24 March 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.394

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C200308

Titres et sommaires

PROCEDURE CIVILE - Notification - Notification des actes à l'étranger - Signification par la voie diplomatique - Remise à parquet de la décision - Effet - Preuve de la remise de l'acte à son destinataire (non)

En application de l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés. Dans le cas d'une notification internationale à destination d'un Etat étranger, et en l'absence de convention internationale applicable, l'article 684 du code de procédure civile prévoit que celle-ci doit être effectuée par la voie diplomatique. La remise à parquet de la décision à signifier par la voie diplomatique ne constitue pas la preuve de la remise de l'acte à son destinataire et ne peut valoir notification. Dès lors que le juge n'est pas tenu d'ordonner une mesure d'instruction en application de l'article 10 du code de procédure civile, et les requérants n'alléguant ni ne justifiant de démarches entreprises par eux auprès des autorités chargées de la notification de l'acte en vue d'obtenir la preuve de la remise, c'est à bon droit qu'une cour d'appel, qui n'exige alors pas d'eux une preuve impossible et, dès lors, ne porte pas atteinte au droit de ceux-ci à l'exécution des décisions de justice, retient que la preuve de la remise à parquet de l'acte de signification du jugement ne suffisait pas à permettre de poursuivre l'exécution forcée de celui-ci à l'égard de leur débiteur, Etat étranger

PROCEDURE CIVILE - Notification - Notification des actes à l'étranger - Signification par la voie diplomatique - Remise à parquet de la décision - Portée - Preuve de la remise de l'acte à destinataire - Défaut

PROCEDURE CIVILE - Notification - Signification - Parquet - Etat étranger - Modalités - Voie diplomatique - Absence de convention internationale - Portée

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 24 mars 2022




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 308 FS-B

Pourvoi n° V 20-17.394








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 MARS 2022


1°/ M. [C] [Z], domicilié [Adresse 3],

2°/ Mme [T] [Z], domiciliée [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° V 20-17.394 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige les opposant :

1°/ à l'Etat du Liban, représenté par son ambassadeur en exercice, domicilié [Adresse 2],

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. et Mme [Z], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de l'Etat du Liban, représenté par son ambassadeur en exercice, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 février 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 2020), par arrêt du 5 mars 2009, la cour d'appel de Beyrouth (Liban) a condamné l'Etat du Liban a verser à M. et Mme [Z] la somme de 1 586 169 dollars américains. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation libanaise.

2. Par jugement réputé contradictoire du 13 février 2019, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré l'arrêt du 5 mars 2009 exécutoire en France.

3. Le jugement a été transmis à parquet le 27 mars 2019 pour signification par la voie diplomatique à l'Etat du Liban.

4. M. et Mme [Z] ont ensuite saisi, sur le fondement des articles L. 111-1-1 et L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution d'un tribunal judiciaire afin d'être autorisés à procéder à la saisie-attribution des fonds détenus par l'Agence française de développement pour le compte du Liban sur le fondement de ces décisions.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur requête tendant à être autorisés à pratiquer une saisie-attribution, à hauteur du montant dû par le Liban, sur les fonds détenus par l'Agence française de développement, appartenant au Liban et affectés au financement de prêts à destination d'entreprises privées, alors :

« 1°/ que la signification à parquet d'une décision d'exequatur en vue de sa remise par voie diplomatique, qui est la seule démarche que puisse entreprendre une partie en vue de la signification de cette décision à destination d'un Etat étranger, suffit à rendre cette décision opposable à l'Etat destinataire et autorise la partie notifiante à engager des mesures d'exécution à l'encontre de celui-ci ; qu'en jugeant que la remise à parquet de la décision d'exequatur obtenue par les consorts [Z] à l'encontre de l'Etat libanais avait pour seul effet d'enclencher la procédure de signification par voie diplomatique et qu'en l'état de cette seule remise, les consorts [Z] ne pouvaient entreprendre la saisie de biens appartenant à l'Etat libanais, la Cour d'appel a violé l'article 684 du code de procédure civile ;

2°/ que dans un Etat ayant accepté la prééminence du droit, chaque justiciable détient le droit fondamental de faire exécuter les décisions de justice prononcées en sa faveur ; qu'en l'espèce, les consorts [Z] rappelaient, sans être démentis, qu'ils n'étaient pas en mesure d'apporter la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais puisqu'ils étaient demeurés extérieurs au processus de notification par la voie diplomatique et faisaient valoir que cette preuve leur serait probablement inaccessible à long terme compte tenu de la mauvaise volonté manifestée par l'Etat libanais, qui était à la fois le débiteur de la condamnation et autorité en charge de la réception de l'acte par la voie diplomatique ; qu'en rejetant la requête des consorts [Z] tendant à être autorisés à procéder à la saisie de biens appartenant à l'Etat libanais sur le territoire français au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais, et en subordonnant ainsi l'exécution de la décision en cause à la production par les consorts [Z] d'une preuve dont il n'était pas contesté qu'elle leur était impossible, la Cour d'appel a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention ;

3°/ que saisi d'une requête tendant à la saisie des biens d'un Etat étranger par une partie n'étant en mesure de justifier que de la seule signification à parquet de la décision d'exequatur, le juge de l'exécution ne peut se borner à rejeter la requête qui lui est présentée mais se doit a minima de mettre en oeuvre les pouvoirs que lui reconnaît expressément le code de procédure civile et d'ordonner, au besoin d'office, toutes mesures nécessaires à l'effet de garantir le droit à l'exécution dont justifie tout requérant ; qu'il lui appartient à cet effet de prescrire toutes diligences utiles et de donner le cas échéant commission rogatoire à toute autorité compétente aux fins de vérifier si le destinataire de l'acte en a eu connaissance et de l'informer le cas échéant de la procédure engagée à son encontre ou de l'acte qui lui est destiné ; qu'en rejetant la requête formée par les consorts [Z] au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais, sans procéder à ces démarches et vérifications qu'imposaient le droit à l'exécution des décisions de justice, la Cour d'appel a en tout état de cause violé les articles 10, 730, 734, 734-1, et 734-2 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. L'Etat du Liban conteste la recevabilité du moyen en ses deuxième et troisième branches en ce qu'il serait contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond qui consistait à défendre que la signification était parfaite par la simple remise à parquet.

8. Cependant, dans leurs conclusions, M. et Mme [Z] ne soutenaient pas que la signification était effective par la simple remise mais qu'il ne pouvait être exigé d'eux davantage que la production de la remise à parquet pour justifier de la bonne signification dès lors qu'il leur était impossible de prouver la bonne réception de l'acte.

9. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

10. En application de l'article L. 111-1-1 du code des procédures civiles d'exécution, des mesures d'exécution ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger que sur autorisation préalable du juge.

11. En application de l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés.

12. S'agissant d'une notification internationale à destination d'un Etat étranger, et en l'absence de convention internationale applicable, l'article 684 du code de procédure civile prévoit que celle-ci doit être effectuée par la voie diplomatique.

13. La remise à parquet de la décision à signifier par la voie diplomatique ne constitue pas la preuve de la remise de l'acte à son destinataire et ne peut valoir notification.

14. Dès lors que le juge n'est pas tenu d'ordonner une mesure d'instruction en application de l'article 10 du code de procédure civile, et M. et Mme [Z] n'alléguant ni ne justifiant de démarches entreprises par eux auprès des autorités chargées de la notification de l'acte en vue d'obtenir la preuve de la remise, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'a pas exigé d'eux une preuve impossible, et n'a dès lors pas porté atteinte au droit des demandeurs à l'exécution des décisions de justice, a retenu que la remise à parquet de l'acte de signification du jugement du 13 février 2019 n'ayant aucun effet procédural, si ce n'est de permettre l'acheminement de l'acte au ministère de la justice aux fins de remise par la voie diplomatique, les requérants n'étaient pas fondés à poursuivre l'exécution forcée à l'égard de leur débiteur.

15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [Z] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Z]

Monsieur [C] [Z] et Madame [T] [Z] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rejeté leur requête tendant à être autorisés à pratiquer une saisie-attribution, à hauteur du montant dû par le Liban, sur les fonds détenus par l'Agence Française de Développement, appartenant au Liban et affectés au financement de prêts à destination d'entreprise privées ;

1°) ALORS QUE la signification à parquet d'une décision d'exequatur en vue de sa remise par voie diplomatique, qui est la seule démarche que puisse entreprendre une partie en vue de la signification de cette décision à destination d'un Etat étranger, suffit à rendre cette décision opposable à l'Etat destinataire et autorise la partie notifiante à engager des mesures d'exécution à l'encontre de celui-ci ; qu'en jugeant que la remise à parquet de la décision d'exequatur obtenue par les consorts [Z] à l'encontre de l'Etat libanais avait pour seul effet d'enclencher la procédure de signification par voie diplomatique et qu'en l'état de cette seule remise, les consorts [Z] ne pouvaient entreprendre la saisie de biens appartenant à l'Etat libanais, la Cour d'appel a violé l'article 684 du code de procédure civile ;

2°) ALORS en tout état de cause QUE dans un Etat ayant accepté la prééminence du droit, chaque justiciable détient le droit fondamental de faire exécuter les décisions de justice prononcées en sa faveur ; qu'en l'espèce, les consorts [Z] rappelaient, sans être démentis, qu'ils n'étaient pas en mesure d'apporter la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais puisqu'ils étaient demeurés extérieurs au processus de notification par la voie diplomatique et faisaient valoir que cette preuve leur serait probablement inaccessible à long terme compte tenu de la mauvaise volonté manifestée par l'Etat libanais, qui était à la fois le débiteur de la condamnation et autorité en charge de la réception de l'acte par la voie diplomatique ; qu'en rejetant la requête des consorts [Z] tendant à être autorisés à procéder à la saisie de biens appartenant à l'Etat libanais sur le territoire français au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais, et en subordonnant ainsi l'exécution de la décision en cause à la production par les consorts [Z] d'une preuve dont il n'était pas contesté qu'elle leur était impossible, la Cour d'appel a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention ;

3°) ALORS à tout le moins QUE saisi d'une requête tendant à la saisie des biens d'un Etat étranger par une partie n'étant en mesure de justifier que de la seule signification à parquet de la décision d'exequatur, le juge de l'exécution ne peut se borner à rejeter la requête qui lui est présentée mais se doit a minima de mettre en oeuvre les pouvoirs que lui reconnaît expressément le code de procédure civile et d'ordonner, au besoin d'office, toutes mesures nécessaires à l'effet de garantir le droit à l'exécution dont justifie tout requérant ; qu'il lui appartient à cet effet de prescrire toutes diligences utiles et de donner le cas échéant commission rogatoire à toute autorité compétente aux fins de vérifier si le destinataire de l'acte en a eu connaissance et de l'informer le cas échéant de la procédure engagée à son encontre ou de l'acte qui lui est destiné ; qu'en rejetant la requête formée par les consorts [Z] au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais, sans procéder à ces démarches et vérifications qu'imposaient le droit à l'exécution des décisions de justice, la Cour d'appel a en tout état de cause violé les articles 10, 730, 734, 734-1, et 734-2 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention ;

4°) ALORS enfin QUE la faculté pour une partie ayant été privée du droit d'accès au juge d'engager la responsabilité de l'Etat Français ne dispense pas le juge national de son obligation de statuer en conformité avec les dispositions de la Convention EDH qui sont d'application directe en droit français ; qu'en jugeant qu'il appartenait aux consorts [Z] de mettre en jeu la responsabilité de l'Etat Français s'ils estimaient être privés de leur droit d'accès à un juge et que la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat Français constituait une voie de droit propre à rendre effectif l'accès à un tribunal, la Cour d'appel a violé les articles 1er et 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 12 du code de procédure civile.

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