2 April 2021
Cour d'appel de Paris
RG n° 18/20119

Texte de la décision

Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS






COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 4 - Chambre 1


ARRÊT DU 02 AVRIL 2021


(no , pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 18/20119 - No Portalis 35L7-V-B7C-B6J7X


Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 13/12661




APPELANTE


SCI 10-18 rue Paul Bert
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 1]


Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant, la SELARL LVI avocats associés en la personne de Me José Ibanez, avocat au barreau de PARIS - P 205


INTIMÉES


SARL SH2 HEM
agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 1]


Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
Ayant pour avocat plaidant, Me Maryse CASSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1495


SA SOCOTEC ENVIRONNEMENT VENANT AUX DROITS DE SOCOTEC FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux domicilié en cette qualité audit siège,
intervenante volontaire et comme telle intimée,
[Adresse 3]
[Localité 2]


Représentée par Me Jean-Jacques FANET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0675
Ayant pour Avocat plaidant Me Marie LETOURMY, avocat au barreau de LILLE


SARL JML
prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 1]
SCI Lorel
prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Localité 1]


SCI Matt
prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 3]


Représentées par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753
Ayants pour avocat plaidant, Me Catherine BERLANDE, avocat au barreau de PARIS, toque : B678


Composition de la cour :


L'affaire a été débattue le 18 février 2021, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Claude CRETON, Président
Mme Christine BARBEROT, Conseillère
Mme Monique CHAULET, Conseillère


qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Christine BARBEROT, conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.


Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER


Arrêt :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Claude CRETON, Président et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
*****
Par acte authentique du 26 décembre 2003, la société SH2, devenue depuis la SARL SH2 HEM, a acquis de la SA SIPC (société industrielle de production chimique) un ensemble immobilier sis [Adresse 7]. Par acte authentique du 29 septembre 2005, la société SIPC a cédé le fonds de commerce de fabrication de peintures et de savons industriels qu'elle exploitait sur ces lieux à la société SH2 HEM qui, souhaitant réaliser une opération immobilière, a revendu ce fonds à la société SCALP laquelle a repris l'activité dans son usine située à Pavillon-sous-Bois (93). A trois reprises, la mairie de [Localité 4] a refusé à la société SH2 HEM les différents projets de construction à usage mixte d'activités-logements-bureaux en se prévalant du plan d'occupation des sols (POS), alors applicable, qui affectait la zone à l'activité commerciale et industrielle. Le site ayant hébergé une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), par arrêté du 17 juillet 2008, la préfecture de la Seine-Saint-Denis a mis en demeure la société SH2 HEM de lui transmettre la copie de la proposition de l'usage futur du site conformément à l'article R. 512-75 du Code de l'environnement, ainsi qu'un échéancier pour la mise en sécurité du site conformément à l'article R. 512-74 du même Code. Le 5 octobre 2009, un permis de construire tacite a été accordé à la société SH2 HEM et le 16 novembre 2009, la préfecture lui a notifié qu'après instruction par ses services techniques, le site était considéré comme mis en sécurité, l'arrêté de mise en demeure du 17 juillet 2008 étant respecté. Le 31 mars 2010, la société SOCOTEC a remis à sa mandante, la société SH2 HEM, son évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS), concluant que ces risques étaient acceptables et ne recommandant pas la mise en oeuvre de mesures de réhabilitation particulières. Par acte authentique du 28 février 2011, la société SH2 HEM a vendu l'ensemble immobilier à la SCI MATT, à la SARL JML et à la SCI Lorel au prix de 2 000 000 €. Le 10 février 2011, un nouveau POS était adopté rendant possible l'usage exclusif de la zone en logements. Par acte authentique du 4 août 2011, les trois sociétés précitées ont revendu le bien à la SCI du 10-18 rue Paul Bert au prix de 4 790 000 €. Par acte extra judiciaire du 28 août 2013, la SCI du 10-18 rue Paul Bert a assigné la société SH2 HEM en paiement de dommages-intérêts, lui reprochant son refus de procéder à la dépollution du site. Par acte extra judiciaire des 22, 25, 28 septembre et 21 octobre 2014, la SCI du 10-18 rue Paul Bert a assigné les sociétés MATT, JLM et Lorel aux mêmes fins. Par acte extra-judiciaire du 15 octobre 2014, la SCI du 10-18 rue Paul Bert a assigné la société SOCOTEC France aux mêmes fins.


C'est dans ces conditions que, par jugement du 10 juillet 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la SCI du 10-18 rue Paul Bert,
- déclaré irrecevable la demande formée sur le fondement des vices cachés de la SCI du 10-18 rue Paul Bert à l'encontre des sociétés MATT, JML et Lorel,
- débouté la SCI du 10-18 rue Paul Bert de l'ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires,
- condamné la SCI du 10-18 rue Paul Bert à payer à chaque défendeur, précisément : à la société SH2 HEM, à la société SOCOTEC France, à la SCI Lorel, à la SCI MATT et à la SARL JML la somme de 1 500 € en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SCI du 10-18 rue Paul Bert de sa demande en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SCI du 10-18 rue Paul Bert aux dépens.


Par dernières conclusions, la SCI du 10-18 rue Paul Bert, appelante, demande à la Cour de :
- vu les articles 1603, 1641, 1648, 1147, 1382 du Code civil, ces deux derniers dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, L. 511-1 et suivants, L. 514-20 du Code de l'environnement,
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, notamment sur le fondement de l'action en garantie des vices cachés,
- constater que les rapports de M. [Y] et de la société HPC envirotec constituent des éléments de preuve versés régulièrement au débat et débattus contradictoirement entre les parties,
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté les sociétés SH2 HEM, SOCOTEC, Lorel, MATT et JML de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive, et statuant à nouveau :
. à titre principal :
- condamner in solidum les sociétés Lorel, MATT et JML au titre de la violation de leur obligation de délivrance conforme, SH2 HEM sur le fondement de la clause de garantie environnementale contenue dans l'acte du 28 février 2011, SOCOTEC sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à lui payer la somme principal de 2 101 121,18 € en réparation de son préjudice résultant des travaux de dépollution,
. à titre subsidiaire :
- condamner in solidum les sociétés Lorel, MATT et JML sur le fondement de la garantie des vices cachés, SH2 HEM sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à lui payer la somme de 2 101 121,18 € en réparation de son préjudice résultant des travaux de dépollution,
- désigner s'il y a lieu un expert sur les erreurs commises par SOCOTEC avec la mission mentionnée dans le dispositif des conclusions,
. en tout état de cause :
- débouter tout contestant de toutes demandes contraires,
- condamner in solidum les sociétés SH2 HEM, SOCOTEC, Lorel, MATT et JML à lui payer la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.


Par dernières conclusions, la société SH2 HEM prie la Cour de :
- vu les articles 648, 31, 146, 122 du Code de procédure civile, L. 512-6-1, R. 512-39-4, L. 514-20 du Code de l'environnement, 1382 ancien, 1648 du Code civil, le décret du 21 septembre 1977 modifié par le décret du 13 septembre 2005,
. à titre principal :
- débouter la SCI du 10-18 rue Paul Bert de l'intégralité de ses demandes,


- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,
- infirmer le jugement entrepris de ce seul chef et condamner la SCI du 10-18 rue Paul Bert à lui verser la somme de 20 000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive,
. à titre subsidiaire :
- condamner les sociétés Lorel, MATT et JML, sous-acquéreurs, à la garantir de toute condamnation prononcée contre elle et appliquer en sa faveur la principe de "proportion entre le coût de la remise en état et le prix de vente" posé par l'article L. 514-20, §3 du Code de l'environnement,
- y ajoutant :
- condamner la SCI du 10-18 rue Paul Bert à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.


Par dernières conclusions, les sociétés MATT, JML et Lorel demandent à la Cour de :
- vu les articles 31, 122, 954 du Code de procédure civile, 1641, 1648 et suivants du Code civil, L. 514-20 du Code de l'environnement,
. à titre principal :
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il les a déboutées de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et de la demande subsidiaire en garantie due par la société SH2 HEM,
- statuant à nouveau : condamner la SCI du 10-18 rue Paul Bert à leur payer à chacune la somme de 8 000 € à titre de procédure abusive,
. à titre subsidiaire :
- condamner la société SH2 HEM à les garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre elles au bénéfice de la SCI du 10-18 rue Paul Bert,
- débouter la société SH2 HEM de sa demande de garantie formée contre elles,
. en tout état de cause, :
- condamner la SCI du 10-18 rue Paul Bert à payer à chacune d'entre elles la somme de 6 000 € en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.


Par dernières conclusions, la société SOCOTEC Environnement, venant aux droit de SOCOTEC France prie la Cour de :
- débouter la SCI du 10-18 rue Paul Bert de toutes ses demandes formées contre elle,
- débouter toutes parties à la procédure de leurs demandes formées contre elle,
- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- statuant à nouveau de ce seul chef, condamner la SCI du 10-18 rue Paul Bert à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- à titre subsidiaire, désigner un expert aux frais avancés de la SCI du 10-18 rue Paul Bert pour donner un avis sur les points en litige et sur la problématique de la pollution du sol et les préjudice allégués,
- condamner la SCI du 10-18 rue Paul Bert à lui payer la somme de 10 000 a en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.


MOTIFS DE LA COUR


Sur la demande d'expertise formée par la SCI du 10-18 rue Paul Bert


Pour la première fois en cause d'appel, la SCI du 10-18 rue Paul Bert demande l'organisation d'une expertise. Cette demande doit être rejetée, étant formulée après la réalisation des travaux de dépollution du site et de construction de logements collectifs avec parking souterrain et espaces verts.


Sur les demandes de la SCI du 10-18 rue Paul Bert à l'encontre de SH2 HEM


L'acte du 28 février 2011 aux termes duquel la société SH2 HEM a vendu l'ensemble immobilier aux sociétés MATT, JML et Lorel précise que ce bien est à usage de bureaux, d'atelier, de stockage (p. 4), que cet usage est autre que d'habitation (p. 12) et que les parties ont été informées par le notaire rédacteur des formalités nécessaires à tout changement d'affectation, ainsi que des difficultés et conséquences qui pouvaient en résulter (p. 20), l'acquéreur faisant son affaire personnelle de la mise aux normes nécessitée par un changement de destination de tout ou partie de l'immeuble (p. 30).


Si cet acte énonce :


- que le vendeur ne sera pas tenu à la garantie des vices cachés pouvant affecter le sol, le sous-sol ou les bâtiments (p.9),


- que l'acquéreur est informé qu'il doit évacuer les cuves dégazées selon les consignes de SOCOTEC sans aucun recours contre le vendeur (p.),


- qu'il a été informé de l'existence d'un risque de pollution conformément aux exigences de l'article L. 514-20 du Code de l'environnement,


- et que l'acquéreur exonère le vendeur de toute garantie ou responsabilité de la situation exposées ci-dessus, déclarant vouloir procéder à ses risques et périls (p. 30),


toutefois, cet acte prévoit que "Si dans le cadre du permis de construire du 5 octobre 2009 susvisé, il s'avérait que contrairement aux conclusions du rapport SOCOTEC du 21 mai 2010 ci-annexé, une dépollution était nécessaire, le vendeur s'engage à supporter les coûts de cette dépollution qui seraient supérieurs à deux cent mille euros hors taxe (200 000 € HT), l'acquéreur faisant son affaire personnelle des coûts inférieurs à cette somme" (p. 30).


Il ressort du rapport d'inspection des installations classées établi le 24 août 2011 par la préfecture de la Seine-Saint-Denis (direction régionale de l'environnement) que le nouveau propriétaire (société Novaxia, gérante de la SCI Paul Bert qui en est la filiale ) a déposé en juin 2011 une demande de permis de construire prévoyant, notamment, deux niveaux de sous-sols avec un usage exclusif de la zone en logements. Un tel usage était rendu possible par le nouveau POS adopté le 10 févier 2011, soit entre la première vente du 28 février 2011 et la seconde vente du 4 août 2011, fondant la différence de prix : première vente, 2 000 000 €, seconde vente, : 4 790 000 €. Ce même rapport préfectoral révèle aussi que l'évaluation quantitative des risques sanitaires, réalisée le 21 mai 2010 par la société SOCOTEC, ne correspondait plus au projet envisagé dans le cadre du nouveau permis de construire sollicité par le dernier acquéreur.


Dans ces conditions, la clause, qui impose des obligations à la société SH2 HEM dans le cadre du permis de construire du 5 octobre 2009, ne peut recevoir application au profit de la SCI du 10-18 rue Paul Bert au regard du permis de construire qu'elle a déposé en juin 2011, étant observé que le nouvel usage du site voulu par cette société dans son opération immobilière "Green 18", consistant en la démolition de l'existant et la construction d'un immeuble de 84 logements, 16 locaux à usage d'habitation (lots meublés) et 4 bureaux sur deux niveaux de sous-sols, était différent de celui prévu par le permis de construire du 5 octobre 2009 relatif à la seule réhabilitation des bâtiments existants pour des activités essentiellement de bureaux, ateliers et stockage.


En outre, pour démontrer que le budget de gestion de la dépollution du projet de 2009 était de même importance que celui de son projet de 2012, la SCI du 10-18 rue Paul Bert se fonde exclusivement sur les rapports non judiciaires établis unilatéralement à sa demande par la SA HPC envirotec le 12 septembre 2012 et par M. [Y] le 20 juillet 2014. Bien que ces rapports produits aux débats aient été contradictoirement discutés, leurs conclusions ne sont corroborées par aucune autre preuve de sorte que ces rapports sont dénuées de valeur probante.


De surcroît, par acte sous seing privé du 4 août 2011 intervenu entre la société SH2 HEM et la SCI du 10-18 rue Paul Bert intitulé "Délégation de pouvoirs", la première a donné à la seconde mandat et pouvoirs "à l'effet de régulariser tous actes et toutes formalités aux fins de déclassement du site sis à [Adresse 8], et, plus généralement, tous les actes ayant un lien direct ou indirect avec ledit déclassement et à cet effet il subroge en tant que de besoin dans ses droits et actions à ce titre la SCI du 10/18 rue Paul Bert, cette dernière prendra à sa charge exclusive les frais inhérent audit déclassement du site sous son entière responsabilité".


En l'état de cette délégation de pouvoirs, expressément acceptée par la SCI du 10-18 rue Paul Bert, celle-ci ne peut se prévaloir, dans ses rapports avec la société SH2 HEM, de sa décision purement potestative de ne pas se déclarer auprès de la préfecture en tant que successeur de la société SH2 HEM au titre des installations classées, de sorte qu'en raison de cette carence et à l'égard de l'Administration, cette dernière société est toujours considérée comme l'exploitant titulaire (rapport de l'inspection des installations classées, pp. 4-5).


Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la SCI du 10-18 rue Paul Bert de sa demande fondée sur l'application de la clause précitée du contrat de vente du 28 février 2011.


S'agissant de la responsabilité délictuelle de la société SH2 HEM fondée sur la violation de l'obligation de mise en sécurité du site conformément aux articles L. 511-1 et suivants du Code de l'environnement, il convient de rappeler que les obligations de réhabilitation dépendent de l'usage du site et de son éventuel changement.


La SCI du 10-18 rue Paul Bert, qui a changé l'usage du site comme il vient d'être dit, doit démontrer que ce site aurait dû être réhabilité antérieurement.


Or, le rapport d'inspection des installations classées du 24 août 2011 relate que l'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) du 19 mai 2010 établi par la société SOCOTEC n'envisage pas de mesures de réhabilitation particulières considérant que le risque était acceptable eu égard à l'usage futur du site, mais souligne que le nouveau propriétaire, la société Novaxia a déposé un permis de construire en juin 2011 prévoyant, notamment, deux niveaux de sous-sol avec un usage exclusif de la zone en logements, de sorte que l'EQRS du 19 mai 2010 ne correspondait plus au projet désormais envisagé dans le cadre du nouveau permis de construire.


En conséquence, la réhabilitation du site ayant été rendue nécessaire par le changement d'usage opéré par la SCI du 10-18 rue Paul Bert, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déboutée cette société de sa demande de dommages-intérêts formée contre la société SH2 HEM.


Sur les demandes de la SCI du 10-18 rue Paul Bert à l'encontre des sociétés Lorel, MATT et JML


S'agissant de la violation de l'obligation de délivrance imputée aux sociétés MATT, JLM et Lorel, l'acte du 4 août 2011 par lequel les sociétés précitées ont vendu à la SCI du 10-18 rue Paul Bert l'ensemble immobilier litigieux précise que "l'immeuble est à usage de bureau, d'atelier, de stockage au regard de la de la réglementation"( p. 11), l'acquéreur déclarant que "le terrain est destiné par lui, après démolition des constructions existantes, à la construction d'un bâtiment collectif dont les trois quart au moins de la superficie totale seront affectés à usage d'habitation et qui couvrira dessertes, parkings, cours, jardin et la totalité dudit terrain" (p.6).


S'agissant des règles environnementales, la SCI du 10-18 rue Paul Bert a bénéficié des mêmes informations que celles obtenues quelques mois plus tôt par les sociétés MATT, JLM et Lorel dans l'acte de vente du 28 février 2011. Elle avait ainsi connaissance :


- de ce que le site avait hébergé une installation classée pour la protection de l'environnement,


- du dépôt le 9 février 2009 d'une demande de permis de construire et de l'obtention tacite de ce permis le 5 octobre 2009, ces deux documents étant annexés à l'acte,


- du rapport d'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) du 19 mai 2010 établi par la société SOCOTEC.


C'est en cet état que :


- le vendeur a déclaré au regard de l'usage futur prévu au permis de construire du 5 octobre 2009 et de la dépollution des sols, que les cuves dégazées et neutralisées devaient être évacuées en conformité avec les recommandations que pourrait fournir la SOCOTEC et a donné à l'acquéreur tous pouvoirs pour procéder au déclassement du site,


- le vendeur a déclaré que "la préfecture de la Seine-Saint-Denis n'avait pas à ce jour rendu d'arrêté relatif à la remise en état du site consécutif à sa cessation d'activité sur le site et par suite du procès-verbal de recollement des travaux de remise en état du site,


- l'acquéreur a déclaré "prendre le bien dans l'état où il se trouve et sans recours contre le vendeur", avoir été parfaitement informé par le vendeur de l'état environnemental du site, en conséquence, renoncer irrévocablement à tout recours contre le vendeur sur le fondement de l'article L. 514-20 ou des articles L. 541-1 et suivants du Code de l'environnement et exonérer le vendeur de toute garantie ou responsabilité au titre de la situation exposée ci-dessus, déclarant vouloir procéder à l'acquisition à ses risques et périls, ajoutant qu'en "cas de changement de destination de tout ou partie de l'immeuble, l'acquéreur fera son affaire personnelle de la mise aux normes nécessitée par ce changement" p. 22).


Ainsi, l'immeuble vendu n'a pas été présenté à l'acquéreur comme ayant fait l'objet d'une dépollution rendant son usage compatible avec la construction de logements d'habitation. En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SCI du 10-18 rue Paul Bert de sa demande fondée sur la violation par les vendeurs de leur obligation de délivrance.


S'agissant de la garantie des vices cachés pesant sur les sociétés MATT, JLM et Lorel, il résulte des clauses précitées du contrat de vente du 4 août 2011 et du rapport d'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) du 19 mai 2010 établi par la société SOCOTEC que la SCI du 10-18 rue Paul Bert avait connaissance de la pollution affectant le terrain lorsqu'elle a acquis le bien.


En effet, dès avant la vente, la société Novaxia avait réclamé à la société Géotechnique-appliquée-Ile-de-France un "diagnostic approfondi de pollution". Le rapport du 31 mai 2011 de cette société révèle, sinon l'évaluation du coût de la dépollution eu égard à l'usage nouveau que le candidat acquéreur voulait donner au bien, mais l'ampleur de la pollution au regard de ce nouvel usage, le gérant de la société Novaxia ayant même précisé dans un courriel du 26 mai 2011 : "l'addition s'annonce salée". Ces éléments sont corroborés par le rapport du 12 septembre 2011 de la société HPC envirotec, également mandatée par l'acquéreur. Ainsi, les vices invoqués par la SCI du 10-18 rue Paul Bert étaient connus d'elle dès ces rapports.


C'est donc à bon droit que le Tribunal a dit qu'au 22 septembre 2014, date de l'assignation des sociétés MATT, JLM et Lorel, la demande sur le fondement des vices cachés était prescrite et, comme telle, irrecevable.


Sur les demandes de la SCI du 10-18 rue Paul Bert à l'encontre de la société SOCOTEC


Dans son évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) réalisée le 21 mai 2010, la société SOCOTEC conclut que les risques sanitaires sont acceptables pour les cibles retenues et ne prescrit pas la mise en oeuvre de mesures de réhabilitation particulières.


Pour démontrer que la société SOCOTEC a commis une erreur manifeste d'appréciation des risques sanitaires conduisant à préconiser des mesures de dépollution non appropriées et sous dimensionnées au regard de l'usage prévu pour le site en 2009, la SCI du 10-18 rue Paul Bert se fonde exclusivement sur les rapports non judiciaires établis unilatéralement à sa demande par la SA HPC envirotec le 12 septembre 2012 et par M. [Y] le 20 juillet 2014.


Or, il vient d'être dit que ces rapports, bien que soumis à la discussion des parties, n'étaient corroborés par aucune autre preuve, de sorte qu'ils n'avaient pas de force probante.


En cet état, la SCI du 10-18 rue Paul Bert ne démontre pas que la société SOCOTEC aurait commis des erreurs dans son évaluation quantitative des risques sanitaires du 21 mai 2010, alors qu'au contraire la préfecture a confirmé le 30 mars 2012 (pièce 35 de la société SH2 HEM) que l'EQRS correspondait bien à l'usage futur qui avait été validé et que cette évaluation n'était donc pas remise en cause.


En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SCI du 10-18 rue Paul Bert de ses demandes formées contre la société SOCOTEC.


La SCI du 10-18 rue Paul Bert ayant pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, les intimées seront déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive.


La SCI du 10-18 rue Paul Bert succombant en toutes ses demandes supportera les dépens d'appel de sorte que sa demande en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ne peut prospérer.


L'équité commande qu'il soit fait droit aux demandes des intimées, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, comme il est dit dans le dispositif du présent arrêt.


PAR CES MOTIFS


Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;


Y ajoutant :


Déboute la SCI du 10-18 rue Paul Bert de sa demande d'organisation d'une expertise ;


Déboute la SARL SH2 HEM, la SCI MATT, la SARL JML, la SCI Lorel et la SA SOCOTEC environnement de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive ;


Rejette toutes autres demandes ;


Condamne la SCI du 10-18 rue Paul Bert aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ;


Condamne la SCI du 10-18 rue Paul Bert à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, à :


- la SARL SH2 HEM, la somme de 10 000 €,


-la SCI MATT, la SARL JML et la SCI Lorel, la somme globale de 6 000 €,


- la SA SOCOTEC, la somme de 10 000 €.




Le greffier, Le Président,

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