'septembre'2018, ni aucun élément probant de déclarations de M. [D] [Z] révélant un défaut de contrôle des dépenses par M. [G] [E].



En second lieu, la société FIMUREX BTP ne présente aucun élément précis concernant les circonstances exactes de découverte des malversations commises par M. [D] [Z]. Elle affirme avoir découvert les factures litigieuses pendant les congés d'été de M.'[H]'[L], du 2 au 17 août 2018, et avoir fait procéder à un audit de contrôle, sans toutefois justifier ni de cet audit ni d'aucun élément probant concernant la date de découverte des falsifications de factures. La note aux élus, jointe à une convocation des élus en comité d'entreprise extraordinaire pour le'14' septembre 2018, vise cet audit de contrôle sans en préciser la date exacte puisqu'il est indiqué qu'il a été «'réalisé au cours de l'été par les services de comptabilité du siège ». Aussi, il ne peut se déduire des éléments de la procédure disciplinaire engagée contre M.'[D]'[Z] le'23 août 2018 que l'employeur n'aurait pu avoir connaissance des faits que postérieurement au 2'août'2018.



Il en résulte que la société FIMUREX BTP ne démontre pas avoir eu connaissance des faits reprochés à M. [G] [E], au titre du premier grief, dans les deux mois précédant le 3 octobre 2018.



S'agissant du second grief, l'employeur soutient qu'il a eu connaissance des négligences reprochées au salarié en réceptionnant un courrier en date du 11 septembre 2018 par lequel son assureur a refusé la prise en charge d'opérations de crédit. Il ressort de ce courrier qu'il s'agissait d'opérations facturées de décembre'2017 à février 2018, la première échéance impayée datant du'15'février'2018.



Toutefois, la date de refus de prise en charge des impayés par l'assureur ne permet pas d'établir la date à laquelle la société FIMUREX BTP avait eu connaissance de ces opérations litigieuses.



Il résulte en effet des termes de la lettre de licenciement que l'employeur reproche à son salarié non pas d'avoir manqué de déclarer le sinistre, mais d'avoir manqué de respecter des règles sur le crédit client en «'accordant des en-cours disproportionnés en sans raison, bien au-delà des limites qui vous étaient attribuées. ». Ajoutant «'Cela débouche sur un sinistre d'insolvabilité d'un montant de 56'199 euros qui était évitable dans le cadre d'une surveillance appropriée'», la lettre de licenciement ne vise aucun grief quant à la prise en charge des impayés par l'assurance.



Alors qu'il s'agit d'opérations facturées de décembre 2017 à février 2018 et enregistrées en comptabilité sur le compte client de la société PSC Corse, la société FIMUREX BTP ne produit aucun élément précis tendant à établir qu'elle ne pouvait pas avoir connaissance de l'existence de ces opérations ni de leur montant avant le courrier de l'assureur.



La charge de cette preuve lui incombant, la cour constate que la société FIMUREX BTP ne démontre pas avoir eu connaissance de l'existence des encours visés par le second grief, après le 2 août 2018.



Il résulte de ce qui précède que les poursuites disciplinaires engagées le 3 octobre 2018 se heurtent au délai de prescription de deux mois et que les griefs visés dans la lettre de licenciement sont prescrits.



Confirmant le jugement entrepris par substitution de motifs, la cour déclare le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.





3 ' Sur les demandes financières



Le juge judiciaire est investi par l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 du contrôle de la conventionnalité des lois et doit vérifier si celles-ci sont conformes aux traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés, dès leur publication.



L'article 10 de la convention 158 de l'OIT, ratifiée par la France le 16 mars 1989, dispose que :

Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.



L'article 24 de la charte sociale européenne, ratifiée par la France le 7 mai 1999, énonce que :

En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.



A cette fin, les parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.



Ces dispositions de deux accords internationaux sont d'application et d'effet direct dans le système juridique français s'agissant des modalités qu'elles prévoient pour réparer le licenciement injustifié d'un travailleur en ce que :

- elles n'ont pas pour objet exclusif de régir uniquement les relations entre les Etats parties mais concernent les rapports entre un employeur et un travailleur,

- elles garantissent un droit précis, clair et inconditionnel pour le travailleur en cas de licenciement injustifié : notamment obtenir le versement d'une indemnité adéquate,

- les deux accords internationaux ne prévoient aucune marge de man'uvre aux Etats parties «'ils devront être habilités à ordonner (..) » pour la convention 158 de l'OIT « s'engage à reconnaître le droit (...) » pour la charte sociale européenne,

- l'Etat français n'a formulé aucune réserve les concernant, et notamment au titre de l'article III. Article A, ENGAGEMENTS, de la charte sociale européenne dont il a accepté l'application de l'ensemble des articles



- aucun acte complémentaire des Etats n'est nécessaire pour que ces stipulations produisent des effets à l'égard des particuliers dès lors que l'Etat a instauré un organe pour connaître des litiges relatifs à un licenciement allégué comme injustifié ; ce qui est le cas en vertu de l'article L 1411-1 du code du travail confiant au Conseil de prud'hommes, compétence pour régler les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient,

- les avis de la Cour de cassation n°15012 et 15013 du 17 juillet 2019 ne lient pas les juridictions qui les ont sollicités et a fortiori d'autres juridictions en vertu de l'article L 441-3 du code de l'organisation judiciaire,



La notion d'indemnité adéquate n'est certes pas usuelle en droit français.



Si les décisions du Comité européen des droits sociaux et du Comité des experts instaurés respectivement dans le cadre de la charte sociale européenne et de l'OIT ne sont pas exécutoires dans les ordres juridiques nationaux, elles établissent le droit dès lors qu'elles se réfèrent à des dispositions juridiques contraignantes et peuvent servir de base d'inspiration notamment à la jurisprudence d'un Etat partie lorsqu'une juridiction doit faire application d'une disposition d'un accord international ratifié.



Dans une décision (VENEZUELA 1982) sur une réclamation en vertu de l'article 24 de la constitution de l'OIT, le comité des experts de l'OIT a considéré que :

« L'article 10 de la convention (158 NDR) prévoit qu'à titre accessoire une indemnité «'adéquate » soit versée au travailleur ayant fait l'objet d'un licenciement injustifié, lorsque l'annulation du licenciement et la réintégration comme moyens de réparation principaux ne peuvent être prononcées. Le comité note que le dédommagement financier ainsi prévu sert à indemniser la perte injustifiée de l'emploi et doit être à ce titre « adéquat », c'est-à-dire suffisamment dissuasif pour éviter le licenciement injustifié. Le comité note que, si l'utilisation du terme « adéquat »; n'établit ni un quelconque montant pour cette indemnité ni les modalités du calcul de ce montant, il indique cependant que le montant de l'indemnité doit raisonnablement permettre d'atteindre le but visé, à savoir l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. »



Dans deux décisions (Finish society of social rights c/ Filande n°106/214 et CGIL c/Italie n°158/2017) le comité européen des droits sociaux a jugé non conforme à l'article 24 de la charte sociale européenne un plafonnement des indemnités pour réparer les licenciements injustifiés instauré par la loi par deux Etats parties, à savoir la FINLANDE et l'ITALIE, en définissant ainsi notamment la notion d'indemnité adéquate :

« Le Comité rappelle qu'en vertu de la Charte, les salariés licenciés sans motif valable doivent obtenir une indemnisation ou toute autre réparation appropriée. Les mécanismes d'indemnisation sont réputés conformes à la Charte lorsqu'ils prévoient :

- le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours ;

- la possibilité de réintégration du salarié et/ou

- des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ».



La Cour Constitutionnelle italienne a déclaré non conforme à la constitution une loi ayant instauré un plafonnement des indemnités de licenciements injustifiés par référence à l'article'24'de la charte sociale européenne et à son interprétation donnée par le Comité des droits sociaux dans la réclamation concernant la législation finlandaise (Cour Constitutionnelle Italienne, décision 25 septembre 2018).



Il se déduit de ces interprétations concordantes de la notion d'indemnité adéquate que celle-ci doit s'entendre comme une réparation financière devant à tout le moins indemniser la perte injustifiée de l'emploi subie par le salarié à raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, notion connue et appliquée en droit du travail français (Cass.Soc.13 septembre 2017 pourvoi n°16-13578 publié au bulletin).



Cette définition de l'indemnité adéquate comme l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi est également compatible avec l'alternative découlant à la fois des engagements internationaux sus-mentionnés de la France et du droit interne consistant à pouvoir, pour la juridiction compétente, proposer, sans être habilitée à l'ordonner, la réintégration du salarié dans l'emploi dont il a été privé de manière injustifiée.



L'article L 1235-3 du code du travail dans ses versions postérieures au 24 septembre 2017 instaure un barème d'indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse en fonction de l'ancienneté du salarié et de son salaire brut.



Ce barème énonce en principe une indemnité minimale de sorte qu'il se déduit de ce texte que la perte injustifiée de l'emploi crée nécessairement un préjudice au salarié.



Il prévoit pour autant également un plafond maximal en fonction de l'ancienneté du salaire.



Toutefois, en application de l'article 10 de la convention OIT 158 et de l'article 24 de la charte sociale européenne, il appartient toujours au juge d'apprécier souverainement l'étendue dudit préjudice et le cas échéant de laisser inappliqué le barème s'il considère au vu des éléments fournis par le salarié que celui-ci n'est pas de nature à assurer la réparation appropriée de la perte injustifiée de l'emploi.



Au cas d'espèce, au jour de son licenciement injustifié, M. [G] [E] percevait une rémunération mensuelle moyenne brute de 10 366,63 euros et justifiait d'une ancienneté de plus de trente-trois années. D'après les barèmes sus-énoncés, il peut ainsi prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre trois et vingt mois de salaire bruts.



M. [G] [E], âgé de 55 ans au moment de la rupture, est classé en invalidité dans la catégorie 2, depuis le 1er avril 2020.



Aux termes d'un certificat médical du docteur [K] en date du 7 octobre 2021, il était pris en charge pour dépression depuis le 1er juin 2018 et présentait toujours un état «'anxieux et dépressif avec épisodes d'alcoolisation'».



Si ces éléments ne suffisent pas à caractériser un lien de causalité entre le licenciement du salarié et la dégradation de son état de santé, le salarié justifie, en tout état de cause, d'une baisse importante de ses revenus ensuite de son licenciement, ainsi que de ses droits à la retraite.



Compte tenu de l'ensemble de ses éléments, le barème d'indemnisation fixant un maximum d'indemnité de vingt mois de salaire brut apparait suffisant à réparer le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi imputable à l'employeur.



C'est par un motif inopérant que l'employeur argue des montants versés au salarié au titre de la rupture et de l'indemnité conventionnelle de licenciement qui n'ont pas pour objet de réparer le préjudice subi du fait de la perte injustifiée de l'emploi.



Au regard de la persistance du préjudice subi, par infirmation du jugement déféré, il est alloué à M. [G] [E] une indemnité de 200'000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus de la demande de ce chef étant rejeté.





4 ' Sur les demandes accessoires



La société FIMUREX BTP, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris, outre les dépens d'appel.



L'employeur est donc débouté de sa demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Il serait, par ailleurs, inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [G] [E] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer la condamnation de la société FIMUREX BTP à lui verser la somme de'1'500'euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à verser une indemnité complémentaire de 1'500 euros au titre des frais exposés en appel.





PAR CES MOTIFS':



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,



CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':

- DIT que le licenciement de M. [G] [E] ne repose sur aucune cause réelle ni sérieuse,

- CONDAMNE la société FIMUREX BTP SARL à payer à M. [G] [E] la somme de'1500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- DÉBOUTE la société FIMUREX BTP SARL de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNE la SARL FIMUREX BTP SARL aux dépens.



L'INFIRME pour le surplus,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



DEBOUTE M. [G] [E] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement';



CONDAMNE la société FIMUREX BTP SARL à payer à M. [G] [E] la somme de 200'000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,



DEBOUTE M. [G] [E] du surplus de ses prétentions financières';



CONDAMNE la société FIMUREX BTP SARL à payer à M. [G] [E] une indemnité complémentaire de 1'500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';



CONDAMNE la société FIMUREX BTP SARL aux dépens d'appel.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





La Greffière La Présidente

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