21 April 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-20.421

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00278

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 avril 2022




Rejet


M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 278 F-D

Pourvoi n° K 20-20.421









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 AVRIL 2022

1°/ Mme [B] [E],

2°/ M. [Y] [E],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° K 20-20.421 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant à la société Printemps Holdings France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de M. et Mme [E], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Printemps Holdings France, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2020), par un contrat, intitulé « protocole d'accord », conclu le 5 novembre 2013, la société Printemps Holdings France (la société Printemps) a acquis la totalité des actions de la société Place des tendances, dont 20 % étaient détenues par M. et Mme [E]. Le prix de cession de ces actions comprenait, outre un prix fixe, un « complément de prix marge brute » dû en cas d'atteinte, par la société Place des tendances, d'un certain niveau de marge brute au titre de l'exercice 2016 et représentant un pourcentage de cette marge, et un « complément de prix additionnel », annuel, au titre des exercices 2013 à 2017 dû en cas d'atteinte, par la société Place des tendances, d'un certain niveau d'Ebitda et correspondant à une fraction de celui-ci.

2. Soutenant que la société Printemps avait fait obstacle à la perception des compléments de prix auxquels ils avaient droit, en s'abstenant de mettre en œuvre les synergies prévues par un plan d'affaires, dit « Business plan synergies » (le BPS), M. et Mme [E] l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la minoration des compléments de prix ainsi que de la perte fiscale subie.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. et Mme [E] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors :

« 1°/ qu'une clause d'intégralité par laquelle "[le présent protocole] et les actes qui y sont visés constituent l'intégralité des engagements conclus entre les parties et remplacent toutes les négociations, discussions, correspondances, accords et engagements antérieurs entre les parties relatifs à l'objet dudit protocole" ne peut avoir pour effet d'écarter la clause générale de bonne foi ; qu'en retenant que la société Printemps n'avait aucune obligation vis-à-vis de M. et Mme [E] de mettre en œuvre les synergies nécessaires pour permettre à ceux-ci de développer les ventes en ligne, dès lors que la clause d'intégralité écartait tout ce que les parties avaient pu convenir auparavant, sans rechercher si la société Printemps n'avait pas manqué aux exigences de bonne foi dans la mise en œuvre du contrat en entretenant les époux [E] dans l'illusion de ce qu'elle coopérerait et mettrait à disposition ses outils pour atteindre les objectifs annoncés, la cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles 1134 (désormais articles 1103 et 1104) et 1135 (désormais 1194) du code civil ;

2°/ que le contrat comportant une clause de complément de prix fonction d'un résultat (earn out) oblige le cessionnaire à coopérer avec le cédant en vue d'atteindre le meilleur résultat ; qu'en considérant que la société Printemps n'avait aucune obligation positive vis-à-vis des cédants dès lors que le contrat ne faisait pas expressément référence au BPS prévoyant les différentes actions à mettre en œuvre par les parties, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1135 (désormais articles 1103, 1104 et 1194) du code civil ;

3°/ que le protocole de cession, s'il comporte une clause d'intégralité, n'exclut cependant pas les actes précontractuels sur le[s]quel[s] le calcul du prix complémentaire a été fixé, l'article 3.2.4 prévoyant au contraire expressément que "dans le cas où la Marge Brute 2016 serait inférieure à montant de cinq millions neuf cent douze mille sept cent cinquante euros (représentant 25 % de l'objectif de Marge Brute pour l'exercice social 2016 tel que déterminé d'un commun accord entre les Fondateurs et l'Acquéreur aucun complément de prix ne sera dû", renvoyant ainsi expressément à l'objectif de marge brute résultant de l'application du BPS ; qu'en considérant qu'une clause d'intégralité s'opposait nécessairement à la prise en compte du BPS dès lors qu'il n'y était pas expressément fait référence, la cour d'appel a violé l'article 1134 (ancien, désormais 1103) du code civil par refus d'application du contrat ;

4°/ qu'est réputée acquise la condition suspensive qui échoue à se réaliser du fait du manquement du bénéficiaire ; qu'un manquement s'entend aussi bien d'un acte positif que d'une abstention, qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la clause litigieuse subordonnant le versement d'un prix complémentaire à la réalisation d'un certain chiffre d'affaires était une condition suspensive ; qu'en considérant cependant que l'inertie du débiteur de l'obligation de paiement sous condition d'un certain résultat ne pouvait lui être reprochée dès lors qu'aucune référence explicite n'était faite au BPS qui avait servi de base aux conditions de versement du prix complémentaire, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1135 (anciens, désormais articles 1103, 1104 et 1194) et 1178 (ancien, désormais 1304-3) du code civil. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, après avoir constaté que M. et Mme [E] soutenaient que la société Printemps avait manqué à ses obligations en s'abstenant de mettre en œuvre le BPS, qui avait une valeur contractuelle, l'arrêt relève que si les offres successives de la société Printemps faisaient référence, pour le calcul des compléments de prix, aux objectifs définis par le BPS, le protocole du 5 novembre 2013 indique toutefois que « [celui-ci] et les actes qui y sont visés constituent l'intégralité des engagements conclus entre les parties [...] et remplacent toutes les négociations, discussions, correspondances, accords et engagements antérieurs entre les parties relatifs à l'objet dudit protocole » et ne fait pas référence au BPS. L'arrêt retient que le fait que le contrat mentionne un objectif de marge brute identique à celui de l'offre du 6 septembre 2013 et précise que ce chiffre a été « déterminé d'un commun accord » ne suffit pas à retenir qu'il s'agit d'une référence au BPS. Il retient encore qu'il n'est pas établi que l'exclusion du BPS du champ contractuel soit contraire à la commune intention des parties. Il ajoute, par motifs adoptés, qu'il n'est pas sérieux d'affirmer que la société Printemps aurait volontairement différé les actions prévues par le BPS afin de limiter les compléments de prix, alors que son intérêt était évidemment de voir croître les résultats de la société Place des tendances, dont elle détenait la totalité du capital, ces résultats lui étant acquis, alors que les compléments de prix n'en auraient représenté qu'une fraction. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que la mauvaise foi de la société Printemps n'était pas établie et que l'absence de mise en œuvre, par cette société, des actions prévues par le BPS, ne constituait pas des manquements contractuels, la cour d'appel, qui a ainsi effectué la recherche visée par la première branche et qui a souverainement apprécié la commune intention des parties, a légalement justifié sa décision.

5. En second lieu, après avoir retenu que l'obligation de paiement des compléments de prix avait été contractée sous la condition suspensive d'atteinte d'un certain niveau de marge brute et/ou d'Ebitda et constaté que M. et Mme [E] invoquaient exclusivement, pour soutenir que la société Printemps avait empêché l'accomplissement de cette condition, des défaillances dans la mise en œuvre des actions prévues par le BPS, l'arrêt retient, par les motifs vainement critiqués par les trois premières branches, que la société Printemps ne s'est pas engagée à mettre en œuvre les actions stipulées par le BPS. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que M. et Mme [E] ne démontraient pas que la société Printemps avait empêché la réalisation de la condition.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [E] et les condamne à payer à la société Printemps Holdings France la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [E].

Les époux [E] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté leurs demandes indemnitaires, outre condamnation aux frais irrépétibles et dépens ;

Alors que 1°) une clause d'intégralité par laquelle « [celui-ci] et les actes qui y sont visés constituent l'intégralité des engagements conclus entre les parties et remplacent toutes les négociations, discussions, correspondances, accords et engagements antérieurs entre les parties relatifs à l'objet dudit protocole » ne peut avoir pour effet d'écarter la clause générale de bonne foi ; qu'en retenant que la Société Printemps n'avait aucune obligation vis-à-vis des exposants de mettre en oeuvre les synergies nécessaires pour permettre à ceux-ci de développer les ventes en ligne, dès lors que la clause d'intégralité écartait tout ce que les parties avaient pu convenir auparavant, sans rechercher le Printemps n'avait pas manqué aux exigences de bonne foi dans la mise en oeuvre du contrat en entretenant les époux [E] dans l'illusion de ce qu'elle coopérerait et mettrait à disposition ses outils pour atteindre les objectifs annoncés, la cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles 1134 (désormais articles 1103 et 1104) et 1135 (désormais 1194) du code civil ;

Alors que 2°) en toute hypothèse le contrat comportant une clause de complément de prix fonction d'un résultat (earn out) oblige le cessionnaire à coopérer avec le cédant en vue d'atteindre le meilleur résultat ; qu'en considérant que la Société Printemps n'avait aucune obligation positive vis-à-vis des cédants dès lors que le contrat ne faisait pas expressément référence au « Business Plan Synergie » prévoyant les différentes actions à mettre en oeuvre par les parties, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1135 (désormais articles 1103, 1104 et 1194) du code civil ;

Alors que 3°) le protocole de cession, s'il comporte une clause d'intégralité, n'exclut cependant pas les actes précontractuels sur lequel le calcul du prix complémentaire a été fixé, l'article 3.2.4 prévoyant au contraire expressément que « dans le cas où la Marge Brute 2016 serait inférieure à montant de cinq millions neuf cent douze mille sept cent cinquante euros (représentant 25 % de l'objectif de Marge Brute pour l'exercice social 2016 tel que déterminé d'un commun accord entre les Fondateurs et l'Acquéreur aucun complément de prix ne sera dû », renvoyant ainsi expressément à l'objectif de marge brute résultant de l'application du Business Plan Synergie ; qu'en considérant qu'une clause d'intégralité s'opposait nécessairement à la prise en compte du Business Plan dès lors qu'il n'y était pas expressément fait référence, la cour d'appel a violé l'article 1134 (ancien, désormais 1103) du code civil par refus d'application du contrat.

Alors que 4°) est réputée acquise la condition suspensive qui échoue à se réaliser du fait du manquement du bénéficiaire ; qu'un manquement s'entend aussi bien d'un acte positif que d'une abstention, qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la clause litigieuse subordonnant le versement d'un prix complémentaire à la réalisation d'un certain chiffre d'affaires était une condition suspensive ; qu'en considérant cependant que l'inertie du débiteur de l'obligation de paiement sous condition d'un certain résultat ne pouvait lui être reprochée dès lors qu'aucune référence explicite n'était faite au Business Plan Synergie qui avait servi de base aux conditions de versement du prix complémentaire, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1135 (anciens, désormais articles 1103, 1104 et 1194) et 1178 (ancien, désormais 1304-3) du code civil.

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