11 May 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-13.738

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C300407

Titres et sommaires

BAIL COMMERCIAL - Renouvellement - Acceptation du bailleur - Effets - Résolution du bail - Renonciation

Il résulte des articles L. 145-10, alinéa 4, et L. 145-11 du code commerce que l'acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d'une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste la volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement. Encourt, dès lors, la censure, l'arrêt qui accueille la demande en constatation de la résiliation du bail alors que le bailleur, en notifiant au locataire l'acceptation du principe du renouvellement du bail postérieurement au commandement visant la clause résolutoire dont les effets n'avaient pas été constatés judiciairement, avait renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées à ce commandement

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 407 FS+B

Pourvoi n° A 19-13.738




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022

1°/ M. [C] [R],

2°/ Mme [V] [E],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° A 19-13.738 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [M] [Y],

2°/ à Mme [J] [Y],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [R] et Mme [E], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), rendu en référé, et les productions, M. et Mme [Y] (les bailleurs) ont, le 1er février 2003, donné à bail commercial à M. [R] et Mme [E] (les preneurs) divers locaux.

2. Le 22 novembre 2017, les bailleurs ont délivré aux preneurs un commandement, visant la clause résolutoire, de payer un arriéré au titre de la régularisation de charges et de justifier d'une assurance contre les risques locatifs. Le 12 janvier 2018, ils ont accepté, moyennant un loyer plus élevé, le principe du renouvellement du bail commercial, demandé par les preneurs, le 12 octobre 2017.

3. Par acte du 21 décembre 2017, les preneurs ont sollicité des délais de paiement et, le 28 mars 2018, les bailleurs ont demandé, à titre reconventionnel, la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et la condamnation des preneurs au paiement de diverses provisions.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le second moyen, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.



Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

5. Les preneurs font grief à l'arrêt de constater l'acquisition, à la date du 22 décembre 2017, de la clause résolutoire insérée au bail consenti le 1er février 2003, d'ordonner, à défaut de restitution volontaire, leur expulsion et celle de tout occupant de leur chef des lieux loués, de fixer l'indemnité d'occupation due par les preneurs et de les condamner solidairement au paiement de cette indemnité, alors « qu'en retenant que les bailleurs ne pouvaient être regardés comme ayant renoncé à se prévaloir du commandement en acceptant le principe du renouvellement du bail dès lors que le bail initialement conclu étant résilié de plein droit le 22 décembre 2007, les bailleurs étaient libres de consentir un nouveau contrat, une éventuelle nouvelle convention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-8, L. 145-10, L. 145-11 et L. 145-41 du code de commerce.»

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 145-10, alinéa 4, et L. 145-11 du code commerce :

6. Selon le premier de ces textes, dans les trois mois de la notification de la demande du preneur en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.

7. Selon le second, le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l'article L. 145-9 ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l'article L. 145-10, faire connaître le loyer qu'il propose.

8. Il en résulte que l'acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d'une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste la volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement.

9. Pour accueillir la demande reconventionnelle en constatation de la résiliation du bail, l'arrêt retient que les preneurs ne peuvent valablement soutenir que les bailleurs ont renoncé à se prévaloir du commandement du 22 novembre 2017, dès lors que le bail initialement conclu entre les parties a été résilié de plein droit le 22 décembre 2017, les bailleurs étant libres de consentir un nouveau contrat, les parties ne s'étant d'ailleurs manifestement pas encore entendues sur les termes d'une éventuelle nouvelle convention, et notamment sur le montant du loyer.

10. En statuant ainsi, alors qu'en notifiant aux locataires, le 12 janvier 2018, soit postérieurement au commandement du 22 novembre 2017 visant la clause résolutoire dont les effets n'avaient pas été constatés judiciairement, une acceptation du principe du renouvellement du bail, les bailleurs ont renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées au commandement antérieur pour obtenir la résiliation du bail renouvelé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- constate l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 22 décembre 2017 ;

- ordonne, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de M. [R] et de Mme [E] et de tout occupant de leur chef des lieux sis [Adresse 1] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;

- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivant du code des procédures civiles d'exécution ;

- fixe à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par M. [R] et Mme [E], à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires et condamné solidairement M. [R] et Mme [E] au paiement de cette indemnité ;

l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. et Mme [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour M. [R] et Mme [E]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir constaté l'acquisition, à la date du 22 décembre 2017, de la clause résolutoire insérée au bail consenti à M. [R] et Mme [E] le 1er février 2003 par M. et Mme [Y], d'avoir ordonné, à défaut de restitution volontaire, l'expulsion de M. [R] et de Mme [E] et de tout occupant de leur chef des lieux loués, d'avoir fixé l'indemnité d'occupation due par les locataires à une somme égale au montant du loyer contractuel et de les avoir condamnés solidairement au paiement de cette indemnité ;

AUX MOTIFS QUE M. [R] et Mme [E] n'ont pas justifié d'une assurance des locaux contre les risques locatifs dans le délai imparti qui expirait le 22 décembre 2017, et qu'ils n'établissent pas qu'ils étaient, à la date de la délivrance du commandement de payer, effectivement assurés à ce titre ; qu'ils ne peuvent arguer du fait qu'ils n'ont pas compris la portée des échanges de courriers avec leur assureur qui leur opposait de manière claire et précise une déchéance totale de garantie pour s'opposer au constat d'acquisition de la clause résolutoire du bail du fait du non-respect de cette obligation essentielle du contrat ; qu'au demeurant, les appelants n'établissent pas qu'ils sont désormais assurés contre les risques locatifs, l'attestation qu'ils versent aux débats, à effet du 28 mars 2018, mentionnant une assurance de responsabilité civile sans préciser qu'elle englobe l'assurance des locaux contre les risques locatifs ; que les preneurs n'ont donc pas satisfait aux causes du commandement du 22 novembre 2017 s'agissant de la justification d'une assurance contre les risques locatifs ; qu'ils ne peuvent valablement soutenir que les bailleurs ont renoncé à se prévaloir de cet acte d'huissier par l'acceptation du principe du renouvellement dès lors que le bail initialement conclu entre les parties a été résilié de plein droit le 22 décembre 2017, les bailleurs étant libres de consentir un nouveau contrat, les parties ne s'étant d'ailleurs manifestement pas encore entendues sur les termes d'une éventuelle nouvelle convention et notamment sur le montant du loyer ;

1) ALORS QUE la déchéance de garantie représente la perte d'un droit à indemnisation lors d'un sinistre déterminé et n'entraîne pas, par elle-même, la résiliation du contrat d'assurance ; qu'en affirmant qu'au regard des courriers de leur assureur qui leur opposait de manière claire et précise une déchéance totale de garantie, les locataires n'établissaient pas qu'ils étaient, à la date du commandement, effectivement assurés ou convaincus d'être assurés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-1 et suivants du code des assurances, ensemble l'article L. 145-1 du code de commerce ;

2) ALORS QUE les courriers adressées par la compagnie Aviva les 15 février et 2 mars 2017 à Mme [E] lui notifiaient un refus de prise en charge du sinistre survenu le 13 décembre 2015 et lui réclamaient le remboursement de l'indemnité versée dans le cadre de ce sinistre ; que ces courriers, s'ils opposaient à l'assurée une déchéance de garantie entraînant la perte du droit à indemnité à raison dudit sinistre, n'évoquaient aucune résiliation, résolution ou nullité du contrat d'assurances ; qu'en affirmant cependant que les locataires ne pouvaient prétendre n'avoir pas compris, à la lecture de ces courriers, qu'ils n'étaient plus assurés, la cour d'appel a dénaturé les lettres des 15 février et 2 mars 2017 en violation de son obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est donné ;

3) ALORS QUE le bail commercial renouvelé après une demande de renouvellement acceptée n'est pas un nouveau contrat ; qu'en retenant que les bailleurs ne pouvaient être regardés comme ayant renoncé à se prévaloir du commandement en acceptant le principe du renouvellement du bail dès lors que le bail initialement conclu étant résilié de plein droit le 22 décembre 2007, les bailleurs étaient libres de consentir un nouveau contrat, une éventuelle nouvelle convention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-8, L. 145-10, L. 145-11 et L. 145-41 du code de commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir condamné in solidum M. [R] et Mme [E] à payer à M. [Y] et Mme [Y] la somme de 6 519,81 euros au titre des régularisation de charges des années 2013 à 2017 avec intérêts au taux légal à compter du 4 octobre ;

AUX MOTIFS QUE I'omission pour le bailleur de régulariser les charges annuellement ne constitue pas une contestation sérieuse à la demande en paiement d'une provision à ce titre dès lors que le bailleur justifie avec l'évidence requise en référé du montant des charges effectivement dues, le bailleur pouvant simplement se voir opposer, le cas échéant, la prescription quinquennale de droit commun ; qu'aucune prescription n'est encourue puisque les sommes réclamées au titre des régularisations de charges des années 2013 à 2017, qui ont été fixées par le syndicat des copropriétaires respectivement en juin 2014, mars 2015, mai 2016 et juin 2017, ont fait l'objet du commandement de payer qui a été délivré aux appelants le 22 novembre 2017 et les sommes réclamées au titre de la régularisation de charges de l'année 2017 ont été établies par la copropriété le 30 mai 2018 ; que les époux [Y] produisent les relevés annuels de régularisation de charges ainsi que le tableau récapitulatif des charges pour les années 2013 à 2017, l'avis de régularisation du 14 septembre 2018 et les avis de taxes foncières de 2013 à 2017 ; qu'au vu de ces éléments, les bailleurs justifient de leur demande de provision relative à la régularisation des charges locatives des années 2013 à 2017 à hauteur de 6 519,81 euros ;

ALORS QUE les locataires soutenaient que les décomptes produits par les bailleurs n'étaient pas conformes aux obligations prévues au bail dès lors que l'article 2 de celui-ci vise les seules charges locatives et non l'intégralité des charges de copropriété et qu'il appartenait au bailleur de faire le décompte des charges imputables aux locataires en déduisant les provisions versées ; que ledit article 2 du bail stipulait que le bailleur devra adresser, un mois avant l'échéance de la régularisation annuelle des charges, un décompte faisant ressortir la quote-part du preneur ; qu'il ne ressort des constatations de l'arrêt ni que le bailleur aurait régulièrement adressé aux preneurs, un mois avant l'échéance de la régularisation annuelle, un décompte des charges faisant ressortir la part imputable au locataire, ni même que les décomptes produits devant le juge des référés fassent ressortir la quote-part de charges locatives en déduisant les provisions versées ; qu'en retenant cependant qu'aucune contestation sérieuse ne s'opposait à la demande, la cour d'appel a violé l'article 1103 nouveau du code civil, ensemble l'article 809 du code de procédure civile.

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