20 April 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/03750

Pôle 6 - Chambre 4

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 20 AVRIL 2022



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03750 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB523



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 11 Décembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01790



APPELANT



Monsieur [K] [N]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Mélody OLIBÉ, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE



S.A.S.U. GUESS FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président

Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère



Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD



ARRET :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.














FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :



M. [K] [N] a été engagé en tant que conseiller de vente par la SASU Guess France, d'abord comme stagiaire, durant l'année 2016, puis par contrat de travail à durée déterminée à temps complet à compter du 19 décembre et jusqu'au 31 décembre 2016, puis, enfin, par contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2017. Sa rémunération brute mensuelle contractuelle était de 840,54 euros pour une durée de travail hebdomadaire de 14 heures. La convention collective applicable était celle, nationale, des maisons à succursales de vente au détail d'habillement du 30 juin 1972 (IDCC 675).



Le 5 février 2018, après une période de mise à pied conservatoire, M. [N] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave pour complicité de vol et non-respect, le 17 janvier précédent, d'un certain nombre de procédures internes à l'entreprise concernant les cabines d'essayage et le passage en réserve.



Il a été relaxé des faits de complicité de vol par jugement du tribunal de grande instance de Paris le 14 septembre 2018. L'auteur principal a en revanche été condamné pour vol de vêtements au préjudice de la société Guess France.



Le 1er mars 2019, contestant son licenciement, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir les conséquences financières de cette requalification ainsi que des dommages-intérêts pour discrimination.



Par jugement du 11 décembre 2019, le conseil a rejeté l'ensemble des demandes.



Par déclaration au greffe du 25 juin 2020, le salarié a fait appel.



Par conclusions remises via le réseau privé virtuel des avocats le 24 septembre 2020, il demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- principalement, condamner la société Guess France à lui payer 5.043,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- subsidiairement, condamner la société Guess France à lui payer 1.681,08 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Guess France à lui payer 245,16 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- condamner la société Guess France à lui payer 840,54 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 84,05 euros de congés payés afférents ;

- condamner la société Guess France à lui payer 617,90 euros au titre du rappel de salaire pendant la période de mise à pied injustifiée ;

- condamner la société Guess France à lui payer 10.000 euros de dommages et intérêts pour discrimination.

- condamner la société Guess France à lui délivrer les documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de la décision à intervenir ;

- juger que le montant alloué produira intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- débouter la société Guess France de toutes ses demandes ;

- condamner la société Guess France à lui payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.



Par conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 22 décembre 2020, l'intimé demande à la cour :

- à titre principal, d'écarter la pièce adverse n° 8 et de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes ;

- à titre subsidiaire, de juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter la demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de fixer le montant du rappel de salaire pour la période relative à la mise à pied à 412,72 euros brut ;

- à titre infiniment subsidiaire, de fixer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 1 mois de salaire brut, soit 840,54 euros brut, et le montant du rappel de salaire pour la période relative à la mise à pied à 412,72 euros brut ;

- en tout état de cause, de condamner M. [N] à lui payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, de première instance et d'appel, distraits au profit de son conseil.



En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux

conclusions des parties pour un exposé complet du litige.




MOTIFS DE LA DÉCISION :



1 : Sur la pièce n°8



Le défaut de signature du compte-rendu d'entretien préalable versé par le salarié sous le numéro 8 n'est pas de nature à justifier que ce document soit a priori écarté des débats, sa force probatoire devant, le cas échéant, être appréciée avec le fond.



La demande tendant à voir écarter cette pièce des débats sera rejetée et le jugement qui n'a pas statué sur ce point complété en ce sens.



2 : Sur le licenciement pour faute grave



2. 1 : Sur la production de la vidéo surveillance



Si l'appelant demande dans le corps de ses conclusions la production forcée de la totalité des enregistrements de vidéo surveillance, cette demande n'est pas reprise dans le dispositif de ses conclusions en sorte que, en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'en est pas saisie, étant souligné que la production forcée d'un document dont l'existence n'est pas certaine ne peut en tout état de cause pas être ordonnée.



2.2 : Sur la faute grave



L'article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié. Aux termes de l'article L.1232-1 du même code, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.



Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.



Il est de principe que, si les faits dont la juridiction pénale est saisie ne sont pas établis ou ne sont pas imputables au salarié, l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose au juge prud'homal et que ces faits ne peuvent être retenus comme cause réelle et sérieuse de licenciement. Cependant la relaxe prononcée par le juge répressif ne prive pas le juge civil du pouvoir d'apprécier les faits de violation du règlement intérieur énoncés par la lettre de licenciement.



En l'espèce, aux termes de la lettre de rupture du 5 février 2018, après une période de mise à pied conservatoire, M. [N] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave pour des faits de complicité de vol le 17 janvier précédent et de non-respect d'un certain nombre de procédures internes à l'entreprise concernant les cabines d'essayage et le passage en réserve ce qui aurait eu un effet plus que négatif sur l'image de marque de l'entreprise. Il lui est également reproché un non-respect des articles 3.3, 3.4.1, 3.6 et 3.8 du contrat de travail.



Si les faits de complicité de vol pour lesquels le salarié a été relaxé ne peuvent pas être constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de rupture, compte tenu de l'autorité de la chose jugée de la décision de relaxe, il n'en est pas de même du non-respect des procédures internes qui ne se confond aucunement avec les éléments constitutifs de la complicité de vol dans la mesure où il s'agit ainsi de reprocher à M. [N] une négligence fautive et non une assistance volontaire à une soustraction frauduleuse.



Concernant le non-respect des procédures internes, il est plus précisément reproché à M. [N] d'avoir laissé entrer un client en cabine avec une valise, de ne pas avoir vérifié l'intérieur de la cabine après son départ ou récupéré les vêtements essayés et de ne pas avoir prévenu un supérieur ou un membre de l'équipe lors de son passage en réserve. Il lui est également respecté un non-respect des articles 3.3, 3.4.1, 3.6 et 3.8 du contrat de travail.



Concernant le fait de laisser entrer un client en cabine avec une valise, ce grief est matériellement établi au regard du déroulement des faits tels qu'il résulte notamment des captations d'écran de vidéo surveillance, du message relative au 'feedback' à la suite du vol décrivant l'attitude du salarié ainsi que des dires des parties. Si l'employeur ne démontre pas qu'il existait une règle précise écrite et connue du salarié prohibant cette attitude, l'attention des salariés est attirée sur le fait que des clients avec des grands sacs sont à surveiller particulièrement. Dès lors, le comportement consistant à laisser entrer un client vêtu d'un imperméable, d'un chapeau, de lunettes de soleil, avec une valise, dans une cabine est contraire aux procédures internes de la Société Guess France selon lesquelles le personnel est tenu d'apporter son concours à la prévention des vols et de respecter les procédures vols et pertes. Ce grief doit être retenu.



Concernant l'absence de vérification de l'intérieur de la cabine après son départ ou de récupération des vêtements essayés, ce fait est également matériellement établi puisqu'il est constant que les vêtements essayés par le client ont été retrouvés dans sa valise ce qui a déclenché l'alarme à la sortie de la boutique. Il résulte des documents produits qu'aux termes du guide interne du vol, le salarié doit 'toujours essayer de contrôler les clients qui quittent la cabine d'essayage et de faire le compte des produits, demander au client sa satisfaction par rapport aux produits et proposer de les emporter à la caisse et qu'après qu'un client a quitté la cabine d'essayage, l'employé en charge est responsable de nettoyer la cabine d'essayage' ce qui n'a aucunement été le cas en l'espèce et ce alors qu'il ne résulte pas des extraits de vidéo surveillance communiqués que le salarié était occupé par ailleurs. Ce grief doit également être retenu.



Concernant le fait de ne pas avoir prévenu un supérieur ou un membre de l'équipe lors de son passage en réserve, alors que le salarié le conteste, l'employeur qui a la charge exclusive de la preuve de la faute grave ne démontre pas ce manquement. Ce grief doit donc être écarté.



Concernant le non-respect des articles 3.3, 3.4.1, 3.6 et 3.8 du réglement, ce grief est redondant avec les précédents et doit être écarté.



Il résulte ainsi de ce qui précède qu'en laissant un client au comportement suspect entrer en cabine avec une valise sans vérifier la cabine à sa suite ni récupérer les vêtements essayés, en fraude des procédures de prévention du vol en vigueur, le salarié s'est rendu coupable de négligence fautive rendant ainsi possible le vol commis au préjudice de son employeur pour un montant de plus de 500 euros.



Au regard de sa gravité, de ses conséquences pour l'entreprise et du précédent avertissement délivré un mois plus tôt pour de nombreux retards et une absence injustifiée, cette faute rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et constituait donc une faute grave.



Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il considère le licenciement de ce chef fondé et rejette l'ensemble des demandes financières du salarié à titre de rappel de salaire sur mise à pied, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.



3 : Sur la discrimination



Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ou de son apparence physique.



L'article L.1134-1 dispose par ailleurs que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au cas présent, le salarié fait valoir que, alors qu'il a la peau noire, il est le seul salarié a avoir été licencié dans les conditions rappelées ci-dessus alors que d'autres salariés étaient présents et n'ont même pas été interrogés.



Cependant, alors qu'il n'est même pas établi que le salarié serait le seul à avoir la peau noire et que les autres salariés présents sont parfaitement étrangers aux faits de vol, ces éléments de fait ne laissent pas présumer la discrimination, étant souligné, en tout état de cause, que le licenciement pour faute grave litigieux est lui-même justifié par des faits objectifs.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il rejette la demande indemnitaire pour discrimination.



4 : Sur les demandes accessoires



Les demandes au titre des intérêts et des documents de fin de contrat sont sans objet au regard du sens de la présente décision.



Le jugement sera confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.



Le salarié supportera également les dépens en cause d'appel, dont distraction au profit du conseil de l'intimé en application de l'article 699 du code de procédure civile.



M. [N] sera en outre condamné au paiement d'une somme de 150 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.







PAR CES MOTIFS :



La cour :



- Rejette la demande tendant à voir écarter la pièce n°8 ;



- Juge la cour non saisie d'une demande de communication intégrale de la vidéo surveillance ;



- Confirme le jugement du 11 décembre 2019 du conseil de prud'hommes de Paris en toutes ses dispositions ;



Y ajoutant :



- Condamne M. [K] [N] à payer à la SASU Guess France la somme de 150 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



- Condamne M. [K] [N] aux dépens d'appel dont distraction au profit de son conseil.



LA GREFFI'RE LE PR''SIDENT

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