27 May 2021
Cour d'appel de Nouméa
RG n° 19/00030

Texte de la décision

No de minute : 40


COUR D'APPEL DE NOUMÉA


Arrêt du 27 Mai 2021


Chambre sociale


-saisine pour avis de la Cour de cassation et sursis à statuer-








Numéro R.G. : No RG 19/00030 - No Portalis DBWF-V-B7D-P4Q


Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Avril 2019 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :17/0132)


Saisine de la cour : 18 Avril 2019




APPELANT


Société CALEDONIENNE DES EAUX, agissant par son représentant légal,
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me John LOUZIER de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA


INTIMÉ


C.A.F.A.T., prise en la personne de son directeur en exercice,
Siège social : [Adresse 2]




AUTRE INTERVENANT


MINISTERE PUBLIC dont l'avis a été sollicité. Le parquet général a formulé et communiqué le 28 avril 2021 ses observations.


COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue le 06 Mai 2021, en audience publique, devant la cour composée de :


Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
M. Charles TELLIER, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François BILLON.


Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO


ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.


***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE


Par contrat de travail à durée indéterminée du 22 décembre 2006, M. [W] [W] a été embauché à compter de la même date, en qualité d'aide d'exploitation, auprès la société CALEDONIENNE DES EAUX (CDE) moyennant un salaire brut de 151 683 F CFP pour 169 heures mensuelles. Sa rémunération brute s'élevait à 236 984 F CFP en son dernier état.


Le 23 novembre 2016, il a été victime d'un accident de travail,alors qu'il était en train de déboulonner une plaque pleine en fer (34kg) qui a été expulsée sous la pression d'eau et d'air se trouvant dans la canalisation insuffisamment purgée.


Suite à cet accident, il a subi un arrachement osseux de la pointe épiphysaire supérieure de la fibula droite avec un épanchement sous quadricipital de son genou droit.


ll a été opéré et placé en arrêt maladie à compter du 23 novembre 2016 jusqu'au 7 janvier 2018.


Selon rapport du 30 octobre 2017 du médecin conseil de la CAFAT, il a été déclaré consolidé à la date du 30 novembre 2017 avec séquelles indemnisables.ll a repris son poste à mi-temps thérapeutique à compter du 29 janvier 2018 jusqu'au 9 avril 2018.


Par courrier du 4 mai 2018, la CAFAT a notifié à M.[W] que son état de santé était consolidé au 21 décembre 2017 et qu'elle lui allouait un taux d'lPP de 12%.


Selon avis du service médical inter-entreprises du travail (SMIT) de Nouvelle-Calédonie, en date du 8 février 2018, il était déclaré inapte à son poste de travail et reclassé à compter du 15 mars 2018 sur un poste d'agent clientèle pour une période probatoire de 3 mois prolongée de la même durée.


Par courrier en date du 8 octobre 2018, la société CDE lui a notifié qu'eIle mettait fin à cette période probatoire non concluante et lui proposait un poste d'agent de petite intervention qu'il a accepté.


Par courrier du 5 novembre 2018, la CAFAT lui a attribué une rente annuelle brute de 183 368 F CFP avec un majoration de 366 738 F CFP, un capital constitutif de majoration de rente de 5 581 386 F CFP( taux d'lPP de 12%).


Selon requête enregistrée le 29 mai 2017, M.[W] a fait convoquer devant le tribunal du travail de Nouméa la SA CALEDONIENNE DES EAUX et la CAFAT, aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur suite à son accident du travail et fixer la majoration de sa rente au maximum.


ll a demandé également au tribunal de surseoir à statuer sur l'indemnisation de son préjudice à intervenir dans l'attente du dépôt du rapport de l'expertise qu'il allait solliciter devant le juge de la mise en état.


Par ordonnance d'incident de mise en état du 24 novembre 2017, le juge de la mise en état a désigné le docteur [O] en qualité d'expert judiciaire à l'effet de déterminer le préjudice corporel du requérant suite à sa requête.


Au terme de ses dernières écritures écrites complétées par une note de délibéré,, après dépôt de rapport du 4 mars 2019, M. [W] maintenait sa demande tendant à ce que soit reconnue la faute inexcusable de l'employeur et à ordonner la majoration de la rente.


Par jugement du 9 avril 2019, le tribunal du travail a statué ainsi qu'il suit :


Dit que la SA LA CALEDONIENNE DES EAUX a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident de travail de M.[W] ;


Dit que la rente versée par la CAFAT doit être majorée au maximum ;


Fixe le capital constitutif de la majoration de la rente à la somme de 2 824 631 F CFP ;


Condamne la société LA CALEDONIENNE DES EAUX à payer à la CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES, DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DE PREVOYANCE DES TRAVAILLEURS dite CAFAT la somme de 2 421 334 F CFP payable sur un trimestre outre un reliquat de 403 297 F CFP représentant la cotisation supplémentaire,


Condamne la société LA CALEDONIENNE DES EAUX à verser à M.[W] la somme de 5 197 509 F CFP au titre de son préjudice patrimonial et extra patrimonial ;


Condamne la société CALEDONIENNE DES EAUX à verser à la CAFAT la somme de 7 100 334 F CFP au titre de ses débours ;


Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;


Ordonne l'exécution provisoire en ce qui concerne à hauteur de 50% de sommes allouées à titre de dommages-intérêts ;


Condamne la société CALEDONIENNE DES EAUX à verser à M.[W] la somme de 200 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ;


Dit n'y avoir lieu à dépens.


PROCÉDURE D'APPEL


Par requête déposée au greffe le 18 avril 2019, la société CALEDONIENNE DES EAUX a interjeté appel de la décision.


Par son mémoire ampliatif d'appel du même jour, elle fait valoir, pour l'essentiel :


- que son appel est limité à la disposition par laquelle le premier juge l'a condamnée à verser à la CAFAT la somme de 7 100 334 F CFP au titre de ses débours correspondant aux préjudices patrimoniaux temporaires décomposés en dépenses actuelles de santé, en dépenses de santé post-consolidation et en pertes de gains professionnels ;


- que le premier juge s'est ainsi mépris en soutenant que la CAFAT serait fondée à réclamer à l'employeur, auteur d'une faute inexcusable ayant causé un accident du travail, le remboursement de l'ensemble des frais médicaux et des indemnités journalières qu'elle a versées au salarié, victime de l'accident ;


- qu'ainsi, c'est par une erreur de droit que le tribunal a pu considérer que l'ordonnance no92-1146 du 12 octobre 1992 portant extension à la Nouvelle Calédonie de certaines dispositions de la loi 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation causés par les véhicules terrestres à moteur, permettait à la CAFAT, organisme tiers payeur, de disposer d'un recours subrogatoire contre l'employeur pour la totalité des prestations qu'elle a versées à la victime quel que soit l'événement ;


- qu'en cas d'accident du travail, la CAFAT n'a en effet de droit à recours contre l'employeur pour la totalité des sommes qu'elle a exposées, qu'en cas de faute intentionnelle de ce dernier.
En conséquence, la société CALEDONIENNE DES EAUX demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :


RECEVOIR la société CALEDONlENNE DES EAUX - CDE- en son appel limité ;


RÉFORMER le jugement du 09 avril 2019 du tribunal du travail en tant qu il condamne l'appelant à payer à la CAFAT la somme de 7 100 334 F CFP ;


DÉBOUTER la CAFAT de cette demande ;


CONDAMNER la CAFAT à payer à l'appelante une somme de 250 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.


***********************
La CAFAT n'a pas conclu.
***********************
L'ordonnance de fixation de la date de l'audience a été rendue le 14 septembre 2020.


MOTIFS DE LA DÉCISION


Attendu que l'appelant conteste les motifs du premier juge selon lesquels l'ordonnance no92-1146 du 12 octobre 1992 portant extension à la Nouvelle Calédonie de certaines dispositions de la loi no85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation causés par les véhicules terrestres à moteur et à l'accélération des procédures d'indemnisation, permettrait à la CAFAT, organisme tiers payeur, de disposer d'un recours subrogatoire pour les prestations qu'elle a versées à son assuré au titre d'un régime obligatoire quel que soit l'événement ayant occasionné le dommage ;


Attendu que la société CALEDONlENNE DES EAUX s'appuie ainsi, pour que soit rejetée sa condamnation à rembourser les débours exposés par la CAFAT, sur les dispositions du décret modifié no57-245 du 24.02.1957, promulgué par l'arrêté no2079 du 25 novembre 1957 (journal officiel de la Nouvelle-calédonie des 9 et 16 décembre 1957, p.672) sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les Territoires d'Outre-Mer, et notamment ses articles 34 et 35 ;
Attendu que par arrêt du 22 mars 2021, la cour d'appel a dit qu'il serait dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, afin d'éviter la multiplication de décisions contradictoires d'un contentieux naissant en Nouvelle-Calédonie, vu les dispositions de l'article L.441-1 du code de l'organisation judiciaire, d'envisager de saisir, pour avis, la Cour de cassation de la question suivante : "Comment concilier, au vu notamment de la décision no 2010-8 QPC du 18 juin 2010 du Conseil constitutionnel :


- les dispositions localement toujours en vigueur du décret modifié no57-245 du 24.02.1957, promulgué par l'arrêté no2079 du 25.11.1957 (JONC des 9 et 16.12.1957, p.672) sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les Territoires d'Outre-Mer, et notamment ses articles 34 et 35,


- les dispositions des articles 6-1 et suivants de l'ordonnance no92-1146 du 12 octobre 1992 portant extension et adaptation dans les territoires de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie Française et des îles Wallis et Futuna, de certaines dispositions de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration dela situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation,


- et les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance no 2013-516 du 20 juin 2013 portant actualisation du droit civil applicable en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna , qui créent une nouvelle sous-section étendant à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna les règles relatives aux tiers payeurs de la loi du 5 juillet 1985,


au regard des demandes formulées en Nouvelle-Calédonie par la caisse des allocations familiales et des accidents du travail (CAFAT), dont les missions sont comparables à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), à l'encontre de l'employeur dont la faute inexcusable a été établie, en remboursement des débours correspondant généralement aux préjudices patrimoniaux temporaires décomposés en :


* dépenses de santé actuelles (frais d'hospitalisation, de radiologie, de pharmacie, de kinésithérapie, de laboratoire et de prothèses),


*pertes de gains professionnels actuels (indemnités journalières)?"


Attendu que par ce même arrêt du 22 mars 2021, il a été prévu qu'il convenait en conséquence de réouvrir les débats afin de recueillir les observations des parties et du ministère public avant le 24 avril 2021, de renvoyer l'affaire à l'audience du 6 mai 2021 et de notifier cet arrêt aux parties par lettres recommandées avec accusé de réception ;


Attendu que les parties ont été ainsi avisées de l'arrêt par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 25 mars 2021 ;


Attendu que le parquet général, par conclusions en date du 28 avril 2021, s'en rapporte à la justice quant à la demande d'avis à la Cour de cassation ;


Attendu que la société CALEDONlENNE DES EAUX, par conclusions déposées au greffe le 30 mars 2021, reprenant ses écritures déposées le 18 avril 2019 dans le cadre de son appel, a rappelé que :


"sous le décret no 57-245 du 24 février 1957, tel qu'il s'applique depuis la décision no 2010-8 QPC du 10 juin 2010, comme sous le code de la sécurité sociale, le régime du recours de l'organisme, qu'il soit CPAM ou CAFAT, pour faute inexcusable de l'employeur est totalement étranger au recours pour faute intentionnelle de l'employeur et ne saurait être confondu" ;


Attendu qu'à l'audience du 6 mai 2021, la CAFAT qui n'avait pas déposé de conclusions, s'est déclarée favorable à la saisine de la Cour de cassation ;


Attendu que cette question de droit est nouvelle, qu'elle présente une difficulté sérieuse et se pose à de nombreux litiges ; qu'il y a lieu, par application des articles L. 441-1 et L. 441-3 du code de l'organisation judiciaire, de solliciter l'avis de la Cour de cassation ; qu'il sera sursis à toute décision sur le fond de l'affaire jusqu'à la réception de l'avis, ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article 1031-3 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS


La cour,


Statuant par arrêt contradictoire déposé au greffe ;


Vu les dispositions des article L.441-1 et L. 441-3 du code de l'organisation judiciaire et des articles 1031-1 et 1031-2 du code de procédure civile,


Dit y avoir lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de saisir pour avis la Cour de cassation de la question suivante :
"Comment concilier, au vu notamment de la décision no 2010-8 QPC du 18 juin 2010 du Conseil constitutionnel :


- les dispositions localement toujours en vigueur du décret modifié no57-245 du 24.02.1957, promulgué par l'arrêté no2079 du 25.11.1957 (JONC des 9 et 16.12.1957, p.672) sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les Territoires d'Outre-Mer, et notamment ses articles 34 et 35,


- les dispositions des articles 6-1 et suivants de l'ordonnance no92-1146 du 12 octobre 1992 portant extension et adaptation dans les territoires de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie Française et des îles Wallis et Futuna, de certaines dispositions de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation,


- et les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance no 2013-516 du 20 juin 2013 portant actualisation du droit civil applicable en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna , qui créent une nouvelle sous-section étendant à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna les règles relatives aux tiers payeurs de la loi du 5 juillet 1985,




au regard des demandes formulées en Nouvelle-Calédonie par la caisse des allocations familiales et des accidents du travail (CAFAT), dont les missions sont comparables à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), à l'encontre de l'employeur dont la faute inexcusable a été établie, tendant au remboursement des débours correspondant généralement aux préjudices patrimoniaux temporaires décomposés en :


* dépenses de santé actuelles (frais d'hospitalisation, de radiologie, de pharmacie, de kinésithérapie, de laboratoire et de prothèses),


*pertes de gains professionnels actuels (indemnités journalières) ? "


En conséquence,


Sursoit à statuer jusqu'à réception de l'avis, ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article 1031-3 du code de procédure civile ;


Réserve les dépens.




Le greffier,Le président.

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