20 April 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/02700

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 20 AVRIL 2022

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02700 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7L4O



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Janvier 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° F14/01184





APPELANT



Monsieur [P] [U] [Y] [W]

[Adresse 5]

[Localité 1] - FINLANDE



Représenté par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055







INTIMÉE



SAS TSO

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Jean-Luc HAUGER, avocat au barreau de LILLE, toque : 0250













COMPOSITION DE LA COUR :





En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller





Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats













ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

- signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Suivant contrat du 1er juillet 2009, à effet au 3 août suivant, la société TSO a engagé M. [U] [Y] [W] en qualité d'ingénieur bureau d'études, statut cadre. Le contrat stipulait une rémunération mensuelle de 3 300 euros et un forfait jours de 218 jours travaillés par an. Par avenant du 30 septembre 2009, les parties sont convenues que le salarié disposerait d'un contingent maximum mensuel de 5 jours d'absence autorisée non rémunérés.



Par lettre de mission du 27 septembre 2013, la société a confié au salarié, qui l'a acceptée, une mission à [Localité 4] sous statut 'accompagné' au poste de 'Track Design Engineer', pour une durée prévisible de 14 mois à partir du 21 octobre 2013, pouvant être prolongée d'un commun accord. La lettre de mission détaillait les conditions d'installation du salarié au Royaume-Uni, les éléments de rémunération liées à sa mission, dont les frais de garde pour les enfants de moins de trois ans, et le nombre de jours de repos.



Le 21 octobre 2014, l'employeur lui a proposé de prolonger sa mission ce que le salarié a refusé dans un premier temps, puis a accepté le 20 novembre 2014, le terme de la mission étant alors fixé au 31 janvier 2015, puis au 31 mars 2015.



Le 11 janvier 2015, le salarié a sollicité un congé pour reprise d'entreprise de douze mois, à compter du 1er avril 2015, accepté par l'employeur le 2 février suivant. A la demande du salarié, son congé pour reprise d'entreprise a été prolongé du 1er avril 2016 au 31 mars 2017.



Le 30 décembre 2016, le salarié a démissionné de son emploi.



Il avait préalablement saisi le 29 octobre 2014 la juridiction prud'homale de diverses demandes de rappel de salaire et de versement de sa participation sur l'exercice 2012 puis, par conclusions du 22 juin 2016, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.



Par jugement du 10 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Meaux a :



- pris acte du remboursement par l'employeur de la somme de 8 316,97 euros concernant la différence entre les frais de garde de l'enfant mineur du salarié au Royaume-Uni par rapport au coût français,

- déclaré la démission non équivoque,

- condamné l'employeur au paiement des sommes de 2 074,77 euros au titre du paiement de 8 jours supplémentaires effectués sur la période de 2009 à 2013 majorés de 30%, 207,47 euros au titre des congés payés afférents et 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Le conseil a rejeté le surplus des demandes.



Le 18 février 2019, le salarié a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée en Finlande le 13 février.


Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 novembre 2019, l'appelant demande à la cour de condamner la société intimée au paiement des sommes suivantes :



- 1 399,33 euros de rappel de salaire pour les mois d'octobre 2009, janvier 2010 et avril 2011, outre 139,93 euros au titre des congés payés afférents,

- 7 002,36 euros en paiement de 27 journées supplémentaires, outre 700,23 euros au titre des congés payés afférents,

- 411,21 euros de remboursement du solde des impôts britanniques pour l'année fiscale 2013-2014,

- 8 316,97 euros de remboursement de la différence entre les frais de garde de son enfant mineur au Royaume-Uni par rapport au coût français,

- 10 854 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 1 085,40 euros au titre des congés payés afférents,

- 5 065,20 euros d'indemnité légale de licenciement,

- 43 416 euros de dommages-intérêts suite à résolution judiciaire du contrat de travail,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Il lui demande en outre d'ordonner la production sous astreinte de 50 euros par jour de retard des deux attestations de revenus britannique (formulaires P60 et 2014 et P45 de 2015) ainsi que les bulletins de salaire correspondant aux condamnations et le bulletin de salaire relatif aux congés payés de mai 2016.



Subsidiairement, il sollicite la condamnation de l'intimée à lui payer 50 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.



Par conclusions notifiées le 1er juillet 2019, l'intimée sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a pris acte du remboursement de 8 316,97 euros concernant la différence entre les frais de garde de l'enfant mineur du salarié au Royaume-Uni par rapport au coût français, a déclaré la démission non équivoque et a rejeté le surplus des demandes, mais son infirmation en ce qu'il l'a condamnée au paiement de certaines sommes et, statuant à nouveau, le rejet de l'ensemble des demandes de l'appelant et sa condamnation à lui verser 3 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.



La clôture de l'instruction est intervenue le 4 janvier 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 8 février.






MOTIFS





Sur la recevabilité des demandes de rappel de salaire et de journées supplémentaires



L'employeur soutient que les demandes portant sur la période antérieure au 29 octobre 2011 sont prescrites, ce que conteste le salarié.



Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Il résulte de l'article 21 V de la dite loi que les dispositions réduisant à trois ans le délai de prescription de l'action en paiement de salaire s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, date de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.



En l'espèce, le salarié ayant saisi la juridiction prud'homale le 29 octobre 2014, pendant la période transitoire, ses demandes sont recevables. Le jugement sera infirmé sur ce point.





Sur la demande de requalification de la démission



La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de manière claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de la démission que celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.



Au cas d'espèce, si la lettre de démission n'est assortie d'aucune réserve, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale plusieurs mois avant sa démission de sorte que cette démission est nécessairement équivoque et doit s'analyser en une prise d'acte.



Le salarié reproche à l'employeur divers manquements qu'il convient d'examiner successivement.



Sur la demande de rappel de salaire



Le salarié n'explicite ni ne justifie sa demande. Il résulte en outre des bulletins de paie produits que le salarié a perçu sa rémunération intégrale en janvier 2010, qu'ont été déduites des journées d'absence autorisée en octobre 2009 et en avril 2011. Aucun élément ne permet de retenir le caractère injustifié de ces retenues, étant relevé que l'avenant du 30 septembre 2009 prévoit qu'il 'est convenu entre les parties que M. [U] [P] dispose d'un contingent minimum mensuel de 5 jours d'absence non rémunérés.

Ces jours d'absences seront à planifier conjointement avec le Responsable du service Bureau d'Etude.

A noter également que ce contingent mensuel n'est pas reportable d'un mois sur l'autre.'



La cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande.



Sur la demande en paiement de journées supplémentaires



Le salarié reproche à l'employeur de ne pas avoir rémunéré les jours travaillés en dépassement de son forfait jours, ce que conteste l'intéressé.



Le contrat de travail prévoit que le salarié est soumis à un forfait jours, le nombre de jours travaillés par année étant de 218.



L'intéressé produit un tableau récapitulatif indiquant, pour chaque année, les nombres de jours calendaires dans le contrat, de 'jours attendus pour le forfait', de 'jours effectués pour le forfait' et le 'bilan des jours supplémentaires'.



Ce mode de calcul ne peut être suivi, la durée de travail du salarié au forfait en jours étant décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou de demi-journées travaillées.



Conformément à l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre de jours de travail effectués par le salarié dans le cadre d'une convention de forfait en jours, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des jours effectivement travaillés par le salarié. Au vu de ces éléments, et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction.



Au cas d'espèce, l'employeur rappelle justement que l'absence de prise de repos au titre de la réduction du temps de travail n'ouvre droit à une indemnité que si cette situation est imputable à l'employeur.



Il verse ensuite aux débats un 'pointage' détaillant pour chaque jour de l'année, de mars 2010 à novembre 2014, les jours de RTT pris par l'intéressé, le comparatif des pointages effectués par chacune des parties, son mail du 5 décembre 2014 dans lequel il reconnaît que la comparaison entre les éléments produits par chacune des parties fait ressortir un solde débiteur de 7 jours de RTT et de 11 jours de dépassement de 'forfait jour' avec application d'une majoration de 30%, l'acceptation du salarié sur un montant 'd'environ 2 080 euros' telle qu'elle résulte de son mail du 23 janvier 2015. Il justifie du versement de cette somme en mars 2015.



Au regard de l'ensemble des éléments produits, la cour déboute le salarié de sa demande, par infirmation du jugement.



Sur les autres griefs



Il résulte du jugement et des pièces produites que l'employeur a conditionné le remboursement des frais de garde de l'enfant du salarié et des impôts à la présentation de justificatifs et qu'il a payé les frais de garde dès que les justificatifs ont été produits, comme l'a au demeurant constaté le conseil de prud'hommes. En revanche, le solde des impôts britannique n'est pas justifié, le salarié citant sans la produire une lettre de réclamation. Ces griefs ne sont donc pas établis et la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de remboursement du solde des impôts britanniques pour l'année fiscale 2013-2014.



Enfin, les nombreux échanges intervenus relativement à la mission londonnienne ne révèlent ni négligence, ni manquement de l'employeur, qui a même accepté de faire droit à certaines demandes du salarié sans y être légalement ou contractuellement tenu.



Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le salarié n'établit aucun des manquements reprochés à l'employeur de sorte que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission.





Sur la demande subsidiaire de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail



Au soutien de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 50 000 euros, le salarié n'invoque aucun manquement autre que ceux déjà écartés par la cour. Cette demande sera donc rejetée.





Sur les autres demandes



L'équité commande d'allouer à l'employeur la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Le salarié, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.











PAR CES MOTIFS





La Cour,



- Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société TSO à payer à M. [U] [Y] [W] les sommes de 2 074,77 euros au titre du paiement de 8 jours supplémentaires effectués sur la période de 2009 à 2013 majorés de 30%, 207,47 euros au titre des congés payés afférents, 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens ;



- Le confirme pour le surplus ;



Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :



- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de rappel de salaire et de jours ;



- Dit que la démission de M. [U] [Y] [W] doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail et que cette prise d'acte produit les effets d'une démission ;



- Déboute M. [U] [Y] [W] de l'ensemble de ses demandes ;



- Condamne M. [U] [Y] [W] à verser à la société TSO la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



- Condamne M. [U] [Y] [W] aux dépens de première instance et d'appel.





LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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